Résumés et présentation des auteurs
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Pierre Senges, l’invention érudite
2018 – 8 - Pages : 173 à 179
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : Écritures contemporaines, n° 13
Article de revue : Précédent 18/18
Résumés
et présentation des auteurs
Fabien Gris, « La chute était leur trajectoire. Erreurs et échecs chez Pierre Senges »
Fabien Gris, ancien élève de l’ENS de Lyon et agrégé de lettres modernes, est maître de conférences à Sorbonne université et membre du CELLF. Il a soutenu une thèse sur l’imaginaire cinématographique du récit français contemporain, de la fin des années 1970 à nos jours, sur un corpus d’une trentaine d’écrivains. Il travaille sur la littérature française contemporaine et notamment sur ses relations avec les images.
Dans Essais fragiles d’aplomb et Environs et mesures, Pierre Senges édifie des encyclopédies loufoques et renversées. Il joue avec les formes traditionnelles de l’érudition positive et trouble notre vision triomphale des savoirs. Ces œuvres prennent même une discrète dimension moraliste : elles peignent l’homme en créature orgueilleuse mais faillible et affirment la nécessité de l’erreur. Elles invitent le lecteur, par l’humour, à reconnaître ses limites et à pratiquer une sagesse « médiocre ».
In Essais fragiles d’aplomb and Environs et mesures, Pierre Senges constructs eccentric and inverted encyclopedias. He plays with the traditional forms of positive erudition and disturbs our triumphant view of knowledge. These works even contain a discreetly moralist dimension: They portray humans as proud but fallible creatures and confirm the need for error. Through humor, they invite readers to recognize their limitations and engage in “mediocre” wisdom.
Aurélie Adler, « La voix polémique du faussaire dans Fragments de Lichtenberg »
Aurélie Adler est maître de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne. Elle a publié Éclats des vies muettes… (Paris, 2012) et codirigé avec Maryline Heck le volume collectif Écrire le travail au xxie siècle. Quelles implications politiques ? (Paris, 2016) et dirigé le volume collectif Arno Bertina (Garnier, 2018).
174L’œuvre de Pierre Senges rejoue et dissémine les motifs de la falsification à l’origine de la fiction. Fragments de Lichtenberg voit proliférer les figures de faussaire, les hypothèses douteuses et les reconstitutions apocryphes qui mettent en crise l’autorité du savoir et le partage des genres. Accumulant les trompe-l’œil et les réécritures hasardeuses, la voix du narrateur ne discourt jamais mais plaide en faveur de l’inachèvement, défendant une écriture et une éthique de la circonspection.
The work of Pierre Senges replays and disseminates the motifs of falsification at the origins of fiction. Fragments de Lichtenberg is full of figures of the falsifier, shady hypotheses, and apocryphal reconstitutions that place the authority of knowledge and the division of genres in crisis. With abundant illusions and daring rewritings, the voice of the narrator never pontificates but argues in favor of the unfinished, defending a writing and an ethics of circumspection.
Mathilde Barraband, « Dans la bibliothèque, avec une clé anglaise. Enquête policière et enquête érudite dans l’œuvre de Pierre Senges »
Mathilde Barraband, professeure agrégée à l’université du Québec à Trois-Rivières, codirige la revue Tangence. Membre du conseil de l’Association internationale des études françaises et du Centre de recherche Figura sur le texte et l’imaginaire, elle étudie l’histoire littéraire du contemporain, la réception du corpus contemporain par l’université et les procès littéraires contemporains en France et au Québec.
Le roman policier fournit à l’œuvre de Pierre Senges un joyeux personnel et même une matrice. Suivant les pistes proposées par Jacques Dubois, l’article montre que l’indicialité, qui offre le monde à la description et au commentaire, la figure de l’enquêteur-lecteur, qui fait de l’enquête une fin en soi, ainsi que la modalité de la lutte, qui oppose coupable et détective ou encore auteur et philologue, font apparaître quelques-unes des lignes de sens de l’œuvre, notamment dans son rapport à l’érudition.
Detective novels give the work of Pierre Senges its own playfulness and even a matrix. Following the paths suggested by Jacques Dubois, the article shows how indiciality, which offers the world for description and commentary, the figure of the investigator-reader, who makes the invenstigation an end in itself, as well as the modality of struggle, opposing the guilty party and the detective or even author and philologist, reveal some of the strands of meaning of the work, especially in its relationship to erudition.
175Anne Roche, « Variations contraintes »
Anne Roche, ancienne élève de l’ENS, est agrégée de lettres classiques, docteur d’État (université Paris 8 – Vincennes – Saint-Denis), professeur émérite à Aix-Marseille Université. Elle est l’auteur d’ouvrages de critique et théorie littéraire (sur les années trente, l’histoire orale, l’extrême contemporain), de romans, de pièces de théâtre, et de nombreux articles notamment sur la littérature du Maghreb. Prix de l’essai européen Walter Benjamin 2018.
À partir de Sort l’assassin, entre le spectre, l’article tente d’établir un usage plus précis de la notion de variation, telle qu’elle existe en musique et telle qu’on peut la retrouver dans un texte (renversement, altération, répétition, expansion, transtylisation, digression…) et de l’articuler sur un usage de la notion de contrainte, différente de l’usage oulipien. L’entrechoquement des variations induit un questionnement salutaire sur ce qu’il en est de la vérité.
Starting with Sort l’assassin, entre le spectre, the article attempts to establish a more precise use of the notion of variation as it exists in music and as it can be found in a text (reversal, alteration, repetition, expansion, transtylization, digression, and so on) and to connect it to a use of the notion of constraint that is different from OULIPO’s. The shock between variations leads to a salutary questioning of the relationship to truth.
Anne Sennhauser, « Les miroitements du vestige. Décomposition et recomposition romanesque dans Fragments de Lichtenberg »
Anne Sennhauser est ancienne élève de l’ENS de Lyon et agrégée de lettres modernes. Elle enseigne actuellement dans le secondaire. Elle travaille sur la littérature française contemporaine et est l’auteur d’une thèse, soutenue en 2014, intitulée « Devenirs du romanesque : les écritures aventureuses de Jean Echenoz, Jean Rolin et Patrick Deville ».
Dans les Fragments de Lichtenberg, Pierre Senges fait d’un projet encyclopédique – le remembrement d’un roman imaginaire à partir des aphorismes qui en seraient les vestiges – un moteur d’invention romanesque. Le fragment, pris entre recomposition et décomposition, n’a de cesse de relancer une rêverie jubilatoire qui possède sa propre sagesse : éloge de la raison fabulante, hommage au mensonge et au doute, elle permet de mettre en doute l’élaboration des savoirs et l’orthodoxie du sens.
In the Fragments de Lichtenberg, Pierre Senges engages in an encyclopedic project—the regrouping of an imaginary novel from aphorisms that are supposedly its vestiges—an engine of fictional invention. The fragment, caught between recomposition 176and decomposition, continuously rekindles a jubilatory dream that holds its own wisdom: a praise of fabricating reason, an homage to lies and doubt, it allows doubts to be raised about the development of knowledge and the orthodoxy of meaning.
Audrey Camus, « L’Utopie revisitée. L’œuvre-parergon de Pierre Senges »
Audrey Camus, docteure de l’université Sorbonne nouvelle – Paris 3, est spécialiste de la littérature française des xxe et xxie siècles, qu’elle a longtemps enseignée. Elle s’intéresse en particulier aux textes atopiques et à la relation qu’ils entretiennent avec les siècles précédents. Elle a dirigé plusieurs collectifs et publié de nombreux articles traitant de ces questions.
À travers une étude des Commentaires sur les chemins de ronde, qui donnent à lire les réactions d’un « authentique Utopien » au texte de Thomas More, l’article se propose d’expliciter la manière dont s’élabore l’œuvre-parergon de Pierre Senges, qui toujours tire sa substance d’autres œuvres mais, loin de les détruire, relance ainsi le texte revisité pour faire de cette pratique le lieu de l’utopie.
Through a study of the Commentaires sur les chemins de ronde, which offers the reactions of an “authentic Utopian” to Thomas More’s text, the article proposes to explain the way in which the paragon-work of Pierre Senges, which always takes its substance from other works, revives the revisited text instead of destroying it, making this practice into the place of utopia.
Hugues Marchal, « La carence et l’excès. Information et lacune dans Les Aventures de Percival »
Hugues Marchal est membre honoraire de l’Institut universitaire de France et professeur de littérature française moderne et contemporaine à l’université de Bâle. Ses travaux privilégient la poétique, les relations entre lettres et sciences et l’écriture du corps. Il a notamment dirigé l’anthologie Muses et ptérodactyles. La poésie de la science de Chénier à Rimbaud (Paris, 2013).
Une tension paradoxale commande la création de Pierre Senges. Elle oppose une passion de réduction et de condensation à un travail inverse de comblement par saturation, où l’érudition s’allie à la fantaisie pour fournir la matière et le modèle d’une prolifération des éléments les plus ténus. C’est cette dynamique qu’on étudie dans Les Aventures de Percival, « conte phylogénétique » publié en 2009, pour montrer que l’explosion ostentatoire des savoirs y reconduit à une méditation sur leur vanité.
177A paradoxical tension governs the creative process of Pierre Senges. It opposes a passion for reduction and condensation with a countervailing work of filling through saturation, where erudition is allied with fantasy to provide the material and the model of a proliferation of the most tenuous elements. This dynamic is studied in Les Aventures de Percival, a “phylogenetic tale” published in 2009, to show how the ostentatious explosion of knowledge leads to a meditation on its vanity.
Laurent Demanze, « Suites et poursuites. Une “écriture d’ébauches, de projets et de variations” »
Laurent Demanze est professeur de littérature contemporaine à l’université Grenoble Alpes. Il dirige la série « Écritures contemporaines ». Ses recherches portent sur le dialogue de la littérature contemporaine avec les savoirs. Il a publié Encres orphelines (Paris, 2008), Gérard Macé : L’Invention de la mémoire (Paris, 2009) et Les Fictions encyclopédiques de Gustave Flaubert à Pierre Senges (Paris, 2015).
Cette étude s’attache à analyser la poétique de reprise et de variation dans l’œuvre de Pierre Senges. Son dernier roman, Achab (séquelles) (Paris, 2015), en offre un emblème saisissant. Non seulement parce qu’il s’agit de prolonger le roman de Melville, en expérimentant les possibles d’un personnage. Mais surtout parce que le romancier fait de la variation le mouvement même des formes et des motifs, qui traverse les arts et conduit ici de la littérature au cinéma.
This study focuses on analyzing the poetics of repetition and variation in the work of Pierre Senges of which his last novel, Achab (séquelles) (Paris, 2015), provides a captivating symbol. Not only because it aims to continue Melville’s novel by experimenting with the possibilities of a character, but especially because the novelist makes variation the very movement of forms and motifs, crossing through the arts and leading here from literature to film.
Emmanuel Bouju, « Consistency. Pierre Senges ou l’esprit de suite. Un sixième Memorandum pour l’actuel millénaire »
Emmanuel Bouju est professeur de littérature générale et comparée à l’université de la Sorbonne Nouvelle et membre senior de l’Institut universitaire de France. Il exerce la responsabilité des activités et des publications du Groupe phi et codirige la collection « Littérature histoire politique ». Il a publié Fragments d’un discours théorique. Nouveaux éléments de lexique littéraire (Nantes, 2015).
Sachant la propension de Pierre Senges à s’inscrire dans l’œuvre inachevée ou même non écrite, ne cherche-t-il pas à donner sens à cette valeur mystérieuse 178que Calvino avait annoncée pour le nouveau millénaire, celle de la Consistency ? C’est ce que cet article essaie de montrer par l’exemple de quatre de ses textes et en quatre temps – fondés sur les équivalents possibles en français de consistency : cohésion, cohérence, consistance et constance.
Knowing Pierre Senges’ propensity for including himself into incomplete or even unwritten works, isn’t he seeking to give meaning to the mysterious value that Calvino announced for the new millennium, the value of Consistency ? This is what the article tries to show using four of his texts as examples in a fourfold approach based on the possible French equivalents for “consistency” : cohésion (cohesion), cohérence (coherence), consistance (consistence), and constance (constancy).
Pierre Senges, « Utopie – Commentaires sur les chemins de ronde (extrait) »
Pierre Senges est l’auteur de nombreux ouvrages récompensés, notamment Fragments de Lichtenberg (Paris, 2008), Études de silhouettes (Paris, 2010) et Achab (séquelles) (Paris, 2015, Prix Wepler). Il a également publié l’essai L’Idiot et les Hommes de paroles (Paris, 2004) et écrit un livre illustré par Nicolas de Crécy : Carnets de Gordon McGuffin (Paris, 2009. Il a été pensionnaire de la Villa Médicis en 2013-2014.
Ces commentaires enserrent le texte de Thomas More sur la page comme d’envahissantes gloses talmudiques, pour évoquer le dessin d’un chemin de ronde autour d’une cité, ou l’encerclement d’une ville au cours d’un siège. Ils contredisent les assertions de L’Utopie, expliquent comment ses lois sont elles-mêmes contournées par l’usage ou la fraude et racontent une utopie de fortune bricolée autour de l’utopie. Il s’agit aussi de faire d’une forme savante le véhicule d’un récit aussi romanesque que possible.
These commentaries envelop the text of Thomas More on the page like invasive talmudic glosses, reminiscent of the path of a rampart around a city, or the encircling of a town under siege. They contradict the assertions of Utopia, explain how its laws are undone by use or fraud and tell the story of a makeshift utopia cobbled together around utopia. It also aims to make an academic form into the vehicle of a narrative that is as fictional as possible.
Bruno Blanckeman, « Postface »
Bruno Blanckeman est professeur de littérature des xxe et xxie siècles à l’université Sorbonne nouvelle – Paris 3. Auteur de plusieurs essais dont Les Récits Indécidables 179(Villeneuve d’Ascq, 2000), Lire Modiano (Paris, 2009), Le Roman depuis la Révolution française (Paris, 2011), il a aussi dirigé des collectifs dont Annie Ernaux, le Temps et la Mémoire, en collaboration avec F. Best, F. Dugast et A. Ernaux, et le Dictionnaire Marguerite Yourcenar (Paris, 2017).
Dans cet article, Bruno Blanckeman remet en perspective l’œuvre de Pierre Senges dans les devenirs de l’érudition au xxe siècle. Il montre notamment qu’à l’érudition exhibée et volontiers mélancolique de Pascal Quignard et Pierre Michon, succède ici un rapport au savoir ironique et ludique. L’érudition fonctionne moins dans l’œuvre de Pierre Senges comme attestation que comme potentialités romanesques.
In this article, Bruno Blanckeman resituates the work of Pierre Senges in the currents of erudition in the twentieth century. He shows in particular that the explicit and voluntarily melancholic erudition of Pascal Quignard and Pierre Michon is followed here by an ironic and playful relationship with knowledge. Erudition functions in the work of Pierre Senges less as a confirmation than as fictional possibility.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-07235-5
- EAN : 9782406072355
- ISSN : 0035-2136
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07235-5.p.0173
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/12/2018
- Périodicité : Mensuelle
- Langue : Français