[Introduction de la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Le Théâtre en procès. Épilogues contentieux de trois querelles dramaturgiques contemporaines
- Pages: 41 to 41
- Collection: Literature and Censorship, n° 8
Tant la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, que Golgota picnic de Rodrigo García et encore Exhibit B de Brett Bailey ont suscité au fil des représentations et parfois même avant qu’elles ne commencent des contestations qui se sont transformées en véritables querelles par les oppositions et réactions radicales auxquelles elles ont conduit. Il n’y avait sans doute pas eu avant ces trois querelles des années 2010 autant d’émotions populaire et médiatique depuis les altercations au Théâtre de l’Odéon suscitées en 1966 par les représentations des Paravents de Jean Genet1, qui présentent des équivalents uniquement sur trois points : destructions mobilières et agressions physiques2, exclusivité française3 et absence d’annulation des représentations. À la différence des trois querelles de ce début du xxie siècle, celle4 de 1966 n’a pas pris un tour contentieux, mais est restée exclusivement sur le terrain politique, suscitant des débats à l’Assemblée nationale sur la question du subventionnement du théâtre public, qui avait déclenché la fameuse réaction de Malraux, alors ministre de la Culture refusant la censure au nom de la liberté d’expression5. Cette véritable « affaire d’État6 », impliquant les personnalités politiques et les médias de tous bords, s’est traduite par un affrontement idéologique dont le degré n’a nullement été atteint par les trois affaires étudiées qui n’ont suscité que peu de réaction des élus de la République.
1 Les Paravents avait été créé à Berlin-ouest en 1951 (dans une mise en scène de Hans Lietzau) et jouée dans plusieurs capitales européennes avant Paris. V. le dossier de Michel Corvin in : Jean Genet, Les Paravents, Gallimard, folio théâtre, no 69, 1979, p. 298 s.
2 Un groupe de parachutistes et nostalgiques de l’Algérie française, envahissait le 30 avril 1966 le Théâtre de l’Odéon, lançait des projectiles et agressait les comédiens (dont Maria Casarès). L’un d’entre eux fut blessé, ainsi qu’un machiniste.
3 Comme les trois spectacles étudiés, la pièce de Genet fut jouée par la suite sans incidents dans d’autres pays européens.
4 Le député Christian Bonnet a employé le terme de « querelle » lors du débat du 26 octobre 1966 demandant une réduction de la subvention au théâtre de France équivalent au coût de la création de la pièce controversée (Assemblée nationale, 2e séance du 27 octobre 1966 sur la loi de finances pour 1967, JORF du 28 octobre 1966, p. 3979).
5 « La liberté, Mesdames, Messieurs, n’a pas toujours les mains propres […] Cette pièce blesse votre sensibilité. N’allez pas acheter votre place au contrôle. On joue d’autres choses ailleurs » : Assemblée nationale, 2e séance du 27 octobre 1966, ibid., p. 3989.
6 Françoise Lecercle, « Continuer la guerre par d’autres moyens : l’exemple des Paravents » in : Théâtre et scandale (1), op. cit., § 5.