Conclusion
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Passions de femmes et théorie des humeurs. Balzac analyste des émotions féminines
- Pages : 407 à 408
- Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 128
- Série : Balzac, n° 9
Conclusion
L’univers de La Comédie humaine est peuplé de créatures avides d’émotions intenses. Les femmes, surtout, sont mues par une sensibilité exacerbée, qui leur fait éprouver et rechercher les émotions ; c’est du moins ce que nous dit le romancier dans Ferragus : « Qu’y a-t-il de plus contraire à leur nature qu’un amour tranquille et parfait ? Elles veulent des émotions, et le bonheur sans orages n’est plus le bonheur pour elles1 ».
Masculines ou féminines, les émotions se traduisent par des réactions organiques, dont l’étude relève de la physiologie, de la psychologie et d’une sémiotique. Comme le dit justement Jean-Paul Sartre : « L’émotion paraît dans un corps bouleversé qui tient une certaine conduite2. » Dans ce sens, Balzac a inventé une véritable sémiotique des corps, pour donner à imaginer à ses lecteurs l’intériorité des personnages.
Madeleine Fargeaud déclare même qu’« autant que les mots, mieux et plus que les mots peut-on même dire, sourires, rires, larmes et rougeur expriment les mœurs, les caractères, trahissent les pensées secrètes et explorent les profondeurs du cœur. Une vérité moins transparente mais aussi authentique, parfois plus authentique même se révèle, grâce à ces diverses formes d’expressions, qui des plus secrètes profondeurs font émerger à la lumière les zones d’ombre3 ».
L’émotion, sensible dans le corps, devient aussi un ressort romanesque essentiel. Le jeu de l’involontaire et de la maîtrise de soi, du secret et de son dévoilement, est inscrit dans les corps. Car les héroïnes balzaciennes ont de leur corps une conscience constante, pour le scrupule ou pour la ruse. Madame de Mortsauf affirme elle-même que, pour régler ses émotions, elle possédait sa propre stratégie :
408Afin de pouvoir sourire à mes enfants et à mon mari quand j’étais en proie à de tristes images, j’ai senti le besoin de régulariser la souffrance par un mouvement physique. J’évitais ainsi les atonies qui suivent les grandes dépenses de force, aussi bien que les éclairs de l’exaltation. L’action de lever les bras en temps égaux berçait ma pensée et communiquait à mon âme, où grondait l’orage, la paix du flux et du reflux en réglant ainsi ses émotions4.
Tantôt trahies par leur corps, tantôt virtuoses de la maîtrise, les héroïnes de La Comédie humaine ne sortent pas indemnes des « orages », des émotions intenses qu’elles redoutent et appellent. L’univers balzacien ne promet de bonheur aux femmes qu’éphémère ; les émotions usent le corps à force de douleur. Les maladies, la déchéance donnent aussi à voir dans les corps l’existence féminine comme vouée au malheur à cause de la cruauté de la société.
1 Ferragus, CH, t. V, p. 803.
2 Jean-Paul Sartre, Esquisse d’une théorie des émotions, Paris, Hermann, 1995.
3 Madeleine Fargeaud, op. cit., p. 114.
4 Le Lys dans la vallée, CH, t. IX, p. 1070. De même, face à la curiosité des Sancerrois quant à la détresse de la jeune Eugénie Grandet, suite à la trahison de son cousin et amant Charles, cette dernière « ne laissa percer sur son visage calme aucune des cruelles émotions qui l’agitaient. Elle sut prendre une figure riante pour répondre à ceux qui voulurent lui témoigner de l’intérêt par des regards ou des paroles mélancoliques. Elle sut enfin couvrir son malheur sous les voiles de la politesse », Eugénie Grandet, CH, t. III, p. 1192.