Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Les Cahiers du dictionnaire
2014, n° 6. Dictionnaires électroniques et dictionnaires en ligne - Auteurs : Annese (Venanzia), Boccuzzi (Celeste), Cappiello (Giuseppe), Cavallini (Concetta), Dotoli (Giovanni), Leopizzi (Marcella), Melnikienė (Danguolė), Ostuni (Donatella), Rizzi (Carmela)
- Pages : 429 à 490
- Revue : Les Cahiers du dictionnaire
Alain Rey, vocabuliste français, texte réunis et présentés par François Gaudin, Limoges, Lambert-Lucas, 2012, 106 p.
Les 4 et 5 juin 2009, François Gaudin a organisé à l’Université de Rouen, un colloque consacré à l’œuvre du plus grand lexicographe-métalexicographe de notre époque, à partir des années 1955, Alain Rey : « Alain Rey, ou le malin génie de la langue française ».
Ce livre publie une partie des communications présentées à l’occasion de ce colloque : celles de Sylvain Auroux, Bruno de Bessé, Louis-Jean Calvet, Alexandra Cunita, Loïc Depecker, Henri Mitterand, Jean-Yves Mollier, Jean-François Sablayrolles et Salah Stétié.
« Alain Rey, observe François Gaudin, a consacré sa vie à la description de la langue française en tant que bien commun universel inaliénable. Il l’a fait en conjuguant érudition et ouverture, tolérance et exigence, je dirais avec bienveillance, considérant que la langue française appartient avant tout à ceux qui la parlent » (p. 9, préface de F. Gaudin). C’est le plus bel éloge que l’on puisse rendre à cet homme, qui est un monument de la langue française, le patrimoine de son histoire et de sa vie.
Le voilà donc partir en voyage par les mots – tous les mots, sans ordre conventionnel, ni bienséance –, sans austérité, sans fermeture dans une théorie, sans aucune suffisance, et les décrire le sourire toujours au visage, en faisant partager à tout public, les jeunes et les moins jeunes, les enfants et les adultes, hommes, femmes et enfants, cette langue qui est belle parce qu’elle est accueillante, mouvante, poétique, démocratique, progressiste, ouverte à tout monde.
Alain Rey a le goût du mot juste, mais sans jamais imposer son point de vue. Il amène le lecteur vers lui par la force de la poésie et de l’énergie du mot, toujours en contexte social. Il suit l’usage plus que n’importe quel linguiste trop chevronné – ou qui se croit tel. En « vocabuliste » lancé sur l’avenir, pour utiliser un mot de Louis-Sébastien Mercier, sans jamais quitter le passé, il rend justice à la créativité du français dans tout contexte, des banlieues à l’écriture des écrivains attitrés.
La langue n’est jamais en marge. Elle est dedans, dans notre vie, comme l’eau et l’air. D’après Alain Rey, elle n’est jamais ossifiée. Ce livre
rend parfaitement hommage à ses « théories ». Sa langue n’est jamais poussiéreuse. Elle est toujours sur la lignée de l’invention. Alain Rey est bien l’auteur d’un livre intitulé À bas le génie ! Oui, à bas le génie. Il n’y a pas de génie de la langue française inné. Son génie est celui du dialogue, du contact, de la créativité, de l’accueil et de l’adaptation.
Alain Rey est une référence mondialement reconnue. Sa parole et son écriture sont la preuve la plus évidente du fait que la langue française se porte très bien. Haro sur les pessimistes !
Les dictionnaires d’Alain Rey resteront dans l’histoire comme ceux d’Antoine Furetière, Pierre Larousse et Émile Littré. On dira les Rey et plus les Robert, à l’instar des Larousse et du Littré. Je pense non seulement au Petit et au Grand Robert, mais aussi et surtout au Dictionnaire historique de la langue française et au Dictionnaire culturel en langue française, deux monuments des vingt dernières années.
Le grand poète Salah Stétié a raison : « Le dictionnaire, pour l’écrivain, est une patrie » (p. 101). Sans cette patrie, il est un apatride. Alain Rey a donné une patrie a tous les écrivains d’après les années 1960. Celle de ses dictionnaires.
Venanzia Annese
Université du Salente – Lecce
Dictionaries. An international Encyclopedia of Lexicography. Supplementary Volume : Recent developments with Focus on Electronic and Computational Lexicography, edited by Rufus H. Gouws, Ulrich Heid, Wolfgang Schweickard, Herbert Ernst Wiegand, Berlin – Boston, De Gruyter – Mouton, 2013, 1580 p.
Voilà une somme indispensable, un livre qui est plus qu’un livre. C’est un concert de coopération entre une foule de linguistes, lexicographes et métalexicographes, lesquels réfléchissent en anglais sur un sujet fondamental de nos jours : la métalexicographie électronique.
Ce livre est le quatrième volume de trois autres monuments : Franz Josef Hausmann – Oscar Reichmann – Herbert Ernst Wiegand – Ladislav Zgusta (by/von/par), Wörterbücher. Dictionaries. Dictionnaires. Ein internationales Handbuch zur Lexicographie. An International Encyclopedia of Lexicography. Encyclopédie internationale de lexicographie, Berlin – New York, Walter de Gruyter, 1989-1991, 3 vol., un total de 3355 p.
Il est presque impossible de résumer le(les) contenu(s) de ce livre. Bien relié, la couverture en tissu – de nos jours très rare –, sur un papier presque de luxe glacé mat, il continue le résumé colossal de la lexicographie et de la métalexecographie de la deuxième moitié du xxe siècle, pour arriver à nos jours, à la grande révolution technologique qui désormais touche de plus en plus le dictionnaire. L’ordinateur est partout. Dictionnaire et ordinateur. Corpus et ordinateur. Lexique et ordinateur.
La langue – toute langue – s’organise par immenses blocs de mots. Le lexique est vraiment devenu le signe de Babel. Ce livre nous prouve qu’il a recueilli le défi. Rien n’est impossible. Les langues se recomposent sous le signe de la révolution informatique. Elles sont en expansion gigantesque. On peut tout fourrer dans un dictionnaire électronique – parfois trop, c’est vrai.
Ce livre est un panorama complet de ce qui se passe en science du dictionnaire depuis une vingtaine d’années. Le digital triomphe partout et le dictionnaire semble recueillir la lumière de la technologie, dans le domaine de la récolte des données aussi bien que de la consultation rapide et de la mise à jour.
C’est un livre qui va bien au-delà de l’académie. Si d’un côté il garde les aspects de la recherche universitaire, de l’autre il s’ouvre comme une coquille au large de l’océan, pour nous suggérer que la langue est infinie,
que personne ne sera à même de la « compter » (computer, ordinateur), parce que la langue c’est l’être humain. L’être humain est circonscriptible et évanescent, ligne de la figure et envol vers des mondes inconnus.
Et la langue d’exploiter toute sorte de voyage des mots, toute arrivée et tout départ, d’après des méthodes plurielles, computationnelles bien sûr, mais qui ne peuvent jamais oublier les connotations humaines de la langue, ses origines, ses contacts, ses voyages d’une région à l’autre.
Nous sommes face à 20 chapitres, qui accueillent 110 articles. Voilà les titres des chapitres : 1. Dictionaries in modern society : Current status and perspectives (articles 1-2) ; 2. The developments in lexicography theory I : Textual structures (articles 3-10) ; 3. New developments in lexicography theory II : Dictionary and functions (articles 11-19) ; 4. New developments in lexicography theory III : Selected Dictionary subjects (articles 20-25) ; 5. New developments in lexicography theory IV : Research in dictionary production and use (articles 26-31) ; 6. New developments in lexicography and metalexicography organisation (articles 32-36) ; 7. New developments in lexicography of individual languages since 1990 I : The ancient languages of the Near East and the classical languages (articles 37-38) ; 8. New developments in lexicography of individual languages since 1990 II : The Romance languages (articles 39-44) ; 9. New developments in lexicography of individual languages since 1990 III : The Germanic languages (articles 45-51) ; 10. New developments in lexicography of individual languages since 1990 IV : The Slavic languages (articles 52-54) ; 11. Lexicography of Arabic ans selected Asian languages (articles 55-58) ; 12. Lexicography of selected African languages (articles 59-64) ; 13. The history of computational lexicography (articles 65-66) ; 14. Typology of electronic dictionaries I : Electronic dictionaries of human use (articles 67-74) ; 15. Typology of electronic dictionaries II : Electronic dictionaries of machine use (articles 75-82) ; 16. Models for the representation of dictionaries : The form aspect (articles 83-89) ; 17. Models for the representation of linguistic data in electronic dictionaries : The content aspect (articles 90-95) ; 18. Computer-based dictionary making I : Acquisition of lexical data from corpora – corpus design (articles 96-99) ; 19. Computer-based dictionary making II : Acquisition of lexical data from corpora and machine readable dictionaries – tools and procedure (articles 100-107) ; 20. Computational terminography (articles 108-110).
Nous nous excusons de cette longue liste de la table des matières. Mais elle était indispensable pour évaluer le poids immense de ce livre, qui va être le point de repère de toute recherche en ce domaine à l’avenir.
Il nous prouve aussi que désormais il s’est créé une sorte de lingua franca des sciences, dans le monde entier, qui n’est pas uniquement l’anglais classique, mais une langue scientifique réduite à quelques formules laquelle utilise un anglais fondamental très réduit. Une menace pour cette langue à l’avenir ? C’est probable.
Sur un axe historique – un grand mérite de cette recherche collective –, nous comprenons ce qui s’est vraiment passé et ce qui est en train de se passer, en linguistique, en lexicographie et en métalexicographie. L’évolution très et trop rapide du computationnel a changé le dictionnaire – à jamais ? –, en créant aussi une sorte d’analphabétisme de retour.
Tout est révolutionné : la macrostructure, la microstructure, le corpus, la description de la langue, la typographie. Le genre mixte qui est sous nos yeux, et dont nous avons besoin, va-t-il résister ? Il y aura de plus en plus une question de traitement du culturel, sur la base des immenses recherches d’Alain Rey en ce domaine-là.
Il y a désormais de nouvelles méthodes pour réaliser un dictionnaire. Le danger c’est qu’il quitte le côté artisanal pour n’épouser que le côté technique, en s’éloignant des principes humains et humanistes de la langue. La lexicographie computationnelle a envahi la recherche et le marché. La machine va-t-elle remplacer l’homme ? Le dictionnaire pourra-t-il encore rêver sur un mot ? Pourra-t-il conjuguer la machine et le rêve ?
Au fond c’est l’espoir caché de ce livre : de la machine à l’homme. Sans l’homme, la machine n’est rien. C’est un livre que tous les métalexicographes devraient avoir sur leur bureau. C’est une introduction extraordinaire à l’aménagement des data-base, de la terminologie, de la nouvelle vision du monde. Le dictionnaire vient d’épouser l’avenir.
Celeste Boccuzzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Igor Mel’čuk – Jasmina Milićević, Introduction à la linguistique, Paris, Hermann, 2014, 3 vol. ; I, 378 p. ; II, 286 p. ; III, 390 p.
C’est probablement le meilleur traité d’introduction à linguistique, certainement l’un des meilleurs. Nous connaissons les importants recherches d’Igor Mel’čuk, et sa théorie sur le dictionnaire combinatoire.
Dans ces trois volumes, denses comme un livre d’algèbre, en collaboration avec Jasmina Milićević, ce linguiste présente au lecteur et au chercheur les résultats d’une réflexion profonde et ininterrompue. C’est une « introduction » qui s’adresse « aux débutants » et aussi à ceux qui voudraient avoir un texte « suffisamment riche pour assurer une bonne compréhension des phénomènes linguistiques fondamentaux » (I, p. v). C’est l’un des grands mérites de cette somme : l’accès plus facile à une science qui dans le passé s’est trop souvent présentée comme une science d’élite – on connaît la grande polémique autour des linguistes structuralistes.
Mais ce n’est pas un texte simpliste. C’est plutôt un « compromis » (ibid.), qui en fait un livre « plus difficile qu’un manuel moyen pour débutants », et donc « une introduction élémentaire d’un niveau avancé » (ibid.).
Les deux auteurs ont choisi de ne parler que de la « linguistique synchronique « pure » en [s’]écartant autant de l’aspect diachronique de la langue que de ses aspects psycho-neurologique, géographique et social » (ibid.). Ainsi on trouve exclusivement la description formelle de la langue naturelle, telle qu’elle est de nos jours. Pas de linguistique historique ni de linguistique externe, et donc pas de psycholinguistique ni de neurolinguistique, ni de sociolinguistique, ni de dialectologie. Et, par conséquent, pas d’histoire de la linguistique, ni un survol des « diverses approches de l’étude de la langue » (ibid.).
C’est la théorie Sens – Texte qui conduit cette recherche imposante, à travers un exposé cohérent et systématique qui servira de base « à une orientation ultérieure des divers courants linguistiques » (ibid.).
La science des langues est vue en termes de « modèle fonctionnel », « c’est-à-dire d’un dispositif logique qui en simule le fonctionnement, que la langue naturelle se décrit le mieux » (I, p. vi). Les auteurs présentent la langue en quatre composantes majeures : la sémantique, la syntaxe, la morphologie et la phonologie. Chaque composante est un ensemble cohérent de règles formelles, un mécanisme fonctionnel « qui établit le lien entre une entrée et une sortie » (ibid.).
Par conséquent, tout se tient. La sémantique met en relation le sens de la phrase et son organisation syntaxique. La syntaxe crée le lien entre son organisation dans la phrase et la chaîne des mots qui ont une prosodie spécifique. La morphologie est le passage de l’organisation abstraite du mot (lexème et éléments fonctionnels nécessaires) au mot transcrit phonologiquement. Enfin, la quatrième composante, la phonologie, fixe le son de chaque phonème dans un contexte donné.
Ce modèle fonctionnel marche parfaitement. Igor Mel’čuk et Jasmina Milićević ont le mérite immense d’ouvrir une lumière sur des théories compliquées et presque incompréhensibles, en permettant au lecteur et au chercheur de posséder toute cette matière qui autrement lui échapperait de toute part. C’est la force de l’idée de fonction. La langue, toute langue bien sûr, est un système de concepts et de formalismes. Le but des deux auteurs est ambitieux et bien atteint : lecteur et chercheur pourront acquérir les formalismes de la langue, la décrire, en comprendre les formes internes.
Et cela non seulement pour la langue française, naturellement, mais aussi per les 7000 langues qu’en cette aube du troisième millénaire on parle dans les différentes régions petites ou grandes du monde.
Les quatre branches fondamentales de la langue marchent à l’unisson, ce qui nous fait comprendre les relations de dépendance dans la langue. Les phénomènes linguistiques sont formalisés de façon convaincante. Les outils formels correspondants aussi.
Cela donne une grande avancée au traitement automatique des langues et à la didactique de leur enseignement. C’est un traité moderne et actuel, qui suit toutes les tendances récentes de la linguistique concernant la sémantique et le lexique.
C’est une application rigoureuse à la description des langues, dans la tradition des recherches des grands linguistes : Saussure, Sapir, Benveniste et Jakobson. L’une des grandes qualités de ces trois volumes c’est que chaque énoncé est démontré par le recours à des exemples empruntés à différents idiomes.
Les étudiants, les enseignants et les chercheurs recevront un grand bénéfice de cette recherche. Ils constateront sur le champ le formalisme des langues et leurs automatismes. Le sens, la représentation sémantique, les relations lexicales et leurs fonctions, les règles sémantiques, les définitions, le dictionnaire lui-même et naturellement le Dictionnaire
explicatif et combinatoire, la phrase, la dépendance syntaxique, les parties du discours, les lexies, l’ordre des mots, l’accord et son régime, les règles syntaxiques, le mot-forme, la flexion et formation des mots, les significations morphologiques, les signes, les unités phoniques, n’auront plus de secrets. « Quelques concepts mathématiques et logiques nécessaires en linguistique » (III, p. 277 et suiv.) créent des opérations ensemblistes claires.
À la fin de chaque volume, Igor Mel’čuk et Jasmina Milićević présentent des exercices et des solutions de ces exercices. Une nouveauté explicative de première importance.
Nous sommes donc face à une présentation précise et convaincante de la linguistique. C’est beaucoup plus qu’une introduction annoncée dans le titre. C’est un traité bel et bien, de profonde qualité, sur la lignée des grands chercheurs de la linguistique moderne.
Celeste Boccuzzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
François Gaudin (dir.), Au bonheur des mots. Hommage à Alain Rey, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2014, 208 p.
Ce recueil, dirigé par François Gaudin, se veut le portrait vivant d’Alain Rey. Linguiste, lexicologue, sémiologue, philosophe du langage, essayiste et biographe, l’architecte du dictionnaire Robert, véritable monument de la langue française au sens que cette œuvre donne à ce mot, à savoir « une œuvre imposante, vaste, digne de durer », est l’homme qui incarne à lui seul tout un monde, le monde des mots, l’amour des mots, la connaissance des mots.
Divisé en deux parties, l’une consacrée au savant au titre Le coin des savants, l’autre à l’homme au titre Le kiosque des amis, le volume accueille vingt interventions et contributions d’écrivains, poètes et linguistes français et non, tous ressemblés par un même désir : rendre hommage à ce génie de la culture française.
Ce sont Monique Cormier et Jean-Claude Corbeil qui ouvrent cette immense ode à Alain Rey, défini comme « l’homme du nouveau monde » qui « a franchi avec les Québécois les étapes récentes de l’aménagement linguistique du pays », en guidant « la langue française à conforter ses positions au coin nord-est de l’Amérique du Nord » (p. 24).
Henri Béjoint explore les influences de la lexicographie française sur la lexicographie anglaise, à partir du xvie siècle jusqu’à nos jours. Ce n’est pas une entreprise facile, car la lexicographie d’outre-Manche se caractérise par « un splendide isolement » (p. 27). Pourtant ces influences existent et, pour les détecter, Béjoint passe en revue les premiers dictionnaires bilingues français-anglais, rédigés par des francophones en Angleterre et destinés « aux Anglais qui voulaient apprendre le français, plus nombreux à l’époque que les Français voulant apprendre l’anglais » (p. 32), puis, les premiers dictionnaires monolingues anglais et leur inspiration jamais avouée à Estienne et Nicot, pour arriver à l’Oxford English dictionary qui se sert de « plusieurs sources françaises dans les domaines où elles sont susceptibles de fournir des informations utiles » (p. 46).
C’est l’impact de l’œuvre d’Alain Rey en Grande-Bretagne et les images que le linguiste offre de la « perfide Albion » dans la macrostructure du Dictionnaire historique et du Dictionnaire culturel que l’on retrouve au cœur de la contribution de Michaël Abecassis. Dans la première partie, l’auteur souligne l’intérêt de la métaléxicographie anglo-saxonne pour
les travaux linguistiques et dictionnairiques d’Alain Rey en remarquant, en particulier, le succès du Petit Robert à l’université, pour la traduction et la rédaction de dissertations, parmi les autres dictionnaires monolingues français. Dans la seconde partie, il propose, au moyen d’une analyse précise des mots liés à l’Angleterre dans les deux dictionnaires précédemment cités, le portrait dessiné par Alain Rey, à la fois idéalisé et traditionnel, d’Albion et de ses habitants, « pas aussi perfides qu’ils ne le paraissent » (p. 68).
De la Mer du Nord à la Mer Méditerranée, c’est le trajet qui conduit le lecteur à la quatrième contribution. Anna Anastassiadis-SymÉonidis y met en évidence l’influence de la méthode et de l’enseignement d’Alain Rey lexicographe en Grèce. L’auteure décrit les similarités et les différences entre le Petit Robert et le Dictionnaire du grec standard dont elle a été l’une des rédactrices, en résumant les diverses propositions acceptées ou refusées pour la rédaction de l’ouvrage hellène.
Michel Biard et Pierre Fresnault-Deruelle, dans leurs essais, s’éloignent de la dimension lexicographique d’Alain Rey en l’analysant sous des angles divers. Le premier, en tant qu’historien, analyse le texte d’Alain Rey Révolution. Histoire d’un mot, publié en 1989, afin de mettre en évidence les différentes nuances de sens gardées par le mot révolution, le second analyse le livre Les spectres de la bande qu’Alain Rey consacre aux bandes dessinées, en tant qu’objet socio-médiatique susceptible d’être considérée comme « le neuvième art » (p. 107).
Le Ministre des affaires étrangères et du développement international de la République française, Laurent Fabius, inaugure la seconde partie du recueil, Le kiosque des amis, qui rassemble des contributions au ton plus léger et amical. « Avec vos longs cheveux blancs, vos lunettes, votre moustache de druide, vos chemises et cravates d’une sobriété quasi monacale, […] vous incarnez la tolérance, la bienveillance, la connaissance et, mieux, la sapience » : par ces mots, Laurent Fabius loue l’homme qui refuse d’entonner le lamento du déclin de la langue française en lui opposant le dynamisme et la pluralité des usages qui caractérisent cette langue « plurielle par nature » (p. 115).
Gilles Souffi et Marc Arabyan racontent leur expérience à coté d’Alain Rey : le premier retrace pour les lecteurs l’aventure que fut l’écriture à six mains de l’œuvre Mille ans de langue française. Histoire d’une passion qui permet aux français de disposer d’un livre concernant l’histoire
de leur langue tout à fait original dans le paysage éditorial ; le second raconte son expérience comme rédacteur extérieur du Robert Micro de 1986 à 1988, qui, comme il le dit précisément, « ne fait que quelques lignes sur [son] CV mais a autant compté dans [sa] formation en sciences du langage que le cursus de français moderne suivi en Sorbonne avant mai 1968 » (p. 153).
Françoise Guerard célèbre le Dictionnaire du français non conventionnel qu’Alain Rey élabore de façon astucieuse au point de devenir pour tout le monde « Le non-con » (p. 144). Jean-Claude Corbeil, de sa part, parcourt les étapes les plus significatives de leur « amitié linguistique » (p. 165). Foudil Cheriguen raconte, avec nostalgie, le séminaire de lexicologie à l’Institut de Linguistique et de phonétique, en mars 1978, en présentant Alain Rey professeur comme « un homme aussi savant et érudit que modeste dans son comportement » (p. 189).
Laurent Catach, Antoine Perraud, Giovanni Dotoli et Christophe Rey s’amusent à définir le maître d’œuvre du Robert respectivement « funambule de la langue française » (p. 147) ; « le nec plus ultra » (p. 163) ; « l’étoile du dictionnaire » (p. 183) ; « l’homme du dictionnaire » (p. 187).
Bruno de Bessé présente Alain Rey terminologue, figure sans aucun doute moins connue mais également importante, si l’on pense à l’apport de ses études dans cette discipline linguistique. Dix lignes, à peine, sont suffisantes à Marc Lecarpentier pour fournir l’image d’Alain Rey gourmet qui « se nourrit de mots comme de truffes » (p. 195). François Morel, a propos des mots, se demande, de façon ironique, si Alain Rey peut être considéré comme le gardien de ces zoos ouverts de mots que sont les dictionnaires (p. 198).
Le poème L’après-midi à Ugarit de Salah Stétié complète cet intéressant manuscrit que l’on conseille à tous les amoureux de la langue française et aux passionnés de lexicographie. Une fois le livre refermé, la tentation de le relire immédiatement n’est pas à exclure.
Giuseppe Cappiello
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
François Gaudin (dir.), La Rumeur des mots, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2013, 140 p.
Ce recueil, dirigé par François Gaudin, rassemble les versions écrites d’une série de cinq conférences organisées à Yvetot, en 2011, et portant sur les grandes questions linguistiques contemporaines. La coexistence des langues en Europe, la modernité du français, l’avenir des sept milles langues de la planète et les effets de la mondialisation sur l’extinction de certaines d’elles, la fabrication d’un dictionnaire et les mots de la bande dessinée à travers les aventures de Tintin, sont les thèmes abordés par les conférenciers qui proposent leurs réflexions pour un public pas nécessairement de linguistes ou de spécialistes.
L’angliciste Claude Truchot, dans son essai au titre Les langues, un problème européen, analyse la question linguistique au Vieux Continent. Après un bref aperçu sur les moments clés de l’évolution des langues en Europe, et en particulier l’émergence et le renforcement, au xixe siècle, de la notion de langues nationales, l’auteur prend en considération les conséquences linguistiques de la construction européenne à partir du Traité de Rome (1957), au lendemain duquel « toutes les langues nationales et officielles des États deviennent langues officielles et de travail de la Communauté Européenne » (p. 26). Malgré ce régime linguistique, qui semble garantir l’idée d’une Europe multilingue, dans les faits, l’anglais, au cours des décennies, s’est imposé comme langue de travail tant au sein des institutions communautaires que dans les entreprises. Face à cette considérable fracture linguistique entre une seule langue majeure et les autres langues mineures et au risque conséquent de « langue unique » (p. 38), s’imposent, selon Truchot, des politiques qui doivent promouvoir l’usage des langues nationales dans différents domaines tels que l’enseignement, le commerce et le monde du travail.
Si l’anglais se voit décerné le label de global language pour sa souplesse et capacité de s’adapter continuellement, le français est, lui aussi, « capable de dire les réalités modernes ? » (p. 44). Loïc Depecker s’interroge sur la modernité de la langue française en louant le Québec où « il suffit de mettre le pied pour sentir ce que veut dire langue de la modernité » (p. 44). Dans ce coin d’Amérique du Nord, les politiques linguistiques ont encouragé une incessante créativité lexicale qui a permis à la langue de mêler les vieux mots à la modernité d’aujourd’hui. Cela témoigne
que la langue française a les moyens pour développer sa propre néologie et pour s’affirmer comme une langue vivante et en évolution constante, contrairement à l’idée d’une langue destinée à un déclin inévitable diffusée par ses Cassandres.
L’avenir de la langue française et des autres langues de la planète, bien moins questionné que leur passé, est au cœur de la contribution de Louis-Jean Calvet. Au moyen de données, chiffres et tableaux, il représente, de façon exhaustive, la situation linguistique des cinq continents. Sur le plan quantitatif, à cause du phénomène dit « glottophagie » (p. 73), il est vraisemblable, selon Calvet, que la diversité linguistique s’amoindrira et que les locuteurs des « petites » langues passeront aux « grandes » langues telles que l’anglais, le chinois, l’espagnol et le français. Sur un plan qualitatif, par contre, les locuteurs de ces langues ne les parleront plus de la même façon. L’exemple des néologismes est, à ce titre, frappant : les néologismes verbaux français sont aujourd’hui tous du premier groupe, avec une finale en –er (solutionner pour résoudre).
La langue progresse, le vocabulaire évolue, les façon de parler aussi. Cela implique, évidemment, que le dictionnaire soit en mesure d’enregistrer la diversité et la variabilité de la langue dans le temps (« diachronie »), mais aussi dans l’espace géographique ou régional (« diatopie »), dans l’espace social (« diastratie ») ou encore dans le registre stylistique selon la situation (« diaphasie »). Très intéressant est, à ce propos, l’ouvrage de la lexicographe Françoise Guerard qui répond à la question Comment s’élabore un dictionnaire ? en fournissant aux lecteurs des informations très instructives sur l’univers dictionnaire et, en particulier, sur la chaîne rédactionnelle et éditoriale qui conduit à l’impression de « ces bons vieux parallélépides rectangles en papier » (p. 77).
Pour terminer, Pierre Fresnault-Deruelle, en s’éloignant des thèmes traités par ses collègues, analyse les bulles de la bande dessinée à travers une variété d’exemples tirés des Aventures de Tintin créées par le dessinateur belge Georges Remi, dit Hergé. Elles se prêtent, dit l’auteur, à trois fonctions en particulier : la communication, c’est le cas des questions-reponses ; l’émotion extériorisée, ce peut être l’injure ; l’émotion intériorisée, autrement dit « retentissement antérieur » (p. 115).
Dans les cinq articles, soigneusement écrits par les meilleurs spécialistes de différents domaines, de la terminologie à la lexicographie, le lecteur, qu’il soit spécialiste en linguistique ou non, trouve les réponses
à tout ce qu’il a toujours voulu savoir sur les langues. C’est le point de force de ce recueil qui, simultanément, accueille des idées nouvelles, invite des lectures futures ou des découvertes à faire.
Giuseppe Cappiello
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Jacques Poirier, Petit dictionnaire du charlatanisme médical, Paris, Hermann, 2011, 196 p.
Ce dictionnaire de J. Poirier est un ouvrage curieux et très intéressant. Les rapports déjà complexes entre la médecine et le charlatanisme ou mieux, au pluriel, les médecines et les charlatanismes, sont déclinés dans leurs acceptions multiples : non seulement l’opposition entre médecine populaire et médecine savante, mais aussi l’opposition entre médecine officielle, médecines parallèles, médecines alternatives, thérapies non conventionnelles. Le point de vue développé dans ce dictionnaire est centré sur le moment présent, « sur l’état actuel des choses (tout en soulignant brièvement les racines historiques de ce présent) » (p. 8). Les pratiques et les théories exposées concernent l’Occident chrétien, en excluant par exemple les traditions culturelles et religieuses de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Inde.
Le panorama donné dans ce petit dictionnaire est général et non exhaustif. Nous allons fournir des exemples d’entrées pour illustrer la complexité et la richesse du parcours proposé par Poirier. Dans l’entrée « automédication » (p. 21), après un abrégé de l’histoire de la pratique, relevant des médecines parallèles, surtout quand elles s’inscrivent dans les activités et les prescriptions des sectes, l’auteur se demande ce qu’il est, aujourd’hui, en France, de l’automédication. Le décret officialisant la vente en libre-accès dans les pharmacies de quelques deux-cents médicaments dits de prescription médicale facultative paraît en juillet 2008. L’auteur se penche donc également sur la législation et sur les plus récentes dispositions gouvermentales en matière de soin et de cure.
L’histoire aussi joue un rôle de premier plan, surtout lorsqu’il s’agit de l’histoire de France. L’entrée « Rois thaumaturges » (p. 131) est un excursus historique mais aussi sociologique et culturel, qui s’appuie sur l’étude fondatrice de Marc Bloch, parue en 1924, Les rois thaumaturges justement. La croyance dans la formule « Le roi te touche, Dieu te guérit » a porté des dizaines de milliers de malades, jusqu’à la Révolution française, à se soumettre au toucher du roi.
L’entrée « Quinton » (p. 123) est consacrée par exemple à un personnage dont l’activité n’est pas directement liée au « charlatanisme ». Cependant, biologiste autodidacte, René Quinton ne jouit jamais de la confiance de l’establishment de la médecine. Quinton, cependant,
après l’ouvrage monumental L’eau de mer, milieu organique (1904), peut vraiment être considéré comme le père de la thalassothérapie, qui ne voit le jour officiellement que dans les années 1950. Les dispensaires marins qu’on avait ouverts avant la première guerre mondiale ferment tous après 1918 et Quinton et ses idées tombent dans l’oubli.
L’entrée la plus complexe, la plus riche, la plus diversifiée, concerne le charlatanisme, qui se décline en « Charlataneries », « Charlatanisme (définition du) », « Charlatanisme (répression du) », « Charlatanisme innocent », « Charlatanisme médical », « Charlatanisme médical (avenir du) », « Charlatanisme de l’immortalité » (p. 30 et suiv.). Les entrées examinent la question de la naissance du mot (né au xvie siècle) au nombre élevé de ses dérivés, qui prouvent l’abondance des emplois et des nuances du mot dès qu’on parle de médecine. Les dictionnaires (Calepin, mais aussi Furetière, Littré et d’autres) sont aussi examinés pour leur niveau lexical ; la jurisprudence, surtout les lois promulguées pendant la Révolution française, est aussi prise en compte. La situation contemporaine ne manque pas de jouer un rôle de premier plan. La situation des acupunteurs non-médecins, par exemple, est examinée : ils tombent sous le coup de l’exercice illégal de médecine, même s’ils sont titulaires d’un diplôme d’acupunture français ou étranger.
Ce petit dictionnaire, visant à informer mais aussi à présenter une série de problématiques qui touchent notre société dans son entier, n’empêche pas d’éviter les déceptions, car le charlatanisme est une attitude personnelle, et car il y a aussi des docteurs en médecine charlatans. Néanmoins, ce riche panorama, qui a le privilège de la clarté et qui aide le lecteur par une table finale des entrées (p. 191-196), s’appuie sur une bibliographie rigoureuse (p. 166-189) qui étonne et surprend par son ampleur et qui transforme un ouvrage fluide à lire, un ouvrage de divulgation scientifique, en véritable essai académique.
Concetta Cavallini
Université de Bari Aldo Moro
Collection « Les Mots », dirigée par Jean Pruvost, Paris, Champion, 6 dernières parutions.
Jean Pruvost est une force de la métalexicographie et de l’amour infini pour le mots. C’est pourquoi il se définit comme un dicopathe. Sa belle collection « Les Mots » continue son heureuse marche, sous sa merveilleuse direction. Six autres volumes viennent de paraître. Pour moi c’est un véritable plaisir d’en faire le compte rendu :
1. Amélie Rozet – Jean Pruvost, Le train, « grâce auquel l’homme n’a plus rien à envier aux poissons et aux oiseaux », 2012, 140 p.
Imaginons un instant ce qui s’est passé au moment de… l’arrivée du train. On voyageait à cheval : c’était le moyen de locomotion le plus rapide. Une vingtaine de km par jour, au maximum. Puis, en 1825, voilà l’une des grandes révolutions de la modernité : le train. Les premières vitesses sont déjà de l’ordre de 50-80 km l’heure. Le voyage moderne vient de commencer. L’homme ne sera plus comme avant. Amélie Rozet et Jean Pruvost observent que le mot train vient du verbe traîner. Mais ce mot signifie plutôt tirer, il est vrai la « file de choses » en mouvement dès le xiie siècle, puis à partir du xve, la « partie de la voiture à cheval à laquelle sont attachées les roues ».
Dans les années 1820, il y a presque deux siècles, il arrive un miracle. Apparaît la machine locomotive, qui tire les voitures et les wagons vers le rêve et vers la vie, le travail, le divertissement, la rencontre secrète ou publique. Au fur et à mesure, le train accompagne la marche du modernisme, jusqu’à défier l’avion, en devenant il y a quelques années le TGV, un sigle qui file comme le vent, par monts et vallées, à 300-400 km l’heure. Dès 1870, on observe que le train abrège « le temps et l’espace ». Pierre Larousse consacre 25 pages de son Dictionnaire universel du xixe siècle à l’article chemin de fer, et pour cause !
Ce livre d’Amélie Rozet et Jean Pruvost est un trésor des mots et des expressions du train. Il raconte deux siècles de langue française transportée sur les chemins de fer. Le train, observe un dictionnaire du xixe siècle, transporte « d’un pôle à l’autre, plus vite que ces énormes cétacés qui traversent les océans des deux mondes ».
« De train en train », de la constitution du réseau d’État à demain, ici on fait cap sur le xxie siècle, via des noms célèbres : L’Orient-Express, le
Transsibérien, le Train bleu, l’Eurostar, à grande vitesse, mais en ayant toujours le temps de rêver.
2. Jean Pruvost, Le cirque, « féerie…, qui me jette dans un état d’émotion étrange », 2013, 142 p.
Jean Pruvost est le chevalier de la féerie des mots. Il ne pouvait pas ne pas consacrer un livre au cirque. La vie est un cirque, dont nous sommes les clowns. Dans le Dictionnaire de l’esprit, Sim s’exclame : « Quand j’étais jeune, je voulais être ministre ou clown. J’ai choisi la deuxième option car je suis un garçon sérieux ». Flaubert lui-même, il y a un siècle et demi, dans le Dictionnaire des idées reçues, se fait le porte-parole du « clown, disloqué dès l’enfance » dans l’être humain.
Dès l’Antiquité, l’homme joue sur la scène du monde, qui est une arène, par photogrammes ludiques et voltiges, à l’aide de quelques fauves. Le cirque a quelque chose de Circé. Spectacle et magie, activités équestres et envols, actions impossibles et oniriques. Les enfants et les adultes l’aiment de la même passion. Et voilà donc « une grande famille de mots », avec « le cirque dans tous les sens ». Nous avons des cirqueux, des circassiens, des circomanes et des circonautes. Toute une batterie de mots dans ce monde de saltimbanques, cette figure fondamentale de la poésie, comme l’ont bien compris Guillaume Apollinaire et Jean Starobinski.
L’homme est un acrobate sur terre et au ciel. Il est jongleur, dompteur, dresseur et écuyer, magicien, illusionniste, prestidigitateur et acteur de soi-même. Il doit agir comme dans un univers féerique. C’est parce que le cirque conduit au rêve.
L’homme est un funambule. Funambule aussi des mots, qui voltigent acrobatiquement au ciel. Jean Cocteau définit le cirque comme un « cerf volant sur ses voiles ». Cerf-volant aussi des mots : à consulter l’Index des mots (et des noms propres), dans ce livre. Quelles surprises : antipodiste, avant-courrier, banquiste, chambrière, gardine, promenoir, requisit, verdine…
3. Michel Legrain, Un doudou pour bébé. Les mots à redoublement pour bêtifier avec les tout-petits, préface de Claude Hagège, 2013, 142 p.
Mon ami Michel Legrain est un autre grand représentant de l’ordre des chevaliers des mots. Il les aime comme des pépites, avec les mythes dont ils sont les porte-paroles. Il a fait des dictionnaires de l’Olympe,
de la Bible, du christianisme, et des guides (dictionnaires) du paradis et de l’enfer !
Michel Legrain nous rappelle que quand un bébé naît, il se trouve dans un monde des mots de la langue « maternelle », qui sera l’acte de ses liens progressifs avec le monde. Parents et bébé inventent des mots d’affection, onomatopéisent la communication.
Une centaine de mots va tout dire de la vie essentielle, pour l’ingestion, la digestion, l’excrétion, le jeu, la promenade, le plaisir, la souffrance, la tendresse, la bouffe, la façon de dialoguer avec les proches. Le mot du bébé et de ses parents procèdent par merveilleux doublements : dondon, mamie, dada, lolo, coco, popotin, bobo, aglagla, doudou, gouzi-gouzi, hou hou, kiki, nounou, quéquette, ronron, vroum vroum, zaza, zézette, zizi, zozo, mimi, miam miam, pépère, tata, tonton, bonbon, caca, cracra, toutou…
L’enfant parle comme les oiseaux, comme les vents, comme les vagues de la mer. C’est un peu ce que disait Jean-Jacques Rousseau. Écrivains, romanciers, poètes et chansonniers puisent dans ce monde de mots, pour en garder l’ingénuité et l’innocence, la fraîcheur et la poésie. Ce livre est une mine d’importantes citations, toutes à lire et relire.
C’est un immense univers lexical, présenté avec aisance et joie, dont les sources viennent de très loin, d’un monde indo-aryen, africain, amérindien. Mots d’adultes plus que mots d’enfants. Ce sont eux qui le créent, au fond, en redevenant des enfants, dans la certitude que le mot est le centre de la vie, au moins de sa découverte innocente.
Les saveurs d’enfance nous enivrent, en parcourant ce dictionnaire unique au monde. Mes plus beaux compliments à l’auteur et au directeur de la collection.
4. Patrick Rambourg, À table… Le menu qui « aligne autant de mets que de vers un sonnet… », préface par Pascal Ory, 2013, 128 p.
Patrick Rambourg est un spécialiste reconnu de l’histoire de la cuisine, une véritable passion, qu’il hérite de son père, un important restaurateur. C’était donc la personne la plus à même pour partir à la chasse au menu, comme si la vie était un grand repas convivial.
Patrick Rambourg part ainsi à la genèse du mot menu, et de son histoire. Des premiers menus du Moyen Âge, le voilà quitter la cuisine et se faufiler dans la salle, en devenant non seulement une liste de
mets, mais aussi un mémoire de convivialité, de gastronomie, parfois un support publicitaire et artistique.
C’est une histoire inédite du menu qui nous accompagne, le long de l’évolution culinaire et des mœurs de table, et des pratiques alimentaires et gastronomiques. Nous apprenons que le menu est « le mémoire de ce qui doit y entrer » (Grimod de la Reynière, 1808).
Des illustrations surprenantes, un index et une bibliographie très utile nous font voyager aux menus d’autrefois et de notre époque. Ce sont les étapes d’une culture, celle de la table. À la carte ! Il faut choisir. Et ce n’est pas uniquement un choix de plats, mais aussi de mots, que l’on goûte avant le repas lui-même. Un Consommé printanier a quelque chose de la rose. Et si la typographie est artiste, alors on va rêver, par mots et par matière alimentaire.
Il y a une grammaire du menu ! Des menus de la norme, de tous les jours et des grandes et uniques occasions, des artistiques et des publicitaires. On peut brillamment étudier l’histoire au fil des menus, et découvrir une patrimoine de mots et de vie. Bon appétit et bon rêve !
5. Jean Pruvost, Le jardin, « qui repose l’œil sans l’égarer », 2013, 144 p.
Jean Pruvost le sait très bien. Un dictionnaire – tous les dictionnaires qu’il possède le confirment – est une jardin des merveilles : le jardin de tous les mots du lexique. Une grande partie de l’histoire du dictionnaire est dans ce mot, qui concerne de nombreux domaines, la terre, le ciel, l’air – et même le feu –, l’architecture, les plantes, en un mot l’ordre et le désordre de la nature.
En 1539, Robert Estienne traduit le mot jardin par le mot latin Paradisus ! Le jardin est un paradis, de mots et de vie. Et nous comprenons pourquoi il doit être récréatif, potager, médicinal et rapporte-fruit, et naturellement heureux.
C’est un endroit « démocratique ». Tout le monde a le droit de s’y promener, d’en savourer les plantes et les mots qui les expriment. Les proverbes et les dictons, les sentences et les maximes, et une fabuleuse liste de citations littéraires et de dictionnaires, nous en disent de belles choses, autour du jardin.
Jean Pruvost s’y promène comme dans une nomenclature de dictionnaire. Il sait que signifie faire comme le chien du jardinier, ou jardiner les oiseaux sur des billots. Tout jardin, de celui du curé à celui d’un paysan, de
celui du roi à celui des délices, et même à celui des supplices, en passant par les nationalités civilisationnelles – jardin français, italien, anglais, japonais, arabe –, est un lieu d’agrément de l’esprit, de la vie et des mots. Delille affirme qu’« un jardin à mes yeux est un vaste tableau ». C’est pourquoi le dieu des jardins ne peut qu’être Priape !
André Gide a raison : « Ah ! quelle bonne école qu’un verger, qu’un jardin ! » (Les Faux monnayeurs). Le jardin c’est l’agrément, la joie, la folie. Les mots qui le disent font de même. Ainsi le jardinier se fera-t-il paysagiste, comme l’auteur de ce livre, devenu le paysagiste attitré des mots, et de leur classement dans le dictionnaire, par émissions, colloques – il a inventé la Journée des Dictionnaires – et livres et articles.
Ainsi le jardin ne peut-il pas ne pas prendre la connotation du mythe : il sera d’Adonis, de l’Académie, d’Armide, des délices, d’Éden, d’Épicure, des Oliviers, des Hespérides.
Le jardin c’est le symbole de notre vie. Ses mots aussi.
6. Jean Pruvost, À vélo ou à bicyclette, nom d’un tour !, 2014, 142 p.
Encore un livre de Jean Pruvost. Cette fois-ci c’est l’amour pour le vélo – à lire son émouvante préface – qui le pousse à aller en arrière, dans les nuit des temps de l’invention de la bicyclette.
Ainsi Jean Pruvost nous rappelle-t-il qu’en 1873, dans son Dictionnaire de la langue française, le grand lexicographe Émile Littré n’enregistre pas le mot bicyclette, mais le mot vélocipède, « sorte de cheval de bois, posé sur deux roues, sur lequel on se mettait en équilibre ». Mais il ajoute, en annonçant l’avenir : « Dans le vélocipède moderne les pieds sont posés sur des étriers en forme de manivelle qui font tourner la grande roue, et donnent une grande vitesse ». Un moyen de locomotion, donc, qui donne de la vitesse en se servant des pieds : véloci + pède. En effet, le mot vélocipède dérive du latin velox, rapide + pes, pied.
Dès 1905, dans le Petit Larousse, le mot bicyclette entre dans le patrimoine linguistique et social de la modernité. On y apprend que c’est un « vélocipède à deux roues d’égal diamètre [mais, avant, la roue avant était beaucoup plus grande que la roue arrière], dont la seconde […] est mise en mouvement par une chaîne ». On apprend qu’il y avait aussi une bicyclette de l’avenir, sans chaîne, l’acatène, bien sûr !
Imaginons la révolution suscitée par la bicyclette. Les pauvres aussi avaient désormais droit à la vitesse, par leurs pieds. Puis le Tour de France,
avec d’autres tours en Europe, par exemple celui d’Italie, va favoriser la naissance du mythe de la bicyclette et de ceux qui l’utilisent, en grimpant les montagnes de France, Anquetil, Coppi, Bartali, Nibali, le tout dernier.
Les écrivains vont faire de la bicyclette l’un des mythes de la nouvelle vie. En annonçant tant de chansons, dont celle d’Yves Montand (À bicyclette), Marcel Proust écrit qu’il est fasciné par « la jeune fille à bicyclette ». Émile Zola, Alfred Jarry, Maurice Barrès, Céline, Georges Courteline, Raymond Queneau, Alain Robbe-Grillet, Colette, Claude Simon, Georges Duhamel, Jules Romains, Antoine Blondin, René Fallet, André Gide, Simone de Beauvoir, font l’éloge de la bicyclette. Simone de Beauvoir écrit en 1954, dans Les Mandarins : « Ça a son charme la bicyclette. En un sens, c’est mieux que l’auto. On allait moins vite ; mais les odeurs d’herbe, de bruyère, de sapin, la douceur ou la fraîcheur du vent vous pénétraient jusqu’aux os ».
Ce livre nous amène par les champs et la poussière des anciennes routes, par ses mots nouveaux, de bicycle à vélo à bécane. On invente ou on utilise des mots déjà existants adaptés à la bicyclette : bec de selle, braquet, cadre, cale-pied, catadioptre ou cataphote, chaîne, dérailleur, fourche et jambage, garde-boue, guidon, jante, pédale, pignon, plateau, pneu, rayon, roue libre, timbre, biclo, cale-pied, cheval de fer, gouvernail, quadricycle, rayon, selle, tricycle, vélorizontal.
Le vélo fait partie de la vie de tout le monde, depuis plus d’un siècle. Il appartient à la mode, à la modernité, à l’amour, à la société. Ses mots aussi, les anciens et les nouveaux, en faisant rêver les pauvres et les riches, ensemble, tous à – ou en ? – bicyclette.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Alain Rey, Dictionnaire amoureux du Diable, dessins d’Alain Bouldouyre, Paris, Plon, 2013, 984 p.
Voilà un livre que l’on n’attendait pas, surtout de la part du plus grand auteur de dictionnaires de notre époque, Alain Rey, rédacteur et directeur de presque tous les dictionnaires Robert, notamment Le Petit Robert et Le grand Robert de la langue française en 9 volumes, et directeur des monumentaux Dictionnaire historique de la langue française, récemment augmenté d’un tiers, et Dictionnaire culturel en langue française. Sans oublier, naturellement, dans cette même collection, le précieux Dictionnaire amoureux des dictionnaires, paru en 2012, une somme fondamentale de l’histoire des dictionnaires, surtout de ceux de la langue française.
Alain Rey m’avait souvent parlé de cette entreprise, parce que le diable me passionne depuis les débuts de ma carrière de chercheur, étant donné que j’ai consacré mon premier livre, Situation des études bloyennes, Paris, Nizet, 1970, à un écrivain, Léon Bloy, dont l’œuvre est à tout moment en lien direct avec le Diable. Mais cette richesse – un livre de presque mille pages, que l’auteur a dû abréger, pour des exigences éditoriales – est une merveilleuse surprise. Il n’y a pas de domaine de la diablerie qui soit absent dans ce dictionnaire. De Abbadon à Zombis, le Diable traverse toutes les lettres de l’alphabet, en parcourant l’histoire, la littérature, la musique, les arts, le cinéma.
Diable ! ou Diantre !, si l’on veut. Parce que le Diable fait partie de la vie, de notre vie. Il se présente sous toute sorte de forme dès la nuit des temps. Mais c’est le Christianisme qui d’esprit malfaisant le transforme en Diable, celui que l’on connaît depuis deux millénaires.
Héritier du Serpent et des Satans de la Bible, le voilà occuper un rôle stratégique dans la dynamique des signes de la vie humaine. Il devient le symbole du mal, le débouché de toutes les diableries de l’être humain. Oui, l’homme avait besoin du Diable, d’un être qui attire dans son corps tout le mal du monde. Un monde binaire : d’un côté le Bien – Dieu, de l’autre l’anti-Dieu, ou l’Antichrist ou Antéchrist, le Mal.
Moins on le voit, plus on l’imagine dans son action négative, plus les signes du Diable avancent. Le Diable est tout : plaisir, interdit, malheur, péché, bourreau, victime, fantasme. Sa figure est là, devant nous, pour nous tenter, nous conduire sur la mauvaise route. Les écrivains ont besoin de lui. Chrétiens ou athées, avec leurs camarades les musiciens
et les artistes, ils lui donnent un rôle central : il est le roi de l’Enfer, et même du Purgatoire, tandis que Dieu est le roi du Paradis.
Le Diable a ses amies et ses amis et ses admiratrices et ses admirateurs, les sorcières, les vampires, les endiablés et les endiablées. Il est combattu, exorcisé, aimé et même adoré. Les satanistes l’appellent au secours du monde, pour contraster le Bien, trop envahissant. Tentateur de notre âme, opposé des Anges – il paraît qu’il est un ange déchu, un signe de première importance –, il est le prince de l’Apocalypse.
Balzac, Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Bernanos, Bloy naturellement, Bodin, Byron, Carducci, Cazotte, Cecco d’Ascoli, Chateaubriand, Dante, Defoe, Flaubert, Goethe, Hugo, Huysmans, Pierre de Lancre, Marlowe, Michelet, Milton, Nerval, Nodier, Papini, Rapisardi, Rimbaud, Rops, Sand, Torquato Tasso, Vigny, Walpole : voilà des écrivains qui placent le Diable au cœur de leur œuvre.
Ce Dictionnaire amoureux du diable est une mine pour comprendre une partie essentielle de la vie des hommes, partout dans le monde, parce que toute religion a son Diable, même si on l’appelle différemment. Toute religion a sa chasse aux sorcières, ses démons et même ses diablesses, avec quelques diablotins, des faunes et des Faust, des dragons, des mages, des Méphistophélès, des actions sataniques, des serpents, des ténèbres et des tentations. Le pape François lui-même, auquel Alain Rey consacre une entrée, cite souvent le Diable, comme le centre du Mal de notre époque. Dans un de ses premiers discours, sans le citer, il a utilisé une expression diabolique de Léon Bloy.
Alain Rey nous offre là le plus beau roman du Diable, de la souffrance, du mal, du mythe du démon et de ses signes. Oui l’homme a besoin du Diable. Il voyage sur le double. Son double est un -anti, un bouc, un émissaire élu, méchant et hideux. « Émissaire du désir, le tentateur » (p. 8) par excellence, le Diable séduit et amène inéluctablement sur la voie du péché.
« Le Mal est en nous, autour de nous ; le diable, invention admirable, est là pour l’assumer, l’éloigner, le sortir de ses repaires » (ibid.). « Le diable est un grand exorciste ; y croire peut conduire au terrorisme comme à la sainteté » (ibid.). N’est-ce pas une invention de l’homme, qui concentre ses pouvoirs en Dieu et ses méfaits dans le Diable ? Il y a d’autres dictionnaires du Diable, mais celui-ci d’Alain Rey est un chef-d’œuvre, un racontar du Bien et du Mal, un dialogue avec tous ceux qui ont voulu traiter ce sujet profond et compliqué.
N’est-ce pas la révolte de l’homme contre Dieu, que représente le Diable ? Il fascine artistes, gens de lettres et musiciens, parce qu’il donne une voix aux abîmes les plus abscons de l’être humain. Sous les signes par exemple de Faust et de Dom Juan, il se présente parfois comme un géant, un être à aimer, l’interdit que l’enfant va pénétrer le premier. Il aura du temps pour le Bien.
Après ce Dictionnaire amoureux d’Alain Rey, le Diable est plus humain. Il nous accompagne dans nos désespoirs, dans notre méchanceté et dans notre tromperie.
Au fond, et c’est le sens de ce monument, le Diable c’est notre partie cachée, sublime et interdite, le lieu de nos ténèbres, dont nous avons peur, mais que nous aimons, parfois plus que la lumière.
Alain Rey confirme la valeur des mots. Le mot Diable et tous les mots de son entourage, font un immense lexique du mal, qui nous appartient, tout le temps.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Alain Rey, Le Voyage des mots. De l’Orient arabe et persan vers la langue française, calligraphies de Lassaâd Metoui, Paris, Guy Trédaniel Éditeur, 2013, 446 p.
Quel monument d’art et à l’art, ce livre grand format, qui nous fait rêver dès la couverture. Rêve de voyage des mots, rêve de richesses de l’Orient dans la langue française, rêve d’un trésor lexical qui marque à jamais la langue française.
Les entrées de ce « dictionnaire » choisies par Alain Rey, et les calligraphies de Lassaâd Metoui sont une aventure écrito-picturale de la langue et de ses signes. Ut pictura poesis, la poésie est comme la peinture, observe le poète latin Horace il y a deux mille ans. Léonard de Vinci dira quinze siècles après que la peinture est de la poésie vue. Rey et Metoui brassent Horace et Léonard. Les textes du premier sont des poèmes en prose de la langue, les dessins du second sont des flèches d’art, des graphies à la Marc Chagall peintes à la façon arabe et arabesque.
En parlant français, sans le savoir, nous parlons aussi un peu arabe, persan et turc. Ce livre magique nous apprend que les mots voyagent avec les hommes. Et quels mots ! Ce ne sont pas des mots à tout faire, des termes fixes à ne pas toucher, c’est des éclairs, des illuminations de la vie, qui concernent tout domaine de la poésie du monde. Oui de la poésie. Il n’y a qu’un poète de la langue, Alain Rey, qui aurait pu inventer ce voyage, et l’illustrer de mots, à l’unisson avec l’art du calame d’un artiste arabe.
Le Ciel et la Terre se marient, en invitant à leurs sublimes noces les sciences, les croyances, les substances de la nature, les vêtements, les étoffes, la paix et la guerre elle-même, enfin un vaste champ de notre expérience. J’ai publié en 2010 un livre intitulé, Le français langue d’Orient ?, chez Hermann. Alain Rey va bien au-delà. Il dévoile l’origine orientale de nombreux mots, sous le signe de la poésie et de l’art. Même les signes les plus familiers entrent en un système esthétique onirique. C’est comme si Orphée avait lui-même tracé le voyage de ces mots. Orphisme linguistique, sagesse lexicale qui vient d’Orient et s’adapte à la belle langue française comme du miel et de l’or.
On dirait qu’il n’y a pas de domaine de la vie, ou plutôt de l’art de la vie, qui ne soit pas touché par l’aventure de mots arabes, persans et turcs, surtout les premiers. La mer, l’océan, les mathématiques, les bijoux, le trafic des marchandises, le confort, la maison, parlent souvent arabe.
Voyage des mots et des hommes, oui, semblent nous communiquer Alain Rey et Lassaâd Metoui, mais aussi et surtout voyage des rêves. Et voilà que les mots chiffre, zéro, azur, abricot, élixir, ambre, zénith, magasin, sofa, matelas, châle, jupe, coupole, masque, mascarade, partent à l’aventure, en terre de France, où le rêve originel se fait voyage, art, touche plasticienne et calligraphique.
Dans ce livre, l’Orient et l’Occident se marient, se brassent, sont en parfaite harmonie. C’est une symphonie arabesque qui se joue sur les chemins mystérieux de la vie, sur la route de l’esprit.
C’est une leçon, une grande leçon de nos jours, où au Moyen-Orient on se bat pour un rien, en Syrie, en Irak, en Iran, au Liban, en Israël, dans la bande de Gaza, en oubliant le brassage originel. Le Voyage des mots est beaucoup plus qu’un voyage de mots. C’est une émigration-immigration d’une immense civilisation. Les mots se transforment en êtres vivants. Leurs signes transmettent une énergie vitale, un imaginaire perpétuel, un lien très fort avec un livre des livres, le Coran, que je considère, mise à part sa valeur spirituelle, profondément spirituelle, comme l’un des poèmes en prose les plus beaux que l’on ait pu écrire. Arthur Rimbaud l’a bien compris. Il s’en inspire tout le temps – quelle merveilleuse recherche on pourrait conduire dans ce domaine-là.
Alain Rey nous rappelle que dans le mot arabe il y a deux connotations fondamentales : nomade et désert. Nomadisme méditerranéen, nomadisme de peuples qui emportent avec eux l’histoire et ses mots les plus à même de désigner. Ce patrimoine oriental est très signifiant. Il ne confirme pas seulement la marche de l’Islam, mais des liens profonds avec une très vaste région, qui va de la Chine jusqu’aux limites extrêmes de l’Empire ottoman. « De tous ces lieux civilisationnels, des signes vont émigrer, souvent par des intermédiaires, le grec alexandrin et byzantin, le latin de l’Empire romain puis de la chrétienté médiévale, les langues romanes, espagnole, italienne, provençale, catalane, portugaise… vers le reste de l’Europe » (p. 10). Et il y a aussi un voyage inverse, de la langue française vers ces langues-là.
C’est un voyage de « significations » (p. 12). Ainsi des mots qui nous paraissent bien français révèlent-ils leurs origines, et leurs voyages : houle, oasis, hasard, risque, alchimie, azur, assassin, truchement, divan, babouche, turban, sorbet, sarabande, et surtout café. Alain Rey commente avec précision et plaisir d’échange : « On le constatera souvent, le voyage des
signes, de langue en langue, de culture en culture, se fait sous deux formes : la parole, la voix humaine modulée par une langue et modifiée par celles qui la recueillent ; et aussi, exaltée ici par Lassaâd Métoui, l’écriture, la trace graphique de la voix, en langue et en écriture arabes, en un mot l’arabesque » (p. 14).
L’arabesque nous dit que la langue est souffle, spiritum latin, donc spirituel, visuel et sonorité. De l’écriture on va vers « l’art universel » (p. 15).
Le voyage des mots : un livre à lire avec passion, à caresser, à admirer, pour aller vers le voyage merveilleux et fou des signes, de la parole et de l’image. Parole-son, parole-image, couleurs qui nous enivrent, comme les voyelles coloriées d’Arthur Rimbaud, sous le « Ciel visible » (p. 17 et suiv.) de nadir, azimut, almanach, « La mer, le désert » (p. 41 et suiv.) de houle et de mousson, le « Petit bestiaire “oriental” » (p. 51 et suiv.) de gazelle et gerboise, les « Abstractions mathématiques » (p. 75 et suiv.) d’algèbre et sinus, la « Religion, croyances et magies » (p. 92 et suiv.) de djinns et talisman, « De l’alchimie à la chimie » (p. 113) d’élixir et alcool, « Le monde sensible : matières et couleurs » (p. 139 et suiv) d’ambre et maroquin, les « Commerces et échanges » (p. 165 et suiv.) de bazar et souk, « De l’Orient arabe aux ports italiens : l’arsenal et la darse » (p. 183 et suiv.) de noria, etc.
Un monde donc fabuleux et réel, qui se déplace par mots et idées, en suivant la route de la lumière, d’Orient vers l’Occident.
Merci Alain Rey de ce voyage de rêve. Le lecteur va l’accomplir à toute page de ton livre, enivré par les couleurs de Lassaâd Metoui.
Giovanni Dotoli
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Denis Saint-Amand, Le Dictionnaire détourné. Socio-logiques d’un genre au second degré, préface de Marc Angenot, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, 286 p.
Divisé en huit chapitres – Du modèle dictionnairique à son détournement, Le dictionnaire au xixe siècle, Le dictionnaire au service de la presse, Le fer et l’airain : contre-lexiques du pouvoir, Définir et défier la doxa, Du portrait au dictionnaire, Recensement et définitions, Glossaires « pour rire » ?, – et préfacé par Marc Angenot, ce livre est issu d’une thèse de doctorat en Langues et Lettres présentée à l’Université de Liège et réalisée dans le cadre d’un mandat d’aspirant du Fonds national de la Recherche Scientifique (FRS –FNRS).
Tout au long de cet ouvrage, l’auteur met en évidence que le xixe siècle est l’âge des dictionnaires – il suffit de songer à Bescherelle, à Littré, aux éditions successives du Dictionnaire de l’Académie, au Dictionnaire universel des contemporains de Vapereau, au Grand Larousse, aux dictionnaires des dialectes et des patois, aux glossaires de l’argot et des jargons –, ainsi que le siècle des parodies et des détournements littéraires du genre ou des genres lexicographiques.
En croisant des données liées au progrès de l’instruction publique, au développement du médium journalistique, à l’essor des sciences et au foisonnement des discours accompagnant celles-ci à l’aube du xixe siècle, ce volume propose une fine étude du contexte qui a favorisé le déploiement d’une pareille parodie générique. Il interroge les logiques, effets et enjeux, de ces discours aussi faussement scientifiques que véritablement satiriques. Aussi, l’auteur parvient-il à démontrer que le dictionnaire, outil métalinguistique à fonction prescriptive et normative, « s’est vu, à un moment particulier de son histoire, réinvesti par des auteurs qui, comprenant l’intérêt de sa structure et de son statut d’autorité, se sont plu à le détourner dans une perspective comique ou corrosive ».
L’auteur prouve que tout pseudo-dictionnaire est fait pour être lu – et non pas tout simplement pour être consulté – comme s’il s’agissait d’une œuvre à tous les effets. Il souligne, donc, que dans les dictionnaires fictifs « il n’y a pas que la rigolade » car il y a aussi « l’art », et, qui plus est, ces dictionnaires nous apprennent, montre-t-il, beaucoup d’éléments que les ouvrages « sérieux » ne dévoilent pas : ils contestent le monde social tel qu’il va et mettent en question le prêt-à-penser de
leur époque. De ce fait, ils deviennent une arme de critique et remettent à leur place les contemporains.
Dans cette optique, l’auteur avance que la frontière qui sépare le « vrai » dictionnaire du dictionnaire « fictif » est « d’emblée poreuse » : le Grand dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse apparaît, par exemple « avec le recul du temps, un monument de fantaisies personnelles et de digressions subjectives et polémiques », ce qui implique que les « vrais » lexicographes « se sont mis à l’école des satiristes et des littérateurs ».
C’est pourquoi, en examinant la littérature dictionnairique du xixe siècle, l’auteur incite à s’interroger, a posteriori, sur la portée effective des « présupposés idéologiques cristallisés » dans les dictionnaires contemporains et sur « leur impact par rapport à notre bien-être intellectuel et émotif ».
Les « détournements dictionnairiques » étudiés dans ce volume, parmi lesquels par exemple ceux concernant le projet de dictionnaire satirique de Flaubert, intitulé Dictionnaire des idées reçues ou Catalogue des opinions chics, et le célèbre Petit bottin des lettres et des arts, constituent des pistes importantes d’investigation pour une histoire sociale de la littérature. Ce livre fournit, en effet, une analyse rigoureuse de nombreux écrits, y compris ceux qui sont parfois injustement oubliés, et permet de réfléchir sur la façon dont les lettres, dans la première Modernité, s’emparaient du discours social pour en faire un objet d’herméneutique.
Une vaste bibliographie complète l’ouvrage.
Marcella Leopizzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Language learning in higher education. Journal of the European Confederation of Language Centres in Higher Education (CercleS), Berlin, De Gruyter edition, 2013, vol. 3, n. 1, 206 p.
Ce volume présente les résultats de la recherche sur l’enseignement supérieur des langues : l’apprentissage mixte et l’apprentissage autonome, le développement professionnel, et la « politique linguistique » de l’université. Son objectif est d’accroître la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage des programmes offerts par les centres linguistiques de l’université ainsi que par d’autres fournisseurs dans l’enseignement supérieur, en présentant de nouveaux modèles et en diffusant les meilleurs résultats des activités de recherche menées dans les centres linguistiques et dans d’autres ministères de l’enseignement supérieur.
Les spécialistes qui ont participé à la rédaction de ce numéro ont réfléchi sur plusieurs thèmes très en vogue dans les débats académiques et culturels tels que : l’importance de la présence d’écrivains universitaires multilingues (cf. l’article Bridging passion and profession : Supporting agency and investment in multilingual university writers écrit par Marlen Harrison, Maiju Uusipaikka, Annika Karinen, Tanja Räsänen, Diana Raitala, Reetta Ellonen, Hanna Huumonen et Otto Tuomela) ; la nécessité de comprendre les expériences d’apprentissage des étudiants (cf. l’article Understanding the learning experiences of postgraduate Latin American students in a UK context : A narrative approach de James Gwyneth) ; le besoin de saisir les buts spécifiques et les buts généraux dans l’enseignement supérieur des langues (cf. l’article Languages for specific academic purposes or languages for general academic purposes ? A critical reappraisal of a key issue for language provision in higher education de Christian Krekeler) ; l’urgence de définir, sur la base du Cadre commun européen (CECR) et du Portfolio européen des langues (PEL), des paramètres communs pour bien évaluer les compétences écrites et orales demandées aux étudiants qui apprennent en autonomie et en groupe une langue étrangère dans des établissements supérieurs (cf. les articles : Student writing standards : A descending spiral or a bold new direction ? écrit par Margaret McKinney et Ruben Comadina Granson, “Come and sit here next to me” : Towards a communicative assessment of oral language skills de Kris Buyse, Special features of assessment in reading comprehension in a Finnish university language centre écrit par Marja-Liisa Lehto et Minna Maijala, Establishing a Korean
language programme in a European Higher Education context : Rationale, curriculum and assessment procedures écrit par Lorna Carson et Eunjee Do) ; l’éventualité de s’appuyer sur le “blended learning” pour l’apprentissage d’une langue étrangère (cf. l’article Can blended learning aid foreign language learning ? écrit par Marta Genís Pedra et Maria Teresa Martín de Lama) ; l’obligation des centres linguistiques de répondre aux besoins des étudiants, des travailleurs et des entreprises dans une Europe multilingue et multiculturelle (cf. les articles : Meeting the needs of students, in-service workers and enterprises in a multilingual and multicultural Europe : A challenge for language centres écrit par Carmen Argondizzo et Jean Jimenez, Enhancing professionalism through collaboration between teachers and administrators in University Pedagogy courses écrit par Leena Evesti, Satu Kattainen et Johanna Vaattovaara).
Tous ces articles se caractérisent par une structuration à la fois théorique et pratique et, grâce aux nombreux exemples pris en considération, ils aboutissent à des conclusions concrètes et offrent d’importantes suggestions finalisées à explorer et à former des profils et des pratiques multilingues.
La communauté scientifique sera redevable au rédacteur en chef de CercleS, Gillian Mansfield, et à tous ses collaborateurs pour avoir bien voulu porter l’attention, dans ce numéro ainsi que dans tous les autres qui composent cette revue, sur l’apprentissage des langues dans l’enseignement supérieur et sur les aspects les plus appropriés de l’acquisition des langues étrangères à l’université : ces questions étant de plus en plus d’actualité dans le panorama international et constituant une priorité pour l’Union européenne.
Marcella Leopizzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Giovanni Dotoli, Le « Dictionnaire général de la langue française ». Une grande révolution, Paris, Hermann, 2013, 136 p.
Toute langue, qui « se révèle moins une substance qu’un processus » et qui « est moins un état qu’un mouvement1 », n’obtient sa véritable certification que dans les dictionnaires. Appelés à offrir leur « description totale, quoique imparfaite2 », « ces ouvrages aux tirages impressionnants, insérés dans la pratique didactique », sont consultés de nos jours « comme des horaires ou des oracles3 ». Mais qui pourrait énumérer aujourd’hui tous ces « oracles », survenus au cours de l’histoire séculaire de la langue française ? Même les plus grands et remarquables, ils tombent dans l’oubli avec le temps, comme d’ailleurs des centaines de mots qu’ils décrivent, ne laissant aux générations futures que leurs noms autrefois si glorieux. Pourtant, comme le souligne Alain Rey, dans la plupart des dictionnaires du xxe siècle, « on relève d’innombrables emprunts à d’autres types de dictionnaires » et la dette envers des dictionnaires antérieurs « peut être fort importante4 ». Aussi, chaque tentative de dépoussiérer les trésors lexicographique de jadis, n’est-elle pas d’autant plus précieuse ?
Dans son nouvel ouvrage, Giovanni Dotoli nous invite à rendre hommage à un dictionnaire qui, en 1968, était considéré par Georges Matoré « comme le meilleur dictionnaire français5 » et qui, selon Jean-Claude Boulanger, « fut peut-être un dictionnaire trop parfait » et « victime de sa scientificité, un livre des mots un peu trop déshumanisé aux yeux d’un public, principalement constitué d’apprenants intéressés par la langage vivante6 ». Il s’agit, bien sûr, du Dictionnaire général de la langue française du commencement du xviie siècle à nos jours précédé du Traité de formation de la langue d’Adolphe Hatzfeld, Arsène Darmesteter et Antoine Thomas,
publié en 32 fascicules, dont le premier a paru le 12 juillet 1890, et le dernier le 18 août 19007.
Le premier chapitre de ce livre présente au lecteur une équipe brillante, composée de linguistes éminents de leur temps, qui a réussi, durant une vingtaine d’années, à mener à terme ce projet dictionnairique qui « fera école » et dont « les dictionnaires du xxe siècle, et plus particulièrement ceux de la seconde moitié, seront nettement imprégnés8 ». L’idée de ce dictionnaire vient à Adolphe Hatzfeld, linguiste et philosophe, professeur de rhétorique, dans les années 1870, « à un moment où Émile Littré et Pierre Larousse sont en train de publier leurs dictionnaires monumentaux » (p. 10). Et c’est en 1871 qu’il rencontre Arsène Darmesteter, future étoile de l’histoire de la langue, qui va devenir « son véritable alter ego, en formant avec lui un duo formidable, pour l’histoire de l’art et de l’artisanat du dictionnaire » (p. 10). Quand, en 1888, A. Darmesteter meurt à l’âge de quarante-deux ans, après dix-sept ans de travail en commun, « c’est l’un de ses élèves, jeune professeur, Antoine Thomas qui prend le relève de son travail dictionnariste » (p. 13), en assurant l’unité de l’œuvre intacte.
Comme le souligne Claude Dubois, « se lancer dans la réalisation d’une grande entreprise lexicographique ne peut raisonnablement s’envisager qu’après une longue période de recherches et d’essais », permettant tout d’abord de répondre clairement aux trois questions : « un nouveau dictionnaire : pourquoi ? Pour qui et pour quoi faire9 ? ». Ces questions, bien simples (si ce n’est banales !) au premier coup d’œil, sont fondamentales et ardues, surtout à « l’époque à cheval entre la période du symbolisme et la naissance et affirmation des avant-gardes artistiques et littéraires », marquée par « la grande saison des dictionnaires-monuments d’Émile
Littré et de Pierre Larousse » (p. 8). « Je pense qu’il s’agit sans aucun doute d’une réponse à ces deux ouvrages » (p. 10), conclut Giovanni Dotoli, présentant des preuves précises et incontestables de sa thèse dans les dix chapitres de son livre.
Dans son article sur le Dictionnaire général de la langue française, Gaston Paris note qu’« après le dictionnaire de Littré, il semblait que pour longtemps il n’y eût plus qu’à en faire des abrégés ou des adaptations », cependant « la précision naturelle » et « la tendance de logique10 » de l’esprit d’A. Hatzfeld lui permet de concevoir un dictionnaire de nouveau type. Frappé « du manque trop fréquent de précision, et même d’exactitude, qu’on peut remarquer dans les définitions », « choqué de ce qu’il y a de superficiel et de fortuit dans l’ordre où sont rangés les divers sens » chez Littré, A. Hatzfeld « se plaisait à refaire les définitions », s’étudiait à ranger le sens dans un ordre logique11 ». « Le Dictionnaire général de la langue française naît donc », constate G. Dotoli, « de la rigueur, de la logique, de la rhétorique, de l’enseignement, de la pratique quotidienne et du désir de classer la langue en fonction de l’utilité précise » (p. 18), allant « à la rencontre de l’âme de la langue », « contre tout académisme sorbonnard » (p. 20).
Le chapitre « La méthode » de ce livre propose une analyse exhaustive de la méthode suivie par A. Hatzfeld et A. Darmesteter et déterminée par les auteurs eux-mêmes comme « historique », « la seule valable pour pleinement illustrer la langue » (p. 31). G. Dotoli souligne qu’elle ne consiste pas dans la description des divers sens des mots, en partant de la signification première, de laquelle toutes les autres sont sorties. Une telle description « ne suffit pas, même si elle se branche sur l’histoire ». Ce sont les « faits », le « lien » et l’« enchaînement » qui comptent (p. 31) ainsi que la distinction entre « origine et histoire ». D’après l’auteur, « l’origine est situable, à une date à peu près précise », tandis que « l’histoire se situe dans le temps, dans la vision du monde et dans le mouvement », qui est appelé par G. Dotoli « la symphonie du temps12 ». C’est cette méthode historique qui, d’après lui, retrouve sa validation au xxe siècle
dans « la linguistique dictionnairique d’Alain Rey », appartenant « plus à l’art qu’à la banalité sublime de la construction du dictionnaire13 ».
Les deux chapitres suivants (IV, V) traitent les aspects d’une importance intrinsèque pour tout projet dictionnairique, ceux de la nomenclature du dictionnaire et de la définition lexicographique.
Giovanni Dotoli relève qu’A. Hatzfeld et A. Darmesteter dans leur dictionnaire font « une découverte élémentaire, au fond déjà appliquée depuis les premiers dictionnaires », mais qui pourtant n’était jamais liée « avec l’idée d’un projet réel concernant le lexique » (p. 33). Il s’agit de la certitude, portée à la réalisation matérielle dans les meilleurs dictionnaires du xxe siècle, à savoir que la lexicographie est le reflet de la société, dont la langue représente un large éventail de ses variantes régionales, sociales, thématiques et historiques. Même « si le corps de départ est premièrement celui d’Émile Littré » (p. 35), et qu’il est ancré sur la langue classique, cela n’empêche pas A. Hatzfeld et A. Darmesteter de souligner dans l’Introduction que « malgré ces restrictions, le lexique [….] du Dictionnaire est d’une grande étendue : s’il supprime un certain nombre de mots intitulés ou d’un usage trop spécial, il ajoute à la nomenclature un nombre considérable de mots de la langue populaire, de la langue technique et de la langue scientifique dont nous ne croyons que l’importance soit méconnue14 ». Néanmoins, ce n’est pas le seul fait auquel tient la nouveauté de ce dictionnaire : selon G. Dotoli, « le Dictionnaire général de la langue française, à l’unisson avec le Dictionnaire français-allemand de Karl Sachs, est peut-être le premier dictionnaire français à se poser la question de la langue non conventionnelle, tout en restant prisonnier des bienséances et de la moralité publique, à cause certainement de la destination aussi à un public scolaire » (p. 34).
Trois pages et demi de l’Introduction qu’A. Hatzfeld et A. Darmesteter consacrent à la définition, sont considérées par Giovanni Dotoli comme « un chef-d’œuvre de métalexicographie » (p. 41). « La précision naturelle » et « la tendance de logique » dont parle Gaston Paris, incitent ces lexicographes à la réflexion et à la découverte de la nouvelle conception de la définition lexicographique. « Une définition exacte doit s’appliquer au mot défini à l’exclusion de tous les autres, et rendre raison de toutes
ses acceptions », et c’est à ce titre qu’elle peut éclairer « tous les emplois du mot qu’une définition vague avait obscurcis15 ». L’un des aspects majeurs de cette tâche colossale se focalise sur le problème de la définition synonymique. Comme le constate l’auteur de ce livre, A. Hatzfeld et A. Darmesteter envisagent une telle définition comme défaillante, car « il n’existe guère de termes absolument synonymes16 » et ils invitent à éviter « l’habitude de considérer les mots synonymes comme des équivalents et de définir les uns par les autres17 ». Il ne reste qu’à regretter que certains dictionnaires, même de nos jours, négligent complètement cette vérité bien évidente…
Nous croyons que les problèmes définitionnels, relevés par G. Dotoli dans le chapitre analysé, touchent de très près ceux qui sont au centre du chapitre ix (L’ordre du sens). Trouver les définitions « supérieures à celles qu’on avait données jusque-là », « si parfaites qu’il ne sera guère possible de les améliorer18 », n’était pour A. Hatzfeld que le premier grand pas. Le deuxième consistait « à ranger le sens dans un ordre logique19 ». L’analyse détaillée et attentive permet à l’auteur de cette recherche de dévoiler progressivement « l’arborescence du sens […] soignée au maximum, à tous points de vue, de la typographie, à la police, à l’encre, à la logique interne » où « même le traitement du sens le plus élémentaire est une fulguration poétique, qui garde sa rigueur scientifique, aussi bien que l’union de la science lexicographique et de la poésie » (p. 92).
De même que Gaston Paris qui « était le premier à comprendre l’importance de dictionnaire » en écrivant « 26 pages d’analyse très positive, si ce n’est exaltante » (p. 99), Giovanni Dotoli témoigne par son livre sa grande admiration passionnée envers le Dictionnaire général de la langue française d’A. Hatzfeld, A. Darmesteter et A. Thomas. Certaines imperfections de celui-ci, dont les lexicographes eux-mêmes étaient pleinement conscients, ne sont pas considérées par l’auteur de ce livre comme un vrai défaut du dictionnaire. Au contraire, leur aveu de l’imperfection, selon G. Dotoli, « n’est pas la déclaration de faiblesse,
mais de grandeur, et de confiance dans l’énergie potentielle de la langue et de son interprète, le dictionnaire » (p. 112).
L’aphorisme « le passé est toujours présent » de Maurice Maeterlinck ne se réfère pas, bien évidemment, au dictionnaire. Pourtant il y est parfaitement applicable car, comme le prouve pas à pas ce nouveau livre de Giovanni Dotoli, les racines des dictionnaires les plus monumentaux de notre temps sont encrées solidement dans leurs grands précurseurs, parfois si injustement oubliés.
Danguolė Melnikienė
Université de Vilnius – Lituanie
Claude Gruaz (dir.), À la recherche du mot : de la langue au discours, Limoges, Lambert-Lucas, 2008, 192 p.
Victor Hugo disait qu’« une langue ne se fixe pas » et que « l’esprit humain est toujours en marche ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui20 ».
Dans la même lignée, ce volume touche une pluralité de domaines qui fait preuve de la « transition » de la langue au discours.
C’est un ouvrage publié en 2008 sous la direction de Claude Gruaz, directeur de recherche honoraire au CNRS et fondateur, avec Christine Jacquet-Pfau et Jean-François Sablayrolles, du CFM (Centre du Français Moderne).
Dans sa préface, Claude Gruaz détaille le plan structurel de cet ouvrage en nous offrant des clés de lecture relatives à quelques contributions présentées par des chercheurs d’envergure internationale lors des séminaires du CFM en 2003, 2004 et 2005 et traitant de l’orthographe, de la morphologie et du lexique.
Ce volume se compose donc de trois parties consacrées à : Le mot tel qu’en lui-même ; Le mot tel qu’il s’écrit et Le mot tel qu’il vit dans la société. L’objectif, comme le précise Claude Gruaz, est d’ouvrir les pratiques linguistiques à un public élargi, de montrer la vitalité des sciences du langage et la portée et l’ampleur de ces connaissances.
La première section, Le mot tel qu’en lui-même, s’appuie sur des éléments déclencheurs de quelques « approches théoriques du mot ». Dans « Une approche nouvelle du mot composé », Claude Gruaz et Michèle Lenoble-Pinson (Professeur émérite aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles), nous livrent une analyse détaillée et dynamique des problématiques liées à la définition du mot composé. Il est question de savoir distinguer la composition par figement et par lexicalisation et de relever la « flexibilité » des dictionnaires actuels. Les deux auteurs formulent ainsi une série de remarques aboutissant à des propositions qui ne manqueront pas de faire écho.
Maître de conférences au Collège de France, Christine Jacquet-Pfau nous conduit au centre du mot, cette « racine mystérieuse » qui relève de la « complexité du système morphosémantique du français ». Elle
s’intéresse à la structure formelle de la racine, un sujet pointu qui pose une réflexion sur une nouvelle théorie de racine dans laquelle s’inscrivent les concepts de matrice et de schème. En tant que « grande absente des dictionnaires », la racine devrait avoir droit de cité dans un nouveau « dictionnaire de réseaux lexicaux » avec le support des outils informatiques.
Hélène Huot, Professeur à l’Université Denis-Diderot – Paris VII, insiste sur le thème de la racine et revient sur la définition de racine indo-européenne donnée par Benveniste. Il s’agit de remettre en cause le fonctionnement morphologique du français moderne. Noms, adjectifs, verbes du français, ratifient la notion de racine et son caractère trilitère et monosyllabique. Du moins, l’autrice souligne qu’il reste à apporter un éclairage sur les aspects des racines secondaires alors que de nouvelles pistes sont à débloquer.
Cette première section s’achève par la contribution de Dominique Ducard, de l’Université de Paris XII, sur « Sens opposé, ambivalence, complémentarité : notes de lecture suivies d’une étude sémiolinguistique d’abandon ». L’article est centré sur le « double sens antithétique », observation ponctuelle du langage de l’inconscient vu sous l’angle linguistique et psycholinguistique. S’attachant aux études de linguistes renommés tels que Antoine Culioli, l’auteur met en évidence l’étude du langage, donc les représentations mentales associées à « notre activité cognitive et affective ». C’est le cas d’abandon, une notion qui passe par différentes formes et les variations linguistiques et culturelles. Dominique Ducard marque l’« ambivalence des sentiments » et ce qui constitue l’interprétation de la « tension » entre les opposés linguistiques.
La lecture nous entraîne au cœur de l’ouvrage, Le mot tel qu’il s’écrit, une partie liée, comme le signale Claude Gruaz, à la « face graphique du mot ». L’auteur ouvre cette deuxième section par une étude intéressante et éclairante sur les lacunes en orthographe, l’une des caractéristiques principales de l’illettrisme. Par le biais de textes écrits, on s’arrête sur les écarts les plus fréquents, soit à l’écrit soit à l’oral. On dégage ainsi des interprétations et on situe l’orthographe dans un processus d’acquisition qui mène l’écrivant en situation d’illettrisme à être évalué positivement.
Jean-Pierre Jaffré (chercheur au CNRS) passe en revue les « effets psycholinguistiques sur une linguistique de l’écrit ». C’est une étude captivante sur les approches comparatistes qui permettent de considérer
les écritures différemment. Toute mutation orthographique met en rapport la linguistique avec la psycholinguistique : c’est le cas des caractères du chinois, de la mixité du japonais, des orthographes sémitiques ou européennes, en particulier de la sémiographie complexe du français.
La question de la linguistique de l’écrit tient une place importante dans l’article de Liliane Sprenger-Charolles (CNRS et Université René-Descartes-Paris 5) qui s’applique à éclairer les difficultés d’apprentissage de la lecture dans différents écritures alphabétiques. Elle a observé ces processus auprès des apprentis-lecteurs espagnols, allemands, anglais et en particulier français. La procédure sublexicale pour les mots inconnus joue un rôle de premier plan pour l’acquisition des compétences du lecteur adulte. Les difficultés se multiplient dans le cas spécifique de la dyslexie, facteur d’opacité orthographique.
La dernière section du livre, Le mot tel qu’il vit dans la société, apporte une valeur ajoutée à ce volume. C’est le véritable essor de la vie des mots.
Jean-François Sablayrolles (LLI, Université Paris 13), dans « La néologie aujourd’hui », s’interroge sur la nature de l’unité lexicale, sur la notion de nouveauté et sur la conception de nouveauté dans une identité linguistique. Il s’agit d’un approfondissement des « fluctuations » de la néologie, de son implantation dans les dictionnaires et de ses limites. À ce titre, l’auteur a conçu une grille de matrices lexicales sur la base de celle de Jean Tournier pour opérer une distinction plus claire des typologies de néologismes.
Dans sa contribution riche et stimulante, Michèle Lenoble-Pinson (Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles) fait émerger la question de la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. Dans le sillage de la vitalité des mots, le féminin fait peur et l’auteure en analyse les causes linguistiques et idéologiques ou socioculturelles. Il s’agit de donner plus de visibilité aux femmes dans l’usage de la langue et de reconnaître leur identité dans un changement linguistique qui doit s’imposer de plus en plus dans les pratiques traditionnelles.
Cet ouvrage se termine par un sujet attirant et nouveau : « le vocabulaire de la danse hip-hop ». Roberta Shapiro (LAHIC-CEE) (avec la collaboration d’Isabelle Kauffmann) recense un « répertoire technique » au milieu des croisements lexicaux et culturels. C’est un vocabulaire qui traduit un monde social. Les faits de société sont illustrés dans la
terminologie actuelle et hétérogène de cette communauté linguistique représentée d’une façon édifiante dans deux tableaux, insérés dans cette contribution, qui constatent respectivement de l’univers sémantique de cette danse et de sa structure. Il reste à savoir si la danse hip-hop est uniquement une technique ou s’il s’agit, comme l’affirme Roberta Shapiro, d’un courant artistique, philosophique et social.
En résumé, ce volume révèle des interrogations linguistiques complexes dans un espace social difficile à circonscrire. Une lecture attentionnée est recommandée à tous ceux qui s’intéressent aux sciences du langage et qui veulent envisager le trait relatif des « vérités scientifiques ». C’est un défi nouveau auquel nous sommes confrontés. Les dix contributions sont toutes accompagnées d’une bibliographie qui permet de repérer des informations précieuses sur les sujets traités.
Donatella Ostuni
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Axel Maugey, Privilège et rayonnement du français du xviiie siècle à aujourd’hui, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2012, 274 p.
Publié par Honoré Champion Éditeur, le Privilège et rayonnement du français du xviiie siècle à aujourd’hui est un des cadeaux offerts durant ces dernières années à tous ceux qui mènent une lutte acharnée en faveur du français et, en général, aux lecteurs passionnés de cette langue. Lieu de réflexion sur les étapes fondamentales de l’évolution du français dans le monde et de son épanouissement au fil du temps, il constitue un ouvrage vivant, véritable référence pour la francophonie et la francophilie. Les évènements historiques, le progrès économique et les conséquentes transformations sociales et culturelles s’entrecroisent et s’entremêlent, en donnant origine à un chef-d’œuvre qui donne un cadre complet des mutations de l’aventure du français sur les cinq continents. Voilà, donc, une étude pullulante de vie, berceau linguistique permettant à son lecteur de chevaucher les siècles depuis le xviiie jusqu’à celui que nous vivons, en découvrant les raisons qui ont déterminé les métamorphoses de cette langue séduisante et de sa civilisation, à travers les moments de hauts et de bas de leur diffusion.
L’auteur de cet essai magistral est Axel Maugey, universitaire et conférencier international, membre de l’Académie européenne, chroniqueur à « Canal Académie », bardé de plusieurs prix et distinctions. La dédicace à Anne et Serge Gravel, acteurs très dynamiques des relations entre la France et le Canada, ouvre la voie à ce travail, en lui conférant tout de suite son caractère centré sur la collaboration et la solidarité entre pays, sur le respect de leurs diversités et sur l’encouragement au plurilinguisme. L’introduction débute par la définition de « pays inévitable », donnée par José Manuel Durão Barroso, Président de la Communauté européenne, à l’égard de la France, nation aux racines plongées dans un xviiie siècle, riche en valeurs et animé par contradictions, inventions, joies et libertés. Choisi comme langue officielle lors du dernier sommet de la Francophonie en 2010, le français s’oppose au conformisme et à l’uniformatisation modernes, se rangeant du côté de la qualité au détriment de la quantité, outre que de celui de la créativité, de la culture, du savoir-faire et de l’art de vivre que les Français expatriés ont répandu dans leurs nouveaux lieux de vie. Le français apparaît comme l’étendard d’une civilisation symbole de l’art de la diplomatie, douée d’une richesse culturelle et d’une rigueur intellectuelle indiscutables.
Axel Maugey invite son public à prendre conscience que le xxie siècle, marqué par une transformation géopolitique à l’échelle mondiale, représente le terrain fertile pour un nouveau rayonnement du français et pour sa réévaluation face à l’anglo-américain. En effet, les langues de ces deux pays sont le reflet de leurs différentes conceptions du monde et de la société, libertarienne celle de l’Amérique, cartésienne celle de la France, puissance réellement soucieuse des destinées de l’humanité. L’anglais est la langue de la société de consommation et de la communication de masse, de la globalisation dominée par l’imprécision et par les limites d’une technique axée sur les intérêts économiques et sur les affaires. Sur un front opposé se situe le français, langue du pays réputé en tant que le « Banquet des esprits », langue de la maturité affective qui effraie les jeunes et est préférée par les adultes, langue de la conversation comme initiation et de la bonne compagnie, langue sensible exprimant, par sa musicalité, les nuances des sentiments et les délicatesses du cœur et de l’esprit. De surcroît la clarté de son style fait du français une langue indiquée pour les définitions précises, exigées par l’éthique, le droit, les lois, les contrats et les traités, comme le témoigne l’histoire du passé par le Traité de Vienne et par les diverses négociations diplomatiques au siècle des Lumières.
Ce livre s’efforce par tous les moyens de montrer la force de la francité, en dépit des avis pessimistes des « déclinistes » et des défaitistes. Ces derniers, en constatant, entre autre chose, l’échec de l’apprentissage du français, voient s’approcher de plus en plus le coucher inévitable d’une langue et d’une nation, sous l’avancée tourbillonnante de la marée destructrice de la langue anglaise et de l’esprit marchand et technologique des États-Unis. De fait, la France, héritière d’un xviiie siècle plein de vitalité et de bons enseignements, essaie de modérer les excès du capitalisme spéculatif et de supprimer les tares du socialisme étatique. Le but constamment poursuivi dans les pages de cette œuvre reste la défense de la langue et de la civilisation françaises, par le biais aussi des personnalités du passé et du présent qui parsèment leurs chemins au cours des siècles. On commence par les aventuriers, les personnages politiques et les philosophes de l’âge des Lumières pour passer aux hommes qui se sont battus et continuent de se battre pour les répandre à travers des réseaux culturels. Parmi ces derniers Axel Maugey mentionne les Alliances Françaises disséminées partout dans
le monde et les organismes, tel que l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), dont le secrétaire général est le Sénégalais Abdou Diouf, ou l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie), dirigée par le recteur Bernard Cerquiglini, ou encore le Mouvement francophone, dont le quarantième anniversaire a été fêté en 2010, fondé, entre autres, par l’écrivain Léopold Sédar Senghor. Enfin, une place de tout respect est attribuée à tous les professeurs, les savants et les amateurs qui sont au service de la francophonie, notamment les représentants de l’Italie francophile, tels que Anna Soncini et Liano Petroni de l’université de Bologne, Sergio Zoppi de l’université de Turin, Anne de Vaucher Gravili de l’université de Venise et Giovanni Dotoli de l’université de Bari, tous engagés dans la promotion de la langue et de la civilisation françaises en Italie, en Europe et dans le monde entier.
Les quatre parties, divisées en chapitres, sont parcourues par un fil conducteur qui ne cesse de mettre en évidence les qualités du français et de contraster ses adversaires pour des raisons économiques ou idéologiques, comme ceux qui dénoncent les méfaits du colonialisme. En effet, Axel Maugey se fait le porte-parole des défenseurs du français par une analyse minutieuse qui envisage le français comme une langue privilégiée, parlée sur tous les continents, deuxième langue de l’ONU, première langue choisie et non imposée dans le monde, deuxième langue apprise après l’anglais. Il souligne aussi l’importance du cinéma et de la chanson françaises dans le marché mondial ainsi que du succès de la France dans les secteurs touristique, industriel, en particulier chimie et aéronautique, énergétique et nucléaire ou dans l’efficacité des services, des équipements routiers, hospitaliers et des télécommunications. Sans oublier le génie français qui se déploie dans l’architecture, la mode, la peinture et la cuisine, en élargissant ses horizons vers des pays nouveaux comme la Chine, avec qui la France partage la passion pour l’histoire, la gastronomie et la spiritualité. En outre, les initiatives culturelles qui favorisent les échanges et les bourses pour étudiants se multiplient ici comme dans d’autres réalités de l’Asie telles que le Japon, la Corée et l’Inde où l’enseignement du français se répand progressivement, de la même façon qu’en Amérique du Sud. Il fait l’éloge des Français présents à la Commission et au Parlement européens, toujours promoteurs d’une fraternité et d’une solidarité essentielles au respect des diversités et aux échanges culturels entre les pays. Axel Maugey pose l’accent sur
la francophonie, atout indispensable pour un renouveau du français, s’appuyant sur des stratégies de partenariat économique, culturel et linguistique avec les pays francophones, tous spécialement l’Afrique noire avec sa population jeune. La nécessité de sauvegarder et de soutenir la diversité et le plurilinguisme s’impose pour arrêter l’uniformité dévastatrice de la globalisation.
Une section de cet essai est consacrée, à juste titre, au Québec, en traçant les phases de l’histoire et de l’aventure de la langue française au Canada de 1608 à aujourd’hui. Les « cousins d’Amérique » sont décrits comme un peuple fier et courageux qui a résisté aux différentes dominations et influences qui se sont succédées au cours des décennies. L’objectif à atteindre est l’affirmation de l’enracinement du français par l’amélioration de la politique des deux langues officielles et la proposition de stratégies dans la structuration de la francophonie américaine et mondiale. La francophonie est le trésor caché sur lequel il faut investir pour le futur, toujours sous le signe du dialogue réciproque. Le français est, d’ailleurs, une langue libre qui se prête à aborder tous les sujets, ouverte à la confrontation et à l’enrichissement mutuel, à la variété de l’espace européen et de l’outre-mer dans un mouvement culturel unique.
En concluant, Axel Maugey est un des participants à cette entreprise où sont impliqués les politiciens et les économistes, mais surtout l’esprit libre d’intellectuels et de personnages du secteur privé qui sont en train d’opérer un réel bouleversement dans la communication par les médias, la télévision et la radio académique francophone. Le français, alors, dans son nouveau rayonnement, est un outil précieux donné à l’humanité, comme affirmait Victor Hugo, grâce à son ouverture sur la culture et à ses valeurs indémodables de fraternité, générosité, partage et respect de l’autre. Par le soutien de la multiculturalité, de la multiethnicité et du plurilinguisme il se fait porteur d’un message symbolique d’espoir et de solidarité universelle.
Carmela Rizzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Antonella Mauri – Paola Placella (dir.), L’Eau à la bouche. Sémantique comparative, expressions idiomatiques, lexicographie bilingue, problèmes de traduction et histoire de la terminologie gastronomique, Roma, ARACNE editrice, 2013, 142 p.
Parmi les différentes publications parues sur le marché en fin d’année 2013, L’eau à la bouche est une œuvre stimulante qui fait de la gastronomie le terrain de réflexions linguistiques et lexicographiques. En effet, ce volume est le résultat des journées d’études organisées à l’Unité de Formation et de Recherche des Langues Étrangères Appliquées de l’Université de Lille 3 avec la participation des collègues de l’Université de Rome La Sapienza. Comme l’affirme dans l’« Avant-propos » Antonella Mauri, qui, avec Paola Placella, a dirigé l’édition de cet essai, le projet interdisciplinaire de ce groupe de recherche a le but d’analyser l’image qu’on se fait d’un pays et de ses habitants à travers la représentation de leurs cultures gastronomiques, du point de vue linguistique, littéraire, historique. Son propos réside dans la reconnaissance et la présentation des clichés, des similitudes, des différences dans l’illustration de l’altérité et de l’identité d’un peuple par le lexique de la nourriture, en particulier du domaine italo-français, en retenant l’attention du public sur les transformations ou glissements de sens que des mots, des locutions et des proverbes subissent en passant d’une langue à l’autre.
Les articles réunis dans ce livre essaient de montrer que la nourriture, à côté de la langue, est un élément fondamental de chaque culture, lié à la mémoire intime des individus ainsi qu’à leur histoire personnelle et collective. L’univers sensoriel du goût et des mets ramène chaque homme à ses racines, à ses origines familiales et sociales, à son appartenance à une génération ou à une époque. La nourriture est symbole d’une identité nationale ou régionale, religieuse ou ethnique. Fréquemment, le plat national est devenu l’appellatif des émigrés à l’étranger, comme c’est le cas du mot Macaroni utilisé pour les Italiens. La cuisine et les produits typiques importés pour les immigrés nostalgiques de leurs patries sont une source inépuisable d’échanges et de contaminations réciproques entre pays divers, pas seulement au niveau gastronomique. En effet, cette osmose se reflète aussi au niveau linguistique par les incessants mouvements des expressions, des dictons et des calembours d’une langue à l’autre, car les
aliments occupent une place incontournable dans l’imaginaire quotidien et littéraire d’un peuple, en nous révélant son âme profonde.
La façon de se nourrir joue un rôle fondamental dans l’idée qu’on perçoit d’une personne, d’un groupe social ou d’une entière population. Elle a constitué dans le passé et continue de constituer dans le présent la ligne de démarcation entre riches et pauvres, entre gens raffinés et grossiers, entre habitants d’une région du Sud et d’une région du Nord à l’intérieur du même pays. En Italie comme en France, pays particulièrement fiers de leurs traditions gastronomiques, la nourriture est souvent utilisée pour stigmatiser l’« autre », en le désignant par ses habitudes alimentaires (bifteck, rosbif, buveur de thé pour les Anglais, qui à leur tour appellent les Français frogs, équivalent de mangiarane en italien, pour citer quelques exemples). La diversité alimentaire a été, surtout dans le passé, la cible de discrimination par des acceptions négatives, jusqu’aux insultes, ou de toute façon par l’utilisation d’un registre railleur et méprisant entre citoyens appartenant à la même nation, mais vivant dans des régions diverses ou avec un régime alimentaire étrange qui détermine une forme d’extranéité sociale. Les aliments de la cuisine pauvre se prêtent mieux que les autres à des locutions à connotation positive (buono come il pane, essere un pezzo di pane) ou négative (mangiapane a tradimento, mangiaricotta, mangiafagioli, mangiamarroni, mangiapolenta). Aujourd’hui on a plutôt la tendance à apprécier les cuisines saines, naturelles et alternatives des pays exotiques ; toutefois, les Occidentaux restent encore réticents sur le fait de déguster des insectes et d’autres spécialités de la cuisine orientale.
Les auteurs de ces études accompagnent le lecteur dans un itinéraire gastronomique captivant, en lui offrant des éclaircissements et en lui expliquant des locutions et des proverbes jonchés par une multitude de mots, symboles, emblèmes, significations, qui suscitent une curiosité de plus en plus vorace. Le lecteur est donc emmené à la compréhension et à l’interprétation de l’origine étymologique et culturelle des expressions idiomatiques concernant la gastronomie par des études comparatives. L’une est l’analyse des métaphores végétales de la tête en français (chou, citrouille, ciboulot, citron, poire, pomme) et en italien (zucca, cocuzza, rapa, pera, mela) par la psychomécanique du langage, qui envisage la construction du langage dans la temporalité des opérations de la pensée. Une autre étude comparative intéressante est celle des plus connues et utilisées locutions idiomatiques, figées du point de vue syntaxique ou sémantique, qui se
déploient sur le domaine nutritionnel. Parmi elles il y a celles qui sont presque équivalentes dans les deux langues (far venire l’acquolina in bocca = faire venir l’eau à la bouche ; alzare il gomito = lever le coude ; qualcosa bolle in pentola = quelque chose est en train de se mijoter) ; d’autres qui sont parallèles dans la structure des expressions mais qui utilisent des contextes référentiels tout à fait différents (cadere dalla padella alla brace = tomber de Charybde en Scylla) ; d’autres encore où il n’y pas d’équivalence entre les aliments utilisés dans les deux langues (andare in brodo di giuggiole = boire du petit lait). De ce fait, on invite le public à considérer que, même si le français et l’italien sont deux langues proches d’origine commune, souvent les locutions ne se correspondent pas, en raison du registre particulier qui repose sur la dimension imagée de la langue. Digne d’attention est aussi l’étude sur les phrasèmes et locutions verbales allemands et français autour de la notion de faim, de même que des animaux, des fruits et des légumes et, enfin, du vin. Après suit le parcours pluridirectionnel qui compare les expressions idiomatiques et les proverbes de la France, de l’Italie et de l’Angleterre, ancrées aux territoires, aux situations géographiques et climatiques, aux traditions de la table de ces trois pays. Le liseur est conduit à la découverte de locutions qui portent l’empreinte de l’expérience paysanne, des travaux des champs, de la succession des mois et des saisons, des changements météorologiques à travers les mets d’un repas virtuel, qui commence du pain, des soupes et des pâtes, passe pour les poissons, les viandes et la charcuterie, les légumes et les œufs, les sauces et les épices, pour se terminer par les fromages, les fruits et le dessert ; le tout arrosé par les boissons et les vins.
Particulièrement séduisante l’étude consacrée à la terminologie gastronomique dans la Recherche de Marcel Proust, qui plonge le lecteur, par une promenade à travers une époque passée, dans les villes et les lieux (de Combray à Paris, de Balbec à Rivebelle et à Doncières), dans les maisons et les familles (des Swann et Guermantes aux Verdurin) où les actions de ce roman sont situées. Il est accompagné dans la lecture et interprétation des allusions à la nourriture qui, outre que les madeleines, impliquent beaucoup d’autres aliments et préparations culinaires (gelée de fruits, crème au chocolat, bœuf à la gelée, agneau, pommes à l’anglaise, crustacés et poissons, salades, thé) qui semblent défiler dans les descriptions de déjeuners, goûters et dîners, occasions pour les personnages de se rencontrer, converser ou se déplacer. Les mets et
leurs noms suscitent des rêveries gastronomiques ; de fait, les aliments sont souvent associés à des œuvres d’art, telles que des tableaux ou des peintures, ou ils ont le pouvoir d’évoquer un personnage, un milieu, un état d’âme par le biais de comparaisons, jusqu’à devenir parfois allégorie de la mort. Dans La Prisonnière Albertine symbolise la femme où le plaisir de la table se transforme en plaisir sensuel, par une invitation à s’abandonner à la joie de vivre et à réjouir de tous les sens et de la passion. Le lecteur, alors, découvre que la nourriture proustienne est polysémique et métaphorique, douée d’une grande charge affective, en appelant et en apportant du plaisir, même si quelquefois placée sous le signe de la cruauté, de l’insensibilité ou de la mort.
Pour tirer une conclusion, récit entre linguistique et gastronomie, ce livre est un voyage enivrant qui implique les cinq sens à travers une moisson de mots, expressions idiomatiques, dictons, proverbes et de tout genre de locutions afférents l’univers gastronomique. Il a le mérite de faire décrypter à son public tous les détails et les traces évidentes de leur emploi à la découverte des significations symboliques et des usages figurés du langage de la nourriture et des nombreuses nuances acquises au cours des siècles, en relation aux mœurs et coutumes des territoires et pays où se sont implantées et développées. À une époque moderne, dominée par les médias, par internet et par la mondialisation, la cuisine représente le lieu réel et virtuel qui favorise la connaissance, l’échange et l’enrichissement réciproques des individus. Les locutions gastronomiques gardent encore une grande vitalité dans le langage courant de tous les jours, se situant au carrefour entre tradition et innovation. La nourriture alimente les corps par les plats et les esprits par la conversation, en réunissant par une sorte de solidarité gastronomique peuples et cultures diverses avec leurs spécialités culinaires, régions différentes avec leurs préparations typiques, groupes sociaux et idéologiques avec leurs habitudes alimentaires spécifiques ou alternatives, et en effaçant d’un seul coup tout sentiment de méfiance ou d’hostilité envers les « autres » que nous.
Carmela Rizzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Jean-Luc Chappey, Ordres et désordres biographiques. Dictionnaires, listes de noms, réputation des Lumières à Wikipédia, Seyssel, Champ Vallon, « La Chose publique », 2013, 400 p.
Une des plus intéressantes publications de vulgarisation scientifique, parues au début de l’année passée, est représentée par Ordres et désordres biographiques. Dictionnaires, listes de noms, réputation des Lumières à Wikipédia. Conçu en tant que moyen de réflexion et de recherche dans le domaine de la lexicographie française, il constitue le lieu privilégié où l’on décrit comment l’évolution des dictionnaires historiques au fil du temps a joué un rôle capital dans la lecture des évènements historiques, des transformations sociales et culturelles d’une vaste époque. Voilà donc un chef-d’œuvre permettant à son lecteur de chevaucher la période entre le xviiie et le xixe siècle, en découvrant l’importance des notices biographiques, contenues dans ces dictionnaires et dans les listes de noms, pour l’écriture et la reconstruction de l’histoire.
L’auteur de cette étude si passionnante est Jean-Luc Chappey, maître de conférences habilité à diriger des recherches en histoire, rattaché à l’Institut d’Histoire de la Révolution française de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Animé par un enthousiasme fervent, il illustre avec une grande clarté les mécanismes sous-tendus à la rédaction des dictionnaires, véritables entreprises humaines, financières et intellectuelles, qui impliquent un travail collectif, en mobilisant un nombre considérable d’intellectuels et de rédacteurs. En utilisant un style soutenu et accessible à la fois, il a le mérite d’avoir opéré une simplification bien réussie de ses connaissances et compétences, en offrant l’occasion au grand public d’entrer en contact avec la source inépuisable d’informations et de révélations, constituée par les dictionnaires biographiques. L’objet de cet ouvrage porte moins sur l’analyse des transformations et modalités du récit biographique que sur l’analyse des enjeux des dictionnaires historiques, en tant que moyen de qualification ou disqualification politique et sociale. En effet, il réfléchit aux usages et aux débats liés à la publication des noms propres, en mettant en question l’apparente neutralité, la prétendue exactitude et l’universalité de ces dictionnaires. Écrire l’histoire par le biais des notices biographiques, en accordant une préférence pour l’histoire individuelle et anecdotique plutôt que pour l’histoire des peuples et des nations, comporte un choix. La sélection
des noms, dont dépend la réputation et l’honneur des hommes et la « réussite » de leur vie, donne lieu à des luttes et à des oppositions pour le contrôle des identités et des catégorisations, surtout pendant l’ancien Régime. Les querelles sur la présence de tel ou tel nom dans les dictionnaires historiques se multiplient au cours des réécritures et des remplois, dans la succession des différents contextes socio-politiques. Très souvent le dictionnaire répond à la nécessité de mise en ordre d’une réalité qui s’avère fluctuante et instable. Il est légitime, alors, de s’interroger sur les intérêts des auteurs de ces dictionnaires ainsi que sur les débats autour des opérations d’écriture et de production des notices biographiques. Chappey fait remarquer que les auteurs gouvernent le monopole des réputations et de la désignation des hommes célèbres ; il aborde la question de la distribution des honneurs dans la société française, tout spécialement pendant la crise politique et sociale des dernières décennies de l’Ancien Régime. De fait, les brouillages des ordres, des genres et des renommées reflète l’inquiétude de la monarchie absolue, désormais incapable de s’imposer comme détentrice exclusive dans l’attribution des réputations. Cet apparat d’élection des « grands hommes » est, donc, symbole du bon gouvernement et garantit l’équilibre et l’harmonie du corps social. Les dictionnaires historiques apparaissent, de la sorte, comme les supports de normalisation du renom, gérés par le pouvoir dominant.
Ce livre s’adresse aux étudiants et aux professeurs d’histoire, aux historiens de métier aussi bien qu’aux amateurs désireux d’enrichir leur bagage de connaissances en ce domaine. C’est un manuel de référence indispensable pour ses utilisateurs, simple et précieux à la fois, facile à consulter, bien organisé. En effet, il présente une structure par chapitres, dont chacun aborde une période historique déterminée. En suivant un chemin à rebours, il part de l’Empire et de la Restauration, passe par l’âge des Lumières et par la Révolution pour arriver à nos jours. Chaque chapitre s’ouvre par une introduction énonçant la période historique et l’œuvre traitée, suivie d’une série de parties, divisés en sections. Ces dernières donnent un aperçu exhaustif de l’origine et de l’organisation des entreprises éditoriales, en faisant ressortir leurs effets sur les événements historiques et sur le cadre socio-politique pris en considération.
L’auteur part de la Biographie universelle des frères Michaud, ouvrage du début du xixe siècle, outil d’une logique classificatoire qui répond au besoin de stabilité et de mise en ordre de la société postrévolutionnaire.
L’analyse poursuit par les dictionnaires au temps des Lumières, notamment celui de Moreri, ayant le but de promouvoir certaines familles au sein des rivalités de la noblesse. Ensuite, elle s’arrête sur celui de Ladvocat avec l’ambition d’englober dans son ouvrage l’histoire des hommes illustres ou fameux de toutes les Nations. Elle fait, en outre, référence aux critiques et aux attaques, dont les dictionnaires sont l’objet, et aux conflits religieux et aux débats autour de la publication du nom d’auteur. Après quoi, on entre dans le vif de l’analyse avec le dictionnaire de Chaudon, reflet des transformations culturelles de la seconde moitié du xviiie siècle. En fait, cette œuvre devance les attentes d’un nouveau public, de plus en plus large, et s’adapte aux exigences du marché éditorial par un format portatif et moins cher. De surcroît, elle enrichit les notices biographiques, en faisant place, à côté des hommes « illustres », tels que rois, généraux et héros, aux hommes « célèbres », qui se distinguent pour des raisons morales, des qualités civiques ou en tant que savants, hommes de lettres et artistes. Chappey ne néglige pas de mettre en évidence les critiques faites de la part de Palissot et Rivarol aux Lumières, par le biais de leurs dictionnaires. Il n’oublie pas non plus de diriger l’attention de son lecteur sur le phénomène de l’invasion de la piétaille littéraire, qui se répand à partir des années 1770-1780. Il s’agit de la prolifération de « monstres », définis comme « pygmées » littéraires, et, en général, de productions bizarres. En particulier, on fait allusion à toutes les publications réunies sous le nom de « dictionnaires historiques », qui sont le signe évident du désordre du monde des lettres, envisagé comme un danger, puisqu’il peut entraîner un désastre moral et politique.
L’auteur met en relief que, pendant la Révolution, les notices biographiques sont classées par ordre alphabétique ; ce dernier se révèle un instrument de la nouvelle égalité entre les citoyens et il s’affirme comme un fondement du nouveau régime politique. Il concentre, ainsi, son analyse sur la question du nom, de sa visibilité et de la réputation individuelle des « grands hommes ». En fait, dès 1789, ces individus construisent une identité commune et se font promoteurs de la valorisation du sentiment patriotique, en affirmant leur personnalité et en gagnant un espace de reconnaissance, auparavant réservé à des princes et des militaires. Au fur et à mesure que le public devient plus large, se répandent plusieurs genres de publications, comme par exemple des
annuaires, des almanachs, des répertoires, des recueils de noms, tous classés sous la rubrique « listes de noms ».
Chappey met donc l’accent sur la mise en place d’un nouveau régime d’historicité biographique dont les protagonistes sont des hommes vivants, qui, à travers la promotion de leurs noms, ont accès à la dignité biographique. Dans ces listes figurent des personnages politiques qui, ayant le statut de citoyens, deviennent les nouveaux représentants du peuple et de la Révolution, souvent en contraste avec ceux de l’Assemblée nationale. Cette forme de démocratie dans les listes de noms est le témoignage de la volonté de rendre transparent l’espace politique et de lutter contre les intrigues et les injustices sociales. Les réputations de ces personnages décrivent leurs honneurs et beaux gestes, mais démasquent aussi leurs mensonges et tromperies. Le soupçon politique alimente la pratique de la dénonciation dans les pamphlets et dans les journaux. Ces individus sont fréquemment la cible d’attaques calomnieuses et diffamatoires, qui visent à tacher leur renom. Soumis au contrôle de l’opinion publique ils doivent, de ce fait, démontrer qu’ils sont fiables et modifier leur conduite en fonction des récits qui circulent sur leur compte. Dans cette situation de méfiance absolue, dominée par une vision manichéenne de la politique, un intérêt croissant est porté à la science de l’homme, afin de parvenir à sa meilleure connaissance.
L’auteur parle d’une « ère médiatique », d’un mouvement de médiatisation du « moi », qui aboutit à un nouvel ordre des récits biographiques, en dévoilant « qui est qui » et en estimant « qui vaut quoi ». Il souligne que la période 1789-1810 est marquée par une tension entre les instances officielles (assemblées, administrations, institutions intellectuelles), qui veulent imposer les listes canoniques des individus, et les instances concurrentes (clubs, sociétés), qui contestent cette volonté, en publiant des listes alternatives. Cette profusion de récits individuels provoque un climat de marasme complet, où le dictionnaire historique devient le moyen pour terminer la Révolution et faire émerger de nouveaux repères stables et fixes. Le moment est alors venu pour l’auteur de cet essai magistral de boucler la boucle, en revenant au moment du départ de son analyse, à savoir l’Empire et la Restauration. Les effets de la remise en ordre opérée à cette époque sont désastreux : oubli, folie, suicide, crise individuelle. De l’autre côté, en s’arrêtant sur les réactions à cette répression, Chappey élucide son lecteur sur l’origine des mémoires et
des journaux intimes, qui, par une écriture des sentiments, gardent l’empreinte de la Révolution et s’opposent à la réduction du « moi » à la notice biographique, en explorant la vie intérieure et la sphère intime de l’homme.
Le dernier chapitre traite des mutations des dictionnaires historiques sous l’influence des publications électroniques, notamment l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Son but est de saisir ce que font les livres dans le monde de la réalité socio-politique et d’analyser les organisations de contrôle du langage sur le social ainsi que les luttes pour la domination des formes de représentation. Cette étude est couronnée par des sources ainsi qu’une bibliographie bien nourries, et elle est achevée par un index des noms propres. Ces éléments témoignent, d’ailleurs, de la haute valeur scientifique du travail effectué et de sa méthode qui, tout en étant ancrée à la tradition et aux documents du passé, s’avère avant-gardiste dans l’exploitation des nouvelles technologies modernes, mises à la disposition de tous les usagers anxieux d’apaiser leur soif de connaître et de satisfaire leurs curiosités.
En établissant un rapport constant entre histoire, société et lexicographie, ce livre expose et explique les facteurs historiques, socio-économiques et culturels qui tournent autour du monde des dictionnaires et donne toutes les clés pour les comprendre sans difficultés et pour employer à bon escient les notions fournies. Il renseigne sur-le-champ les gens qui, à un titre quelconque, entrent en contact avec la lexicographie française, désirant consolider leur maîtrise à cet égard. La lecture enivrante de cet ouvrage, d’où jaillit une multitude de détails et de curiosités encore inconnus, concepts scientifiques d’une rigueur inattaquable, observations et remarques résultant d’une réflexion méditée et attentive, suscite une attention et une participation voraces. Cet ouvrage pédagogique fournit des explications et des éclaircissements de natures différentes, et Jean-Luc Chappey se fait le guide rassurant au long de sa recherche incessante, pour donner un accès aisé à travers des renseignements offerts par sa compétence minutieuse.
Ce livre se veut une forme d’encouragement pour étudiants, amateurs et historiens à réinterroger les dictionnaires sur papier, trop souvent réduits à des vestiges du passé, et à voir leur rôle essentiel dans les dynamiques sociales et politiques des années 1750-1830, âge d’or des dictionnaires. L’auteur essaie, tout au long de son entreprise hardie, d’impliquer son
public dans cette aventure charmante, afin de lui montrer comment les dictionnaires ont contribué à la naissance d’un « régime médiatique », lié aux mutations conséquentes à l’avènement de la démocratie. Par des envolées à travers les différentes périodes historiques, il fait remarquer les similitudes entre le xviiie et le xxie siècle, concernant la peur des élites de perdre le contrôle de ces outils de qualification, que sont les dictionnaires historiques. En effet, par l’inclusion ou l’exclusion, ils ont déterminé et continuent de déterminer, à l’heure actuelle, le destin d’écrivains et de publications diverses, par leur succès ou leur échec.
Chappey invite son lecteur à questionner les productions du passé de la même façon que celles du présent, en explorant avec autant de zèle pages de papier et pages numérisées. De fait, il déplore qu’aujourd’hui les dictionnaires historiques soient devenus des dispositifs de recherche oubliés, presque invisibles, utilisés seulement par les historiens sans même s’interroger sur leur production, publication et diffusion. Le phénomène de la « dicomania », qui s’épanouit dans les années 1810-1820, traverse les siècles jusqu’à arriver, de nos jours, au laboratoire biographique de Wikipédia. Les critiques et les polémiques, suscitées par cette encyclopédie de l’histoire contemporaine, portent moins sur les inexactitudes et les erreurs qu’elle contient que sur la permission, donnée à n’importe qui, d’y intervenir, en la modifiant par la rédaction ou la correction d’une notice. L’écriture de l’histoire doit se situer à mi-chemin entre une pratique trop libre de règles et contraintes et une discipline exclusive de spécialistes. L’auteur regrette l’absence de contribution, de la part des historiens universitaires, à la création de portails sur des thèmes spécifiques. Il les invite, par conséquent, à s’investir dans ces nouveaux espaces pédagogiques, en mettant à la disposition du public virtuel, donc de quiconque a envie d’améliorer et d’enrichir ses connaissances en ce domaine, leur bagage d’expériences et de compétences.
Pour conclure, Chappey accompagne le lecteur dans une exploration captivante parmi les dictionnaires historiques et biographiques qui ont marqué des générations entières. Résultat de l’infatigable travail d’intellectuels qu’y ont consacré toute leur vie avec dévouement et ferveur, ils constituent un héritage de mémoires et témoignages de l’histoire passée, qui, même si parfois trop subjectives, restent d’une inestimable et indiscutable valeur. Par ce voyage aventureux, cette étude tente aussi de réunir amateurs et spécialistes, en les poussant à
collaborer à l’unisson pour la diffusion d’un savoir historique le plus fidèle possible à la réalité et à la vérité. À l’époque de la mondialisation et de la digitalisation, les dictionnaires en ligne, effets de la révolution technologique de la lexicographie et de la dictionnairique commencée à la fin du xxe siècle, peuvent représenter le lieu de rencontre entre le passé et le présent. D’un côté cette œuvre magistrale évoque la puissance de la tradition et suscite l’envie presque nostalgique de revenir au passé, de l’autre elle voit dans l’innovation le juste élan d’enthousiasme pour construire d’une façon plus solide notre présent.
Carmela Rizzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
Joëlle Gardes Tamine, L’Ordre des mots, Paris, Armand Colin, « Cursus Lettres », 2013, 158 p.
Publié par Armand Colin Éditeur, L’Ordre des mots figure parmi les nouveautés d’études linguistiques, parues dans la seconde moitié de l’année dernière, en s’imposant comme l’une des œuvres les plus accessibles actuellement disponibles sur le marché. Lieu privilégié de réflexion et de recherche sur une des questions les plus complexes de la grammaire, ce texte est un ouvrage vivant, un trésor lexical permettant à son usager d’entrer dans le domaine de la linguistique, en lui ouvrant le regard sur un horizon bien plus vaste à découvrir. Voilà donc un manuel de consultation, au style sobre, direct et concis, qui décrit avec un soin scientifique et en même temps avec une grande clarté tout ce que l’on souhaite savoir sur l’ordre des mots.
L’auteur de ce « coffret magique » est Joëlle Gardes Tamine, professeur de linguistique et de philologie à l’Université de Paris-Sorbonne. Parmi ses autres publications, auxquelles on renvoie aussi au cours de ce livre, il y a : Introduction à l’analyse de la poésie, tome I, Vers et figures (1992), écrit avec la collaboration de Jean Molino ; « La subjectivité dans Images à Crusoé », La Stratégie de la seiche (1996) ; La Stylistique (2010) ; La Grammaire, tome II, Syntaxe (2010) ; La Grammaire. Méthodes et notions (2012). En opérant une véritable synthèse de ses compétences et en effectuant des choix bien réfléchis et jamais laissés au hasard, elle a le mérite de mettre à la portée de tous son savoir et sa culture, qui sont le résultat d’une expérience pluriannuelle d’études attentives et méticuleuses ainsi que d’une activité de recherche minutieuse, en offrant l’occasion à un grand nombre d’utilisateurs d’enrichir leur bagage de connaissances dans la sphère linguistique. En effet, comme on le déclare dans l’introduction, le sujet de l’ordre des mots implique tous les secteurs de la langue et concerne les mots eux-mêmes, les groupes constituant la phrase, le texte lui-même. Il touche différentes branches, du système à l’usage, de la proposition au discours et tous les niveaux de l’analyse linguistique, tels que la morphosyntaxe (question de l’accent), la syntaxe (fonctions), la sémantique (lexique en rapport à l’ordre sujet-verbe), la pragmatique (énonciation, répartition de l’information), la construction du texte (figures, style, genre).
Conçu pour un usage pratique et immédiat, par conséquent efficace, ce manuel se veut un instrument pédagogique utilisable à des fins
personnelles ou professionnelles. Il s’adresse, en particulier, aux étudiants des premières années de la licence et, en général, à tous ceux qui, ne bénéficiant pas d’une formation spécifique, s’approchent pour la première fois de cette discipline. Il constitue un outil de référence indispensable pour ses utilisateurs, simple et précieux à la fois, facile à consulter et bien organisé. En fait, il opère une simplification permettant de mettre en évidence des règles (notamment contraintes et interdictions) et des tendances, qui parfois s’avèrent contradictoires et posent problème.
Chaque chapitre est divisé en parties et sous-parties, enrichies de listes à puces, se prêtant à une lecture aisée, immédiate, compréhensible même aux nouveaux adeptes. Le premier chapitre est introductif et élucide l’histoire de la constitution de l’ordre des mots en français ainsi que la question de l’ordre naturel (sujet-verbe-objet), en faisant référence aux débats suscités aux siècles classiques. Par la suite il illustre les grands principes explicatifs, en réfléchissant sur l’écriture blanche ou sur les compléments circonstanciels et en analysant des détails plus complexes, tels que la place de l’adjectif, qui contribuent à la création d’un style. Tamine fait remarquer que les jeux portant sur la place des objets constitutifs de la phrase, dans les diverses possibilités de la langue, contribuent à la réalisation d’un style personnel, distinctif de tout écrivain pris en considération. Les chapitres suivants tracent un panoramique qui commence par les éléments sans autonomie (clitiques, déterminants, prépositions et conjonctions, pronoms personnels), suit un parcours régulier, en passant d’abord par la proposition minimale, puis par la phrase développée avec intégration et insertion, et s’achève sur les marquages subjectifs. Cette trajectoire se termine par l’analyse plus subtile et détaillée de l’ordre des mots dans le texte. La séquence des paroles est envisagée comme élément fondamental qui participe à la cohésion et à la construction du texte et qui, par conséquent, apparaît comme un facteur déterminant dans la genèse d’un style.
Les pages de ce travail sont jonchées d’astérisques, situés à côté de certains termes ou locutions, qui renvoient à des légendes donnant les définitions de mots ou expressions, parmi lesquels proposition assertive, flexion, grammaticalisation, commutation, anaphorique, prototype, conflit, proverbe, coordination, polyptote, pour en citer quelques-uns. Elles fournissent des exemples pratiques de fonctions, figures rhétoriques ou constructions de grammaire ; elles exposent et expliquent leur utilisation et application,
en donnant toutes les clés pour les employer à bon escient. En outre, des encadrés, riches en citations de textes plus spécifiques, renseignent sur-le-champ les utilisateurs sur des sujets et des cas particuliers. Parmi ces derniers on peut mentionner Les parties du discours, L’antéposition de l’adjectif, Les parenthèses, Place de l’adverbe, Inversion simple et inversion complexe, Conjonction ou préposition ?, Le mécanisme de l’insertion. Ils s’appuient sur des exemples qui éclairent mieux l’usage d’une fonction ou d’une construction syntaxique, en la situant dans le contexte ou dans les formules où elle peut être employée avec toutes ses nuances possibles. Ils répondent, donc, aux exigences du public étudiant et professionnel désirant consolider sa maîtrise écrite ou orale ; de fait, leur consultation dissout facilement les doutes les plus fréquents, portant sur des questions ou des sujets plus ou moins complexes, d’une façon synthétique mais exhaustive.
De surcroît ce livre est parsemé de textes littéraires, suivis de commentaire, qui constituent un terrain d’observations, de réflexions et d’analyse de la fréquence de certains procédés ou figures de style chez les écrivains français, de Chateaubriand, Flaubert et Zola à Proust, Rimbaud et Céline ; de Voltaire et Simenon à Marguerite Duras et Saint-John Perse. Sans oublier les textes du Moyen Âge, comme La Chanson de Roland en français ancien, accompagnés de textes correspondants en français contemporain, afin d’illustrer les différences ou similitudes dans l’ordre des mots. S’y ajoutent les exercices, eux aussi suivis d’un commentaire explicatif sur les différents types d’énoncés et pourvus des applications corrigées. Ils constituent des moyens offerts aux utilisateurs pour vérifier la compréhension des sujets abordés et se mettre à l’épreuve par l’application des règles auparavant expliquées, en discernant la bonne solution et le meilleur choix à faire, selon les divers cas présentés. Les nombreuses invitations à consulter des textes, qui abordent d’une manière plus approfondie les sujets côtoyés (verbe, subordination, nom, grammaire transformationnelle, apposition, style), et les indications bibliographiques, données à la fin de chaque thème traité, complètent d’une façon exemplaire la solide charpente de ce manuel. Les unes et les autres procurent toutes les coordonnées pour déchiffrer d’une manière correcte et optimale la question de l’ordre des mots. Elle est, en effet, analysée avec une grande rigueur méthodique, en conduisant le lecteur vers des sentiers encore inconnus de la science qui prend le nom de linguistique.
En outre, un certain parti pris de la simplicité et de la proximité présente une langue abordable et vivante, bien ancrée dans le quotidien, sans pour autant négliger le lexique technique de compétence. Les définitions et les explications sont claires et précises, couronnées de plusieurs remarques, qui aident l’utilisateur à ne pas courir le risque d’une fausse interprétation ou de tomber dans le piège des ambiguïtés, ayant enfin le but d’éviter les erreurs classiques.
À l’aide d’une présentation graphique aérée et parfaitement ordonnée ainsi que des définitions, des références et des encadrés mentionnés plus haut, le lecteur est emmené vers la matière linguistique petit à petit, par une approche progressive et presque familière. Au fur et à mesure qu’il avance, en feuilletant ses pages et en lisant ses légendes, il est de plus en plus fasciné par ce monde, séduit par des chemins encore inexplorés et guidé d’une manière rassurante à leur découverte. La mise en page de ce livre est très bien faite et la succession systématique des sujets abordés facilite sa consultation et rend agréable son utilisation. En effet, il fournit des exposés et des éclaircissements rapides, dont l’usager peut jouir tout de suite, en les mémorisant et intériorisant pour l’étude et en les appliquant dans la pratique professionnelle ou dans la vie de tous les jours.
En conclusion, on peut considérer cette œuvre comme un instrument fonctionnel, aisément consultable et utile à tous ceux qui ont la nécessité pour leurs études ou pour des raisons professionnelles de décrypter les mécanismes secrets de l’ordre des mots dans tous les détails et traces évidentes de son emploi. Cela toujours à la recherche de la construction juste à utiliser dans un texte, ou en quête de la pluralité des sens qu’il peut faire recouvrir aux éléments qui en font partie. Par sa rédaction et son aboutissement scientifique et pratique à la fois, il se confirme un outil essentiel à la valeur indiscutable. D’un autre côté il représente un guide presque amical, qui donne accès à une recherche avancée, infatigable et sans arrêt, capable de stimuler la curiosité de son usager. Ce dernier est, en effet, poussé à se confronter avec ce domaine, autrefois considéré comme compliqué et difficile à pénétrer, à poursuivre son exploration captivante et charmante par un voyage aventureux dans les dédales de son labyrinthe, et enfin à découvrir les raisons sous-tendues à l’ordre des mots. À travers le passage de la phrase au texte et de la langue au style, cet ouvrage accompagne le lecteur dans l’apprentissage de la construction
du texte et du style, résultat de l’agencement de faits de langue. En présentant la grammaire comme un savoir organisé et cohérent, Tamine exorcise les peurs des étudiants, concernant la difficulté proverbiale de cette discipline, et les libère de leurs préjugés à cet égard. Elle conduit ses lecteurs à son but final, la connaissance précise et ponctuelle des principes auxquels obéit l’ordre des mots. Cela en assouvissant la soif de compréhension de son public et en l’encourageant à prolonger ses études et ses recherches dans cette sphère, qui occupe un rôle important par ses reflets dans la vie sociale et quotidienne de tous les hommes.
Carmela Rizzi
Université de Bari Aldo Moro LaBLex
1 Bernard Dantier, La langue entre lexicographie et linguistique : Introduction à la Préface au Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré, p. 4, 1er juin 2003, http://classiques.uqac.ca
2 Josette Rey-Debove, Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, Paris, Mouton, 1971, p. 13-14.
3 Alain Rey, De l’artisanat des dictionnaires à une science du mot. Images et modèles, amoureux des dictionnaires, Paris, Armand Colin, 2002, p. 13.
4 Alain Rey, « La conservation et la transmission des données », in Cahiers du dictionnaire, 2011, 3, Paris, Classiques Garnier, p. 12.
5 Georges Matoré, Histoire des dictionnaires français, Paris, Larousse, 1968, p. 30.
6 Jean-Claude Boulanger, « Le paysage lexicographique entre 1878 et 1932. Portrait d’une culture d’époque », Cahiers de lexicologie, 1994, n. 65, 2, p. 38.
7 L’auteur du livre se réfère à l’édition suivante : Hatzfeld Adolphe – Darmesteter Arsène – Thomas Antoine, Dictionnaire général de la langue française du commencement du xviie siècle à nos jours précédé du Traité de formation de la langue […], Paris, Charles Delagrave, s. d., [1889-1900], 2 vol., XXVIII+300+2272 p. Pour les citations tirées de l’Introduction, il abrège par le mot Introduction.
8 Jean Pruvost, Les dictionnaires de la langue française, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p. 54.
9 Claude Dubois, « Considérations générales sur l’organisation du travail lexicographique », in Wörterbücher Dictionnaries Dictionnaires. Ein internationales Handbuch zur Lexicographie. An International Encyclopaedia of Lexicography. Encyclopédie internationale de lexicographie, von/by/par Franz Josef Haussmann, Oscar Reichmann, Herbert Ernst Wiegand, Ladislav Zgusta, 1990, t. 2, p. p. 1574-1579, New York, Walter de Gruyter.
10 Cf. Giovanni Dotoli, Le dictionnaire général de la langue française. Une grande révolution, Paris, Éditions Hermann, 2013, p. 16.
11 Ibid., p. 16-17.
12 Giovanni Dotoli, La symphonie du temps dans le dictionnaire, Fasano – Paris, Schena – Baudry et Cie, 2011.
13 Giovanni Dotoli, Le dictionnaire de la langue française. Théorie, pratique, utopie, Préface de Danièle Morvan, Paris, Éditions Hermann, 2012, p. 216.
14 Introduction, p. x.
15 Introduction, p. xiii.
16 Ibid.
17 Introduction, p. xv.
18 Cf. Giovanni Giovanni Dotoli, Le dictionnaire général de la langue française. Une grande révolution, cit., p. 46.
19 Ibid., p. 17.
20 Victor Hugo, Préface de Cromwell (1827), édition d’Anne Ubersfeld, in Œuvres complètes, vol. 12, Critique, coll. « Bouquins », Paris, Robert Laffont, 1985, p. 30.
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-8124-3679-6
- EAN : 9782812436796
- ISSN : 2262-0419
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3679-6.p.0429
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/03/2015
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français