[Le Testament de Pathelin] Préface de l'éditeur
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Recueil de farces, soties et moralités du xve siècle
- Pages : 215 à 218
- Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 2
PRÉFACE DE L’ÉDITEUR
Le Testament de Pathelin, qui n’est point assurément du même auteur que la farce de Maître Pierre Pathelin, a pourtant été souvent réimprimé avec elle dans les anciennes éditions. L’histoire littéraire n’a pas confondu ensemble ces deux farces, qui sont loin d’avoir la même importance ; mais elle a presque oublié la dernière, qui ne figure que pour mémoire dans les annales du Théâtre. Il y a même des bibliographes, tels que de Beauchamps, de Leris, etc., qui n’ont pas même l’air de la connaître, quoi que le premier l’ait citée en rapportant le titre amphibologique de l’édition publiée par Coustelier en 1723 : La Farce de maistre Pierre Pathelin, avec son Testament, à quatre personnages. On pourrait, croire qu’il s’agit d’un opuscule en vers, dans le genre du Testament de Villon.
Ce Testament de Villon, le Petit ou le Grand, fut sans doute le modèle ou plutôt l’origine du Testament de Pathelin. Villon, condamné pour ces méfaits, avait fait mine de se repentir à l’approche de la vilaine mort qui le menaçait, et, quoique toutes les parties de son Testament, moitié sérieux et moitié bouffon, ne fussent pas trop édifiantes, on y trouvait pourtant une apparence d’amende honorable, qui, tout en faisant rire, inspirait de la pitié pour le criminel pénitent. On pensa donc que Pathelin, qui n’avait pas fait dans sa vie moins de dupes que Villon, et qui peut-être eut mérité pis, s’il fût tombé sous la main de la justice, devait se repentir aussi à l’heure de la mort et de faire un testament pour l’édification des bonnes âmes.
De là cette farce ou cette histoire dialoguée des derniers moments de maître Pierre. C’est une espèce d’épilogue moral, ajouté aux deux véritables farces de l’Ancien et du Nouveau Pathelin. Dans ce Testament 216de Pathelin, il n’y a pas la plus légère intrigue, il n’y a pas même une donnée dramatique : en deux mots, Pathelin, dont la santé est gravement altérée, n’en veut pas moins se rendre à l’audience pour plaider ; mais il se sent pris d’une faiblesse qui l’oblige à retourner chez lui ; là, il demande l’apothicaire, et Guillemette songe d’abord à avertir le curé ; curé et apothicaire viennent assister le moribond ; l’apothicaire reconnaît en pareil cas l’inutilité de ses drogues, et le curé s’efforce de convertir ce pécheur endurci. Pathelin se confesse tant bien que mal, dicte un testament joyeux que messire Jehan veut bien mettre sur le compte du délire, et ensuite il expire après avoir eu le temps de prendre ses dernières dispositions.
Ce n’est pas là une pièce de théâtre, mais c’est un cadre imaginé pour faire ressortir le caractère de Pathelin et pour réunir une foule de mots plaisants, de proverbes populaires et de sottises, qui avaient le privilège d’exciter le gros rire des spectateurs ; on remarque çà et là des emprunts, plus ou moins reconnaissables, faits aux deux Testaments de Villon, ce qui a pu autoriser quelques critiques à lui attribuer cette farce, dans laquelle on trouverait des vers entiers appartenant à ce poëte contemporain. Le testament que Pathelin dicte au curé, et qui était probablement plus étendu à la représentation qu’il ne l’est dans les imprimés, offre surtout de nombreuses réminiscences des legs comiques et satiriques qui remplissent le Grand et le Petit Testament de François Villon. On a tout lieu de croire que maître François et maître Pierre, dans la pensée du peuple de Paris, étaient deux bons compagnons de la même famille, l’un plaidant, l’autre rimant, tous deux trompant à qui mieux mieux.
Il faut avouer que le Testament de Pathelin est très-inférieur, comme fonds et comme forme, au Nouveau Pathelin ; mais, bien que ce ne soit pas une farce proprement dite, puisque la maladie et la mort de Pathelin en composent tout le sujet, on y trouve les qualités ordinaires des ouvrages littéraires de ce temps-là, c’est-à-dire la naïveté, la malice et la bouffonnerie. Il y a aussi dans le rôle de Pathelin d’excellents détails de caractère et parfois une fine observation du cœur humain.
217Génin, bien entendu, n’a rien vu de tout cela : il se fût crevé les yeux pour ne pas admirer autre chose que l’ancienne farce de Pathelin, qu’il a étudiée exclusivement toute sa vie (car, dans son examen de baccalauréat, à l’âge de dix-sept ans, il avait eu déjà le bonheur de débiter son Pathelin) ; Génin, toujours injuste et paradoxal par système, a foulé aux pieds le Testament de Pathelin et le Nouveau Pathelin : « Je ne parlerai guère, dit-il, que pour mémoire de deux imitations de la farce de Pathelin en français ; toutes deux, à mon avis, postérieures de beaucoup à l’original et plus inférieures encore en mérite… Dans la première (le Testament), nous voyons Pathelin, toujours occupé de sacs et de procès, tomber malade entre les bras de sa femme. L’apothicaire lui apporte des drogues ; messire Jean veut lui donner les sacrements, et il meurt après avoir fait un testament satirique dans le genre de celui de Villon. Cette forme de plaisanterie fut longtemps à la mode et paraît avoir été très-goûtée de nos bons aïeux du moyen âge. Il est aisé de voir que c’est ici le bel endroit de la pièce, composée tout exprès pour amener ces excellentes plaisanteries. » Puis, Génin cite cinq strophes du Testament, qui ne sont pas indignes, quoi qu’il en dise, du famé ut Testament de Villon.
Villon n’est pourtant pas l’autour du Testament de Pathelin. On ne saurait à qui attribuer cette farce, qui fut composée vraisemblablement, vers 1480 ou 1490, par un des poëtes ordinaires de quelque troupe de la Bazoche ou des Enfants-sans-Souci. Nous n’avons découvert, dans la pièce même, aucun indice qui puisse nous servir à fixer une date à peu près certaine. La date de 1520, que proposent les frères Parfaict dans leur Histoire du Théâtre-François, est trop éloignée de celle de la grande vogue du premier Pathelin, qui fut joué vers 1470 : « Cette farce, dit de Beauchamps dans ses Recherches sur les théâtres, fut presque la seule qui eut du succès à l’Hôtel de Bourgogne pendant plus de vingt ans. » Ce succès était dû, il est permis de le supposer, au talent de l’acteur qui jouait les rôles de Pathelin ; mais l’Histoire du Théâtre n’a pas même enregistré le nom de cet acteur, qui, pendant plus de vingt ans, attira la foule aux représentations de 218cette farce immortelle. Est-ce Jean du Pont-Alais, qui s’intitulait chef et maître des joueurs de moralité et de farces à Paris, et qui du haut de ses tréteaux des Halles osait tenir tête à son voisin le curé de Saint-Eustache ? Est-ce Jean Serre, excellent joueur de farces, dont Clément Marot a rimé l’épitaphe vers 1530 ?
Cy-dessous gist et loge en terre
Ce très-gentil fallot Jean Serre,
Qui tout plaisir alloit suivant,
Et grand joueur enfin vivant ;
Non pas joueur de dez ne quilles,
Mais de belles farces gentilles,
Auquel jeu jamais ne perdit,
Mais y gagna bruit et crédit,
Amour et populaire estime.
Plus que d’escuz, comme j’estime.
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-8124-4432-6
- EAN : 9782812444326
- ISSN : 2261-0804
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4432-6.p.0215
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/11/2010
- Langue : Français