Introduction
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Théâtre de l’interprétation. L’histoire immédiate en scène
- Pages : 375 à 377
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 98
- Série : Classique/Moderne, n° 10
Introduction
L’ensemble des pièces d’histoire immédiate ne releve pas d’un genre spécifique. Ce groupe de pièces n’était pas identifié comme étant régi par un fonctionnement singulier à l’époque de sa composition, il n’était sans doute pas même considéré globalement comme un ensemble dont les espèces auraient pu être reliées et pensées ensemble. Ce corpus rassemble des œuvres produites dans des contextes distincts. S’il existait sans doute des effets d’affiliation ou d’écho entre certaines d’entre elles1, rien n’indique une conscience ou une volonté, de la part des dramaturges, de les inscrire dans un cadre commun. Entre les pièces de guerre de Lope de Vega, les tragédies de George Chapman et le récit de naufrage des Portugaiz infortunez, il ne peut être tissé aucun lien généalogique. On ne peut pas non plus saisir rétrospectivement une cohérence générique fondée sur l’analogie des œuvres entre elles tant elles présentent de disparités, ne serait-ce qu’en raison de la variété des sujets qu’elles traitent. La typologie de la partie précédente, qui s’est imposée pour permettre dans chaque section une réflexion sur des objets comparables, découlait de la nécessité de constituer des sous-ensembles brassant des problématiques communes. Elle révèle à la fois l’hétérogénéité de l’ensemble et la possibilité de circonscrire certaines analogies fécondes.
Le théâtre d’histoire immédiate ne peut donc être érigé en « genre » : il ne relève d’aucune des deux logiques d’engendrement générique identifiées par Jean-Marie Schaeffer, n’étant ni une classe généalogique consciemment constituée par référence à une ou des œuvres modèles, ni une classe analogique fabriquée rétrospectivement2. Le découpage qui préside à la constitution de ce corpus procède, on l’a vu, d’une interrogation 376sur les mises en scènes du passé collectif proche : il constitue un regroupement construit à partir d’un questionnement et de l’identification d’un ensemble de pièces possédant toutes la particularité de traiter le temps récent. Toutefois, même s’il ne constitue pas à proprement parler un genre, ce corpus est porteur d’enjeux relativement homogènes parce qu’il implique nécessairement la production d’une herméneutique de l’histoire, comme l’a montré la deuxième partie, et aussi, comme s’attachera à le prouver cette troisième partie, en ce qu’il perturbe de façon assez constante, même si c’est à des degrés divers, les pratiques et pensées génériques de son époque et les formes d’efficacité théâtrale qui en découlent. Son identité poétique et esthétique ne réside pas dans des traits de composition communs, mais dans le trouble qu’il impose à la fabrique de la mimèsis théâtrale et à la gestion de ses effets. C’est dans cette distance que se niche la spécificité du théâtre d’histoire immédiate, distance qui constitue également le creuset de son potentiel réflexif.
La variété des formes adoptées par le théâtre d’histoire immédiate est remarquable. Les dénominations présentes dans les sous-titres et les titres des pièces empruntent à tout l’éventail des nuances génériques possibles : tragédie, tragedia, tragedy, comédie et tragi-comédie ou tragicomedia voisinent avec famous tragedy, tragedia lastimosa, tragedia spirituale, opera scenica, life, history, true history, famous history, chronicle history, sans compter la dénomination comedia qui, en contexte espagnol, n’indique aucune inflexion générique particulière et signifie simplement « pièce de théâtre ». Ces étiquettes sont associées à des titres parfois très longs, tels Le Miroir de l’union Belgique auquel se représente l’État où elle a été réduite passe plusieurs années, et le moyen par lequel l’Éternel l’a maintenue et maintient, nonobstant tous les empêchements de la tyrannie espagnole, le tout en forme de tragi-comédie d’Antoine Lancel, La Sanglante Bataille d’entre les Impériaux et Bohêmes, donnée au parc de L’Étoile, La reddition de Prague et ensemble l’origine du trouble de Bohême de Denis Coppée, A Larum for London or the Siedge of Antwerpe. With the ventrous actes and valorous deeds of the lame Soldier attribuée à Thomas Lodge, When you see me, You know me, or the famous Chronicle History of King Henry the eight, with the birth and vertuous life of Edward Prince of Wales de Samuel Rowley, If you know not me, you know nobody, with the building of the Royal Exchange and the famous victory of Queen Elizabeth. Ces titres suggèrent soit l’enchaînement de plusieurs actions, soit, dans le titre de Denis Coppée, l’implication d’une 377recherche de l’origine des troubles relatés, soit enfin la requalification qui livre deux éclairages différents sur l’action, pour la pièce attribuée à Thomas Lodge dont le titre fait successivement référence à l’action militaire générale et aux agissements héroïques d’un simple soldat éclopé. Cette ampleur renvoie donc tantôt à une narrativité étendue de l’action représentée ou impliquée dans la pièce, tantôt à la variété des points de vue qu’elle déploie. Elle suggère diverses formes de débordements possibles de l’intrigue. Nous observerons cette polyvalence de la mimèsis dans les pièces à dominante tragique, avant d’aborder les œuvres plus narratives et enfin les comédies.
1 Les pièces catholiques sur Marie Stuart constituent un ensemble identifiable, de même par exemple que les pièces anglaises sur l’histoire de France d’une part, les pièces à martyre italiennes et françaises d’autre part.
2 Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1989, p. 173.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-10840-5
- EAN : 9782406108405
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10840-5.p.0375
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/03/2021
- Langue : Français