Avertissement
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Savoirs sur l’animal dans l’Encyclopédie méthodique. Tome II
- Pages : 115 à 118
- Nombre de volumes : 2
- Collection : Bibliothèque du xviiie siècle, n° 48
Avertissement
Il est plus facile d’assigner les caractères qui appartiennent aux animaux de cet ordre que de fixer la dénomination qui leur est propre1. Jusqu’ici, on les a appelés tantôt amphibies rampants, tantôt quadrupèdes ovipares, et tantôt reptiles ; mais aucune de ces expressions, malgré l’autorité des Naturalistes célèbres qui les ont adoptées, ne peut convenir parfaitement. Le mot amphibie, sous quelque forme qu’on l’envisage, ne présente qu’une idée vague, obscure, indéterminée. Si l’on entend par amphibies des animaux qui peuvent vivre dans l’eau et hors de l’eau, à leur gré, et aussi longtemps qu’ils le veulent, dans ce sens il n’y a point d’amphibie sur la terre dont l’existence soit connue ; et si l’on prend pour amphibies des êtres qui peuvent rester dans l’eau ou hors de l’eau pendant un temps limité seulement, alors l’homme et tous les animaux seront amphibies, puisqu’ils ont la faculté de plonger pendant un temps plus ou moins considérable2.
Les animaux dont il s’agit ici n’ont pas été caractérisés d’une manière plus heureuse par le mot de quadrupèdes ovipares. Le premier terme de cette dénomination, ayant été déjà consacré aux animaux qui sont rangés dans le même ordre que le cheval, le bœuf, l’éléphant, ne peut, ce me semble, être employé que pour en désigner d’autres qui aient les plus grands rapports avec ces quadrupèdes3. On devrait donc s’attendre à trouver la plus parfaite identité de caractères entre le cheval et la grenouille, 116le bœuf et la tortue ; et l’on est bien étonné de voir que les principaux rapports qui unissent ces divers animaux sont purement extérieurs, et que les oiseaux ont, avec les quadrupèdes vivipares, une analogie plus intime que les animaux dont il est ici question4. D’ailleurs, l’épithète d’ovipare ne convient pas généralement à tous les individus de cet ordre, puisqu’il est certain que les Salamandres et le Lézardgris font leurs petits vivants : ainsi, quoique la dénomination de quadrupède ovipare soit moins vicieuse que la précédente, puisque tous les animaux qu’elle désigne ont quatre pattes, on ne peut point cependant conclure qu’elle soit d’une exactitude rigoureuse.
Le mot reptile me paraît réunir moins d’inconvénients5. Tous les individus dont [iv] nous allons parler ont les jambes fort courtes, très écartées les unes des autres, et si faibles qu’elles ne peuvent soutenir le poids du corps. Le Lézard gris, par exemple, qui est un des plus agiles, est obligé de s’appuyer sur son ventre, à l’instant où il ralentit sa course : il se sert donc de ses pattes, plutôt pour ramper que pour marcher..... En un mot, tous les animaux qui font l’objet de cette discussion se trouvent dans la nécessité indispensable de se traîner sur le ventre ; c’est un vice inhérent à leur constitution, et qui ne reçoit d’autres modifications que celles qui résultent de la longueur et du rapprochement des pattes. Sous ce rapport, le nom de reptile m’a paru mériter la préférence.
Je me suis encore déterminé à inventer un nom pour caractériser la science qui traite des animaux de cet ordre. Les deux racines grecques ἝΡΠΩ, λογος, m’ont fourni le mot Erpétologie, que Klein a déjà employé dans une acception plus étendue, pour désigner les serpents et les reptiles6.
117Pour la disposition méthodique des genres, j’ai adopté la division générale que M. Scopoli a publiée, et que M. le Comte de la Cepède a suivie dans son Histoire des quadrupèdes ovipares7 ; je me suis permis uniquement de faire une inversion dans l’arrangement des classes. J’ai placé dans la première les reptiles qui n’ont point de queue ; et dans la seconde, ceux qui en sont pourvus. Par cette nouvelle disposition, la chaîne qui unit les serpents et les reptiles n’est point interrompue, mais l’on passe des uns aux autres par une gradation successive. Depuis la Tortue qui compose le premier genre de la seconde classe, jusqu’au Chalcide qui forme le dernier, on voit s’éteindre, par degrés insensibles, les limites qui séparent ces deux ordres d’animaux8.
La distribution des genres de Linné m’a paru susceptible de quelques changements9. Les espèces qui composent la famille des Lézards sont très nombreuses, et présentent des caractères qui les distinguent essentiellement. Il y a loin de la structure du Crocodile à celle de la Salamandre ; et de l’organisation du Chalcide à celle du Caméléon. Ces considérations m’ont engagé à détacher les Crocodiles, les Caméléons, les Salamandres et les Chalcides de la tribu des Lézards, et d’en faire des genres particuliers. J’ai établi la distinction générique sur le nombre des doigts et la conformation des pattes. L’organisation intérieure de ces divers animaux offre encore d’autres différences.
Une des plus grandes difficultés que j’ai éprouvées, c’est pour fixer la distinction des espèces. Dans cet ordre, encore plus que dans tout 118autre, l’âge, les métamorphoses, le sexe produisent une multitude de différences dans les couleurs, surtout parmi les Crapauds et les Grenouilles. J’ai tâché de déterminer, non seulement les gradations fugitives de ces teintes diverses, mais encore les caractères constants qui [v] distinguent les espèces ; et comme il est nécessaire que, dans une longue suite d’objets, les descriptions soient faites sur le même plan, afin que les traits caractéristiques soient plus saillants et plus sensibles, j’ai été obligé de refaire presque à neuf toutes les phrases descriptives.
J’ai pris le Système de la Nature de Linné pour base et pour modèle10 : les écrits de ce grand Homme doivent servir de guide à tous ceux qui travaillent sur l’Histoire Naturelle. J’ai encore consulté le Traité de l’Encyclopédie méthodique, par M. Daubenton, celui de M. Laurenti sur les reptiles ; les ouvrages de Rœsel, de Klein, de Gronou, de Petiver, de Scopoli, de Knorr, d’Edwards, de Catesby, de Séba11 ; les nouveaux Mémoires de Suède, de Pétersbourg ; ceux de l’Académie des Sciences de Paris, de Berlin ; les Transactions philosophiques ; et une infinité d’autres livres dont l’énumération serait trop longue. L’Histoiredes quadrupèdes ovipares, par M. le Comte de la Cepède, m’a été principalement d’un grand secours ; j’y ai trouvé des descriptions nouvelles, des détails curieux, et une infinité d’observations intéressantes. Ce Traité, si justement estimé, réunit tout à la fois l’exactitude et la précision qui font le mérite principal d’un ouvrage d’Histoire Naturelle, et les charmes du style qui répandent le goût de cette science. [vj a]
1 Bonnaterre reprend l’argument de Daubenton contre la classe des Amphibia de Linné, et plus généralement contre le terme d’« amphibie » appliqué dans un sens taxonomique (voir plus haut, p. 39-40). Mais il l’étend à d’autres dénominations, y compris à celle de « quadrupède ovipare » employée par le même Daubenton.
2 [Note de l’auteur] Les plongeurs de profession, tels que les sauniers de Halle en Saxe, un grand nombre de Nègres, les pêcheurs des perles de Ceylan, restent sous l’eau un assez long espace de temps, sans qu’on puisse pour cela mettre ces plongeurs au rang des amphibies. [Les Halloren, sauniers de Halle, étaient réputés bons nageurs et plongeurs.]
3 [Note de l’auteur] Nous ne considérons ici les quadrupèdes ovipares que relativement à l’idée que ce mot nous rappelle.
4 C’est exactement ce qu’a écrit Daubenton, qui cependant juge légitime la dénomination de « quadrupèdes ovipares ». Il y a ici une différence sensible entre les deux naturalistes : Daubenton demande à un nom, avant tout, de désigner clairement les animaux auxquels il s’applique, tandis que Bonnaterre attend en outre qu’il soit conforme aux rapports de ces animaux avec d’autres.
5 Il a cependant été rejeté par Daubenton : voir plus haut, p. 40-41.
6 Le terme grec classique ἕρπης (de ἕρπω, « se traîner péniblement », « ramper ») désigne à proprement parler une maladie de peau (qui progresse, en quelque sorte, en rampant), mais d’autres mots de la même famille s’appliquent aux animaux rampants. C’est, comme le note Bonnaterre, le naturaliste allemand Jacob Theodor Klein (voir t. I, vol. 1, p. 280) qui a formé le terme herpetologia, dont il a fait le titre d’un ouvrage consacré à des animaux rampants et apodes (notamment aux serpents et à certains vers) ; mais il n’y traite pas des quadrupèdes ovipares (Klein, 1755).
7 Daubenton évoque aussi la classification proposée par Scopoli en 1777 (voir plus haut, p. 42-43, 46-47). Cet auteur divise ses Reptilia (qui correspondent aux quadrupèdes ovipares et font partie, rappelons-le, du groupe des Amphibia, comme chez Linné) en deux ordres : les « reptiles à queue » (genres Siren, Lacerta, Draco et Testudo) et les « reptiles sans queue » (genre Rana) ; ses genres sont, à l’exception de Siren, les mêmes que ceux reconnus par Linné. – Lacepède, qui vient de publier en 1788 l’Histoire naturelle des quadrupèdes ovipares (HNQO), comme une continuation de l’Histoire naturelle de Buffon, reprend cette division de Scopoli en deux grandes classes (quadrupèdes ovipares à queue et sans queue) ; il ajoute cependant, en dehors de ces classes, un petit groupe de « reptiles bipèdes » ; mais pour le reste il se conforme à peu près à la division proposée par Daubenton dans l’EM. HNA : parmi les quadrupèdes ovipares à queue, il distingue ainsi les tortues et les lézards, et parmi les quadrupèdes ovipares sans queue, il range les « grenouilles », les « raines » et les « crapauds ».
8 Bonnaterre est en effet plus ouvert que Daubenton à la notion de chaîne des êtres : voir l’introduction, p. 25-26.
9 Les genres reconnus par Bonnaterre sont en effet assez différents de ceux de Linné et Scopoli ; ils ne sont pas non plus équivalents à ceux de Daubenton, ni de Lacepède.
10 La pagination indiquée par Bonnaterre montre qu’il a consulté la douzième édition du Systema naturae (Linné, 1766-1768 ou 1767-1770).
11 Laurenti (1768) ; Roesel von Rosenhof (1758) ; Klein (1755) ; Gronovius (1754-1756) ; Petiver (1702-1709) ; Scopoli (1777) ; Knorr (1766-1767) ; Edwards (1758-1764) ; Catesby (1731-1743) ; Seba (1734-1765). Il est remarquable que Bonnaterre mentionne le dictionnaire des quadrupèdes ovipares et des serpents de Daubenton sur le même plan que toutes ses autres sources alors qu’il fait partie, en principe, du même ouvrage que le sien. August Johann Roesel von Rosenhof (1705-1759), naturaliste et illustrateur allemand, publia de splendides volumes illustrés sur les insectes et les amphibiens. Laurentius Theodorus Gronovius (1730-1777), naturaliste et collectionneur néerlandais, ami de Linné, se fit surtout connaître par ses travaux sur les poissons. Petiver (v. 1665-1718) était un pharmacien anglais, amateur d’histoire naturelle et membre de la Royal Society. Grâce aux nombreux envois de ses correspondants dans le monde entier, il possédait l’une des plus belles collections de l’époque, qui fut rachetée à sa mort par Hans Sloane. Il en publia plusieurs catalogues. Sur Knorr, Edwards, Catesby et Seba, voir t. 1, notes p. 1337, 326, 627 et 316, respectivement.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-09624-5
- EAN : 9782406096245
- ISSN : 2258-3556
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-09624-5.p.0115
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/07/2021
- Langue : Français