Introduction à la deuxième partie
- Publication type: Book chapter
- Book: Paul Léautaud, l’écrivain paradoxal
- Pages: 261 to 262
- Collection: Studies in Twentieth and Twenty-First-Century Literature, n° 118
Introduction
à la deuxième partie
Méfiez-vous d’un écrivain qui a fait sa carrière sans rien demander à personne, et qui, à cinquante ans passés, n’est pas décoré. Ce ne peut être qu’un mauvais esprit, et dangereux.
Paul Léautaud, Propos d’un jour.
Après avoir décrit en première partie l’observation que faisait Léautaud du champ littéraire parisien, il nous faut maintenant voir comment il essaie de s’y faire une place. Son Journal littéraire sera pour cela notre source principale. Mais il nous faudra en déjouer les pièges posés par Léautaud lui-même voulant se donner l’image d’un misanthrope revêche. Était-il vraiment, selon l’expression de Philippe Delerm, « un amoureux profond et sincère de la solitude1 » ? Faut-il le croire lorsqu’il affirme au journaliste Robert Mallet, dans leurs entretiens radiophoniques de 1950-1951, avoir toujours eu depuis l’enfance un goût prononcé pour la solitude et qu’il prétend qu’un écrivain ayant accepté un prix est déshonoré ? Georges Perros regrette que les entretiens avec Robert Mallet aient donné de Léautaud au grand public l’image d’un « pantin à coups de canne sonore2 ». Léautaud ne peut être réduit à un seul caractère ; il est, comme il l’écrit en s’abritant derrière le masque de Maurice Boissard dans une chronique dramatique publiée dans La Nouvelle Revue française le 1er janvier 1922, « mobile, instable, distrait, incertain, jamais content de rien3 ».
262L’écueil est double quand on s’attaque à la figure de Léautaud : soit on risque de l’enfermer dans l’image du misanthrope solitaire, soit, obnubilé par l’instabilité de l’homme, on court le risque de ne jamais réussir à le cerner. Cependant une étude attentive du Journal littéraire replacé dans le champ littéraire de l’époque permet d’éviter ce double écueil. Il apparaît alors que Léautaud s’est fabriqué tout un ensemble de comportements – des « habitus » dirait Bourdieu – correspondant à une stratégie, d’ailleurs conforme à celle de nombreux écrivains de l’époque soucieux d’« arriver ». Léautaud a bel et bien tenté, en se servant des moyens que lui offrait cette époque, de se faire une place dans le champ littéraire. Le sentiment d’avoir échoué – et peut-être aussi sa timidité – l’ont conduit alors à se retirer sur l’Aventin4, entendons à adopter cette posture en retrait par laquelle on a voulu le caractériser. Mais il ne faisait, en se confiant plus que jamais à son Journal, que construire une posture de l’écrivain en retrait, sans nullement renoncer à ses rêves de gloire. Il vivait en somme le paradoxe d’un désir de reconnaissance mêlé à une méfiance accrue envers ses contemporains. Et la résolution de ce paradoxe, c’est le Journal littéraire, réceptacle de la méfiance mais aussi source de la gloire attendue, qui finalement la lui donnera.
1 Philippe Delerm, cité par Serge Koster, Léautaud tel qu’en moi-même, Paris, Éditions Léo Scheer, 2010, p. 155.
2 Georges Perros, « Paul Léautaud : Journal littéraire, tome I », Nouvelle Nouvelle Revue française, 1er février 1955, p. 323.
3 Paul Léautaud, Théâtre de Maurice Boissard I (1915-1941) in Œuvres, p. 1531.
4 Force est de constater que la lecture de Philippe Delerm, qui fait de Léautaud un amoureux profond et sincère de la solitude et non un misanthrope « par échec, rebuffade ou déception » (Philippe Delerm, cité par Serge Koster, op. cit., p. 155), doit être nuancée.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-14331-4
- EAN: 9782406143314
- ISSN: 2260-7498
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14331-4.p.0261
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-08-2023
- Language: French