Présentation La néologie en terminologie
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Neologica
2017, n° 11. La néologie en terminologie - Auteurs : Humbley (John), Candel (Danielle)
- Pages : 11 à 17
- Revue : Neologica
PRÉSENTATION
La néologie en terminologie
De toute évidence, la néologie joue un rôle important en terminologie, mais lequel, ou plutôt lesquels ? C’est la question que les organisateurs de la Conférence TOTh (Terminologie et Ontologie) se sont posée dans le cadre de leur journée d’études de 2016 : la néologie en terminologie. Ce groupe de recherche, de réflexion et de formation, fondé par Christophe Roche, de l’Université de Chambéry, a pour but de faire dialoguer terminologues et spécialistes de l’ingénierie des connaissances. Il organise depuis plus de dix ans une conférence annuelle, en Savoie, suivie de la publication des actes1. En outre, il existe depuis 2011 une journée d’étude plus ponctuelle et plus ciblée sur une question précise d’intérêt commun. Ces journées ont eu comme thématiques la définition, le contexte, les représentations verbales et non verbales, ainsi que les normes, soit des thèmes au centre de la terminologie comme des sciences cognitives. Il était effectivement temps d’aborder de manière spécifique la place de la néologie en terminologie.
Dans la tradition francophone, néologie et terminologie sont intimement liées, avant même que les études lexicales spécialisées ne cèdent le pas aux besoins professionnels de la terminologie. On pense aux travaux des pionniers comme Peter Wexler (1955), qui décrivit la constitution du vocabulaire des chemins de fer en France, et ceux, encore plus marquants, de Louis Guilbert (1965) dans le domaine de l’aviation, déjà rappelés dans la présentation du numéro 10 de Neologica au sujet de l’importance du corpus. Ce sont ces études phares, avec celles de Bernard Quemada (1978) et d’Alain Rey (1992), qui ont permis une théorisation de la terminologie par le biais de la néologie. Une autre spécificité française s’est ajoutée à la tradition lexicologique, embrassant à la fois terminologie et néologie : l’aménagement linguistique. Développé et surtout théorisé au Québec, ce bras séculier de la terminologie s’est 12vu donner pour but de remplacer, voire de prévenir les anglicismes en puisant dans les ressources néologiques de la langue. L’immense chantier de la francisation des entreprises québécoises s’est appuyé sur une néologie active et appliquée pour permettre l’expression des réalités de la vie industrielle et commerciale dans le contexte nord-américain. C’est ainsi que l’acception du terme néologie a évolué pour s’opposer à l’emprunt en aménagement linguistique tout en restant l’hyperonyme en lexicologie : les néologues considèrent que l’emprunt est une des manifestations possibles de la néologie.
La néonymie, comme Rondeau a cru bon de l’appeler, est-elle un pseudo-concept, selon la question quelque peu provocatrice de Rey (1976) concernant la néologie ? A-t-on effectivement besoin d’un concept spécifique pour la néologie en terminologie ? Les spécialistes de la néologie littéraire, par exemple (cf. Neologica 5, 2011), semblent n’éprouver aucun besoin d’une désignation spécifique qui la distinguerait de la néologie des discours spontanés (Rondeau 1984 : 122). La distinction préconisée par Rondeau pour les discours spécialisés se fondait sur le principe de la séparation nette entre mot et terme, ce qui n’est plus guère tenable, grâce aux connaissances acquises depuis par le biais des études de corpus, qui montrent bien les ressemblances. La pertinence de la néologie au sein de la terminologie n’est pas toujours avérée non plus. Lorsqu’on réalise la terminologie d’une activité ou d’une entreprise, l’enjeu principal est d’inclure tous les termes pertinents, qu’ils soient nouveaux ou non. C’est surtout dans le contexte de la politique linguistique, de la mise à jour des ressources terminographiques et l’histoire des idées, que le critère de la nouveauté trouve tout son intérêt. Quoi qu’il en soit, on peut s’étonner de l’absence de monographie sur le sujet, ou encore de numéro thématique de notre revue consacré à cette question. Celui portant sur la néologie en traduction spécialisée (Neologica 6, 2013) touche aux termes, sans pour autant thématiser les préoccupations terminologiques, et, par définition, en n’évoquant que celles ayant un lien direct avec la traduction.
L’appel à communications suggérait une triangulation entre néologie, terminologie et modèle conceptuel, propre à l’orientation des conférences TOTh, mais les réponses ont donné un écho plus positif à d’autres angles d’attaque, notamment les rapports avec différents aspects de la politique linguistique, la mise à jour de ressources terminographiques ou lexicographiques, ainsi que les dimensions chronologiques, orientations également proposées pour la journée d’étude.
13Le présent numéro de Neologica a donc comme point de départ la Journée d’études TOTh. Il ne s’agit pas toutefois d’un volume d’actes de colloque. Les participants qui l’ont souhaité ont soumis l’article tiré de leur communication tout comme les linguistes qui ont vu l’appel à publication. Le tout a été examiné par un double comité scientifique : celui de la journée d’étude et de Neologica. Le résultat est un ensemble d’études portant sur les aspects néologiques de la terminologie, issues ou non de la journée d’études.
Il se trouve que la totalité des articles proposés et acceptés par le double comité de lecture se situent tous dans la thématique, ce qui élimine de fait la rubrique Varia, qui fait néanmoins partie de la conception de base de la revue.
La conférencière invitée, Antoinette Renouf, bien connue des lecteurs de Neologica, fait partie des spécialistes linguistes de la néologie : c’est elle qui a conceptualisé les outils qui ont permis l’accès à la néologie de l’anglais en s’appuyant sur de vastes corpus, et c’est elle qui a proposé les outils intellectuels d’analyse. L’article reprend la thématique générale de sa communication puisqu’elle indique comment l’exploitation de ces gros corpus permet de repérer les phénomènes de terminologisation et de déterminologisation, suggérant ainsi une passerelle entre langue générale et langue de spécialité. Bien entendu, la problématique n’est pas nouvelle en soi : bien avant les recherches sur la déterminologisation, Marcel Cohen ([1948] 1976) soulignait l’importance du passage du vocabulaire spécialisé ou marginal dans l’évolution de la langue. Le point de départ choisi par Renouf pour mesurer le chemin parcouru depuis l’époque où les corpus en étaient à leurs balbutiements est la célèbre étude d’Ingrid Meyer et Kirsten Mackintosh (2000b2) : en comparant le résultat des questionnements de 2000 et les résultats obtenus en 2016, on obtient la confirmation de certaines pistes déjà annoncées, mais on est surtout poussé à se poser de nouvelles questions.
L’orientation chronologique s’est concrétisée par trois articles à orientation complètement ou partiellement diachronique, qui renouvellent la réflexion des pionniers cités plus haut. Cette filiation doit beaucoup à l’éclosion d’études sur l’histoire des vocabulaires spécialisés, illustrée en particulier par celles de Maria Teresa Zanola (2014), et les recherches menées surtout au niveau doctoral dans différentes universités italiennes. Conformément à la tradition lexicologique française, on attache une grande importance à la néologie terminologique 14comme témoignage de l’histoire des idées, renouant ainsi avec une préoccupation spécifique à TOTh, mais dans un contexte historique. La première contribution du point de vue chronologique est de Claudio Grimaldi, qui examine l’émergence des nouveaux termes de botanique et de chimie dans les écrits scientifiques de la première moitié du xviiie siècle, époque charnière, car elle annonce la grande révolution taxinomique que connaîtront ces deux disciplines exemplaires. L’article de Silvia Zollo et de Jana Altmanova complète le tableau en proposant l’analyse de l’évolution du vocabulaire d’un artisanat d’art (l’orfèvrerie) pendant une période plus longue (du xviie jusqu’au xixe) qui montre l’effet des lois sur les dénominations employées par de tout petits groupes d’artisans. Il reprend également une thématique évoquée dans plusieurs articles, celle de l’obsolescence terminologique. Le troisième article qui tient compte de la diachronie, signé de Maria Francesca Bonadonna, le fait sur un laps de temps bien plus court : un quart de siècle seulement, et à l’époque contemporaine, mais il s’agit d’un secteur en pleine expansion, celui des énergies renouvelables. En plus, cet article montre comment la terminologie, recyclée si l’on peut dire pour exprimer les nouvelles réalités, provient en partie de quelques domaines ancêtres. Cette contribution est également caractérisée par l’importance que son auteure accorde à la méthodologie, en particulier au cadre d’analyse proprement linguistique qui informe la partie terminologique. Dans ce cas particulier il s’agit de la théorie Sens-Texte d’Igor Mel’cuk sous la forme de la lexicologie explicative et combinatoire. D’autres théories linguistiques enrichissent l’analyse terminologique comme la théorie des cadres qui informe l’étude de Melania Cabezas García et de Pamela Faber, qui porte sur l’importance des microcontextes dans l’émergence de nouveaux termes composés. C’est en étudiant leur structure argumentale que l’on relève l’identité d’origine de termes anglais et de leur équivalents espagnols, ici dans le cadre de l’énergie éolienne.
La politique linguistique était l’invité surprise dans cette journée d’études : deux articles portent sur les travaux du dispositif d’enrichissement de la langue française, animé par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France : celui de Christine Jacquet-Pfau, qui étudie les termes de l’éducation à la lumière de l’écho qu’ils trouvent dans la presse tout en passant en revue les critères qui permettent d’expliquer pourquoi une tentative de remplacement d’un anglicisme réussit, alors que d’autres échouent. Danielle Candel, pour 15sa part, examine le rôle et évalue l’apport des experts dans les travaux des commissions ou collèges du dispositif d’enrichissement de la langue française.
Il est rare que l’on parle de néologie et de terminologie sans évoquer le rôle charnière que joue la métaphore. C’est Micaela Rossi qui, encore une fois, relève le flambeau pour examiner, à partir d’un corpus d’interactions spécialisées en ligne, les marques d’un sentiment néologique, voire métaphorique.
Une journée d’étude permet de s’ouvrir à d’autres perspectives que celle de la linguistique. Élisabeth Lefer, récemment diplômée en traduction et en terminologie, présente un cas d’école d’un conflit larvé de terminologie néologique dans un domaine naissant, celui du biomimétisme, et elle explique que les choix terminologiques relèvent en réalité de prises de position idéologiques, que le linguiste peut débusquer grâce à des recherches documentaires bien ciblées : son expérience en études de marchés l’a aidée à bien situer les enjeux.
Les deux articles non présentés à la journée d’étude TOTh mais relevant de la thématique, reçus en réponse de l’appel à publication, explorent d’autres avenues. Celui des collègues de l’Université de Montréal (Angélique Lafrance, Patrick Drouin et Marie-Claude L’Homme) vise l’obsolescence ou la nécrologie aussi bien que la néologie dans le domaine de l’informatique en anglais, en chronologie courte ; ils présentent un outil conçu pour le dépouillement et ils exposent une méthodologie susceptible d’être étendue à d’autres corpus et à d’autres langues. Françoise Bacquelaine, pour sa part, se penche sur un cas de néologie terminologique industrielle, celle de la technologie de télécommunication sans fil Bluetooth, en l’examinant grâce à une grille de lecture de la néologie.
L’article de Pierre Lerat, qui fait écho à son livre (Lerat 2016), souligne à quel point la néologie terminologique est ancrée dans la pratique. Prenant comme exemple granulé de bois, il montre que l’innovation lexicale (qui est en même temps un avantage fiscal) se définit entre deux stéréotypes : culturel et expert. Pour rendre compte du phénomène, il est important que le linguiste prenne en charge tous les aspects, en dehors des seules bonnes formation et légitimité.
Ce numéro, qui, très exceptionnellement, ne comporte pas de partie Varia, présente les autres rubriques habituelles : les actualités de la néologie, bien fournies, la bibliographie de la néologie, toujours marquée par une intense activité hispanique, ainsi qu’un compte rendu.
16Nos remerciements vont d’abord à tous ceux qui ont contribué à la réussite de la journée d’études TOTh : aux responsables, Christophe Roche et Rute Costa et au comité scientifique sollicité pour la sélection des communications et l’évaluation des articles.
Ce numéro 11 est le premier à être mis en page par l’éditeur Classiques Garnier. Nous tenons, au moment de cette transition, à remercier pour leur soutien le laboratoire LDI et surtout L’UFR LLSHS de Paris 13 et sa cellule Recherche en particulier François-Xavier Mas qui s’est chargé de la mise en page, avec une compétence, une gentillesse et une disponibilité que nous tenons à saluer.
John Humbley
Paris 7, clillac-arp
Danielle Candel
Paris 7, htl UMR 7597
17Bibliographie
Cohen Marcel ([1948] 1976), Histoire d’une langue : le français (des lointaines origines à nos jours), Paris, Éditions sociales.
Guilbert Louis (1965), La formation du vocabulaire de l’aviation (1861-1891), thèse en deux volumes, Paris, Larousse.
Lerat Pierre (2016), Langue et technique. Paris, Hermann, collection Vertige de la langue. Préface d’Alain Rey.
Meyer Ingrid et MacKintosh Kristen (2000a), « “L’étirement” du sens terminologique : aperçu du phénomène de déterminologisation », dans Henri Béjoint et Philippe Thoiron, dir. Le Sens en terminologie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 198-217.
Meyer Ingrid et MacKintosh Kristen (2000b), « When terms move into our everyday lives, An overview of determinologisation », Terminology, 6/2, 2000, 111-138.
Quemada Bernard (1978), « Technique et langage : la formation des vocabulaires français des techniques », dans Histoire des techniques, éd. Bertrand Gille, Paris, Éditions Gallimard, « Encyclopédie de la Pléïade », p. 1146-1240.
Rey Alain (1976), « Néologisme, un pseudo-concept ? », Cahiers de lexicologie 28, 1976, 3-17.
Rey Alain ([1979] 1992), La terminologie : noms et notions [1979], Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
Wexler Peter (1955), La formation du vocabulaire des chemins de fer en France (1778-1842), Genève, Droz.
Zanola Maria Teresa (2014), Arts et métiers au xviiie siècle. Études de terminologie diachronique, préface d’Alain Rey, postface de Bénédicte Madinier, Paris, L’Harmattan.
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-406-06995-9
- EAN : 9782406069959
- ISSN : 2262-0354
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06995-9.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/07/2017
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français