Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Poétique de l’exil. Friedrich Hölderlin, Arthur Rimbaud et Nigoghos Sarafian
- Pages : 11 à 13
- Collection : Littérature, histoire, politique, n° 49
Avant-propos
Avant d’aborder le sujet proprement dit, de définir les raisons scientifiques de mon choix et de cerner la perspective adoptée, il me semble nécessaire d’évoquer brièvement le cheminement personnel qui m’y a mené au fil du temps.
Descendant de rescapés du génocide des Arméniens, petit-fils d’exilés, ayant vécu dans plusieurs pays et m’étant peu à peu réapproprié mon héritage identitaire, national et culturel, j’étais prédisposé à aborder un sujet comme l’exil, sous tous ses angles. Les thèmes qui croisent celui de l’exil ont été pour moi des problématiques personnelles, avant d’être des problématiques littéraires et universitaires. Le chemin parcouru fait que je peux en parler à présent avec tout le recul nécessaire pour intégrer cette réflexion dans la vaste discipline comparatiste et ses exigences méthodologiques. Mais il faut savoir que le désir vient de ce parcours personnel. Toute étude sur un sujet, aussi scientifique soit-il et aussi éloigné parfois de certaines préoccupations quotidiennes, vient d’un désir personnel et d’un parcours unique, celui qui est donné à chaque être humain dans sa traversée terrestre.
Bien avant de savoir l’arménien, j’ai grandi avec Rimbaud, avec sa révolte, ses lignes de fuite, ses élans purs, ses parcours infatigables de chercheur d’or, son exil enfin. Avant même de comprendre ce qu’il racontait, je comprenais le sentiment qui sous-tendait l’œuvre – comme pour, je crois, la plupart de ceux qui ont aimé cet auteur.
Avant de savoir l’arménien, j’ai appris l’allemand, une très belle langue qui est avant tout une langue de poètes. La lecture de Hypérion de Hölderlin m’a aidé à comprendre l’amour de la patrie – même si, là aussi, je ne comprenais pas toute l’œuvre au premier abord. Ses longues phrases lyriques pour exprimer une nostalgie, ou plutôt une Sehnsucht, pour exprimer la nation qui n’est plus ou la nation qui n’est pas encore, pour exprimer cet exil de la Nature originelle et de l’unité primordiale, m’ont donné envie d’approfondir l’étude de cette pensée et de cette langue.
12C’est en traduction que j’ai lu pour la première fois Le Bois de Vincennes de Nigoghos Sarafian, sans savoir grand chose sur lui si ce n’est qu’il portait comme moi cette histoire terrible et qu’il était arrivé en France, enfin qu’il avait écrit ce vaste récit poétique pour dire son histoire. Quand j’ai lu là aussi ces longues phrases amples peuplées d’images foisonnantes, j’ai senti qu’on pouvait dire beaucoup de choses, même indicibles, de cette histoire. Presque sans la nommer. Qu’à travers ces absences évoquées, ces teintes discrètes, ces allusions et ces contrastes, tout cet héritage resurgissait dans une langue qui pouvait enfin dire ce qui est extrêmement brutal dans le langage quotidien. Non seulement la Catastrophe en soi, mais aussi toute la tradition qui l’avait précédée, et l’exil qui l’avait suivie, et qui faisait qu’en Diaspora on grandit toujours entre plusieurs terres, et que peu à peu vient une étrange impression qu’une troisième terre apparaît au loin encore indistinctement. Et c’est sur cette troisième terre que s’interroge le comparatisme.
Et je me suis dit : cette œuvre, et toutes les autres œuvres qui disent ce que la langue quotidienne ne peut dire, il ne m’est plus possible de les lire seulement en traduction, je dois les lire dans le texte. Et j’ai appris la langue de mes origines. Le comparatisme me semblait le terrain privilégié pour étudier cet auteur que j’avais découvert en traduction, puis retrouvé dans le texte original avec une saveur approfondie, enfin dont j’avais approfondi l’étude par un aller-retour entre l’original et la traduction.
Je jetais des ponts entre les œuvres, les corpus, les époques. Dans le lyrisme d’un Sarafian venant après la Catastrophe, je voyais le lyrisme d’un Hölderlin avant la Catastrophe, et les longues proses poétiques se rejoignaient dans cette expression de l’exil, encore très enflammée pour Hölderlin, sans illusion pour Sarafian. Puis est venu s’adjoindre Une saison en enfer, aussi récit d’une quête esthétique, poétique, philosophique, avec des sursauts de lyrisme, de révolte et d’irréductibilité. On me disait souvent : quel lien entre ces auteurs qui ne se connaissent pas, qui n’ont pas vécu les mêmes choses ni vécu à la même époque ? Quelle pertinence de les rassembler ? Je répondrai à cette question dans les pages qui suivent, et je me bornerai ici à dire que lorsqu’un sentiment encore informe permet de faire un lien, même inexplicable, il convient alors de suivre cette piste, car un sens doit apparaître. Je l’ai fait.
L’histoire de ces exils est aussi l’histoire du cheminement identitaire d’êtres, de ces êtres qui refusent de s’arrêter à ce qu’on leur impose une 13fois pour toutes et qui ne les fait pas grandir ; d’êtres qui refusent de se corrompre, et qui recherchent la vérité ; d’êtres enfin, qui cherchent à dire des choses importantes que bien souvent on renonce à dire, ou que l’on déconsidère pour la simple raison que l’on n’arrive pas à les dire, ou bien dont on va jusqu’à oublier l’existence juste parce qu’on n’est pas arrivé à les dire. Mais la vérité ressort toujours, et triomphe de la douleur. Ces trois auteurs, comme tous les auteurs de l’exil, ont été quelque part, à un moment, sur le chemin de la vérité. J’ai souhaité m’interroger sur ce chemin qu’ils ont accepté de suivre.
Ce livre reprend avec de légères modifications la thèse pour le doctorat de littérature générale et comparée que j’ai soutenue à Aix-Marseille Université le 18 décembre 2013.
Je tiens à remercier chaleureusement Fridrun Rinner et Anaïd Donabédian, pour leurs conseils et encouragements, ainsi que Jürgen Wertheimer, Alexis Nuselovici et Krikor Beledian, qui a suivi de près mes recherches ; Pierre Brunel ; Marc Nichanian ; ma famille, mes proches, pour leur soutien constant.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11359-1
- EAN : 9782406113591
- ISSN : 2261-5903
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11359-1.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 30/06/2021
- Langue : Français