[Introduction à la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Madame de Murat et la « défense des dames ». Un discours au féminin à la fin du règne de Louis XIV
- Pages : 237 à 238
- Collection : Classiques Jaunes, n° 764
- Série : Essais, n° 34
La première partie de notre étude a tenté de mettre en évidence la logique de l’œuvre, en lien avec les caractéristiques de l’écriture, autour de la défense des femmes, thèse chère à Mme de Murat. L’analyse serait pourtant incomplète si elle ne prenait pas en compte l’inscription de cette même œuvre dans un univers de discours qui la déterminent et qu’elle s’attache à critiquer. En effet, tout en renforçant les liens de cohérence entre des récits unifiés par l’intérêt pour la cause féminine, la comtesse évoque, au sein de son œuvre, un interdiscours1 qui permet de saisir les véritables enjeux, essentiellement critiques, de son combat. C’est alors à un élargissement de la question féminine que nous invite Mme de Murat, conférant ainsi une plus grande portée à son entreprise, à la charnière entre deux siècles.
Peut-être à défaut de pouvoir renverser le rapport entre les sexes, Mme de Murat s’intéresse en effet aux discours, qu’ils émanent d’un champ littéraire de plus en plus autonome ou qu’ils soient issus de la sphère sociale, puisque ce sont eux qui véhiculent une certaine image des femmes, de même qu’ils sont l’instrument privilégié de l’autorité patriarcale. Notre nouvel axe de travail consistera donc à observer que la question de l’oppression patriarcale, et plus largement celle du rapport à autrui, n’entraîne pas seulement, de la part de Mme de Murat, la condamnation d’un comportement ou d’une attitude ressentie comme hostile, mais qu’elle donne lieu à la dénonciation d’un discours s’inscrivant dans une remise en cause de l’ensemble des propos qui parviennent à ses yeux et à ses oreilles, qu’ils concernent ou non les femmes, qu’ils s’adressent ou non à elles. La lecture attentive de l’œuvre permet justement de repérer la récurrence d’une mise à distance des discours d’autrui, en raison du rapport de force qu’ils instaurent entre un émetteur autoritaire et un récepteur dont la crédulité est entretenue. C’est ainsi le non-respect des règles du jeu communicationnel que fustigerait avant tout la comtesse, y voyant la principale source et la modalité privilégiée de l’aliénation sociale2.
238Plus précisément, la défense des femmes se veut une réplique à ceux qui alimentent les préjugés sur les femmes, qu’il s’agisse d’auteurs de mémoires galants ou des représentants des autorités institutionnelles. C’est alors à une véritable analyse des discours, définis comme autant d’objets de croyance imposés avec autorité à ceux à qui ils sont destinés, que s’adonne la comtesse, soucieuse de démonter les mécanismes de ce qui n’est bien souvent que fiction cherchant à abuser de la crédulité des plus faibles. Il ne s’agira pas de rapprocher les contenus des différents discours, mais d’en comparer les conditions d’énonciation, les caractéristiques et les visées, afin d’en saisir le point commun qu’on pourrait reformuler de la façon suivante : la tentation de tout discours de se présenter comme un article de foi.
Dès lors, la vraie réplique consiste à une prise de distance par rapport aux discours, qu’il convient de décrypter pour échapper à l’emprise sociale. Cette critique des autorités se traduit également par une poétique, repérable dans l’ensemble de l’œuvre, et impliquant l’éducation du lecteur à un certain mode d’appréhension des textes. La femme auteur qui écrit acquiert alors un statut que lui confère la maîtrise des discours, occasion inespérée d’être valorisée pour celle qui cherche à se faire entendre à tout prix.
1 On appelle interdiscours « l’ensemble des unités discursives avec lesquelles un discours particulier entre en relation implicite ou explicite » (Dictionnaire d’analyse du discours, op. cit., p. 324).
2 Mme de Murat emploie le terme de « discours » à plusieurs reprises dans son œuvre (voir par exemple MdeM, I, p. 343-344 ; V, p. 38, 169-170 ; L, p. 181 et 198), en le reliant le plus souvent à une figure d’autorité. De façon générale, c’est l’ensemble des pratiques socio-discursives, telles qu’elles sont évoquées par P. Charaudeau et D. Maingueneau dans leur introduction générale au Dictionnaire d’analyse du discours annonçant l’étude de « productions transphrastiques, orales ou écrites, dont on cherche à comprendre la signification sociale » (op. cit., p. 7), qu’on tentera de repérer dans son œuvre, en observant la façon dont les énoncés renvoient également au système qui permet de les produire.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15165-4
- EAN : 9782406151654
- ISSN : 2417-6400
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15165-4.p.0237
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/09/2023
- Langue : Français