[Introduction à la deuxième partie]
- Prix Observatoire du Bonheur 2012
Prix de thèse Aix-Marseille Université 2013 - Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Plaisirs féminins dans la littérature française de la Renaissance
- Pages : 207 à 208
- Collection : Masculin/féminin dans l’Europe moderne, n° 33
- Série : XVIe siècle, n° 4
Les plaisirs féminins dans l’espace public engagent une réflexion sur l’éthique sociale, comme le fait Le Livre du courtisan de Castiglione. Publié en 1528 en Italie puis traduit en français pour la première fois en 1537, il fournit un double modèle : celui de l’idéal courtisan et celui de la conversation. Selon Alain Pons, l’œuvre se situe au confluent de plusieurs traditions dont le syncrétisme justifiera l’influence de l’ouvrage : on y trouve ainsi une « inspiration amoureuse et galante où la tradition courtoise était vivifiée par une érotique et une esthétique néoplatonicienne. » (Castiglione, 1991, p. ii). L’espace social dans lequel évolue le Courtisan est un espace dans lequel sont distingués les comportements masculins des comportements féminins. En effet, le propos premier de l’assemblée, qui regroupe des hommes et des femmes, est de faire le portrait de l’homme de Cour idéal. Sur les quatre livres de l’ouvrage de Castiglione, trois sont consacrés à l’homme et un à la femme suite aux remarques misogynes de Gasparo à la fin du livre II. La définition de la dame de Cour se fait donc en réaction à l’héritage misogyne et le livre IV reviendra sur le Courtisan, refusant d’entrer de nouveau dans l’évocation d’une éthique féminine en dépit des provocations de Gasparo. Les trois premiers livres, qu’il s’agisse du courtisan ou de la dame de Cour, envisagent une morale sociale qui repose sur la sprezzatura, une désinvolture travaillée qui ne doit cependant rien laisser paraître de son artifice. Cette tension entre artifice et naturel est constante et rend compte du souci d’apparence qui gouverne l’espace social. Si les divertissements sociaux sont envisagés pour les hommes comme pour les femmes – ceux pour les femmes comportant toutefois des particularités liées à l’impératif de chasteté et sur lesquelles nous reviendrons au fil de notre étude –, Ottavio au début du livre IV, en voulant établir la vertu du courtisan, considère que celui-ci ne peut être entièrement tourné vers les récréations de Cour sous peine de paraître efféminé :
[…] mais je dirais plutôt que beaucoup des qualités qui lui ont été attribuées, comme de danser, faire la fête, chanter et jouer, ne seraient que légèreté et vanité, et, chez un homme important, plutôt dignes de blâme que de louange. Car ces manières élégantes, ces devises, ces bons mots et autres choses semblables, qui appartiennent au divertissement des femmes et aux jeux d’amour, 208bien que peut-être beaucoup d’autres pensent le contraire, ne font souvent rien d’autre qu’efféminer les cœurs, corrompre la jeunesse, et l’amener à la vie la plus dissolue qui soit. (ibid., p. 327).
Les plaisirs sociaux, qui regroupent divertissements collectifs et plaisirs d’amour, sont ainsi associés spécifiquement aux femmes et apparaissent peu sérieux et peu propices à fonder une véritable honnêteté du Courtisan. En formulant cet idéal, Ottavio donne ainsi, ce qui est rare dans nos textes, une définition des plaisirs féminins qui s’appuie sur une distinction ontologique avec l’homme, mais, par le peu d’importance qu’il leur accorde, les relègue dans une honnêteté moindre mais toutefois suffisante aux femmes. Dès lors, le livre IV, qui développe une pensée de la vertu distinguant vrais et faux plaisirs ainsi qu’une conception de l’amour selon le néoplatonisme ficinien, exclut les femmes de ses visées philosophiques.
Les plaisirs d’amour permettent ainsi de définir la place accordée au plaisir féminin dans le cadre du service amoureux à partir des réseaux d’influences pointés par Alain Pons. La tradition de l’amour courtois médiéval constitue en effet un héritage important dans la conception du service amoureux renaissant et bénéficie cependant des apports du néoplatonisme et du pétrarquisme. La difficulté pour les voix féminines est ici de s’insérer dans une tradition avant tout marquée par un discours amoureux masculin dans lequel la femme est objet et non sujet du désir et du discours. Les plaisirs de Cour, quant à eux, se partagent entre plaisirs du corps et plaisirs de la parole et permettent d’observer comment les voix masculines et féminines parviennent à valoriser des plaisirs qui apparaissent mineurs et futiles, alors même qu’ils sont soumis, en particulier pour les plaisirs du corps, à de nombreuses polémiques morales particulièrement vives au xvie siècle.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12701-7
- EAN : 9782406127017
- ISSN : 2261-5741
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12701-7.p.0207
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 23/02/2022
- Langue : Français