Edmond Malinvaud and Decentralised Planning
- Publication type: Journal article
- Journal: Revue d'histoire de la pensée économique
2020 – 1, n° 9. varia - Author: Andreff (Wladimir)
- Pages: 43 to 90
- Journal: Journal of the History of Economic Thought
EDMOND MALINVAUD
ET LA PLANIFICATION DÉCENTRALISÉE
Wladimir Andreff
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Centre d’Économie de la Sorbonne – UMR CNRS 8174
Les contributions magistrales d’Edmond Malinvaud à la micro-économie, à l’économétrie, à la macro-économie et à la théorie du chômage et du déséquilibre ont éclipsé une partie moins connue de son œuvre consacrée à la planification, d’autant moins médiatisée que les économies de marché occidentales se sont engagées entre temps dans un processus de déplanification, lié à la mondialisation de l’économie. Ceci ne doit pas faire oublier que Malinvaud croyait aux vertus de la planification en économie de marché (section 1), en se situant dans un courant de la théorie néo-classique allant de Walras-Pareto à Barone-Lange – pour qui le plan optimal est mathématiquement identique à une économie de marché à l’optimum – puis à Arrow-Debreu-Hurwicz (section 2). Le plaidoyer de Malinvaud en faveur d’une planification décentralisée prend la forme d’un modèle théorique, publié en deux versions, en 1967 et 1968 (section 3). L’impact qu’a eu ce modèle n’est à la hauteur ni de sa qualité, ni de son originalité, en raison des changements qui sont intervenus peu après sa publication, tant dans la planification française que dans la planification de type soviétique (section 4). Comme beaucoup de travaux des spécialistes de la planification, le modèle de Malinvaud est tombé dans l’oubli, sous le coup de la déplanification des économies occidentales, de l’effondrement du système d’économie 44planifiée soviétique, et sous le vent de la libéralisation et de la mondialisation de l’économie d’un point de vue empirique, d’une part ; et d’autre part sous le choc porté à la théorie de l’équilibre de Walras par le théorème dit de Sonnenschein-Debreu-Mantel en 1973-1974. Malinvaud est resté à l’écart de ce choc en recentrant ses recherches ultérieures sur la théorie du déséquilibre, soit un itinéraire similaire et congruent à celui d’un autre ancien théoricien de la planification décentralisée reconverti dans l’analyse des marchés en déséquilibre, Janos Kornaï (section 5).
I. EDMOND MALINVAUD, PARTISAN DE LA PLANIFICATION
EN ÉCONOMIE DE MARCHÉ
Le présent article se concentre sur deux articles d’Edmond Malinvaud consacrés aux procédures décentralisées de planification (Malinvaud, 1967 et 1968). D’où venait cet intérêt de Malinvaud pour la planification ?
Dans un texte autobiographique de 2001 et dans un entretien avec Alan Krueger (2003), Malinvaud a évoqué les idées socialistes de son père et l’impact qu’avait eu sur lui, enfant, le spectacle des difficultés et du marasme dans lequel la crise financière des années 1930 avait plongé les industries de la porcelaine et de la chaussure de sa ville natale de Limoges (Dostaler, 2007). Des sympathies socialistes et la gravité de la crise du capitalisme des années 1930 étaient fréquemment des motifs d’adhésion aux principes d’une planification de l’économie de marché après-guerre, en particulier en France.
L’origine de l’intérêt de Malinvaud pour la planification est sans doute à rechercher plus précisément dans trois circonstances de sa vie : ses séjours aux États-Unis où il a eu des contacts avec des collègues ayant des axes de recherche en rapport avec – ou utilisables pour – l’élaboration d’une planification optimale ; ses fonctions dans l’administration économique française ; l’environnement des années 1960 et du début des années 1970, contemporain des deux publications en examen, quand la planification française était à son zénith et qu’une large communauté d’économistes travaillait sur ce sujet en France (aussi à l’étranger).
45Malinvaud a fréquenté Thomas Marschak et Tjalling Koopmans à la Cowles Commission quand il y séjourna en 1950-1951 où il a bien évidemment retrouvé Gérard Debreu avec qui il avait participé naguère à Paris au séminaire de Maurice Allais (avec Marcel Boiteux notamment). Il présente d’ailleurs son article de 1967 comme une formalisation renouvelée du tâtonnement Walrasien enrichie par la théorie de l’allocation des ressources de Koopmans (1957). Il a eu l’occasion de rencontrer à la Cowles Commission John Chipman, Lawrence Klein, Martin Beckman, Karl Brunner, Morton Slater, Jimmy Savage, Milton Friedman, Lloyd Metzler, James Melvin, James Moore, Raymond Riezman, et surtout Kenneth Arrow et Leonid Hurwicz. Pendant ses deux séjours à l’Université de Berkeley en 1961 et 1967, Malinvaud retrouve Marschak, alors professeur associé puis professeur (full professor) à la School of Business de cette Université peu après qu’il ait publié (Marschak, 1959 et 1960) sur des thèmes proches des centres d’intérêt de Malinvaud : la modélisation théorique d’une économie centralisée et d’une économie décentralisée, et la tarification et les dépenses en capital dans les branches d’industrie nationalisées en France. Il y rencontre aussi Roy Radner, dont la collaboration avec Marschak aboutira à formuler la théorie des équipes (Marschak et Radner, 1972), ouvrage qui eut une forte influence dans l’entourage de Malinvaud, par exemple sur Yves Younès. Il a aussi participé à Berkeley, en juillet 1967, à un important séminaire sur les techniques d’analyse à utiliser pour la comparaison des systèmes économiques.
Malinvaud mentionne Marschak et Koopmans parmi les commentateurs de son article de 1967 avant sa publication, ainsi que Chris Almon, G. Charrière, Claude Fourgeaud, William Moore Gorman, André Nataf et, en premier lieu, Roy Radner. Tous, comme lui, contribuent à l’époque au développement de l’économie mathématique et certains mènent leurs recherches sur des thèmes d’intérêt immédiat pour Malinvaud : Almon sur l’algorithme de décomposition des programmes linéaires de Dantzig et Wolfe (1961) et ses prolongements, Gorman sur la séparabilité et l’agrégation des biens (et plus tard sur la nécessité d’utiliser un agent représentatif), Nataf sur la planification française et Radner (1963) sur la théorie économique et mathématique de la planification.
Malinvaud confie plus tard à Krueger : « I was involved in the ‘60s very often in the activities of, let’s say, French planning, which was essentially 46a way of deciding on the medium- and the long-run economic policies. And that influenced certainly my research, part of my research » (Krueger, 2003, p. 197). Malinvaud fait état des relations qu’il a eues avec Pierre Massé, commissaire général au Plan, Claude Gruson, chef du service des études économiques à la direction du Trésor, puis directeur général de l’INSEE, et Marcel Boiteux, directeur des études économiques à la direction générale d’EDF qui a conduit l’optimisation (la planification) des tarifs de l’électricité et du choix des investissements de cette entreprise publique. En première note de bas de page de Malinvaud (1967), il est indiqué que les principales idées de l’article ont été présentées dès 1960 dans une réunion du groupe de travail du Commissariat Général du Plan (CGP) consacré au choix des informations à transmettre aux entreprises publiques et à obtenir d’elles, séminaire largement animé par les contributions de Massé, Gruson et Boiteux. Il est évident que, ensuite, en tant que directeur de la Direction de la Prévision au Ministère de l’Économie et des Finances (1972-1974) puis directeur général de l’INSEE (1974-1987), Malinvaud a non seulement été sollicité pour fournir des données et des analyses, des avis et des conseils de politique économique, mais il a aussi dû être en contact régulier avec le CGP et certains ministères très impliqués dans la planification française (en premier lieu son ministère de tutelle).
Ainsi, l’article de 1967 est écrit avec la conviction qu’il est pertinent pour le CGP et l’espoir qu’il y sera utile : « I may venture that the discussion given below has direct relevance for the exchange of information that occurs in France between theCommissariat Général du Plan and the large public enterprises when the former prepares the national plan and the latter determine their long-term programmes. I also hope that the same discussion will find application in the future when a more systematic exchange of information will be organized between theCommissariat and the commissions de modernisationwhich represent the various industries » (Malinvaud, 1967, p. 171).
Dans les années 1960-1970, que la planification soit indispensable pour fournir des grandes orientations à moyen-long terme au marché et pour pallier et corriger les défaillances du marché est une idée très répandue en France parmi les ingénieurs économistes, les économistes mathématiciens et les statisticiens de l’INSEE : Pierre Massé, Marcel Boiteux, Claude Gruson, Jacques Lesourne, André Nataf, Serge Barthélémy, Henri Aujac, André Vanoli, Georges Delange, Philippe Herzog, Gaston 47Olive, Michel Aglietta, Raymond Courbis, André Saglio, Claude Seibel, Bernard Ullmo, Christian Sautter, Bernard Billaudot, Daniel Malkin, Yves Younès, Pierre Malgrange, Jean-Pierre Laffargue, Jean-Jacques Bonnaud, André Gauron, Paul Dubois, Jacques Mairesse, Bernard Brunhes, Marc Guillaume, Jacques Mazier, Jean-Hervé Lorenzi, Pierre Picard, Eliane Bétout-Mossé, Catherine Girardeau, Alain Desrosières, André Piattier, entre autres. La communauté des économistes français n’ayant pas la même formation que les précédents (polytechniciens, ingénieurs, diplômés de l’ENSAE, etc.), ou moins versés dans la modélisation mathématique du plan, sont également nombreux et forment un réseau de commentateurs et de diffuseurs d’idées favorables à la planification en économie de marché1. On trouve nombre de contributeurs significatifs au progrès des techniques de planification à l’étranger, citons en passant Henri Theil, Petrus Johannes Verdoorn, Peter de Wolff, Wilhelm Krelle, Jean Walbroeck, Luigi Spaventa, Michaël Bruno, Witold Trzeciakowski et des économistes « Nobélisés » tels Jan Tinbergen, Wassily Leontief, Ragnar Frisch et Leonid Kantorovitch. Malinvaud en a rencontré quelques-uns et en a cité plusieurs dans ses travaux. Il rédige donc ses articles de 1967 et 1968 dans un milieu très réceptif aux modèles de planification à l’époque.
Par conséquent, Malinvaud n’hésite pas à exprimer ses convictions en faveur de la planification : « One of the main aims of long-term plans which are drawn up in many countries, is to facilitate the formation of a productive system which will be adapted to the needs of future growth. To attain this objective, one must find the best solution to the multiple technical options which arise in different branches of activity. The plan should incorporate the best grouping of productive operations which can be implemented, given the country’s resources and technological possibilities » (Malinvaud, 1967, p. 170). Les convictions planificatrices de Malinvaud sont confirmées dans deux articles ultérieurs. Le premier considère que la théorie des biens publics a démontré que les institutions du marché ne sont pas suffisantes pour garantir la production en quantités satisfaisantes de ces biens (défaillance du marché). La 48solution proposée, au lieu de centrer l’attention sur le fonctionnement du système des prix, est une discussion directe (un échange d’informations) entre les agents économiques pour déterminer des programmes quantitatifs de consommation collective et leur financement, où les procédures décrites dans les articles de 1967-1968 sont mises en œuvre (Malinvaud, 1970). Le second traite de l’approvisionnement en biens publics, dans un modèle à deux consommateurs et deux biens, l’un public, l’autre privé, à l’aide d’une procédure de planification. Deux procédures d’allocation sont utilisées dans le modèle, l’une par les prix (impôts), l’autre par les quantités (Malinvaud, 1971). Ces deux publications ne sont pas prises en compte dans ce qui suit.
Rappelons enfin que, en 1950, le jeune Malinvaud analysait les enquêtes sur les budgets des ménages à l’INSEE. On peut se demander si l’on doit trouver là l’antécédent au fait que son modèle de 1968 intègre une planification de la (répartition des biens de) consommation, outre la planification de la production. Même la planification soviétique n’est pas allée aussi loin en extension, les consommateurs y étant simplement rationnés par l’offre, i.e. les déséquilibres sectoriels et par produits programmés, ou involontaires, du plan (l’économie de pénurie ou d’excès de demande généralisé, voir section 5 infra).
Malinvaud conservera ses convictions planificatrices jusqu’à la disparition de la planification française2 et, vraisemblablement, au-delà ; on lit dans Malinvaud (1992, p. 22) que, en économie de marché, la planification a encore trois fonctions :
it must look into the future and announce its likely features ; it must define strategies ; it must evaluate public projects and control their realization (…) No serious businessman, no serious government official believes that markets convey all the information required for good decisions with long- or medium-term implications. The need for prospective studies is widely recognized (…). “Indicative planning” was conceived as an efficient means for the diffusion of the results of such studies (…). But planning is not only indicative. It also contributes to the definition of strategies, which have to be adopted at various levels. There is not only the overall development strategy, but also programmes for particular sectors of the economy (agriculture, energy, transports) or for investments requiring special attention (education, research and development).
49Malinvaud était donc clairement partisan de la planification en économie de marché.
II. DU MODÈLE DE SOCIALISME DE MARCHÉ
à LA THÉORIE DE LA PLANIFICATION OPTIMALE
Bien qu’il situe son étude dans la droite ligne de la théorie des programmes optimaux d’allocation décentralisée des ressources (Arrow et Hurwicz, 1960), Malinvaud ne manque pas de faire un retour sur l’histoire du tâtonnement walrasien et son utilisation dans la théorie de la planification (Malinvaud, 1967, p. 179-180 ; 1968, p. 16-22). Il rappelle que le plan optimal doit respecter les mêmes égalités marginales qui conditionnent l’équilibre en concurrence pure et parfaite comme il a été suggéré par Pareto (1906)3, puis démontré par Barone (1908) et Lerner (1946)4. En note de bas de page (Malinvaud, 1967, p. 179), il évoque que certains économistes acceptant ce point de vue ont même soutenu que le schéma théorique de l’équilibre en concurrence pure et parfaite n’est pas une description du fonctionnement d’une société libérale, mais plutôt d’une économie centralement planifiée5. Il ajoute (Malinvaud, 1968, p. 17-18) : « aujourd’hui l’étude des procédures de planification doit amener avec elle une meilleure compréhension du processus par lequel un équilibre se détermine dans les économies de marché, processus que les théories actuelles représentent d’une manière notoirement insuffisante ». Mais les opérations qui permettent au plan d’atteindre l’optimum que le marché atteint spontanément ont été beaucoup moins analysées que la caractérisation de l’optimum du plan, de plus en plus 50précise après vingt ans de recherche en théorie de l’allocation des ressources (Koopmans, 1957). Jusque-là, selon Malinvaud, seul Lange (1936) a proposé une formulation claire d’une procédure de planification de ce type en appuyant son analyse sur le concept de tâtonnement walrasien, analyse qui a été approfondie par Arrow et Hurwicz (1960).
Avant de formaliser sa propre procédure, Malinvaud (1967) souligne qu’elle est, sous certaines conditions, identique à celle de Taylor (1929) – parfois nommée règle de Lange-Taylor de révision des prix depuis lors (Andreff, 1993) –, où le tâtonnement joue un rôle important dans la détermination progressive des prix, avec une différence : le tâtonnement n’opère chez Taylor que pour les prix des ressources primaires (pour tous les prix dans le modèle de Malinvaud). Kantorovitch (1959) est mentionné pour sa procédure de planification recourant à des ajustements progressifs de prix basés sur le tâtonnement walrasien. Ce dernier, estime Malinvaud, a été retenu par tous les auteurs qui ont abordé sérieusement le problème des procédures de planification et il mentionne en note de bas de page (Malinvaud, 1967, p. 180) avoir reçu6, une fois son article achevé, un manuscrit sur le sujet – depuis lors publié par Kornaï et Liptak (1965).
On peut s’étonner de ce que Malinvaud ne distingue pas dans l’article de Lange (1936) deux environnements institutionnels. Dans le premier, le plus connu comme modèle de « socialisme de marché », Lange n’attribue au Bureau Central de Planification (BCP), moyennant un tâtonnement walrasien, que le rôle d’allouer les biens de production entre les « directeurs d’entreprises socialistes », laissant à deux marchés le soin d’allouer les biens de consommation et le travail. Dans une seconde variante, formellement identique, Lange présente une économie bureaucratique qui se distingue du socialisme de marché par deux hypothèses7 :
–il n’y a plus de liberté individuelle de choix des consommateurs (ni de marché des biens de consommation) ;
–il n’y a plus de liberté individuelle de choix de sa profession et de son lieu d’exercice (ni de marché du travail).
51Alors dit Lange (1936) : « dans un tel système le BCP décide quelles marchandises doivent être produites et en quelles quantités, les biens de consommation étant répartis par rationnement et les travailleurs étant assignés à leur emploi. Dans un tel système aussi le calcul économique rationnel est possible, sauf que le calcul reflète les préférences des bureaucrates du BCP au lieu de celles du consommateur. Le BCP doit fixer une échelle de préférences qui serve de base à la valorisation des biens de consommation ». Dans ce cas, tous les prix deviennent paramétriques8, y compris les taux de salaire ; il n’y a plus aucun prix de marché dans le second modèle de Lange. Le tâtonnement walrasien conduit néanmoins cette économie bureaucratique au plan optimal, une fois données les préférences du BCP. Lange (1936) conclut : « En démontrant la cohérence économique et la faisabilité d’une économie socialiste sans libre choix de la consommation, ni de la profession, mais guidée par l’échelle de préférence des bureaucrates du BCP, nous n’entendons pas recommander un tel système. M. Lerner (1934) a suffisamment montré le caractère non démocratique d’un tel système et son incompatibilité avec les idéaux du mouvement socialiste9 ». Disqualification du second modèle de Lange sur critère politique, non pour irrationalité économique. Critère auquel Malinvaud aurait probablement souscrit ; ce qui ne l’empêche pas d’envisager une procédure de planification de la consommation dans l’article de 1968. Pourtant, c’est sans doute un autre critère qui fait que Malinvaud choisit le modèle de socialisme de marché comme point de départ de son analyse : ce modèle est décentralisé en ce que le BCP ne perturbe pas les choix des agents individuels ni ne leur impose un comportement (Tartarin, 1969), alors que l’économie bureaucratique est entièrement centralisée de ce point de vue.
Malinvaud (1968, p. 17) estime que la pratique de la planification n’a tiré aucun profit des procédures de détermination du plan précisées 52par Lange et Taylor, « ni la planification autoritaire détaillée des pays de l’Est ni la planification indicative macro-économique de ceux de l’Ouest ». Au mieux ont elles cherché à assurer une cohérence entre les offres et les demandes pour quelques produits principaux (à l’Est) ou au niveau des agrégats de la comptabilité nationale et pour quelques grands groupes de biens (à l’Ouest). Malinvaud espère que ce hiatus entre théorie et pratique de la planification disparaîtra.
L’état de la théorie de la planification en 1968 résulte, selon Malinvaud, de trois ordres de recherches. D’abord celles susmentionnées sur la formulation rigoureuse de la procédure de planification par tâtonnement walrasien, complétées par la démonstration qu’elle est convergente. Puis les progrès de la programmation mathématique et la mise au point d’algorithmes de calcul pouvant convenir à la planification économique, ainsi que les méthodes de décomposition (Dantzig et Wolfe, 1961) permettant une conduite simultanée des calculs et de la collecte des données par le BCP et d’autres entités de l’économie nationale. Le dernier apport provient de la théorie des organisations (Marschak, 1959) comparant l’efficacité et le coût de diverses procédures de prise de décision dans des situations où divers individus disposent d’informations complémentaires pour la poursuite d’un objectif commun, ce qui conduit à choisir entre des formes d’organisation plus ou moins centralisées10.
Malinvaud reproche à la plupart des travaux sur la théorie de la planification de ne pas prêter assez d’attention au rôle important joué par les objectifs de production (en se concentrant sur le tâtonnement par révision des prix) et aux auteurs d’algorithmes de programmation avec décomposition de ne pas examiner sérieusement les difficultés soulevées par les échanges d’informations que leurs procédures supposent. Une orientation satisfaisante des recherches suppose selon lui d’accepter que :
–La planification s’apparente au calcul numérique et suppose une certaine optimisation dans l’ensemble des programmes possibles – ainsi les processus de tâtonnement s’apparentent à la méthode générale du gradient (Arrow et Hurwicz, 1960) qui est souvent 53–très lente à l’approche du maximum et on lui substitue souvent des méthodes plus rapides (voir 4 infra). Il faudrait aussi examiner les performances d’une procédure de calcul tout au long des itérations successives.
–La planification suppose un difficile échange d’informations. S’il veut obtenir des réponses exactes, le planificateur doit limiter ses demandes, donc seules sont concevables des procédures qui ne se prolongent pas au-delà de quelques itérations et dans lesquelles chaque agent n’a à communiquer à chaque étape qu’un nombre relativement limité de grandeurs numériques. La lourdeur des questionnaires envoyés aux entreprises dans la planification soviétique explique pourquoi le nombre d’itérations reste inférieur à celui qu’exigerait une cohérence tenant compte des agents non prioritaires dans la conception du plan. Certaines procédures peuvent susciter la falsification des données transmises ou la fraude.
–La planification prend place dans un contexte économique particulier ; il faut souvent admettre que le BCP connaît les préférences des consommateurs ainsi que les quantités de ressources primaires qui sont allouées par le plan, mais il ne peut connaître celles que détiennent les entreprises, ni leur technologie. C’est l’hypothèse retenue dans le modèle de planification décentralisée.
III. LE MODÈLE DE PLANIFICATION DÉCENTRALISÉE
DE MALINVAUD
Le modèle analyse une économie à m + 1 agents, m firmes (k = 1, …, m) et un BCP, n produits (i = 1, …, n), où la production du bien i est notée yi(positif si i est un output, négatif si c’est un input) et sa consommation finale est notée xi. La demande nette du bien i par les consommateurs et les firmes est :
(1)
54iii.1. la planification de la production
Un programme P pour cette économie est défini par l’ensemble des valeurs des (m+2)n nombres xi,zi et . L’écriture vectorielle simplifiée (les différents xiétant les composantes du vecteur x et ainsi de suite) est :
(2)
Si les ressources initialement disponibles en bien i sont wi le programme P est contraint par :
(3)
Aux conditions mathématiques pour que tous les P soient des programmes réalisables, et s’il existe une fonction d’utilité u(x1, x2, …, xn), le programme optimal est Ps tel que u(xs) > u(xh) pour j, j = 1, …, s étant l’ordre des itérations successives. Dans une telle économie, la tâche du BCP est : max u(x) sous les contraintes (2) et (3).
On suppose que le BCP connaît a priori l’ensemble X des consommations finales acceptables, le vecteur des ressources disponibles w et la fonction d’utilité u(x), mais qu’il ne connaît pas a priori les ensembles de production Yk des firmes. Alors que chaque firme k connaît l’ensemble de ses possibilités techniques de production (sa technologie) mais ne connaît pas X, w et la fonction u(x). Un échange d’informations doit intervenir entre le BCP et les firmes au cours duquel, par itérations successives, celles-ci révéleront leurs technologies au BCP. Pendant cette procédure d’élaboration du plan, le BCP adressera aux firmes des données relatives au plan en cours de préparation sous la forme « d’indices prospectifs » B auxquels les firmes répondront par des propositions F de production et de consommation intermédiaire maximisant leur profit ou minimisant leurs coûts jusqu’à ce que, au terme de s itérations, soit trouvé (calculé) le plan optimal Ps, ainsi :
B 1 -> F 1 -> … B j -> F j -> … B s-1 -> F s-1 -> P s
C’est cette procédure que Malinvaud considère comme décentralisée. Pour qu’elle soit réalisable, elle doit présenter des propriétés mathématiques précises (Malinvaud, 1967, p. 182-185), ce qui implique des 55hypothèses plus ou moins restrictives sur les ensembles Yk (borné et convexe, i.e. hypothèse de rendements décroissants) et X (borné et convexe), et sur la fonction u(x). Pour atteindre un programme optimum en quantités et que les prix associés à ce programme convergent vers un vecteur des prix optimaux, la procédure doit être bien définie, strictement monotone, convergente et finie (alors il existe un nombre fini s d’itérations au bout desquelles Ps est optimal). Malinvaud écarte d’entrée l’examen de deux autres propriétés des procédures de planification : la vitesse de convergence vers Ps et le coût de chaque procédure. Dans une formalisation transposant celle de Arrow et Hurwicz (1960) :
–Les indices prospectifs sont les prix donnés aux différents biens indicés i à chaque itération (d’où le vecteur prix ps pour les n biens). Les propositions des firmes sont des quantités de production nette composées de n nombres (vecteur pour toutes les firmes). La procédure est amorcée par l’énoncé d’un vecteur prix p1 quelconque par le BCP.
–À chaque itération, toute firme k sélectionne sa proposition de production nette de telle façon qu’elle maximise son profit aux prix , soit : maxpsyk =
–À l’itération d’ordre s, le BCP doit réviser les indices prospectifs de l’itération s-1, en augmentant le prix des biens pour lesquels la demande nette excède les ressources disponibles, et en diminuant le prix des biens pour lesquels c’est l’inverse. Soit en suivant Arrow et Hurwicz (1960) :
(4)
où un prix égal à zéro est affecté à tout bien dont le calcul aboutit à un prix négatif (impossible), et ρest un coefficient de proportionnalité (nombre discret positif) fixe utilisé pour la révision des prix11, en hausse ou en baisse, par le BCP.
–À la dernière étape (itération) du tâtonnement, le vecteur xs doit être tel qu’il maximise u(x) sous la condition que :
(5)
56La présentation du modèle de planification décentralisée s’achève par les remarques suivantes. Les méthodes de planification existant en pratique (en 1967) ne recourent pas au principe du tâtonnement walrasien en premier lieu parce que la démonstration de sa convergence vers l’optimum requiert des hypothèses très restrictives. Le choix de la valeur du coefficient de proportionnalité requis par la convergence discrète à la Uzawa est un vrai problème, d’autant plus que de ce choix va résulter le nombre d’itérations (de révisions des prix) et la vitesse de convergence de la procédure – ce qui ne peut être indifférent pour un BCP. Il est possible que les propositions des firmes soient mutuellement incompatibles en pratique quand on atteint l’équilibre offre-demande. Les planificateurs mettent souvent davantage l’accent sur la recherche de cohérence que sur la découverte par calcul de l’optimum. Ce n’est pas tant l’équilibre offre-demande qui est important que la manière dont on y parvient. En pratique, à chaque itération le BCP tient compte des relations interindustrielles pour produire une variante plus ou moins complète du plan. Sans que Malinvaud le rappelle à cet endroit de l’article de 1967, telle était la pratique française fondée sur la prévision en volume du TEI et l’inversion de la matrice de Leontief accompagnées d’une prévision des prix et de tests de cohérence (Babeau et Derycke, 1967).
Taylor (1929) proposait une méthode itérative dans laquelle les firmes sont informées par le BCP des prix proposés pour les différents biens et lui renvoient comme information les techniques de production qui minimisent leurs coûts. Malinvaud (1967) modélise la même procédure itérative pour une économie dotée d’une technologie Leontief-Samuelson (Samuelson, 1951), à un seul facteur de production rare, le travail. Chaque firme ne produit qu’un seul bien, mais peut utiliser différentes techniques, toutes les techniques de production étant à rendements d’échelle constants. Dans le modèle de Leontief, les coefficients techniques aik (de toute firme k) sont constants et le vecteur ak est fixé et représente la technologie de la firme k. Dans la généralisation de Samuelson, ce vecteur peut prendre n’importe quel nombre de valeurs.
Sous les hypothèses que le vecteur x des consommations finales ne comporte aucune composante négative, que u(x) est une fonction 57continue connue du BCP12, que la matrice des coefficients techniques Ak ne contient aucune composante négative, et que le BCP connaît les m vecteurs avant la première itération, Malinvaud formalise la procédure de Taylor. Les indices prospectifs émis par le BCP sont les prix attribués aux différents produits, les propositions des firmes sont leurs vecteurs de coefficients techniques, les firmes minimisent leurs coûts de production quand les prix sont et le prix du travail est égal à 1. À la dernière itération s, le BCP détermine le plan Ps en utilisant les derniers coefficients techniques transmis par les firmes pour calculer le volume de la production et le vecteur de demande finale qui maximisent l’utilité u(xs) du plan13.
Finalement, le plan spécifie pour chaque firme k sa quantité à produire du bien k en utilisant comme inputs les quantités des différents biens i, la consommation finale du bien i étant égale à . À chaque itération le BCP doit donc résoudre un modèle de Leontief ouvert (sur la demande finale) dont les coefficients techniques sont ceux reçus des firmes à l’itération précédente14. Il s’agit d’une procédure de décentralisation du plan par les prix quand les indices prospectifs sont des prix énoncés par le BCP et utilisés par les firmes dans leur calcul économique pour déterminer leurs propres programmes de production.
La procédure de Malinvaud peut fonctionner à l’identique et conduire au même plan optimal si l’on inverse la nature des informations respectivement transmises et traitées par les firmes et le BCP. Il en est ainsi si, à chaque itération j le BCP fait connaître comme indice prospectif à chaque firme k un projet de plan de production (des quantités ) à réaliser et que, après calcul, les firmes retournent vers le BCP les prix de leurs inputs qui minimisent leurs coûts de production. La procédure atteint l’optimum quand tous les prix retournés par les firmes ont les mêmes valeurs numériques, celles des composantes du vecteur ps qui maximise u(xs). C’est la décentralisation du plan par les 58quantités, plus proche de la pratique des échanges d’information dans la planification soviétique.
Malinvaud fait remarquer que dans tous les pays occidentaux qui ont une planification à moyen-long terme, des objectifs de production sont établis à l’aide d’un modèle de Leontief ouvert – c’est le cas en France à l’époque. Dans les économies de type soviétique, l’accent est mis sur les balances matières – ressources (output) / emplois (input) – élaborées en quantités physiques. Montias (1959) a démontré que cette méthode est peu différente de celle du modèle de Leontief, à ceci près que la méthode soviétique des chaînons conducteurs ne consistait pas à inverser la matrice de Leontief, mais à satisfaire l’équilibre emplois-ressources des branches une par une, dans l’ordre des priorités du plan, et en soldant les balances matières des branches non prioritaires par la mention d’un « déficit ou pénurie probable » (démonstration dans Andreff, 1993, p. 80-85).
Malinvaud conclut par deux réserves : a/ dans leurs réponses au BCP, les firmes peuvent déclarer des valeurs de leurs coefficients techniques qui leur semblent les plus appropriées, plutôt que celles reflétant le plus exactement leur technologie (pratique systématique de biais d’information ou « tricherie » sur les données dans la planification soviétique pour des raisons exposées dans Andreff, 1976 et 1993) ; b/ le modèle est trop restrictif en supposant qu’il n’y a qu’une ressource primaire rare, le travail ; il peut y avoir des raretés résultant de l’équipement initial de l’économie ou des limites au volume de ses importations.
L’article de 1967 envisage enfin l’utilisation de la procédure itérative ci-dessus dans une programmation mathématique conduite à l’échelon central. Le BCP ne tient pas seulement compte de l’information transmise par les firmes à la dernière itération, mais il accumule l’information à chaque itération de façon à acquérir une connaissance précise de la technologie de chaque firme. Contrairement à la technologie Leontief-Samuelson, les techniques de production ne sont plus supposées complémentaires mais substituables et le BCP peut calculer des prix qui sont proportionnels aux taux marginaux de substitution impliqués par le programme mathématique. Il demande alors aux firmes de spécifier leurs vecteurs de production yk qui, à ces prix, maximisent la valeur nette de leur production. Cette procédure15 est similaire à la décomposition d’un programme linéaire (Dantzig et Wolfe, 1961), dont le modèle de Malinvaud est une 59généralisation. À chaque itération, le BCP doit résoudre un programme mathématique tel que :
{ max u(x)
{ z = x - ∑kyk ≤ w (6)
pour les valeurs numériques des variables qui ont changé par rapport à l’itération précédente du fait des nouvelles informations accumulées. Si à l’itération s les firmes soumettent dans leurs propositions les mêmes valeurs de production nette que celles calculées dans le programme Ps, la convergence vers le programme optimal est aboutie.
Les limites du modèle, soulignées par Malinvaud lui-même en conclusion, sont :
–Les trois modèles (procédures) sont statiques, la variable « temps » n’est pas prise en compte.
–Les procédures décrites ne permettent aucune agrégation des biens ; seule une nomenclature de produits très détaillée16 peut satisfaire aux exigences du modèle ; alternativement, il faut continuer à développer la théorie de l’agrégation, ce à quoi Malinvaud s’est employé par ailleurs (Malinvaud, 1954 et 1959).
–Dans les trois procédures, les indices prospectifs envoyés aux firmes sont principalement les prix des différents biens. Dans la pratique de plusieurs pays, des objectifs de production sont assignés par le BCP aux firmes. Ces dernières sont supposées faire leur calcul économique à partir des prix reçus, mais il n’est nulle part question d’abandonner l’utilisation d’objectifs de production. Ces procédures itératives ne pouvant être prolongées en pratique qu’à quelques itérations, ceci aussi plaide en faveur de la fixation d’objectifs de production (donc de la décentralisation par les quantités).
–La loi des rendements décroissants qui s’applique aux Yk n’a guère de justification dans le contexte pratique de la planification.
–L’équipement existant ne devrait pas être inclus dans les inputs car le plus souvent il ne peut être réalloué entre les firmes ; l’investissement neuf au contraire peut y être inclus. L’implication logique est que 60–l’ensemble des Yk devrait typiquement connaître des rendements décroissants et la procédure avec technologie Leontief-Samuelson à rendements constants ne peut être utilisée en pratique.
III.2. LA PLANIFICATION DE LA DISTRIBUTION
Répartir entre divers consommateurs des quantités de divers biens pose un problème d’équité et un problème d’optimalité. Supposant résolu à l’avance le problème d’équité, Malinvaud (1968) s’attache à discuter deux procédures visant à réaliser une répartition optimale des biens17. Les agents peuvent, sans souffrir de perte, substituer une quantité appropriée de n’importe quel bien réparti à une quantité fixée de n’importe quel autre bien réparti, au moins à la marge. Soit wh les quantités disponibles de l (h = 1, …, l) biens distincts, quantités connues par le BCP ; xih est la quantité de h allouée au consommateur i, xi est le vecteur ayant les l composantes xih (i = 1, …, m). Le consommateur a une fonction d’utilité ui (xi), différentiable et strictement concave, obéissant à l’hypothèse des utilités marginales décroissantes. Le BCP ignore les fonctions ui et a pour consigne de répartir les revenus comme suit. Lorsque des prix phsont donnés pour les divers biens h et des vecteurs de consommation xi pour les divers agents i, il faut que la valeur du complexe de biens alloué à i soit une proportion donnée Ride la valeur pw des quantités totales disponibles ; de plus le vecteur p des prix doit être tel qu’il coïncide, une fois l’optimum atteint, avec le vecteur des prix duaux de cet optimum. La définition des Ri implique :
= 1 (7)
Le BCP se renseigne auprès des consommateurs en leur transmettant des indices prospectifs, les prix ps au cours de s itérations (j = 1,…, s). À chaque itération, le consommateur i répond par un vecteur qui maximise ui (xi) sous la contrainte que sa valeur soit égale au revenu Ri. Pour initier la procédure le BCP choisit arbitrairement un vecteur prix p1 sous réserve que la valeur p1w des disponibilités soit égale 61à la somme des revenus, c’est-à-dire à 1 d’après (7). Parmi les multiples formules de révision des prix possibles, Malinvaud choisit :
(8)
a étant un nombre positif choisi a priori.
Le BCP augmente ou abaisse le prix du bien h selon que la demande globale ∑ixih est supérieure ou inférieure à l’offre wh. Décentralisation par les prix.
On peut opposer à cette procédure une autre dans laquelle le BCP indique à chaque agent quel programme quantitatif il envisage pour lui. En retour, l’agent fait connaître les taux marginaux de substitution entre les différents biens que ce programme implique pour lui. La règle de révision du programme quantitatif est la suivante : si le taux marginal de substitution du bien b par rapport au bien c est plus élevé pour le consommateur i que pour le consommateur m, le BCP attribue à i un peu plus de bien b et un peu moins de bien c, la modification inverse étant apportée au programme de m. Soit l’indice prospectif communiqué à i par le BCP. Supposons que le bien l ait une utilité marginale positive pour tous les agents et qu’il soit choisi comme numéraire. Le consommateur i indique dans sa proposition, les taux marginaux de substitution de chacun des l-1 premiers biens par rapport au dernier, soit :
(9) pour h = 1,2,…, l-1
U ' ih désignant la dérivée partielle de Ui par rapport à xih.
La répartition initiale des biens entre les agents choisie par le BCP est arbitraire, Malinvaud suppose que la plus raisonnable a priori s’exprime par . À l’itération s, le BCP doit d’abord calculer des taux marginaux de substitution moyens résultant des propositions reçues en s-1, soit le taux de substitution pour le bien h calculé comme :
(10) h = 1,2,…, l-1
62L’allocation du bien h au consommateur i sera augmentée ou diminuée selon que est supérieur ou inférieur à . Pour tous les biens autres que le numéraire, le BCP retient la formule de révision des programmes des consommateurs :
(11) h = 1,2,…, l-1
où α est un coefficient positif fixé a priori.
En vertu des égalités (7) et (10) la sommation par rapport à i du membre droit de (11) donne un résultat nul, de sorte que les constituent bien une répartition des wh si les en constituaient une, ce qui est bien le cas par récurrence à partir des .
Pour définir complètement le passage de l’itération s-1 à l’itération s (de ), il faut encore allouer le numéraire l. La meilleure formule, selon Malinvaud, est de prendre un terme additif assurant la convergence vers la valeur de Ri w, d’où la révision suivante :
(12)
où est un coefficient positif fixe et est égal à 1.
Cette deuxième procédure correspond à une décentralisation par les quantités. Les deux procédures sont symétriques.
Pour finir, Malinvaud (1968, p. 26) conteste que la première procédure, comme certains l’ont soutenu, idéaliserait le fonctionnement du marché, le BCP révisant les prix à l’aveugle en fonction des demandes et offres nettes, tandis que la deuxième procédure représenterait une économie centralement planifiée où le BCP enverrait des ordres aux divers consommateurs et leur imposerait des programmes précis18. Concernant les deux procédures « l’une et l’autre peuvent en principe être appliquées pour la préparation d’un plan que celui-ci soit imposé de manière autoritaire19 ou conçu comme 63rendant publiques de simples prévisions. L’une et l’autre supposent une certaine décentralisation des tâches dans la planification comme un échange systématique d’informations entre les agents et l’échelon central ».
Malinvaud note enfin une difficulté sérieuse : le désir d’une convergence rapide vers l’optimum pousse au choix de coefficients a, α et qui rendent les révisions importantes à chaque itération alors que le souci d’une convergence précise requière au contraire des valeurs faibles pour ces coefficients. Le BCP ne dispose pas des informations qui lui permettraient d’effectuer a priori un arbitrage entre ces exigences contradictoires. Enfin le coût de la deuxième procédure est plus élevé parce qu’elle implique des calculs plus importants que la première de la part du BCP puisque les indices prospectifs quantitatifs doivent alors être personnalisés. « Ce serait évidemment une différence très importante si la distribution des biens entre les ménages devait être planifiée. L’inconvénient est moins significatif si nous pensons surtout à la répartition des ressources rares entre un petit nombre de branches ou de grandes entreprises ».
La fin de l’article de 1968 revient sur la planification de la production et reprend la procédure de Taylor dans une économie à technologie Leontief-Samuelson avec révision des prix et des objectifs de production par le BCP ; on ne souligne ici qu’un apport additionnel par rapport à l’article de 1967. Une nouvelle variante de la procédure est présentée (dont les propriétés mathématiques ne sont pas précisées et discutées) dans laquelle le BCP alloue les ressources primaires à répartir et les branches20 font connaître les productivités marginales que ces ressources ont pour elles. En réaction aux prix envoyés par le BCP, chaque branche détermine son plan de production à partir des ressources qui lui sont allouées de telle façon que ce plan ait la valeur ajoutée la plus élevée possible ; simultanément elle calcule les productivités marginales que les facteurs de production k ont pour elleet les envoie au BCP. Ce dernier, à chaque itération, doit :
A/ Retenir les prix les mieux compatibles avec ce qu’il sait des technologies.
B/ Corriger les écarts entre les niveaux de productivité marginale d’un même facteur employé dans les diverses branches – pour cela le BCP réalise le calcul de la productivité marginale moyenne (des branches) :
64(13) k = 1,2,…,m
Pour corriger les écarts entre les niveaux de productivité marginale d’un même facteur employé dans diverses branches, le BCP utilise une formule simple. Soit la correction apportée dans ce but à l’allocation des ressources . Elle est calculée par :
(14)
d étant un nombre positif choisi a priori – cette formule transpose l’équation (11) employée pour la distribution entre les consommateurs. La définition (13) des implique que les corrections relatives à un même facteur k s’équilibrent :
(15) k = 1,2,…,m
C/ Le BCP doit assurer la meilleure cohérence des plans des diverses branches en suscitant des révisions qui entraînent une amélioration du vecteur x des quantités disponibles pour la consommation finale. Une fois déterminés les prix de la dernière itération, il révise les allocations de facteurs primaires entre les branches en tenant compte des (effet de substitution) et d’un effet de revenu. Ainsi, le plan de production est articulé au plan de distribution.
En fin de compte, avec ces deux procédures, le BCP communique aux branches aussi bien des prix que des contraintes quantitatives, objectifs de production ou allocations de facteurs primaires. Malinvaud réitère sa conviction que la planification devrait accorder une place accrue aux prix sans envisager l’abandon de tous les indicateurs quantitatifs. Ceci rend l’énoncé des procédures plus complexe qu’une procédure avec tâtonnement pour tous les biens ou une procédure appliquant intégralement le principe de décomposition.
Le modèle de Malinvaud, toutes procédures prises en considération, témoigne de son souci de réalisme qui pourtant atteint ses limites puisque les procédures, « sans prétendre ne répondre qu’à des problèmes abstraits, sont néanmoins formulées dans les termes de la théorie. Quant à la nature de ce réalisme, elle est de mettre au centre de la discussion les procédures, les moyens par lesquels un plan peut être élaboré » 65(Tartarin, 1969, p. 30). Une autre limite, abordée ci-dessous, est que Malinvaud ne dit rien au sujet de l’exécution du plan, i.e. comment mettre en œuvre le plan optimal calculé par le BCP.
IV. QUEL IMPACT SUR LA PLANIFICATION FRANÇAISE
ET LES RÉFORMES DE LA PLANIFICATION SOVIÉTIQUE ?
Le modèle de planification décentralisée de Malinvaud n’a pas eu le retentissement qu’il aurait mérité d’avoir au moins au sein de la théorie néo-classique, voire au-delà. Il n’est pas passé à la postérité. Si l’on consulte la littérature postérieure à l’ouvrage de Mead et Byers (1988) en l’honneur de Malinvaud, et sa recension par Boyer, Dagenais et Salvas-Bronsard (1989), on ne trouve plus guère de références aux deux articles sur la planification de 1967 et 1968. Y compris de la part de Malinvaud lui-même qui ne les mentionne pas dans son dernier article relatif à la planification (Malinvaud 1992), ni dans son entretien avec Krueger (2003) où pourtant il évoque son activité de conseiller économique et ses relations avec le CGP. Ceci est-il dû à ce que le modèle était « trop théorique » ou à ce que le thème de la planification s’est rapidement démodé ? Ou à l’évolution de sa pensée sur le rôle de la planification ? Si nous retenons cette explication (en 4.3), il semble que trois autres facteurs aient finalement limité la portée du modèle de Malinvaud.
Malgré le souci de réalisme exprimé par Malinvaud et sa volonté de jeter un pont entre les derniers progrès de la théorie pure de l’équilibre général (Arrow, Debreu, Hurwicz) et la pratique des planificateurs, son modèle n’a été utilisé dans aucun système de planification à ce jour. L’évolution de la planification française vers des modèles de simulation, et non d’optimisation, ne lui a laissé aucune chance de servir la France. Il est resté méconnu des planificateurs soviétiques alors même qu’il semblait adapté à résoudre certains problèmes du plan soviétique – mais les mathématiciens soviétiques ont choisi d’autres solutions. Pas plus que ces dernières, le modèle de Malinvaud ne proposait une véritable décentralisation de la planification, la cantonnant à faire participer les 66firmes à l’élaboration du plan sans étudier la suite – ô combien cruciale ! – à savoir l’exécution du plan.
iv.1. Le modÈle de Malinvaud et la planification française
Un an après la publication du second article de Malinvaud commence un flux de publications sur le nouveau modèle physico-financier – FIFI (Aglietta et Courbis, 1969) qui met fin en principe à une planification fondée sur l’inversion de la matrice interindustrielle d’un modèle de Leontief ouvert. FIFI est inspiré d’une théorie plus macro-économique de l’« économie concurrencée » (Courbis, 1975) comportant quelques mécanismes keynésiens et non la théorie de l’équilibre général modernisée par Arrow-Debreu-Hurwicz. L’économie concurrencée est une économie ouverte au commerce extérieur et son analyse se centre sur la contrainte extérieure imposée à la planification française par les prix internationaux sur lesquels doivent s’aligner les prix intérieurs du secteur exposé (toute l’industrie). Que faire du modèle de Malinvaud cantonné à une économie fermée ?
De plus, le modèle de Malinvaud ne pouvait servir à la planification française car pour la préparation du VIe Plan (1971-1975), basée sur le modèle FIFI, l’idée d’une formalisation intégrale du plan avait été rejetée (Bénard, 1972). Enfin, le choix d’un modèle de simulation macro-économique qu’est FIFI n’offre aucune perspective d’utilisation du modèle d’optimisation micro-économique de Malinvaud. Dans le rapport du groupe technique pour la préparation du VIe Plan (CGP, 1971, p. 9), on lit dès la première page : « Le modèle de projection économique à moyen terme simule l’ensemble des interdépendances économiques pour l’année terminale du VIe Plan (1975). On l’utilise en recherchant par tâtonnement21 une solution satisfaisant l’ensemble des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, compte tenu des comportements des agents économiques et des contraintes. Il ne s’agit donc pas d’un modèle d’optimisation mais d’un modèle de simulation ».
Une comparaison plus détaillée entre le modèle de planification décentralisée de Malinvaud et le modèle FIFI, révélerait bien des incompatibilités telles que :
67a/ des indices prospectifs quantitatifs, que Malinvaud ne souhaite pas abandonner, n’ont pas de sens dans le modèle FIFI dont les variables sont en valeur ;
b/ les variables de FIFI sont agrégées, macro-économiques, y compris les variables de comportement et non formalisées pour chaque consommateur, firme ou branche comme chez Malinvaud ;
c/ le modèle FIFI est présenté en sept grandes branches (industrie manufacturière, IAA, bâtiment-services-commerce, agriculture, énergie, transport-télécommunication, services du logement) souvent ré-agrégées en trois secteurs : exposé et abrité (de la concurrence extérieure), et secteur à prix administré, on est loin du degré de détail de l’analyse et des données exigées par la procédure de Malinvaud ;
d/ par conséquent, il n’y a aucune itération entre le CGP et les consommateurs ou les entreprises françaises (sauf éventuellement quelques grandes entreprises publiques) pour renseigner les variables de FIFI ;
e/ les variables financières et extérieures (exportations, partage du marché intérieur) de FIFI n’ont pas d’équivalent dans le modèle de Malinvaud ;
f/ le CGP n’a pas le pouvoir du BCP de Malinvaud de proposer/réviser des prix (a fortiori des quantités), pouvoir nul dans son secteur exposé et contraint par la demande dans le secteur abrité, seuls les prix administrés pourraient être intégrés à la procédure de Malinvaud, or ils sont fixes de manière quasiment immuable dans la France de 1969.
En allant davantage encore dans les détails, cette liste se transformerait en une véritable litanie relative aux obstacles s’opposant à ce qu’un modèle d’optimisation soit utilisé dans la planification française à l’époque.
En revanche, le modèle de Malinvaud a été utilisé dans l’enseignement de certains cours sur la planification, dont française22, en particulier dans ceux comparant les méthodes de planification occidentales et soviétiques. Une mention spéciale peut être attribuée au cours de Marczewski (1965), le modèle de Malinvaud a été intégré à ses éditions postérieures à 1969 et en 1971 il est devenu l’un des trois piliers du cours et des exercices 68mathématiques en travaux dirigés, précédé du modèle de Leontief et suivi du modèle FIFI.
iv.2. Le modÈle de Malinvaud et les rÉformes de la planification proposÉes par l ’ École mathÉmatique soviÉtique
Il ne semble pas que Malinvaud ait régulièrement participé, avec Gruson, Uri, Ullmo, Bénard, Brender et d’autres, aux colloques franco-soviétiques sur la planification et aux missions de l’INSEE à Moscou dans les années 1970. Les collègues français y ont rencontré des économistes-mathématiciens et des planificateurs de l’URSS à un moment où des réformes étaient apportées à la planification soviétique. Le paradoxe de l’absence de Malinvaud dans la discussion de ces réformes est que certains réformateurs de la planification soviétique – ladite École mathématique et le CEMI, l’Institut central de mathématiques économiques – décidés à en finir avec l’ancienne méthode des balances matières et des chaînons conducteurs, avaient adopté une approche en termes d’optimisation et de décentralisation du plan jusqu’à un certain point comparable à la procédure de Malinvaud
Dans le contexte de la préparation des réformes économiques lancées par Brejnev en URSS en 1965, l’un des courants réformateurs s’est appuyé sur la publication d’un manuscrit rédigé en 1939 et publié vingt ans plus tard par Kantorovitch (1959) basant la planification optimale sur le calcul de prix optimaux (« évaluations objectivement déterminées » ou e.o.d. chez Kantorovitch, correspondant aux indices prospectifs en prix de Malinvaud) duaux d’un programme linéaire de production optimisé sous contrainte. Les entreprises sont supposées minimiser leur coût de production et égaliser leurs coûts marginaux aux e.o.d. calculées par le plan, le vecteur des prix optimaux étant le dual du vecteur optimal des quantités (plan optimal des quantités à produire). Mais Kantorovitch défendait le principe d’une centralisation des calculs du plan optimal (au Gosplan, au CEMI et au LEMI – Laboratoire pour l’utilisation des méthodes statistiques et mathématiques en économie du Département sibérien de l’Académie des Sciences) dont les solutions numériques serviraient, grâce à des décisions centrales conformes au plan optimal, à guider les unités périphériques (les entreprises).
Cette position de principe a fait émerger dans la littérature soviétique, dite de « planométrie » (Zauberman, 1967), une série de modèles de 69planification décentralisée dont les auteurs ont tous fait campagne pour introduire la planification optimale en URSS (Ellman, 1968). Il s’agissait de mettre les mathématiques et les ordinateurs au service du socialisme pour construire un complexe de modèles de grande dimension capable de fonctionner comme un automate de l’économie soviétique. L’idée était de faire participer les secteurs (ministères sectoriels et/ou entreprises), à l’aide d’échanges d’informations, à l’élaboration du plan central – où l’on trouve donc une forte similarité avec la procédure de Malinvaud.
La gestion optimale d’une économie de la taille de l’URSS à l’aide d’un seul ordinateur23 central n’étant pas envisageable, le principe de décomposition de Dantzig-Wolfe pouvait fournir une solution par l’interconnexion d’un ordinateur central stockant un programme principal (PP) et des ordinateurs périphériques munis de sous-programmes sectoriels (SP). Car l’algorithme de Dantzig-Wolfe permet de décomposer un programme linéaire établi pour une économie à n biens (i = 1, …, n) et m secteurs (k = 1, …, m) en un PP et m SP dont la résolution itérative utilise la méthode du simplexe. Il suffit de connaître une solution réalisable du PP pour construire les fonctions-objectifs des m SP. Le calcul des solutions des SP sous contraintes (technologiques) spécifiques à chaque secteur donnent une nouvelle solution réalisable du PP, plus proche de l’optimum, et ainsi de suite. La procédure est répétée pendant un nombre fini d’itérations jusqu’à satisfaction du test d’optimalité.
Ainsi, les secteurs participent à l’élaboration du plan, en fait aux calculs du plan central optimal. L’autonomie des secteurs se limite à faire état de leurs contraintes technologiques sectorielles. Si l’élaboration du plan n’est plus exclusivement centrale, comme pendant la période stalinienne, la fonction-objectif à optimiser en définitive reste celle du Centre – BCP (Andreff, 1976). C’est le Centre qui détermine à chaque itération, en particulier à la dernière, au moment de passer à l’exécution du plan, quelle est la combinaison productive et fixe ainsi les processus de production de chaque secteur. Cette centralisation va se transmettre à l’exécution du plan qui sera contrôlée par l’administration (les ministères sectoriels soviétiques) et le BCP (Gosplan). Or la deuxième version de la procédure de Malinvaud est une généralisation du modèle de décomposition de Dantzig-Wolfe. Elle n’est donc pas nécessairement aussi décentralisatrice que Malinvaud l’affirme (1967, p. 171, 176). Elle 70ne l’aurait été que si elle avait formé la base des échanges d’informations, dans une planification indicative en économie de marché, par exemple en France entre le CGP et les commissions de modernisation représentant des intérêts sectoriels (voire des grandes entreprises publiques), mais justement ce n’était pas le cas. Si l’on considère qu’une économie véritablement décentralisée se caractérise par des échanges directs de biens et d’informations entre les entreprises (ce que l’on nommait les « liens directs » dans la réforme Liberman en URSS, 1965), et entre elles et les consommateurs, les procédures de Malinvaud tout comme les modèles de planification soviétiques ne sont rien de plus qu’une décentralisation des calculs du plan – à l’aide de liaisons verticales entre le BCP et les agents – et non une décentralisation réelle de l’économie impliquant des relations horizontales entre les agents.
Par exemple, Volkonsky (1964) met au point un modèle de planification utilisant l’algorithme de décomposition de Dantzig-Wolfe. La fonction à maximiser du PP est le volume de production ayant un assortiment déterminé, les SP d’entreprises consistant à maximiser le profit aux prix annoncés par le Centre. Une fois trouvé l’optimum, le plan optimal doit devenir le système permanent de régulation de l’économie réelle et être imposé aux unités périphériques. Soit un plan très centralisateur lors de son exécution. En outre, la décomposition de Dantzig-Wolfe a été critiquée pour son insuffisante portée pratique dans le contexte de l’économie soviétique. Aganbeguian et al. (1972) ont démontré que les prix optimaux du PP ne peuvent assurer en général (si le programme n’est pas séparable, voir infra) l’optimalité du plan national simplement en résolvant les SP locaux ou sectoriels. Ou encore Zavelsky (1966) juge la méthode de Dantzig-Wolfe trop simplificatrice par rapport à la complexité de l’économie soviétique : la matrice représentant celle-ci n’est pas décomposable en des blocs suffisamment petits pour définir des SP locaux pertinents pour le calcul d’optimisation.
L’algorithme de Dantzig-Wolfe ne converge vers l’optimum qu’après un nombre fini mais élevé d’itérations, problème écarté d’emblée dans le modèle de Malinvaud. Pougachev (1965) propose d’approximer le plan optimal après un nombre faible d’itérations. La procédure consiste à intégrer successivement dans le calcul du plan optimal les différentes branches par approximations successives tout en s’assurant de la cohérence des variantes de plan successivement calculées. Une alternative (Pougachev, 711967) est d’établir un critère d’optimisation local (W), cohérent avec l’optimum central, qui permettrait de mesurer l’efficacité économique sur le plan national de la production de chaque unité locale, tel que :
(16)
où p = p(t) est le vecteur des prix optimaux, x = x(t) est le vecteur de la production et des coûts de l’unité locale, dx la différentielle du vecteur x.
Les modèles mentionnés et de nombreux autres ont servi de travaux préparatoires à la construction d’un automate de l’économie soviétique. Les causes de son échec mettent au jour une faiblesse commune et cruciale des procédures de planification « décentralisée » discutées ici, y compris celle de Malinvaud, à savoir l’absence d’analyse des modalités par lesquelles on met en œuvre pratiquement le plan optimal élaboré à l’aide des procédures suggérées. Mesurées à cette aune, la littérature soviétique susmentionnée tout comme le modèle de Malinvaud sont théoriques, sans grande portée pour une application pratique dans les processus concrets de la planification.
En URSS, en 1966, un décret institue un système automatisé de collecte et de transformation de l’information pour la planification nationale, assorti d’un réseau de centres de calcul intégrés en un système automatisé de planification (ASPR). Les premiers effets du décret doivent attendre 1970, faute d’une synthèse des modèles évoqués et d’équipement suffisant en ordinateurs. À cette date la synthèse des modèles est achevée en un système de fonctionnement optimal de l’économie (SOFE) publié dans Fedorenko (1972). SOFE doit devenir à l’avenir un régulateur automatique de l’économie soviétique dans son ensemble, entre les mains du Gosplan, une sorte de cybernétisation de l’économie planifiée. Fedorenko écrit : « ce sont les instances politiques qui déterminent les critères généraux dans l’approche des problèmes du plan et la priorité de certains programmes… L’approche systémique et les méthodes économico-mathématiques permettent de justifier dans leurs détails les décisions prises » (traduction : Andreff, 1976, p. 143).
En raison du nombre élevé d’itérations, SOFE recherche une approximation du plan optimal en calculant plusieurs variantes alternatives. Le Gosplan, les ministères sectoriels et des grandes entreprises sont équipés d’ordinateurs mis en réseau au sein de l’ASPR. Le nombre des centres 72de calcul contrôlés par la CSU (Administration centrale de la statistique) a augmenté de 600 en 1965 à 1050 en 1970 et 200 entreprises ont été équipées de centres de calcul intégrés au réseau. SOFE commence à être utilisé après 1970. En 1972, 42 ministères sectoriels et glavki (directions de branche administratives au sein de ces ministères) à leur tour sont équipés d’ordinateurs connectés au réseau ASPR.
Le fonctionnement de SOFE a été bloqué dès lors qu’il s’est agi de l’utiliser pour l’exécution, et non plus seulement pour l’élaboration du plan. Tant qu’il s’agissait de communiquer des chiffres (plus ou moins « vrais ») à l’ASPR pour tester le SOFE, les ministères et les entreprises, bien que hostiles à l’ASPR, ont accepté de collaborer et de fournir des données. Ils ont fait de l’obstruction et ont refusé de collaborer dès qu’il a fallu fournir des données véridiques pour les calculs des prévisions sectorielles de base pour le plan à long terme 1976-1990. La rétention d’informations par les ministères et les entreprises s’est poursuivie lors de la préparation des plans quinquennaux et annuels, de même que les pratiques de « tricheries » (biais systématiques de l’information) consubstantielles à la planification soviétique ; ces « tricheries » étaient inhérentes au fait que les entreprises étaient stimulées, évaluées et récompensées par l’administration centrale en fonction du degré de réalisation de leur plan établi sur la base des chiffres qu’elles avaient elles-mêmes préalablement fournis au Gosplan (Andreff, 1993). Aucun ministère ou entreprise ne voulait risquer de devenir transparent pour le Gosplan, menace que l’ASPR faisait planer.
Les concepteurs de la planification décentralisée, de Malinvaud à l’École mathématique soviétique, ont donc négligé que celle-ci implique une redistribution de l’information et des pouvoirs tant dans l’administration que dans l’économie et qu’elle peut ne pas être acceptée ou tolérée par les entreprises chargées d’exécuter le plan et par les institutions chargées de le faire exécuter (ministères sectoriels). Il manque une dimension institutionnelle aux procédures de planification décentralisée, manque qui se révèle dans le passage de l’élaboration à l’exécution du plan optimal. Waelbroeck (1964) l’avait pointé en évoquant le coût de fonctionnement des différentes règles de décision et d’information impliquées par les procédures de planification : « dans cette perspective un problème fondamental de l’économie mathématique devient celui de la définition des institutions les plus efficaces » (Waelbroeck, 1964, p. 23).
73Cette question sous-tend aussi la séparabilité des programmes linéaires que l’École mathématique a ignorée et que Malinvaud a négligée. Il se pose toujours un problème de partition – mathématique dans la programmation, institutionnelle dans la circulation de l’information et la prise de décision – de l’économie nationale en blocs, secteurs, unités périphériques, etc. La possible incohérence entre les optima locaux et l’optimum global avec l’algorithme de Dantzig-Wolfe indique que l’on ne peut pas faire l’hypothèse suivant laquelle l’optimisation individuelle (locale) conduit automatiquement à une optimisation globale, hypothèse que conteste Bessières (1967) notamment, ni que l’optimum est atteint au moindre coût de collecte et de traitement de l’information. Selon Bessières, une décomposition est optimale si elle adopte une partition (en secteurs) du programme telle qu’elle minimiserait ce coût en réduisant au minimum le nombre d’itérations pour atteindre l’optimum, éventuellement à une seule. Un programme est séparable quand il remplit cette condition. Bessières et Sautter (1966) démontrent que si, pour un programme donné, il n’y a pas séparabilité, c’est qu’on situe mal l’endroit où l’on cherche à réaliser la séparation. Autrement dit, on peut toujours trouver une partition mathématique optimale du programme en secteurs ou en unités locales qui minimise le nombre et le coût des itérations. On voit l’implication institutionnelle qu’aurait pu avoir cette propriété mathématique (la séparabilité), si elle avait été prise en considération, en termes de restructuration et de suppression de certains ministères sectoriels ou d’entreprises soviétiques.
IV.3. Quel avenir pour la planification ?
Dans un article en hommage posthume à Sukhamoy Chakravarty, l’un des fondateurs du système de planification indien avec Mahalanobis, Malinvaud (1992) note la perte d’intérêt de l’opinion publique envers la planification liée à la désillusion créée par son fonctionnement dans les pays communistes. Malgré un demi-siècle de succès grâce à des économistes comme Lange et Tinbergen, il y a eu des ambiguïtés quant au type de planification, entre les deux extrêmes de la pure « économie de commandement » et la pure planification indicative. Même quand le marché a besoin d’informations autres que les prix, elles peuvent être rassemblées et lui être fournies sans une machinerie centrale ; la planification n’est un complément utile qu’en certains lieux à un certain 74moment (comme la France d’après-guerre). La mauvaise réputation de la planification est aussi due à ce qu’elle a mal été utilisée par les hommes politiques et les réformes qu’elle a promues, en particulier la planification soviétique, mais les expériences de la France et de l’Inde montrent que la planification dans ces deux pays allait dans le bon sens. La taille optimale de l’État a été révisée en baisse et c’est dans ce contexte qu’il faut reconsidérer le rôle de la planification.
Selon Malinvaud (1992), on a aussi réalisé que les structures réelles du marché ne peuvent pas rencontrer l’idéal théorique (concurrence parfaite) et que cela pose des problèmes d’allocation inter-temporelle des ressources. L’équilibre sur des marchés à prix parfaitement flexibles n’est pas non plus un idéal atteint : on observe une rigidité des prix d’où résultent des déséquilibres du marché. Le marché entretient les inégalités, d’autant plus qu’il n’est pas stable ; à mesure que les structures de marché deviennent plus complexes et gigantesques, le contrôle de l’instabilité va devenir ingérable. Des économies de plus en plus immergées dans l’économie mondiale (la mondialisation) exigent des actions internationales qui doivent toujours être placées dans une perspective à long-terme, donc une sorte de planification économique internationale.
À l’avenir la planification devrait se cantonner à l’étude de l’approvisionnement en biens publics et aux politiques publiques. Les techniques de planification (modèles input-output dynamiques, ou macro-économétriques, analyse coûts-avantages) n’apparaissent plus suffisantes. Les institutions de la planification sont à considérer comme une partie d’un large ensemble institutionnel public qui peut prendre diverses formes et qui doit être flexible pour s’adapter. Certaines fonctions de la planification peuvent être réalisées hors du BCP et confiées aux ministères compétents. Néanmoins, se référant à Pierre Massé, Malinvaud croit fermement (« I also do believe ») qu’il y a de bons arguments pour qu’un BCP reste influent et ait une fonction de conseil, le gouvernement et le Parlement demeurant responsables de la prise de décision. Et de conclure (Malinvaud, 1992, p. 24) : « With the conception I have taken here, planning has a broader function than the setting up of national plans and it exists even if no such plan is made ». La confiance dans la planification reste intacte.
75V. UNE CONGRUENCE
ENTRE EDMOND MALINVAUD ET JANOS KORNAÏ
La trajectoire intellectuelle de Janos Kornaï ressemble à bien des égards à celle d’Edmond Malinvaud. À partir de 1959, rompant avec le marxisme, il a orienté sa recherche vers l’application économique de méthodes mathématiques, en collaboration avec le jeune mathématicien Tamas Liptak. Leur article (Kornaï et Liptak, 1962) reçoit un fort soutien de Malinvaud au sein du comité de rédaction d’Econometrica dont il était le corédacteur en chef de 1954 à 1964.
Le meilleur restait à venir : l’idée géniale vint de Liptak. Il reformula la procédure de décentralisation du plan par les quantités à l’aide de la théorie des jeux (Kornaï et Liptkak, 1965). Le programme linéaire « à deux niveaux » est traité comme un jeu polyédrique, les joueurs étant d’une part le BCP, d’autre part « l’équipe des secteurs » (l’ensemble des secteurs cherchant à optimiser une fonction en commun). La fonction de gain commune est la somme des fonctions duales sectorielles. La résolution du jeu polyédrique par la procédure de Brown-Robinson s’interprète comme la suite des « coups » d’un jeu fictif, dans lequel chaque secteur évalue séparément les allocations productives choisies par le BCP et lui retourne ses évaluations et des recommandations quant aux réallocations de l’itération suivante. Le BCP révise les allocations à chaque itération d’après ces recommandations.
L’optimum est atteint lorsque la résolution du jeu atteint le point-selle. C’est une recherche du minimax si l’on pose que la fonction-objectif du problème sectoriel primal est de maximiser la valeur de la production vendue tandis que le problème dual minimise les évaluations des contraintes, la valeur numérique des deux problèmes s’égalisant à l’optimum (théorème de dualité). Cette procédure est plus décentralisée que celle de Malinvaud dans sa manière de faire participer les secteurs (envoient des recommandations au BCP) à l’élaboration du plan. Malinvaud regrette de n’avoir pris connaissance du modèle Kornaï-Liptak 1965 qu’après avoir achevé la conception de son propre modèle. À telle enseigne que Malinvaud offre un chapitre à Kornaï (1967) dans l’ouvrage qu’il coédite avec M.O.L. Bacharach où est publié son propre 76article de 1967. Dans ce papier, Kornaï revient sur la planification à deux niveaux (Kornaï et Liptak, 1965) mais montre aussi les relations et les différences entre la programmation mathématique et les méthodes traditionnelles de planification en Hongrie qui, au demeurant, vont être définitivement abandonnées en 1968 pour une planification macro-économique, modélisée et indicative.
Tout comme ses fonctions à la DP et à l’INSEE ont conduit Malinvaud à s’impliquer dans la pratique de la planification, Kornaï a travaillé de 1963 à 1968 en collaboration avec l’Institut de planification économique de l’Office national du plan de la Hongrie. Il y a mis au point un système de modèles opérationnels – un modèle central et 18 modèles sectoriels – décomposés en trois niveaux (Centre, sept grandes branches, 46 secteurs et 491 groupes de produits) utilisant l’algorithme de Dantzig-Wolfe et la procédure Kornaï-Liptak 1965 (Kornaï, 1969). Il y a organisé la collecte des données et réalisé des calculs de variantes pour le plan.
Avec les ordinateurs disponibles à cette époque, la convergence de l’algorithme Kornaï-Liptak était trop lente du fait de la quantité de calculs exigés ; l’algorithme fut remplacé par des procédures plus grossières d’approximation des optima. On ignore si l’Office national du plan et les ministères sectoriels hongrois ont effectivement tenu compte de ces calculs (Andreff, 2014a), mais Kornaï (2005, p. 103) confiera plus tard : « j’ai l’impression que la planification mathématique est restée un corps étranger dans l’organisme de la planification bureaucratique traditionnelle ». Kornaï perd alors l’espoir que la planification centrale pourrait jouer un rôle positif et efficace dans l’allocation des ressources. Cependant, en 2005 encore il regrette que l’échec du régime communiste ait discrédité l’idée de planification et préconise toujours une planification indicative compatible avec l’économie de marché. Il y a là une congruence avec Malinvaud restant favorable à certaines formes de planification.
Un message pro-planification, même émanant de deux économistes de renom, est devenu inaudible depuis 1990. L’un et l’autre se sont retrouvés dans un contexte de mondialisation et de déplanification, à partir de 1989-1990 en Hongrie avec le changement de système, et en France avec l’abandon de la planification après 1992. La mondialisation économique a tué la planification macro-économique indicative à la française. Elle a aussi contribué à l’effondrement définitif du système de planification impérative et centralisée. La planification et sa 77décentralisation ont disparu des programmes de recherche en science économique depuis plus de trente ans. Cependant, l’heure est peut-être venue, avec la crise économique en cours, de renouveler la réflexion à ce sujet : comment et quelles variables pourrait-on encore planifier dans le contexte actuel de mondialisation (Andreff, 2016) ? Un renouveau de la planification24 ne semble pas devoir venir des techniques et de la modélisation, ni d’une coordination publique des décisions des entreprises (qui serait contradictoire avec les règles de l’UE), mais plutôt d’une nouvelle concertation entre acteurs économiques et sociaux sur quelques objectifs cruciaux pour la nation. Il faudrait alors imaginer comment l’échange d’informations modélisé par Malinvaud pourrait servir à la détermination de tels objectifs.
On ne peut ignorer enfin comme cause de dévalorisation des modèles basés sur le tâtonnement walrasien, le rude choc (théorique) qui lui fut porté de l’intérieur par la démonstration que la convergence vers l’optimum en général n’est jamais garantie. En effet, Sonnenschein (1973), Debreu (1974) et Mantel (1974), indépendamment l’un de l’autre, ont démontré que quand les fonctions de demande des ménages du modèle Arrow-Debreu ont des formes quelconques, les courbes de demande nette aussi – l’équation (1) supra – ; or la convergence vers l’optimum exige que la courbe de demande nette d’Arrow-Debreu ait une forme appropriée (identique et continue) pour toujours réagir aux variations de prix dans un sens qui rapproche de l’équilibre. Si la forme de cette courbe est quelconque, pour certains biens la demande nette baisse avec le prix, pour d’autres biens elle augmente avec le prix. Hors la forme appropriée de la courbe de demande nette, il n’y a aucune raison logique pour que le système Walrasien des prix et des quantités converge vers l’équilibre. Le tâtonnement peut être instable et non convergent.
Le théorème de Sonnenschein-Debreu-Mantel implique, en théorie, que les itérations à la Walras-Lange, ne conduisent pas nécessairement à l’équilibre mais peuvent aboutir à des solutions comportant des excès d’offre et/ou des excès de demande. L’équilibre général est un ensemble d’équilibres et de déséquilibres partiels sur les marchés des différents 78biens. Si en outre on exclut du modèle Walrasien l’hypothèse que les prix sont infiniment flexibles, et l’on admet plutôt qu’ils sont rigides ou « gluants » (sticky), alors de manière certaine les quantités ne réagissent pas dans les proportions qui conviennent ou ne réagissent pas du tout aux signaux de prix (Varian, 1975). Que l’on partage l’idée que « le théorème de Sonnenschein est un vrai désastre pour les néo-classiques, puisqu’il met en cause l’équilibre de concurrence parfaite en tant qu’état de référence » (Guerrien, 2007, p. 87), ou non, il est certain qu’il est vraiment désastreux pour l’utilisation des modèles de tâtonnement walrasien dans la pratique concrète de la planification.
Bien qu’ils ne citent pas les travaux de Debreu-Mantel-Sonnenschein, Malinvaud et Kornaï empruntent une même piste pour leurs nouvelles recherches à partir des années 1970 : l’analyse des déséquilibres ou des ajustements en quantités – ou équilibres non Walrasiens à prix fixes, si comme Malinvaud l’on veut conserver le concept générique d’équilibre. Autre congruence entre les approches théoriques des deux auteurs. C’est d’ailleurs une trajectoire fréquente chez les analystes des économies centralement planifiées, voire absolument normale après qu’ils aient passé leur temps à constater et à analyser les déséquilibres des plans, comme par exemple Josef Brada, John Burkett, Wojcieh Charemza, Irwin Collier, Christopher Davis, Vladimir Dlouhy, Irena Grosfeld, Paul Hare, David Howard, David Kemme, Mario Nuti, Leon Podkaminer, Richard Portes, Richard Quandt, Gérard Roland, Robert Tartarin, Jozef van Brabant, Jan Winiecki, David Winter et l’auteur de ces lignes. L’ouvrage édité par Davis et Charemza (1989) est particulièrement représentatif de cette bifurcation dans le programme de recherche.
Kornaï, d’une certaine façon, choisit la rupture avec la théorie néo-classique de l’équilibre général dans un ouvrage (Kornaï, 1971) où il la rejette aux motifs que les processus s’y déroulent sans friction, que les décideurs se comportent de façon strictement rationnelle, que le modèle est statique et qu’il lui manque une dimension systémique (capitaliste/socialiste). En 2005, il reconnaît une erreur que lui a signalée Frank Hahn (1973) dans son commentaire du livre : « Je n’aurais pas dû critiquer la pureté de la théorie (le caractère abstrait, non réaliste de ses hypothèses), mais son usage erroné par l’économie du courant dominant. Le véritable destinataire de la critique est la pratique pédagogique du courant principal et ses programmes de recherche » (Hahn, 1973, p. 229-230).
79L’ouvrage de Malinvaud (1977), ainsi qu’un article postérieur (Malinvaud, 1982) se situent dans le droit fil des analyses antérieures dues à Clower (1966) et, en particulier, du modèle de Barro-Grossman (1971). C’est la version standard de la « théorie du déséquilibre » dont Edmond Malinvaud est l’un des principaux représentants français avec Jean-Pascal Benassy (1982 & 1983). Dans Krueger (2003), Malinvaud rappelle : « When I saw the work that was done on fixed price general equilibrium by people like Barro, Benassy, Grandmont, Grossman, Laroque and Younès, I realized that it provided precisely what I was up to, namely a model to explain the respective roles of wage push shocks and aggregate demand shocks on changes in employment. This is what I tried to explain in my 1977 monograph … The main object of this monograph was to characterize the comparative statics results about temporary fixed price equilibria in an aggregate economy with two markets where goods and labor services were respectively exchanged against money ».
Malinvaud (1977) insiste sur le fait qu’il s’agit d’analyser non pas des déséquilibres partiels sur chaque marché, mais les déséquilibres simultanés et interdépendants qui peuvent se manifester et se cumuler entre offre agrégée et demande agrégée sur le marché du travail d’une part, et sur le marché des biens d’autre part, sous l’hypothèse que les prix sont fixes25 et que les ajustements se font par les quantités à court terme26. Sur ces marchés en déséquilibre, « l’achat (ou la vente) est la quantité réellement échangée, alors que la demande (ou l’offre) désigne la quantité que l’individu aimerait échanger27 sur un marché donné. Dans un équilibre de Walras, où l’ajustement des prix est réalisé par hypothèse, la demande est égale à l’achat, et l’offre à la vente. Mais dans un équilibre à prix fixes et à ajustements par les quantités, l’égalité ne tient plus » (Malinvaud, 1977, préface, p. 50).
80Comme dans le modèle de Barro-Grossman, la règle du côté court joue dans le modèle de Malinvaud (1977, préface, p. 49) : « sur chaque marché, c’est le côté court qui décide du montant de la transaction, et le côté long qui est rationné ». Par conséquent, « s’il y a un acheteur rationné sur un marché, il ne peut y avoir de vendeur rationné sur le même marché et vice versa » (ibid., p. 52). Suit l’analyse des marchés de vendeurs (au moins un acheteur rationné) et des marchés d’acheteurs (au moins un vendeur rationné) pour laquelle Malinvaud reprend la formalisation de Benassy (1975). Elle aboutit à la fameuse présentation des trois régimes où il y aurait un excès de demande sur tous les marchés (inflation contenue), un excès d’offre sur tous les marchés (chômage keynésien), et un excès de demande sur le marché des biens et un excès d’offre sur le marché du travail (chômage classique).
En 1980, dans sa préface, Malinvaud note deux limites de son modèle d’équilibre à prix fixes (Malinvaud, 1977, p. 17) : « Quand certaines offres ou demandes excédentaires deviennent élevées, les hypothèses retenues risquent d’être mises en défaut (…) D’un autre côté, certains marchés secondaires peuvent apparaître pratiquant d’autres prix et souvent d’autres méthodes d’échange. “L’économie parallèle” ou “économie informelle” peut se développer, avec ses marchés noirs, son travail noir, ses entreprises vivant en marge des usages et même des règles établies28 ». C’est plus qu’une allusion à l’environnement économique concret au regard duquel Kornaï a élaboré un modèle alternatif d’économie en déséquilibre permanent.
L’ouvrage de référence de Kornaï (1980), sans doute la meilleure représentation théorique de la réalité des économies de type soviétique où les prix étaient ineffectifs et les rationnements quantitatifs quotidiens, prolonge son analyse initiale des déséquilibres par la formalisation d’une économie de pénurie, caractérisée par un double excès de demande sur le marché des biens (finals) et sur le marché du travail29. Le dire ainsi 81est une simplification, car Kornaï ne modélise pas exactement le régime d’inflation contenue à la Malinvaud dans la mesure où, au cœur de son modèle ce sont les déséquilibres sur les marchés des biens intermédiaires (inputs)30 qui déterminent le régime de l’économie de pénurie ; sur un même marché d’inputs peuvent apparaître simultanément des excès de demande et des excès d’offre non compensés en raison de frictions. Pour cette raison, Kornaï adopte une approche beaucoup plus microéconomique que Clower (1965), Barro-Grossman, Benassy, Malinvaud, Portes-Winter (1980), et la plupart des analyses du déséquilibre de l’époque.
Ce qui intéresse Kornaï, c’est de quelle façon, non seulement chaque agent, mais aussi chacun de ses actes daté et localisé concernant un bien ou un service particulier est source de déséquilibre sur les marchés. Il le justifie ainsi (Kornaï, 1980, p. 177) : « la description chez Debreu peut être considérée comme située strictement au niveau infra-micro-économique, puisque les prix sont “étiquetés” séparément selon la date et le lieu ». Le modèle de Kornaï cherche à analyser les fondements infra-micro-économiques des déséquilibres micro- et macro-économiques. Il est une sorte d’hétérodoxie par rapport à ce qu’il nomme l’école Clower-Barro-Grossman, et donc aussi Malinvaud. Un de ses désaccords avec Clower est que celui-ci utilise un algorithme d’achat à deux itérations seulement au cours duquel l’acheteur (vendeur) ne peut modifier sa demande (offre) notionnelle qu’une seule fois, alors que dans le modèle de Kornaï l’acheteur peut la modifier un grand nombre de fois (n itérations).
Kornaï considère que les phénomènes de pénurie et d’excédent doivent être enregistrés au niveau infra-micro-économique et séparément. Il rejette donc la règle du côté court fonctionnant sur un marché agrégé, avec une offre effective agrégeant tous les actes d’achat instantanés de tous les agents et une demande effective également agrégée de tous les actes de vente instantanés31.
L’expérience aussi justifie qu’au niveau infra-micro-économique la « règle du côté court » est généralement vérifiée … Dans le cas de la description du 82niveau micro-économique les observations empiriques suggèrent que la règle du côté court ne se manifeste qu’exceptionnellement ; le plus souvent elle ne le fait pas. L’acheteur pourra acheter plus de produits de substitution que sa demande initiale quand il applique la substitution forcée. En conséquence des phénomènes de friction, la pénurie aussi bien que l’excédent pourront être présents sur le même marché partiel à une même période (dans différents magasins) (Kornaï, 1980, p. 176).
Dans sa préface de 1980, Malinvaud retient le même argument, sans pour autant désagréger l’offre et la demande sur chaque marché dans son modèle : « Malgré l’existence d’un chômage plus ou moins sérieux sur divers marchés du travail, il existe à certains endroits, pour certaines qualifications ou certains emplois des offres qui restent insatisfaites. Alors que les producteurs de certains biens seraient en mesure d’augmenter instantanément le rythme de leurs fabrications s’ils recevaient davantage de commandes, d’autres opèrent à la limite de leurs capacités et imposent des délais à leur clientèle » (Malinvaud, 1977, p. 23-24).
L’ouvrage de Kornaï a connu son heure de gloire pendant une dizaine d’années jusqu’à l’effondrement des économies centralement planifiées et l’élimination progressive des pénuries pendant la transition vers l’économie de marché. Ensuite, tout comme la théorie de la planification décentralisée, la version Kornaïenne de la théorie du déséquilibre est tombée dans l’oubli. Malinvaud, en 2003, est à peine plus optimiste quant au sort de la version Barro-Grossman et autres qui « proved to be little rewarding for these colleagues … My own conclusion is that the research in question enlightened our understanding of macroeconomic disequilibria, thanks to both the treatment of new theoretical models and the macro-econometric applications which were made. But further progress at the same overall level is very, very difficult to achieve. I had recently to comment for a journal on a paper which asked why this disequilibrium theory had failed. And I said that I wasn’t really a proper referee for this paper. In the first place, I didn’t believe the theory in question failed » (Krueger, 2003, p. 192-193). Preuve, s’il en était besoin, de l’honnêteté intellectuelle de Malinvaud, mais aussi de sa prise de conscience que l’horizon de la théorie du déséquilibre s’est bouché. Kornaï et Malinvaud ont presque simultanément abandonné les recherches sur la théorie de la planification pour la théorie du déséquilibre qui aujourd’hui semble 83avoir perdu beaucoup de son intérêt pour une très grande majorité d’économistes plus jeunes32.
Pour finir, il n’est pas jusqu’à une certaine congruence entre Malinvaud et Kornaï par rapport au Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. Parmi ses déceptions et frustrations exprimées en toute sincérité, Kornaï (2005) ne pouvait évidemment pas en révéler à cet égard. Pourtant Malinvaud et Kornaï ont assez régulièrement figuré, dans les années 1980-début des années 199033 sur la liste des nominés (une centaine par an) prise en considération par l’Académie royale des sciences de Suède pour l’attribution de ce Prix. Ni l’un ni l’autre, malheureusement, ne fut retenu comme lauréat.
CONCLUSION
L’analyse approfondie du tâtonnement walrasien en vue de l’utiliser pour élaborer un plan optimal selon une procédure décentralisée est apparue à une époque comme une voie royale de la recherche en sciences économiques, et Edmond Malinvaud y a largement contribué, pour finir dans une impasse en raison de la mondialisation de l’économie, de la politique économique de dérégulation et de déplanification et de l’impossible démonstration théorique, en définitive, de la convergence garantissant l’équilibre général. Le chemin de traverse alors emprunté par Malinvaud et d’autres analystes du tâtonnement walrasien, dont d’anciens planificateurs, fut la théorie du déséquilibre.
Depuis le début de la crise financière et économique globale en 2008, les solutions n’ont pas été recherchées du côté d’un retour à quelque 84forme de planification que ce soit et pas davantage dans les enseignements fournis par la théorie du déséquilibre. Si la (légère) tendance à la re-régulation entamée depuis lors s’accentuait, il pourrait se créer un espace pour une réhabilitation de la planification. Alors, par-delà ses apports à la micro-économie, à l’économétrie et à la macro-économie, l’œuvre de Malinvaud pourrait aussi passer à la postérité pour son modèle de planification décentralisée.
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1 Notamment (liste non exhaustive) François Perroux, Jean Marczewski, Jean Bénard, Pierre Bauchet, Jean Marchal, Pierre Pascallon, Guy Caire, Bernard Cazes, André Babeau, Pierre-Henri Derycke, Pierre Llau, Alain Bienaymé, Michel Beaud, Jean-Pierre Delilez, Jean Fourastié, Jean-Paul Courthéoux, Jean-Pierre Pagé, Duc Loï Phan, Bernard Bobe, Wladimir Andreff, Brigitte Desaigues, Denis Besnainou, Jean-Marie Albertini, Henri Bourguinat.
2 La planification française est déjà à l’agonie avec le IXe Plan (1984-1988), finalement écourté d’un an, et mourra à la fin du Xe Plan (1989-1992), sa dernière année coïncidant avec l’entrée en vigueur du marché unique européen … et la publication d’un article de Malinvaud sur le futur de la planification !
3 « Pour obtenir le maximum d’ophélimité, l’État collectiviste devra … déterminer les coefficients de production de la même façon que le détermine la libre concurrence » (Pareto, 1906, p. 363).
4 Il conviendrait de mentionner également la contribution de Lerner (1934) au débat provoqué par Von Mises et Von Hayek en cherchant à réfuter les conclusions de Barone et la possibilité d’existence d’une économie collectiviste (centralement planifiée) rationnelle, et provisoirement clos au sein du courant néo-classique par l’article décisif d’Oskar Lange (1936). Pour un retour détaillé sur ce débat : Andreff (1976 et 1993).
5 Pour une défense moderne de cette idée, voir la thèse de doctorat de G. Chigolet (2008).
6 Malinvaud a eu à connaître de cet article en raison de ses fonctions dans le comité de rédaction de Econometrica.
7 Elles correspondent, à quelques différences près (marchés parallèles), à la réalité des économies de type soviétique.
8 Rappelons que Lange (1936) reprend à son compte l’analyse de Wicksteed (1910) distinguant deux fonctions du prix : d’une part, le prix (relatif) définit un taux d’échange entre deux produits ; d’autre part, il est un indice de choix alternatif qui guide les décisions des agents économiques. Pour Lange seule la deuxième fonction est indispensable pour résoudre le problème de l’allocation rationnelle des ressources. En tant qu’indices de choix, les prix sont des paramètres entrant dans le calcul économique de chaque agent. Les prix de concurrence pure et parfaite, non influençables par les agents, sont donc des prix paramétriques donnés par le marché aux agents (comme ceux qui leur sont envoyés par le BCP dans une économie planifiée).
9 Traduction partielle de Lange (1936) dans Andreff (1993, p. 47).
10 Mais la complexité de cette approche est « de nature à interdire l’obtention d’aucun résultat directement applicable » (Malinvaud, 1968, p. 19). Anticipation parfaitement exacte de Malinvaud, la théorie des équipes de Marschak-Radner (1972), sur laquelle d’aucuns fondaient beaucoup d’espoir, n’a eu d’application à notre connaissance dans aucun système de planification de l’économie nationale à ce jour.
11 Conformément au processus de convergence de la méthode d’itérations successives proposée par Uzawa (1958).
12 Malinvaud doit introduire cette hypothèse sans laquelle il n’y a pas d’optimisation possible dans un modèle de Leontief, faute de fonction-objectif.
13 Pour l’exposé des propriétés mathématiques de la procédure garantissant sa convergence après un nombre fini d’itérations, on renvoie à Malinvaud (1967, p. 190-197) et Tartarin (1969, p. 32-50 et 66-72).
14 Le modèle de Leontief peut être résolu en volume comme indiqué ci-dessus, mais on peut aussi calculer sa solution en prix pour chaque firme.
15 Les propriétés mathématiques en sont exposées dans Malinvaud (1967, p. 201-204).
16 Par exemple, le tableau d’échanges interindustriels le plus détaillé de l’économie soviétique avait un format 110 x110 branches/produits (Andreff, 1978) ; le nombre des balances matières élaborées était très inférieur.
17 Intitulée « planifier la distribution » la partie correspondante de Malinvaud (1968) traite du problème théorique de l’affectation des biens aux consommateurs par le plan, bien que l’auteur concède qu’une « planification directe des consommations individuelles est hors de question en pratique » (Malinvaud, 1968, p. 23). Elle ne fut même pas tentée en URSS. L’affectation des biens passe donc par une répartition des revenus.
18 Malinvaud était certainement conscient que le Gosplan soviétique ne répartissait pas les divers biens aux consommateurs, mais laissait les déséquilibres du plan de production se régler dans la distribution par un rationnement des consommateurs (files d’attente dans les magasins).
19 Ce que l’on peut mettre en parallèle avec le second modèle de Lange d’économie bureaucratique sans marché des biens de consommation.
20 Remplacent les firmes du modèle de 1967.
21 Pour éviter toute méprise, précisons qu’il ne s’agit pas d’un tâtonnement walrasien, mais d’un tâtonnement plus empirique consistant à calculer par simulation plusieurs variantes du plan, répondant à différentes hypothèses, en particulier quant à l’évolution de la concurrence internationale (la contrainte extérieure).
22 Aucun des deux articles de Malinvaud n’est mentionné dans Bauchet (1970), Bénard (1972) ou Pascallon (1974).
23 Notamment avec la (faible) capacité des ordinateurs disponibles vers 1965.
24 Dont les premiers frémissements en France ont pris la forme d’un colloque en janvier 2016, de la parution d’un Bulletin mensuel Planif depuis juin 2015 et de la préparation par G. Chigolet du lancement d’un ouvrage plus académique consacré à la planification. Initiatives sans suite, semble-t-il.
25 L’hypothèse de fixité ou de rigidité des prix ayant été critiquée à l’époque parce que ses partisans n’en donnaient pas de justification, Malinvaud rétorque dans sa préface à la traduction française (1980) de son livre de 1977 (p. 13) : « On pourrait ironiser sur la faiblesse de la “justification” souvent donnée à l’hypothèse alternative de prix suffisamment flexibles pour assurer l’égalisation permanente des offres et des demandes : à savoir l’existence de commissaires-priseurs sur tous les marchés. Comme l’inertie des prix relatifs et l’existence d’écarts entre offres et demandes est un fait d’observation, en tirer toutes les conséquences s’impose, même si ce fait n’est pas lui-même expliqué ». Le Malinvaud des équilibres à prix fixes est quelque peu en rupture avec celui du modèle de planification décentralisée.
26 « Les ajustements par les quantités sont beaucoup plus apparents et déterminants dans la courte période que les ajustements par les prix » (Malinvaud, 1977, p. 46).
27 Demande (ou offre) notionnelle chez Clower (1966).
28 Un modèle simplifié avec deux marchés des biens et du travail en secteur d’État et deux marchés parallèles des biens et du travail, où les seconds opèrent avec des prix, des taux de salaire et des modes de transaction différents du secteur d’État a été proposé pour les économies de type soviétique dans Andreff (1993). Les variations de prix/salaires sur les marchés parallèles éliminent (en partie) les excès de demande récurrents sur les deux marchés du secteur d’État.
29 Par opposition aux économies de marché capitalistes principalement caractérisées par la reproduction de deux excès d’offre récurrents, selon Kornaï.
30 Qui sont absents, ou pas déterminants, chez Barro-Grossman, Benassy, Malinvaud, Younès, Portes-Winter.
31 Pour une version plus détaillée de la critique de Kornaï vis-à-vis de la règle du côté court sur des marchés agrégés chez Clower-Barro-Grosman, et de la distinction qui en résulte entre l’économie de pénurie et le régime d’inflation contenue, voir Kornaï (1980, p. 88-92, 443-446, 519-520).
32 Une modélisation à la Benassy-Malinvaud d’une économie en déséquilibre, plus encore si on lui ajoute une contrainte budgétaire « lâche » sur le comportement des entreprises (producteurs) comme chez Kornaï, offre une représentation théorique particulièrement adaptée du fonctionnement des ligues de sport professionnel contemporain (Andreff, 2014b et 2015 ; Storm et Nielsen, 2012) ; elle a évidemment reçu l’appui manifeste de Kornaï en personne dans son « endorsement » de l’ouvrage collectif Andreff (2015).
33 À présent qu’il y a prescription, il m’est possible de révéler que, entre 1986 et 1992, j’ai reçu trois fois l’invitation de l’Académie royale des sciences de Suède à envoyer, au titre de personnalité qualifiée, trois noms de nominés. Ceux de Malinvaud et Kornaï ont figuré dans ma liste.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-10602-9
- EAN: 9782406106029
- ISSN: 2495-8670
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10602-9.p.0043
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-27-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Optimal planning, decentralisation, market economy, modelling, decomposition algorithm, market socialism, reforms of Soviet planning, planometrics, Janos Kornaï