Introduction
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Le Roman contemporain de la famille
- Author: Coyault (Sylviane)
- Pages: 9 to 10
- Journal: Journal of Modern Literature
- Series: Écritures contemporaines, n° 12
Introduction
Certes, la famille va mal. Mais peut-être pas plus mal que dans les décennies ou les siècles précédents. La promotion de la vie privée, aussi bien dans les sciences humaines que dans les médias oriente le projecteur sur ses dysfonctionnements. Le discours sociologique est prudent, ou contradictoire, allant du pessimisme alarmiste à l’optimisme candide. Les médias de leur côté ont un intérêt de scandale à soulever les crimes en tous genres, liens pervers, aliénations et psychoses. Cet environnement médiatique, faussement ou véritablement scientifique, constitue le matériau du romancier, en particulier dans les œuvres analysées dans ce volume, presque toutes parues entre 1980 et 2010. Plus souvent avec un regard de sociologue que de moraliste, le romancier observe les petites infamies et graves distorsions qui règnent dans les foyers fermés et derrière les portes closes.
C’est donc non pas à la famille comme réalité mais comme puissant élément de fiction que s’intéressent les études ici rassemblées. D’ailleurs les conditions même du récit romanesque obscurcissent peut-être autant la compréhension de cette entité qu’elles ne l’éclairent.
Le roman cherche pourtant à renouer avec les figures antérieures, les figures ancestrales, qui permettraient de dessiner les linéaments d’une filiation. Le récit romanesque se fait alors romance généalogique en quête d’un héritage qui ne sera le plus souvent que fabuleusement rêvé. Car ces légendes familiales sont déchirées par les failles, les lacunes et les manques : la filiation devient incertaine et oblique ; l’héritage prend la forme d’un trésor à jamais enfoui….
Quant au questionnement identitaire du sujet, s’il se fait recherche d’une origine généalogique ou familiale tangible, il aura tôt fait de se fourvoyer. Les auteurs mentionnés dans ce recueil sont des enfants de l’incertain : la Seconde Guerre mondiale (son Occupation et sa collaboration), puis mai 1968 (ses revendications et ses avant-gardes) en ont
fait un être intranquille quant à ses racines et mélancolique quant à sa destinée. Seule, toujours, l’écriture offre le salut que la défection des Pères a mis en péril, seule encore elle fournit au sujet la « famille » et la « patrie » que les mots d’ordre du xxe siècle ont empoisonnées.
Enfin, si les grandes sagas calquaient la prolifération fluviatile des générations, aujourd’hui le roman se modèle plutôt sur les désunions, chaos et recompositions que présentent les familles ou… « défamilles ». Il en résulte une imagination formelle à la mesure de ces infamiliarités, brouillant aussi bien les codes génériques que les registres de langue. L’heure est moins à la déploration qu’au cynisme, ou au loufoque ; mais dans ce tohu-bohu des familles, émergent parfois, malgré tout, les signes d’une confiance humaniste inattendue.
Sylviane Coyault