Introduction à la cinquième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Délibérations du peuple. Contexte et concepts de la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau
- Pages : 379 à 380
- Collection : PolitiqueS, n° 22
Introduction
à la cinquième partie
L’une des difficultés que soulèvent les principes du droit politique est, pour reprendre de Rousseau sa propre expression, celle de leur « application ». Ce problème se pose à Rousseau de façon particulièrement aiguë dans ses propres tentatives d’intervention dans la vie politique concrète des hommes : dans celle de Genève à travers les Lettres écrites de la montagne, dans les Affaires de Corse (le texte étant cependant resté inachevé)1, dans celles, en grave péril, de la Pologne après le soulèvement des Confédérés de Bar dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne.
Un premier moment de cette partie se penchera sur l’exigence exorbitante de souveraineté populaire : faut-il en faire une interprétation littérale ? Le cas échéant, l’impraticabilité de l’exercice, par le peuple, de sa souveraineté au sein des grands États modernes, condamne-t-elle la théorie politique de Rousseau à l’obsolescence ? Quel rapport faut-il établir entre les principes d’une part, la science du gouvernement de l’autre ? Comment concilier le droit imprescriptible des hommes à déterminer eux-mêmes les conditions de la société (sous la forme suffisamment générale et indirecte qui rende possible la communauté républicaine) avec la prudence requise à l’égard de ce qui est réellement possible ici et maintenant ?
Le second moment donnera une illustration de ce qu’on pourrait appeler une « stratégie de citoyenneté ». On s’est souvent inquiété de l’absence, dans la pensée politique de Rousseau, d’un droit de résistance. Il en va en effet d’un oxymore. Le droit de résister dans des conditions où l’on n’a pas le devoir d’obéir n’est que la force de résister :
380Tant qu’un Peuple est contraint d’obéïr et qu’il obéït, il fait bien ; sitôt qu’il peut secoüer le joug et qu’il le secoüe, il fait encore mieux ; car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre, ou l’on ne l’étoit point à lui ôter2.
C’est prudence plutôt que droit. Cette prudence purement stratégique est toutefois pondérée par l’avertissement immédiat : « mais l’ordre social est un droit sacré ». Or, les Lettres écrites de la montagne présentent le cas intermédiaire instructif où le droit n’a pas encore été entièrement aboli – la riposte violente s’y révélant répréhensible. Il est hypocritement maintenu, en des termes qui violent pourtant en apparence les principes du droit politique. On verra que Rousseau cherche en ce cas le levier pour fonder sur un droit apparent le véritable droit, dans l’espace non-idéal d’une application particulière.