Se n’est par bien celer, par faulx samblant et par sagement faindre Le réseau Faux Semblant à la lumière des jeux émotionnels amoureux
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Jeu des émotions dans la littérature française médiévale. Du beau au faux semblant
- Pages : 357 à 432
- Collection : POLEN - Pouvoirs, lettres, normes, n° 34
Se n ’ est par bien celer, par faulx samblant et par sagement faindre
Le réseau Faux Semblant à la lumière
des jeux émotionnels amoureux
De l’ambiguïté des jeux amoureux
L’inscription du Roman de la Rose dans la tradition des arts d’aimer médiévaux laisse peu de doute à la lecture de ce roman animé d’une volonté didactique qui ressort davantage renforcée que voilée par sa construction allégorique. Le roman de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun inspire d’ailleurs d’autres auteurs d’œuvres à tonalité didactique à recourir au montage allégorique pour asseoir leur message. C’est notamment le cas d’Évrart de Conty ou de Martin le Franc, à chaque extrême du spectre que dessine l’influence du Roman de la Rose et surtout du personnage de Faux Semblant. Le succès du Miroer aus amoureux, selon la formule éloquente de Jean de Meun, contribue ainsi aux efforts de définition de l’éthique amoureuse courtoise, mais la met en question aussi. Faux Semblant détonne face aux normes et représentations courtoises qu’il invite à reconsidérer. Son entrée en scène ne pouvait donc passer inaperçue, et il convenait, pour les auteurs qui se sont inscrits à sa suite, de lui accorder l’attention requise. Faux Semblant s’érige dès lors comme repoussoir des attitudes et stratégies perfides des faux amants ou, au contraire, suivant le modèle du Roman de la Rose, comme source d’inspiration pour assurer la conquête amoureuse. Mais la mise en lumière abrupte des manipulations amoureuses que propose Jean de Meun par la figure de Faux Semblant n’est pas sans faire écho aux décalages déjà perçus dans la tradition de la fin’amor. Elle paraît se construire sur les impératifs qui entourent l’émotion amoureuse dans la lignée ovidienne. La 358sphère amoureuse est en elle-même très propice aux jeux émotionnels, le plus souvent valorisés comme relevant de la discrétion indispensable à la relation des fin’amants1. Mais cette émotionologie requise chez les amants présente, on l’a vu, des nuances dans la mise en scène qu’en offrent les auteurs médiévaux, bien avant celle, certes éclatante, de Faux Semblant. Les raisons qui sous-tendent l’ensemble de ces manipulations émotionnelles s’avèrent fort intéressantes pour affiner la morale qui entoure comme toujours, voire plus encore dans ce contexte, l’instance émotionnelle. Le passage du bel au faux semblant se veut motivé et ne l’est peut-être que plus encore à la suite du Roman de la Rose. Les dynamiques de tromperie ainsi exacerbées répondent à une logique bien identifiable, de la figure du losengier à celle du prétendu amant, selon une transition cristallisée par Faux Semblant. Celle-ci reste néanmoins problématique, et de nombreux auteurs s’efforcent de le souligner à la suite de Jean de Meun. Les Faux Semblants continuent à agiter la communauté émotionnelle des amants dont nous aimerions interroger les scripts émotionnels particuliers, entre renfort indispensable au succès amoureux et objet de condamnation implacable pour la fausseté dont ils souillent alors l’amour. Le faux moine permet certes de contrer la menace des losengiers, mais aussi dès lors de concentrer la crainte d’un débordement du fin au fauxamant, et surtout de la difficulté de son discernement. Se pose alors, une fois encore, la question de la lecture de l’intériorité, de la très intime émotion amoureuse, inaccessible par essence, cachée par recommandation, mais aussi feinte et manipulée par jeu.
Nous voudrions ainsi démontrer comment le Roman de la Rose s’inscrit au cœur d’une dynamique inhérente à l’éthique de la fin’amor, dont l’injonction du secret se conçoit d’emblée dans un rapport ambigu à l’hypocrisie. Le passage du bel au faux semblant opéré par Jean de Meun répond en réalité à une exigence toute logique de la discrétion recommandée aux fin’amants. Nous avons pu percevoir que le système qui se dessine avec Faux Semblant prend ses sources bien en amont, dans ses connotations ironiques également d’ailleurs. La mise en lumière que Faux Semblant en propose n’est pas anodine pour autant, et la tradition littéraire témoigne de l’impact de l’introduction d’un tel personnage dans les rangs du dieu Amour. Elle se fait plus complexe pour affronter 359l’héritage du faux moine, offrant toute une gamme de réponses originales au problème qu’il pose, de manière si explicite, aux injonctions contradictoires du bien celer, mais aussi de la sincérité. Une fois de plus, cette tension s’inscrit sur le corps qui porte les émotions, avec d’autant plus de force dans l’univers amoureux. Les réflexions menées à son endroit chez les poètes courtois sont ainsi nombreuses pour affronter les difficultés que pose le corps comme reflet trouble de l’âme. Quelles qu’en soient les atteintes évidentes, démontrées par les conseils de dissimulation et de simulation des émotions, les poètes médiévaux continuent de chanter ce rapport de continuité entre intérieur et extérieur. C’est notamment le cas de Guillaume de Machaut qui célèbre avec un enthousiasme presque nostalgique la vérité du corps amoureux. Ce sont justement les symptômes de l’intensité du vécu émotionnel – successions de couleurs, soupirs et larmes – qui rendraient compte de la sincérité de l’amant2. Mais Guillaume de Machaut lui-même a cependant conscience du risque de contrefaçons, quelle que soit sa conviction de la pureté des signes de l’amour, comme le révèle Jacqueline Cerquiglini :
Car la voix du corps ne peut-elle être, à son tour, imitée et, par là même dévaluée ? Machaut est conscient de cette difficulté et toute la réflexion médiévale sur le singe, – le singe qui « fait grimacer dans la texture anagrammatique de son nom, le “signe” » – serait là, d’ailleurs, pour la lui rappeler. Le geste peut être imité, « contrefait » comme dit le Moyen Age, voire appris3.
Le danger réside d’abord dans l’équivocité de ces signes, qu’il convient encore de savoir interpréter correctement, soient-ils sincères ou non4. Mais bien sûr, le plus grand risque touche à la possibilité qu’a le corps de feindre les émotions. Les appels au contrôle de la sphère affective mettent en lumière du même mouvement son importance et la possibilité de la manipuler5. Les gestes émotionnels peuvent alors être considérés hors de 360la concordance obligatoire entre intérieur et extérieur. Ils témoignent de la compétence sociale des émotions et surtout du corps qui s’en fait le témoin6 et intègrent ce faisant une fonction performative7. Plus encore, le corps – tout autant que les émotions – peut aussi devenir stratagème narratif. Daniel Lord Smail reconnaît aux gestes une fonction littéraire importante. On sort ainsi du rôle de représentation émotionnelle des indices somatiques pour les comprendre comme codes plutôt que signes8. Nulle autre émotion en effet que celle visible et, plus encore, mise en scène dans le récit. C’est donc une analyse centrée sur la visibilité de l’émotion que nous voudrions proposer, entre exigence de performance, mais aussi de sincérité, tel qu’y appelle Guillaume de Machaut par exemple. L’éthique amoureuse courtoise insiste en effet autant sur la tempérance émotionnelle – et corporelle – que sur la sincérité obligatoire, entre amants tout au moins9. Il s’agit là d’un critère tout aussi essentiel que la mesure elle-même, comme nous l’avons déjà souligné10. Rüdiger Schnell, qui rappelait ces différents facteurs d’évaluation de la fin’amor, insiste sur ce dernier paramètre, fondamental pour les amants :
Sincérité, triuwe, pureté de l’amour : tout ceci est indissociable de l’amour courtois, qu’il soit appelé rehteminne, wariuminne, boineamour, fin’amors ou lealamor. Si dans l’amour l’attitude intérieure et le juste sentiment deviennent si importants, il est évident que les valeurs spirituelles propres à un être humain prennent de l’importance : les apparences peuvent être trompeuses et être une menace pour une relation durable11.
Telle est toute l’ambiguïté qui entoure la sphère amoureuse, à la fois obligatoirement sincère et tue, pure et contrôlée, voire manipulée. Cette tension s’inscrit déjà chez Ovide et dans les traités d’amour médiévaux à sa suite. La littérature narrative s’en empare également et en joue au 361gré de stratagèmes mêlant habilement le respect du secret indispensable à l’éthique courtoise et une dynamique plus rusée.
Une fois mise en exergue dans toute son ampleur sous la figure de Faux Semblant, la part de ruse dont peuvent se revêtir les jeux émotionnels des amants ne peut rester sous silence. L’ambiguïté du système, révélée par Jean de Meun, ne peut plus bénéficier de la légitimité relative dont les auteurs des œuvres arthuriennes et tristaniennes l’entouraient. Elle appelle à toutes sortes de réponses plus ou moins favorables ou condamnatrices, brodant sur toutes les nuances mises en scène dans le Roman de la Rose, mais aussi, déjà avant lui, dans l’ensemble de l’univers amoureux courtois. Nous voudrions accorder l’importance requise à ces nuances, pour tenter d’approcher la frontière, aussi floue soit-elle, entre la valorisation et la condamnation du jeu émotionnel, dans la mise en lumière explicite du bel ou du faux semblant. La littérature médiévale oscille dès lors entre valorisation et rejet des manipulations émotionnelles requises, explore les conditions qui peuvent les autoriser, dans un nouvel écho à la théorie de l’intention qui éclaire la morale des émotions tout au long du Moyen Âge.
Du bel au faux semblant :
l’héritage du Roman de la Rose en question
L’émotionologie amoureuse se construit d’emblée sur un discours ambigu, notamment par l’influence qu’exerce l’art d’aimer ovidien. Les manipulations du semblant amoureux y sont déjà dépeintes comme essentielles à la conquête et plus encore à la préservation de l’amour. L’éthique de la fin’amor chantée par les troubadours et reprise dans les romans courtois tels que ceux de la légende arthurienne ou tristanienne affine ce regard porté sur la manifestation des émotions de la part des amants. La loi du secret empreint leur code de conduite, comme stratégie de protection indispensable face à la visibilité trop évidente de leurs émotions. Les mentions obsessionnelles du public attestent ce souci de discrétion, dans une belle démonstration de l’intimité recherchée par le couple. Elles constituent également un argument d’intérêt pour l’étude des émotions et de leurs apparences. Elles témoignent en effet du rôle 362essentiel qui leur est accordé : en redoublant la question du regard porté sur les émotions des amants après celui qu’y fixe lui-même le narrateur, la place prise par la mise en scène des émotions ne saurait être plus évidente. Les semblants émotionnels acquièrent ainsi une fonction cruciale dans la narration, comme indice formel des dynamiques et renversements qui la déterminent. À ce titre, l’évaluation qu’implique ce regard focalisé sur les apparences offertes des émotions joue un rôle fondamental. Celle-ci s’avère plus importante encore dans les cas de ruses explicites mises en scène dans la trame du récit, pour toutes les connotations impliquées et leurs répercussions souvent plus grandes encore.
On a observé comment l’idéal de mezura des fin’amants déborde dans une pratique du secret qui, gagnant en importance, finit par poser la question du pouvoir accordé à la manipulation des gestes émotionnels. Fondée sur un impératif de sincérité entre amants, l’éthique amoureuse se définit néanmoins de manière intrinsèque dans un rapport à l’obscurité. Indispensable à la discrétion des émotions amoureuses, elle ne peut cependant que conduire à la mise en lumière. Ceci témoigne d’une théâtralité inhérente à la vie amoureuse12. Brînduşa Grigoriu pose ce très juste constat en introduction de son analyse des romans tristaniens, en soulignant qu’il ne s’agit pas pour autant d’opposer sincérité et jeu de scène. C’est néanmoins exactement à cette rupture entre sincérité et fausseté des émotions manifestées par la communauté émotionnelle des amants que nous voudrions nous consacrer, à celle que le texte expose lui-même, jouant de nuances subtiles, mais pas moins significatives. Jean de Meun illustre cette transition dans le passage qu’il offre du personnage de Bel Semblant à celui de FauxSemblant, la bienséance courtoise étant cette fois dénoncée pour son hypocrisie. Cette dénonciation s’inscrit toutefois dans une dynamique toute logique : la fausseté potentielle des jeux émotionnels dans la relation amoureuse constitue une donnée bien établie, mais peut-être jamais pleinement assumée dans les œuvres courtoises. Jutta Eming expose en tout cas cette constante qu’il convient en effet de prendre en compte : « Auch und gerade die Liebesbeziehung ist kein Ort der Authentizität und Vertrautheit per se13 ». Cette mise en lumière 363par Jean de Meun de la part trompeuse potentielle des manipulations émotionnelles conduira la suite de nos analyses.
En quête de la ruse amoureuse : des losengiers aux faux amants
Un paradoxe marque, ici comme ailleurs, le renversement qui s’opère dans la pratique de maîtrise émotionnelle. Le modèle de contrôle de soi qui empreint autant la scène sociale que la relation amoureuse – avec la diversité d’objectifs poursuivis que nous avons pu noter – dénote une réflexion portée sur la variabilité des degrés de transparence qui dictait cet idéal de garde. En cherchant à assurer la bienséance de l’homo exterior, c’est sa rupture potentielle avec l’homo interior qui est affichée. L’amour pose particulièrement question dans ce contexte, en tant qu’émotion profondément intime confrontée à l’univers social, tel que nous avons souhaité le mettre en exergue dans ce premier temps de nos analyses14. La communauté émotionnelle des amants offre un lieu propice de réflexion quant aux normes qui entourent la sphère affective. Leurs impératifs varient et semblent induire d’autres logiques dans les jeux émotionnels qu’ils présentent, ouvrant la porte à la ruse elle-même. Les exemples observés de simulation de tristesse mise sur pied par Tristan ou Yseut témoignent certes toujours du souhait de garder discret l’amour qui se cache derrière ce faux semblant affecté, mais aussi d’une dimension trompeuse15. Ils signalent une prise de conscience de l’efficacité des émotions, de leur pouvoir performatif. Les directeurs de l’ouvrage consacré aux émotions arthuriennes ont tenu à souligner cet aspect essentiel du traitement des émotions au sein de la littérature médiévale, qui révèle tout l’intérêt que nous souhaitions leur porter au gré de nos analyses : « Emotion may be both performative, in the sense of achieving change within and external to the text, and performance: a strategic display of emotional signs which do not necessarily correspond to internal affect16 ». Ils attestent ainsi le double pouvoir des émotions, performatives et performantes. On cesse 364alors de considérer les émotions uniquement comme des objets à dissimuler pour envisager également l’utilité de leur simulation. Jutta Eming insiste à ce niveau sur la réflexion qu’imposent les émotions autour de la concordance entre dedans et dehors pas seulement par le biais des techniques de dissimulation, mais aussi par celles de simulation17. Il convient cependant de distinguer ces deux pratiques qui s’inscrivent le plus souvent dans des optiques différentes, nos analyses nous y ont aussi conduite : « Il peut s’agir d’un comportement négatif consistant à dissimuler la vérité ou bien d’une apparence visant à feindre une autre réalité. Ce sont là deux attitudes tout à fait différentes18 ». La nuance semble tenir avant tout à l’objectif poursuivi. Les jeux de simulation paraissent en effet pour la plupart dépasser l’enjeu de la préservation de l’amour. Déjà chez Drouart la Vache, nous notions que les appels à la feintise émotionnelle sortaient du seul cadre de la discrétion requise pour les amants19. Le constat s’impose : la dissimulation ne suffit pas à assurer le secret de l’amour ou, plus encore, à le gagner et à le conserver. C’est ainsi que d’autres stratégies sont déployées, que le faux semblant lui-même entre en scène. Son intégration parmi les astuces amoureuses, dépeinte de manière exemplaire par Jean de Meun, répond à la fois à la difficulté et à l’impérativité pour les amants de jouer de leurs émotions. Les efforts fournis par Guenièvre ou par Tristan attestent cette logique qui conduit finalement à la ruse nécessaire pour assurer la discrétion. C’est ainsi sur la base de cette loi du secret que se fonde la possibilité du jeu à proprement parler. L’une de ses attestations les plus atypiques en témoigne. L’exigence du secret amoureux traverse en effet la pensée médiévale jusqu’à apparaître au sein du corpus des fabliaux, nettement plus grivois que courtois pourtant : « Qui aime, il doit s’amor celer20 ». Cet impératif se présente ici sous la forme d’une sorte de proverbe, qui témoigne encore de son emprise dans l’émotionologie. Intégré au récit, commun au sein des fabliaux, d’une femme s’étant attaché l’affection 365d’un clerc, dans le dos de son mari comme de bien entendu, le proverbe résonne en outre déjà comme une incitation aux jeux eux aussi esquissés dans cet appel au contrôle. Les situations éminemment rusées des fabliaux illustrent la prégnance de ces appels à la dissimulation amoureuse, mais aussi la réflexion qu’ils induisent autour de la vérité. Une casuistique de la tromperie paraît ainsi émerger au gré de toutes ces recommandations de discrétion et de la diversité des formes qu’elle finit par prendre. L’hypocrisie est certes mauvaise, son immoralité soulignée, mais son évaluation reste en réalité une affaire de contexte. Matilda T. Bruckner insiste sur l’équivocité de cette condamnation, arguant notamment que la vérité n’offre pas toujours le meilleur des choix21. La vérité ne s’avère en effet jamais pleinement et uniquement positive, comme le souligne aussi Mathilde Grodet dans son analyse de la pratique du bel mentir. Elle observe ainsi un brouillage des limites entre vrai et faux, en opposition aux exigences morales d’apparence très ferme22. Toute une série de justifications émergent autour des attitudes mystificatrices, selon des projets politiques ou religieux notamment23, mais aussi au service de la lisibilité sociale qui permet ainsi une distinction nette avec la fausseté24, sans parler des objectifs spécifiques à la sphère amoureuse. Les manipulations du semblant profitent d’une légitimation importante dans le cadre amoureux adultère de la tradition de la fin’amor25. Un rapport essentiel s’y établit néanmoins aussi à la 366vérité, tout en soulignant que la seule vérité importante, mais justement insaisissable, est celle de l’amour. La question de la culpabilité y reste volontairement floue, tout comme celle des valeurs de bien et de mal26. La notion de vérité se trouble au service de la célébration de l’amour : les amants restent valorisés, voire protégés. L’amour échappe à la réprobation obsessionnelle par ailleurs du mensonge, dans les arts d’aimer comme dans les œuvres qui s’en font l’écho27. C’est sur la base de la loi du secret que se fonde cette position paradoxale autour de la vérité et surtout des entorses qu’elle connaît. Mais la dissimulation à laquelle celle-ci incite présente vite des limites, nous l’avons vu. C’est la tromperie elle-même qui s’impose alors aux amants, aux femmes surtout, selon le constat dressé dans ce premier temps d’analyse. C’est aussi le point de vue de Matilda T. Bruckner :
We have seen that ladies, particularly ladies in love, are a special case when it comes to truth-telling, since any welcoming face (“bel semblant”, v. 8 401) they might show, even to a brother, is subject to people’s penchant for gossip and scandalmongering. Deception is for them [ladies] a necessary fiction to survive in a courtly world, as demonstrated by the romance’s narrative and validated by the narrator’s commentary28.
Cette distinction de genre paraît se confirmer au gré du corpus des fabliaux que nous citions aussi à l’instant29, mais elle mériterait une réflexion plus large, que nous aimerions conduire dans la suite de ce chapitre, au fil des occurrences de manipulations émotionnelles relevant de manière explicite de la ruse. Mais davantage qu’une nuance de genre, celle qui s’impose à cette étude des considérations des faux semblants est celle qui entoure l’origine des manipulations recommandées. Une distinction semble s’établir dans la tradition amoureuse entre les mensonges officieux des amants et ceux jugés pernicieux de leurs opposants30. Une réflexion d’intérêt entoure ainsi la notion de vérité, celle de l’émotion amoureuse et surtout de l’apparence qui en est offerte. Elle s’inscrit 367d’ailleurs au cœur d’une démarche auctoriale notable, qui a déjà été mise en exergue :
Car plus que le mensonge, la vérité est au cœur des arts d’aimer, notamment à travers la posture des auteurs revendiquant sans cesse la crédibilité d’un discours qui se veut édifiant. Par ailleurs, l’enjeu affiché de certaines de ces œuvres est d’aider le lecteur à distinguer amants loyaux et faux amants, sincérité et duplicité, dans une démarche qui peut dépasser l’amour profane31.
Le point de renversement entre sincérité et duplicité paraît se situer avant tout du côté de la position prise envers la tradition de la fin’amor. Ainsi, comme toujours, la question de l’intention préside à l’évaluation de la sphère affective. La pire intention possible est bien sûr celle de la médisance, de la dénonciation accablante de l’amour par son plus grand ennemi, le losengier.
Le losengier constitue sans aucun doute l’objet de condamnation le plus virulent des manipulations émotionnelles au sein des œuvres courtoises, dans ce rapport ambigu à la vérité. Il est à la fois l’exemple éclatant de la dénonciation de l’hypocrisie, qu’il mobilise afin de piéger les amants, et l’argument de justification de la tromperie, indispensable aux amants pour se prémunir de son influence néfaste. La vision élitiste du secret qui empreint la tradition amoureuse s’associe ainsi à ce personnage incontournable, qui légitime le recours au secret comme signe de repli du couple face au monde32. Toute la compréhension de la tromperie dans la sphère amoureuse repose sur ce rapport conflictuel à l’univers social. La difficulté qu’il induit s’incarne dans les trois ennemis des amants identifiés par Mathilde Grodet : le premier construit sur le modèle biblique de la femme de Putiphar, accomplissant sa vengeance par la calomnie et la révélation d’une vérité cachée ; le second figuré de manière logique par le mari jaloux, qui n’hésite pas à recourir à la ruse dans sa quête de la vérité ; et finalement le losengier, le pire d’entre eux33. Il est le seul à dire la vérité, de manière paradoxale34, ou justement moins paradoxale : la fiabilité de sa parole justifie la crainte des amants qu’il 368ne les dénonce, et leur propre recours à la ruse pour l’éviter. Telle est la leçon qui émerge en tout cas du Roman de la Rose et de la confrontation haute en couleurs entre Malebouche et Faux Semblant35. Cette ambiguïté propre aux rapports esquissés dans la tradition amoureuse courtoise avec les notions de vrai et de faux éclaire les jeux émotionnels qu’elle implique. L’hypocrisie des losengiers n’est pas pour autant remise en question. La poésie amoureuse s’évertue à la dénoncer avec une constance et une vigueur révélatrices de la peur suscitée par ces personnages déterminés à percer le secret essentiel des amants. Emmanuèle Baumgartner fonde d’ailleurs sur cette base la comparaison, significative, qu’elle propose, selon l’exemple de Roger Dragonetti, entre losengiers et faux amants :
Si l’on interroge les textes en ce sens, on s’aperçoit en effet, comme l’a d’ailleurs déjà signalé R. Dragonetti, que les losengiers sont souvent assimilés aux faux amants, c’est-à-dire à des êtres qui arrivent à leurs fins auprès des femmes, au recovrier, et lèsent ainsi les fins amants, les amants authentiques, par le biais d’un langage mensonger, insincère, mais que rien ne permet de reconnaître comme tel36.
C’est l’insincérité et plus encore l’impossibilité de l’identifier comme telle qui constituerait donc le dénominateur commun aux médisants et aux faux amants, soit à tous les ennemis des vrais amants. L’appréciation de l’amant repose en effet avant tout sur sa loyauté et sa fiabilité, selon ce critère essentiel que nous mettions en exergue en introduction37. Toutes les critiques portées à l’encontre des faux amants se concentrent sur leur malhonnêteté. Rüdiger Schnell cite, en guise d’exemple de cet impératif de la sincérité de l’amant, les vers du grand troubadour, Bernard de Ventadour :
Ai Deus ! car se fosson trian
d’entrels Faux li fin amador,
e lh lauzenger e lh trichador
portesson corns el fron denan !
tot l’aur del mon et tot l’argen
i volgr’aver dat, s’eu l’agues,
369sol que ma domna conogues
aissi com eu l’am finamen38.
Le problème de la fiabilité des émotions se pose donc au cœur de la poésie amoureuse courtoise dès ses débuts. À l’autre bout du spectre chronologique que représente cette crainte de l’insincérité de l’amour exprimé par l’amant, Guillaume de Machaut dénonce encore l’hypocrisie des faux amants, les mensonges et les faux semblants dont ils servent les dames :
L’amant savoient trop bien feindre,
Sans mal sentir gemir et pleindre,
Et si savoient trop bien faire
Faux samblant et eaus contrefaire,
Com mauvais desloial truant.
Mais li Faux traïtre puant
En un cas trop se decevoient,
Car muër coulour ne savoient39.
Guillaume de Machaut met bien en lumière la vilenie de ces amants prétendus, et l’enjeu, dans ce cadre, du jeu émotionnel trompeur qu’ils mobilisent, à feindre les plaintes et à se contrefaire. La rime la plus explicite de sa dénonciation sert cependant à souligner le renversement dans cette manipulation si habile des signes, mais qui connaît ses limites, selon Guillaume de Machaut, dans les pâleurs et rougeurs subites, typiques des affections amoureuses. On peut également noter l’usage du verbe decevoir non plus destiné aux dames ainsi trompées, mais aux faux amants qui se leurrent de pouvoir jouer aussi de ce signe incontournable de l’amour. Guillaume de Machaut démontre l’importance accordée aux signes amoureux, mais surtout à leur fiabilité. Le problème réside bien sûr dans la difficulté, voire l’impossibilité, de discerner les vrais des faux signes manifestés, que Jacqueline Cerquiglini présente même comme une rivière infranchissable40.
370Paradoxalement donc, le souci des amants de garder secret leur amour, tel que nous l’avons souligné dans notre analyse du principe de garde, va de pair avec une obsession pour la vérité qui éclaire toutes les dénonciations portées par ces fin’amants, des losengiers qui menacent leur secret, mais aussi des faux amants qui fragilisent la qualité des signes amoureux posés au cœur de leur relation. Cette ambiguïté révèle la place centrale réservée à la question du discernement du vrai et du faux dans l’économie des relations amoureuses. Il s’agit en réalité d’une véritable crise du signe animée autant par la crainte de sa révélation que par celle de son ambiguïté. Le personnage de Faux Semblant la révèle dans toute son ampleur. Les œuvres qui font suite au Roman de la Rose explorent cette fracture soulignée ainsi dans le pouvoir signifiant des manifestations émotionnelles. La transition mise en lumière par Jean de Meun du bel au faux semblant intègre diversement les stratégies recommandées aux amants pour assurer le succès et le secret de leur amour ou celles dénoncées justement pour leur hypocrisie incompatible avec l’éthique de la fin’amor. L’ambiguïté entoure donc toujours les manipulations émotionnelles. Elles se comprennent selon toute une palette de combinaisons et de regards portés à leur sujet dans la sphère amoureuse. Nous aimerions nous dédier à ces nuances d’évaluation au gré de plusieurs œuvres qui portent le plus souvent de manière explicite la trace du Roman de la Rose et la réflexion qu’il propose sur les jeux émotionnels requis pour la communauté des amants. Nous les traiterons en deux temps : celles qui paraissent s’inscrire directement dans l’héritage de Jean de Meun – dans la démonstration du rôle central des faux semblants tout comme de l’ironie dont elle s’accompagne –, comme le Livre des Eschez amoureux moralisés d’Évrart de Conty et le Roman du Châtelain de Coucy et de la dame de Fayel de Jakemés, et, dans un deuxième temps, les autres qui, au contraire, s’efforcent de condamner le recours à davantage qu’au bel semblant et l’hypocrisie indéniable des faux semblants. Les œuvres de Guillaume de Machaut cité à l’instant ou d’Eustache Deschamps offrent un exemple parfait – mais que nous ne traiterons que très brièvement – de cette dynamique, tout comme celle de Jean Froissart dans la réflexion qu’il induit également dans une construction allégorique de la mécanique amoureuse. Au vu de l’intérêt de la reprise des personnages du Roman de la Rose ou de l’ironie qui y est encore instillée, nous nous consacrerons surtout au Jehan de Saintré371d’Antoine de la Sale et au Champion des Dames de Martin le Franc. Nous pourrons ainsi observer les jeux de reprises du roman de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun de part et d’autre de ce spectre d’influence que nous esquissons entre acceptation et réfutation des faux semblants à la fois dans le cadre d’un roman – prétendument – courtois et dans celui d’une œuvre allégorique, tous deux fort significatifs dans l’héritage du Roman de la Rose.
Acceptation de l’utilité des faux semblants
Le roman de Jakemés témoigne de la mise en lumière effectuée par Jean de Meun du lien entre secret et ruse, entre bel et faux semblant. Sur le modèle offert par Faux Semblant entrant en scène pour réduire Malebouche au silence, il démontre l’importance de ces stratégies entremêlées pour répondre à la menace des losengiers. Le rapport de continuité est explicite, également dans la volonté partagée par Jakemés de mettre en exergue l’ambiguïté des préceptes de la fin’amor. Le renversement du secret à la ruse y est ainsi bien mis en scène.
Tout d’abord dédiés à la discrétion de leurs sentiments, le châtelain de Coucy et la dame de Fayel se préoccupent seulement de camoufler leur amour. Toute trace doit en être cachée. Sans surprise en regard des constats déjà posés pour les œuvres arthuriennes et tristaniennes41, c’est surtout la dame qui veille à assurer le secret. Ainsi, la dame de Fayel choisit par exemple de dissimuler sa tristesse de voir le châtelain blessé au combat :
Moult menoit grant doel coiement,
Car n’osoit mie appiertement
Moustrer comment il li estoit
Ne comment Amours le tenoit42.
Tout l’intérêt réside dans la monstration des émotions, en belle démonstration de la concentration sur les signes cachés ou offerts, à regret, de cet amour adultère. Comme si souvent, les efforts de la dame de Fayel 372sont justement justifiés par sa crainte de rendre visible ce grant doel, mais surtout comment Amours le tenoit. Ce dernier vers est significatif du lien tissé entre la dissimulation de la tristesse en soi et celle de l’amour qui la cause. Le parallélisme souligne le rapprochement, mais aussi l’accablement de la dame, tenue à la fois par la douleur et par l’amour. La force des émotions amoureuses n’a cependant d’égal que celle des efforts mobilisés pour les camoufler. Ils en deviennent presqu’automatiques, comme ce nouvel épisode de dissimulation de la part de la dame de Fayel tend à le prouver :
Et la dame moult simplement
Couvri son anguissens talent43.
Confrontée au refus de son époux de partir en croisade, la dame cache sa déception de ne pas être libérée de sa présence et de sa surveillance. Elle dissimule son talent tout simplement, comme naturellement donc. L’adjectif anguissens témoigne cependant de l’intensité de l’émotion à couvrir. Elle ne semble donc plus suffire à mettre les amants en difficulté, trop habitués qu’ils sont à fournir ces efforts de dissimulation. C’est le cas de la dame de Fayel, mais peut-être moins cependant du châtelain de Coucy, qui s’efforce certes de camoufler ses émotions pour son aimée, mais non sans mal :
Mais li castellains tant ne quant
Ne moustra ciere ne samblant
Viers sa dame, fors seulement
Que celi seul souspirement
Qu’el premier jour a table fist,
Et de celi mieus li vausist,
S’il peuïst, qu’il s’en fust tenus44.
De manière intéressante, et révélatrice sûrement du jeu proposé par Jakemés sur cette grammaire des signes amoureux, les efforts du châtelain de Coucy vont de pair avec ses regrets d’y avoir tout d’abord manqué. Le soupir fait sans aucun doute partie des manifestations les plus symboliques de l’amour et de sa souffrance. La rime entre seulement et souspirement révèle son caractère difficilement maîtrisable et sa ténuité 373presque tragique. L’objectif poursuivi au travers de ses efforts de réserve est d’autant plus explicite que l’amant a bien conscience de s’être déjà par trop trahi par ce soupir qui avait fait germer le doute chez la dame traîtresse, première de leurs ennemis. Cette erreur, pourtant soulignée comme la seule commise, entraîne une rupture dans le secret des amants, mais aussi dans la logique émotionnelle. Tout comme les attitudes courtoises de l’Amant se révélaient insuffisantes face à Malebouche dans Le Roman de la Rose, la discrétion des amants ne saurait leur être d’aucune utilité une fois apparue la menace des losengiers. C’est pourquoi ils démontrent dès lors bien plus de propension à la feintise qu’à la seule modération. Il ne s’agit a fortiori plus de se protéger des regards extérieurs, mais surtout de contrecarrer leurs opposants et, pour ce faire, tous les moyens semblent bons. Ainsi, sur les quinze occurrences de manipulations émotionnelles qui rythment le roman une fois passé cet instant capital de basculement, et plus spécifiquement sur les sept qui concernent les amants, cinq les mettent en scène simulant pour mieux berner la dame ou le mari sources de leurs malheurs. Il est d’ailleurs significatif que, pour les vaincre, s’en venger ou tout du moins parvenir à leurs fins à leur insu, seule la tromperie peut convenir. Leur conseiller et principal adjuvant, Gobert, les incite tous deux à berner leurs ennemis par de faux visages :
« Dame, je lo que moi blasmés
A mon singneur et rihotés
A moi et tempre et tart souvent
Et me mousterés dur talent45. »
Cette fausse colère que la dame doit jouer s’avère d’ailleurs fort utile puisqu’elle permet à Gobert de se détacher de son maître, le seigneur de Fayel, sans éveiller ses soupçons, et de pouvoir ainsi servir Coucy et son amante. Elle intègre donc une stratégie plus vaste visant la défense des amants face à leurs ennemis, selon une nouvelle logique ainsi insufflée aux jeux émotionnels. Le recours aux blasmes et aux rihotes témoigne de cette inscription dans une ruse qui dépasse l’enjeu émotionnel seulement. Néanmoins, le lien du secret à la ruse est assuré. Son renversement est explicite : il n’est plus question de ne pas moustrer semblant ou de couvrir 374son talent, mais justement de moustrer dur talent. Peut-être plus perfide encore est le projet mis sur pied par le même Gobert et Coucy pour nuire à la dame traîtresse. Profitant de ses sentiments à l’égard de Coucy, ils se proposent en effet d’obtenir sa confiance en lui accordant l’amour, l’apparence d’amour du moins, qu’elle souhaiterait :
Et face teil samblant d’amour
Que la dame sans lonc sejour
Li voelle jour en un liu mettre46.
Tout comme dans la citation précédente, aucun doute ne plane sur le jeu mené autour de la tradition amoureuse courtoise. Le châtelain de Coucy ne doit plus camoufler le samblant d’amour, mais justement l’afficher. Cette réorientation du jeu amoureux se fonde néanmoins sur la cible de la ruse et se justifie ainsi par son biais. La ruse de Coucy se construit directement sur celles de la dame, inspirée du modèle de la femme de Putiphar que nous identifions à l’instar de Mathilde Grodet47. L’objectif visé est, une fois de plus, introduit dans le cadre d’une proposition finale qui révèle bien l’importance accordée aux enjeux des manipulations émotionnelles et, ici, à leur intégration dans les machinations des amants pour préserver leur amour. Cette manipulation, du samblantd’amour et ainsi de la dame, fonctionne d’ailleurs à merveille. Elle mènera à l’humiliation à laquelle Coucy rêvait de la vouer. Vengés, les amants s’appliquent à s’aménager les rencontres que le mari jaloux leur interdit. Ils développent divers stratagèmes, Coucy se déguisant tour à tour en écuyer blessé ou en marchand éreinté pour détourner la surveillance qui lui est assignée. Le parallèle avec les ruses de Tristan paraît certain. Il renforce encore une fois le jeu mené sur la tradition amoureuse bien sûr, sans se départir de la réflexion qu’elle implique au niveau de la sphère affective. Dans ces deux cas en effet, le châtelain de Coucy agrémente sa prestation de fausses émotions destinées à mieux illusionner son public. La ruse est patente dans ce passage qui le met en scène sous les traits d’un marchand venu vendre ses bijoux à la belle dame de Fayel :
Com mallades fait lait samblant,
Mais le coer a liet et joiant
375Pour le deduit et le solas
De çou quë il girra es bras
Sa douce dame encore anuit48.
Exultant de pouvoir passer la nuit avec son amie, Coucy parvient néanmoins à ne laisser apparaître que ce lait samblant de malade. Son utilité est indubitable : il assure le succès de la ruse mise sur pied pour rester à ses côtés. Le jeu émotionnel gagne une importance considérable et s’avère même indispensable aux stratagèmes des amants. Bien plus que le secret, la fiction émotionnelle se fait critère décisif de l’éducation inculquée aux jeunes amants, comme l’exemple du châtelain de Coucy paraît le mettre en valeur. Il s’agit ici de cette forme de double jeu si efficace qui tend à camoufler l’émotion ressentie, aussi intense soit-elle, sous une autre, son contraire le plus souvent. La force de ce lait samblant est évoquée par la comparaison qui la caractérise, com mallades. Toutefois, elle se conçoit en regard de l’intensité de la joie éprouvée par le châtelain, que les deux synonymes qui la dépeignent rendent aussi de manière explicite. Il est d’ailleurs intéressant, dans cette mise en lumière sans fard que Jakemés propose de la ruse des amants, que les précisions habituelles des émotions mobilisées touchent au ressenti véritable de Coucy et non à celui qu’il affiche seulement. On retrouve dans ce sens l’opposition topique entre samblant et coer qui rythme bon nombre des manipulations émotionnelles. Celle-ci se manifeste d’autant plus clairement qu’elle se marque également dans la syntaxe : ainsi, il a le cœur joyeux, tandis qu’il fait le semblant mécontent. Nous avons déjà pu évoquer la nuance que nous percevons entre ces deux verbes, le premier signifiant bien la force de possession de l’émotion, l’autre sa dimension active, de manière révélatrice dans cette logique d’opposition. Pareille logique d’opposition tenait néanmoins le plus souvent au cas de figure inverse, à la désolation camouflée sous une mine plus avenante. La ruse du châtelain de Coucy s’inscrit ainsi dans la tradition du secret amoureux, qu’elle renverse pour s’y intégrer. Le jeu est explicite, à la manière de celui que prône l’Ami.
Nous l’avons laissé entendre en évoquant les quinze occurrences de manipulations émotionnelles que ce roman offre une fois le secret éventé, les amants ne sont pas les seuls à recourir à de tels procédés 376pour tromper ou se prémunir d’autres tromperies. Ce sont d’ailleurs avant tout leurs ennemis qui se prêtent à ces jeux d’émotions, à raison de huit des quinze épisodes concernés. Cependant, ceux-ci sont avant tout animés par un désir de dissimulation de leur colère, de leur jalousie, de leurs intentions plus généralement à l’encontre des amants qu’ils souhaitent surtout surprendre pour mieux les confondre et les séparer. Le mari dupé en particulier s’efforce de toujours dissimuler au mieux son ressentiment, voire même son envie de tuer son rival49. Il lui arrive également de simuler une émotion pour mieux couvrir l’ampleur de sa colère, et la dimension rusée de sa démarche est alors bien mise en exergue. Mais quelle que soit cette insistance sur la perfidie de leurs ennemis, ce sont cependant les amants qui davantage rusent et jouent de leurs apparences pour mieux cacher et mystifier. Pareil traitement du semblant émotionnel rejoint bien sûr la leçon offerte par Faux Semblant. Son intervention en tant que personnification de l’hypocrisie requise dans la sphère amoureuse se justifie en raison même de la menace du losengier Malebouche. Mais elle marque avec éclat le règne de la ruse qui enveloppe dès lors la relation d’amour. Jakemés semble dresser le même constat : la tromperie des amants s’avère indispensable aussitôt que pèse sur eux le spectre de leurs ennemis. La tromperie des uns induit donc la tromperie des autres dans le roman du Châtelain de Coucy et de la dame de Fayel, véritable roman de dupes comme le constatait Florence Bouchet50. La réflexion proposée est évidente : sur le modèle du Roman de la Rose, le bel semblant des amants se révèle insuffisant dès qu’apparaît la crainte de la médisance et de la révélation, mais c’est la propre manipulation émotionnelle des amants qui conditionne et semble même nécessiter celle de leurs ennemis. L’entremêlement des jeux émotionnels mobilisés par le châtelain de Coucy et la dame traîtresse en témoigne : c’est certes le manquement de Coucy à la dissimulation obligatoire de son amour qui met la puce à l’oreille de la dame, mais c’est sa capacité à « faindre / pour mieus couvrir [sa] maniere51 » qui semble susciter le courroux et donc le désir de nuire de la dame. L’hypocrisie des amants s’avère 377ainsi certes justifiée, à l’instar de celle d’autres victimes d’amoureux malvenus que nous avons pu observer sous les figures de Guenièvre face à Mordred ou de la reine de Sicile face au sénéchal Maragot52. Mais au contraire de ces deux exemples, la mise en scène du jeu émotionnel est plus connotée, avec une ironie qui n’hésite pas à souligner son caractère éminemment rusé, exactement dans la lignée du Roman de la Rose. Jean de Meun établissait la même leçon par le biais de l’intervention de Faux Semblant, à la fausseté aussi décriée que louée pour la solution qu’elle offrait à l’Amant désemparé par la menace des médisants.
L’influence exercée par le personnage de Faux Semblant sur la réflexion induite dans la sphère amoureuse dépasse cependant le seul cadre des romans courtois. Nous aimerions à présent aborder l’exemple, tout aussi révélateur des ambiguïtés dont les jeux émotionnels peuvent s’entourer sur le modèle du Roman de la Rose, du Livre des Eschez amoureux moralisés d’Évrart de Conty. Il a le grand intérêt de renouer avec la tradition allégorique qui porte avec éclat la révélation souhaitée par Jean de Meun des faux semblants amoureux. Ce projet de rédaction rapproche d’emblée l’ouvrage d’Évrart de Conty de celui du plus célèbre roman du xiiie siècle. Madeleine Jeay a souligné la richesse de ce jeu de reprise du Roman de la Rose tout comme des Échecs amoureux : « Évrart confère à la Glose une dimension narrative et poétique qui est à prendre en compte parallèlement au caractère encyclopédique qui semble la définir à première vue53 ». A fortiori, comme Jean de Meun, Évrart de Conty vise une exposition complète54. Il justifie dans ce sens son recours à la prose comme relevant d’une volonté d’explication totale55. La portée didactique de son œuvre tient également à cet héritage, ainsi qu’à celui des Échecs amoureux56. Mais davantage qu’une proximité formelle fondée sur l’écriture allégorique, son œuvre présente une réécriture certaine du 378Roman de la Rose, dans son ensemble d’ailleurs. Michèle Gally insiste en effet sur la volonté d’Évrart de Conty de combiner les enseignements de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun57. Là réside tout l’intérêt que nous trouvons à cet ouvrage qui offre une actualisation éclatante des faux semblants amoureux, ainsi parfaitement assimilés à l’éthique de la fin’amor. Pierre-Yves Badel note dans ce sens l’intégration de Faux Semblant dans le Livre des Eschez amoureux moralisés : « Comme l’auteur du “livre rimé”, le commentateur rapproche Guillaume de Lorris et Jean de Meun au point que, quand il décrit la vie amoureuse, il ne voit pas d’incompatibilité entre les préceptes courtois et le recours aux services de Faux Semblant58 ». Il s’agit là bien sûr du point central de l’analyse que nous aimerions mener autour de l’œuvre à portée encyclopédique d’Évrart de Conty. Le Livre des Eschez amoureux moralisés constituerait de cette façon l’un des exemples les plus aboutis de la fusion opérée par le biais du faux ypocrite de Jean de Meun entre amour et jeu des apparences.
C’est en particulier dans ses cinquième et sixième chapitres que son œuvre se rapproche le plus de celle de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun. Comme Guillaume de Lorris, Évrart de Conty pose le cadre de la poursuite amoureuse sous le voile de l’allégorie. Du rêve, il passe à la vision plutôt, selon le modèle que Boèce lui offre à ce niveau. L’engagement s’y veut plus actif ce faisant, comme le note Michèle Gally59. On quitte donc le rêve de la Rose, tout en gardant le motif de la visite du Verger, mais on passe surtout de l’image du miroir à celle des échecs60, fort propice pour symboliser la conquête de la dame. L’adaptation des diverses figures allégoriques en pions et autres pièces de jeu d’échecs ne fait pas l’impasse sur Faux Semblant, ses tendances trompeuses et ambitieuses, au contraire.
De manière générale, Évrart de Conty accorde une grande importance au semblant des émotions, dans le cadre de cette conception, essentielle dans la pensée médiévale, de l’adéquation entre intérieur et extérieur : « car a l’estat de dehors moult souvent congnoist on la pensee de dedens 379et l’estat du couraige, sy come Architrenius dit61 ». Cette concordance implique bien sûr, et ce déjà depuis le développement de la fin’amor, une grande attention accordée à cet extérieur révélateur et à son observation en public. C’est ainsi que se voit élaboré le modèle de contrôle de soi imprégnant la société médiévale soucieuse de ses apparences, surtout de celles d’émotions aussi intimes que l’amour. Cette importance accordée aux apparences implique donc un souci de maîtrise de soi qui témoigne d’emblée d’un paradoxe déjà évoqué : la crainte de révélation qu’induit cette théorie d’adéquation entre estat de dehors et estat du couraige mène en réalité à une rupture de la concordance admise entre intérieur et extérieur. Évrart de Conty met en lumière cette ambiguïté, notamment au gré de la réflexion qu’il propose autour du vice d’hypocrisie. On y retrouve en effet l’intérêt qu’il porte aux signes :
Nous povons donc raisonablement dire que faindre ainsy, par paroles et par signes, estre ce qui n’est mie ou autrement qu’il n’est, malicieusement, pour l’exaltacion de sa personne ou pour autry decevoir, et frauder pour venir a s’entente, c’est vraie ypocrisie, et cely qui ainsy faint est ypocrites ; et ce nous est assez par son non demoustré car ypocrite en grec, c’est-à-dire en françois simulateur ou dissimulateur. Et briefment, quiconques desire et veult estre veu autre qu’il n’est, selon la verité, est ypocrites62.
Ses efforts de définition de l’hypocrisie le conduisent à insister sur le rôle essentiel des signes. Au bénéfice d’un détour étymologique, Évrart de Conty associe formellement l’hypocrite et le dissimulateur ou simulateur. Aucune nuance ne semble posée entre ces deux attitudes, le même degré de tromperie leur est prêté à l’une comme à l’autre. Mais surtout, Évrart de Conty condamne, au nom de la vérité – la mise en exergue est intéressante –, l’hypocrite comme celui qui désire se montrer autre qu’il n’est. La visibilité est au cœur de son analyse, en accord avec toutes les recommandations de discrétion prônée dans l’univers social comme amoureux63. Elle inspire une dénonciation ferme de la rupture dans la lecture des signes offerts par l’hypocrite. Ses mauvaises intentions sont également évoquées : les trois pour qui rythment la présentation – pour380l’exaltacion, pour autry decevoir, pour venir a s’entente –, directement après l’adverbe malicieusement, témoignent d’une dépréciation certaine de ces volontés peu honorables. On perçoit bien la peur suscitée par la possibilité de rupture entre être et paraître qui anime cette condamnation. Ce n’est pas pour autant que disparaît celle de la révélation, selon ce paradoxe qui entoure ainsi la considération des jeux émotionnels. Évrart de Conty s’avère d’ailleurs être un fervent défenseur de la loi du secret amoureux, nuançant ainsi d’emblée sa condamnation. La discrétion reste primordiale dans son œuvre qui fonctionne comme un véritable art d’aimer en mettant en scène la conquête amoureuse sous la forme d’une partie d’échecs. Elle s’élève au-delà de tout soupçon, suivant le modèle offert par la tradition de la fin’amor. Évrart de Conty paraît même lui ouvrir la voie d’emblée en introduction de sa visite du Verger du Déduit. Il développe en effet une réflexion autour des douze vertus, qui font pendant aux Images du Mur proposées sur le modèle de celles du Roman de la Rose, et visent le contrôle des douze passions de l’âme qu’il vient d’exposer. La dixième de ces vertus est consacrée à la vérité, juste après celle de Debonaireté qui permet à Évrart de Conty d’insister sur la nécessité de maîtriser les passions. La transition de l’une à l’autre est intéressante, a fortiori pour les nuances dont elle semble colorer la définition de la vérité :
c’est quant on se moustre par dehors en parler et en port tel que on est par dedens, sanz mentir et sanz faindre, en tant qu’il loist a faire en par raison, car il ne loist pas a dire tout le bien que on sentiroit en ly, ainz loist mielx a soy taire aucunesfoiz d’aucunes choses, pour ce que toute verité n’est pas bonne a dire tousdiz64.
La vérité s’appréhende d’emblée ici par le prisme des apparences, selon cet idéal de transparence entre intérieur et extérieur. Elle implique aussi bien la vérité du verbe que celle du paraître65, mais pose une condition dans ce contexte. Elle répond à l’ordre de la raison, comme l’ensemble de ces vertus supposées faire respecter son règne aux passions de l’âme. Et celui-ci semble dicter une exception à cette vertu de vérité. Cette 381exception se situe du côté du ressenti qu’il ne convient pas de partager, de moustrer par dehors. Elle s’inscrirait ainsi dans la défense du secret amoureux, qui correspond à la perfection à cette vérité qui n’est pas bonne à dire. On peut d’ailleurs comprendre dans ce sens la valorisation du secret comme relevant du bon sens, présentée à de nombreuses reprises dans le Livre des Eschez amoureux moralisés :
Sens aussi l’amant garde de fol cuidier et de fole esperance et de presumpcion ; sens ly fait sagement celer et couvrir son courage, laquelle chose est moult forte, car nul ne cele bien communement s’amour, sy come dit Ovide66.
On retrouve l’association habituelle dans la tradition amoureuse entre secret et sagesse67, encore renforcée par l’ordre de raison. Le sens se fait même sujet de cette action de contrôle et de dissimulation de l’amour. De manière intéressante, il est aussi à l’origine de la garde de l’amant, loin du fol cuidier ou de la fole esperance. Leurs qualificatifs sont révélateurs de l’opposition entre raison et folie. À la raison s’accole ici la discrétion. L’accent porté sur le bienfondé de la discrétion paraît mis au service d’une défense nécessaire de cette stratégie à la difficulté éprouvée, admise depuis Ovide comme Évrart de Conty le rappelle. Ainsi placé sous l’ordre de la raison, le secret amoureux se trouve tout à fait légitimé, en accord même avec la définition donnée de la vertu de vérité. On perçoit d’emblée les nuances dont Évrart de Conty revêt les grands concepts du vrai et du faux une fois intégrés à la logique amoureuse.
Ces nuances paraissent plus éclatantes encore à l’aune d’une autre logique dont le Livre des Eschez amoureux moralisés se fait également l’écho à la suite du Roman de la Rose. Évrart de Conty reprend en effet, parmi les images du mur du Verger de Déduit qu’il décrit en amorce de ce cinquième chapitre, celle de Papelardie. Il démontre par son biais combien son regard sur l’hypocrisie s’avère orienté, mais aussi, ce faisant, toute l’influence que les auteurs du Roman de la Rose exercent sur son œuvre68. Cette double reprise ne va pas sans ambiguïté, en particulier 382en ce qui concerne la question de la tromperie et des faux semblants. Si la défense de la discrétion amoureuse est assurée comme nous l’avons déjà constaté, il ne semble pas en aller de même en-dehors de la sphère amoureuse justement. Deux formes d’hypocrisie s’esquissent ainsi, au gré de ce double héritage travaillé, de manière significative, en deux sections distinctes. Pour ce qui est de Papelardie, Évrart de Conty s’aligne sur la condamnation de Guillaume de Lorris :
L’image aprés .ix. e fu de Papelardie, par laquelle nous devons a present ypocrisie entendre. Pour quoy nous devons savoir que ypocrisie est un moult vilain vices et moult vituperable, et qui moult est contraire a raison et a vertu ; et par especial, il est ennemis et contraire a une notable vertu que Aristote appelle verité, de par defaulte d’aultre plus propre non, laquelle vertu nous encline, sy come il a esté aucunement ja dit, a nous sy maintenir en port et en paroles, sanz mentir et sanz faindre, que nous soions, a la verité, telx par dedens et de fait que noz paroles et noz pors par dehors moustrent et segnefient, en tant qu’il nous loist toutesfoiz a faire par raison, car il couvient garder en toutes choses les circonstances et la loy de raison, et pour ce que la vertu gist tousdiz ou moien de deux extremités vituperables, come il a esté dit par pluseurs fois69.
La critique est explicite, portée par l’opposition à la raison comme à la vertu, surtout à celle de la vérité définie plus haut. La référence à Aristote en renforce encore l’importance, et, dans une dynamique pédagogique évidente dans la dimension encyclopédique du Livre, Évrart de Conty précise à nouveau la visée de cette vertu. Il met une fois de plus en lumière la portée aussi bien langagière qu’apparente de la vérité, mais aussi l’exception qu’il y introduisait. Il lui confère ainsi plus de poids, qualifiant même de loy l’ordre de raison, qui éclaire cet écart démontré à l’encontre de la vertu de vérité et ainsi la dénonciation de l’hypocrisie. Il se justifie d’ailleurs au nom d’une vertu qui paraît plus générale, fondée sur la règle du juste milieu. Rappelons qu’il s’agit là de l’argument central de la défense des convenances, émotionnelles notamment, revendiquée par la société courtoise. C’est sur cette base que se construit l’idéal de bienséance et le recours à la dissimulation qu’il implique70. Évrart de Conty paraît ainsi faire écho au bon sens et 383à la recherche d’équilibre par lesquels il légitimait le secret amoureux. Le rapprochement est notable, il témoigne du double régime qui pèse sur les manipulations des apparences émotionnelles. Le respect de la vertu qui gist tousdiz ou moien éclaire l’entorse à la vérité que cela peut entraîner. Tout le travail de justification des faux semblants paraît fondé sur cette nuance, nous l’avons souligné à de nombreuses reprises. Suivant l’exemple de Jean de Meun, Évrart de Conty semble particulièrement goûter à cette mise en lumière des variables qui entourent la perception des jeux émotionnels. De cette entorse dans la condamnation de l’hypocrisie à la valorisation même de l’hypocrisie, il n’y a ainsi qu’un pas, qu’Évrart de Conty n’hésite pas à franchir, quelle que soit la dénonciation qu’il véhicule lui aussi à son encontre. En effet, si Papelardie, et avec elle toutes les allusions à la dévotion feinte, se voient sévèrement critiquées dans la partie dédiée au Verger de Déduit, aucune forme de résistance ne semble en revanche opposée à Faux Semblant dans la présentation de la partie d’échecs. La leçon paraît dédoublée, conditionnée par le champ d’action de l’hypocrisie considérée, ou par la communauté émotionnelle qu’elle touche. Évrart de Conty semble en effet dissocier la sphère amoureuse de la sphère religieuse, le Faux Semblant rois des Ribaus de Papelardie. Nous aurons l’occasion d’explorer les nuances dont se teinte l’héritage du Roman de la Rose dans sa dynamique religieuse dans le chapitre que nous dédierons à la question des jeux émotionnels qui entourent la dévotion plutôt que l’amour71. Notons cependant déjà que cette forme d’appréciation à deux poids deux mesures se retrouve également chez Martin le Franc. Ce dernier critique en effet avec plus de force encore le faux semblant religieux. Ce rapprochement entre deux auteurs dont nous avons annoncé la divergence de points de vue sur la réception du Roman de la Rose est remarquable : il témoigne de l’intérêt de ce regard croisé que nous souhaitons porter sur les jeux émotionnels, dans une perspective amoureuse ou religieuse, telle que le proposait Jean de Meun par le biais de Faux Semblant. La critique des faux semblants religieux surtout semble bien plus admise, même si les nuances introduites par Évrart de Conty doivent être prises en compte. Une exception y est d’emblée posée, mais surtout l’ensemble de cette 384critique est situé hors du verger. Peut-être peut-on alors repenser la fonction des murs du Verger de Déduit. Ils servent bien sûr de remparts face aux vices exclus de l’univers courtois figuré par le Verger et par la Carole de Courtoisie. Mais ils peuvent aussi marquer la frontière entre deux évaluations de l’hypocrisie, celle – presque – fermement condamnée et celle bien plus légitime qu’Évrart de Conty reconnaît. Contre toute attente, ce n’est pas cette dernière qui se trouve peinte sur le Mur aux Images, à l’extérieur du Verger. Au contraire, l’hypocrisie admise, si ce n’est vantée, se trouve intégrée au Verger, à la manière de Faux Semblant accepté dans les rangs d’Amour. L’idéal de discrétion vanté dans toute la tradition amoureuse, recommandé au nom de la raison par Évrart de Conty, connaît en effet des développements intéressants dans la suite du Livre des Eschez amoureux moralisés :
Quant a ce que dit est que ceste pierre aussi, quant elle est bien a son droit preparee, fait sambler la personne qui la porte invisible, ce ne doit pas aussi estre entendu simplement a la lectre, maiz ce nous est une signifiance que les amans et les dames aussi doivent estre secret et bien celans, et sy couvrir leur amour et leur fait que nul vivant ne puisse appercevoir ne veir leur pensee, ne leur estat savoir ; et ceste invisibilité doit en amours suffire. Et a la verité, c’est ce que amours demande de son droit, et combien que ce soit aussi come chose impossible ou au moins forte a faire, car nul ne cele bien s’amour, sy come dit Ovide, neantmoins les sages amans y doivent mettre paine tant qu’i leur est possible, car Malebouche et dame Jalousie sont anemy mortel a tous amans, et sy sont si traitres qu’il n’est nul qu’il s’en puist seurement garder, se n’est par bien celer, par faulx samblant et par sagement faindre. Ainsy devons nous donc entendre que les amans doivent estre invisible72.
L’appel à la discrétion proposé ici s’inscrit dans la tradition courtoise du bien celer. Évrart de Conty fait ainsi écho à cette nécessité absolue du secret telle que la défendait Drouart la Vache, en vantant également la sagesse d’une telle retenue73. Davantage que de discrétion, il est même question ici d’invisibilité. Évrart de Conty paraît donc insuffler davantage de force encore à ce précepte purement courtois. C’est a fortiori selon le commandement même d’Amour que s’affirme cette prescription, quelle que soit sa difficulté comme Évrart de Conty le précise encore, toujours en référence à Ovide. Son inscription dans la 385tradition amoureuse est immanquable ce faisant. Les efforts requis, et si souvent observés chez les amants, sont justifiés au nom de la menace des ennemis mortels des amants que sont les médisants. C’est dans cet esprit de défense contre les losengiers qu’Évrart de Conty développe ses conseils de couvrir l’amour, de le rendre même invisible conformément aux qualités de la pierre d’héliotrope qu’il vante à cette occasion. Celle-ci sert à représenter le rôle attribué au fou Pitié, placé aux côtés de celui de Franchise, lui-même figuré par la Colombe. Il est remarquable que cette fonction de discrétion soit prêtée à Pitié, adjuvant essentiel de l’Amant dans la première partie de sa quête. Pitié lui permet en effet de convaincre Danger de lui laisser approcher Bel Accueil, puis même de le vaincre lui et Honte dans le combat qui les oppose finalement74. Évrart de Conty réoriente de manière intéressante cette aide dans le sens de la discrétion indispensable aux amants, mais pas seulement. Le décalage est peut-être perceptible dès la précision donnée autour des ennemis auxquels Pitié, par le biais de la pierre, fait ici face. Il ne s’agit pas de Danger, mais des médisants incarnés sous les figures emblématiques de Malebouche et de Jalousie. La solution qu’Évrart de Conty envisage pour se prémunir d’eux plutôt que de Danger se situe dès lors du côté du jeu des apparences, selon le modèle offert par Faux Semblant dans ce combat. La référence à l’invisibilité plutôt qu’à la discrétion l’attestait déjà. La précision donnée quant à la couverture recommandée est également significative. Ce n’est pas seulement l’amour qu’il convient de couvrir, mais aussi le fait, les gestes qui en portent l’apparence. La préservation de l’amour réside ainsi dans la capacité à en réfréner toute visibilité. Mais l’invisibilité seule ne semble pas suffire aux stratégies de défense développées ici. La pierre d’héliotrope se pare d’une autre fonction que celle d’invisibilité, en y adjoignant celle des faux semblants. Évrart de Conty démontre ainsi l’importance prise par Faux Semblant, non plus comme personnification, mais même comme un moyen pratique de préservation, pour se seurement garder. L’idéal de garde, sur lequel nous avons eu l’occasion de nous étendre, dépasse ici la seule injonction de la retenue pour envisager ses aspects les plus problématiques. La triple stratégie émise par Évrart de Conty, 386bienceler, faulxsamblant et faindre, témoigne de l’importance accordée à la défense menée contre les médisants, qui se veut ainsi renforcée. Mais surtout, elle dénote une nuance entre ces pratiques et révèle une réflexion, porteuse, quant à la variabilité des degrés de transparence entre intérieur et extérieur, au-delà de la simple dissimulation courtoise. La mention de Faux Semblant au rang de ces tactiques rend compte de l’influence exercée par Le Roman de la Rose, mais aussi de cette compatibilité que Pierre-Yves Badel évoquait entre ses deux parties75. C’est dans le cadre d’un principe énoncé par Amour lui-même que Faux Semblant apparaît. Le parallèle avec l’intégration de Faux Semblant au sein de l’armée d’Amour est immanquable. De l’éloge de Pitié, de son action redessinée ici comme relevant de la discrétion indispensable aux amants pour amadouer Danger, on passe à celui de Faux Semblant lui-même qui y est ainsi entremêlé. Son introduction entre l’injonction de bien celer, bien connu des recommandations de la fin’amor76, et celle de sagement faindre, qui rejoue également l’association habituelle entre dissimulation et sagesse, est évidemment révélatrice. Faux Semblant se fond au sein des stratégies amoureuses. Suivant le modèle de Jean de Meun, son intervention répond à l’emphase mise sur la traîtrise des ennemis, qui justifie ce recours à davantage qu’à la discrétion. Légitimé par la propre tromperie des médisants, défendu au nom d’Amour et même de la vérité, le faux semblant s’insère parmi les recommandations amoureuses au même titre que le secret. Évrart de Conty veille à dénoncer l’hypocrisie des ennemis d’amour pour assurer ces justifications, de la même manière que le faisait l’Ami pour légitimer ses conseils de fausses larmes77. Il est en effet intéressant que la seule forme d’hypocrisie qu’il condamne sans détour soit celle qui relève de la haine cachée :
Et pour ce dit un sages moult notables que « ire comparee a hayne est aussi que un festu en l’ooeil, maiz hayne est en l’œil aussi come un grant tref », pour nous segnefier que hayne est un grant et un perilleux vices. Et pour ce dit a cest pourpos Seneques que « haynes couvertes sont pire que les desouvertes », car cely qui par dehors sa hayne descoeuvre veult bien que on le congnoisse ; 387et pour ce dit oultre a son disciple que « l’anemi jengleur qui sa hayne par parole descoeuvre le blece mains et ly fait mains de offence que ne fait cely qui se taist sanz mot dire78. »
Bien avant celle de Papelardie, Évrart de Conty détaille l’image de Hayne et insiste notamment sur son plus grand défaut encore si elle se veut cachée. Aussi vicieuse soit-elle, la haine vaut donc mieux affirmée que dissimulée. La haine s’opposant directement à l’amour, moteur des amants, on peut comprendre l’allusion faite ainsi au danger que représente la haine cachée des médisants. Suivant l’adage « mieux vaut tromper qu’être trompé », la propre hypocrisie des amants paraît donc justifiée d’emblée par celle, dépeinte ici, de ceux qui vivent de haine plutôt que d’amour. Conformément à la dénonciation des actions viles de Malebouche et de Jalousie sur lesquelles Évrart de Conty insistait dans le passage précédent, cette haine cachée et périlleuse des médisants pousse même les amants à davantage qu’au secret. La triple stratégie émise l’atteste : Évrart de Conty recommande autant de sagement faindre que d’user de faux semblants.
Cette élévation de Faux Semblant au rang des outils mêmes d’Amour imprègne Le Livre des Eschez amoureux moralisés. C’est peut-être dans ce sens qu’Évrart de Conty adjoint à Bien Celer, qu’il présente comme le huitième pion de l’Acteur, Beau Maintien. Ce pion supplémentaire offre l’occasion de préciser les nuances qui entourent le beau semblant qui touche au visage et à la physionomie, le bel accueil lié au comportement à adopter face aux autres et ce beau maintien, qui se veut plus général. Il est surtout intéressant bien sûr que le Bien Celer soit ainsi comme redoublé dans le pion de Beau Maintien. Évrart de Conty témoigne ainsi de l’importance accordée à la discrétion et à la bienséance des apparences. L’image du cygne qui le figure est remarquable. Elle sert à représenter l’impératif pour l’amant de sembler vertueux au-dehors bien qu’il soit enflammé au-dedans, à la manière du cygne, noir au-dedans, blanc au-dehors : « Et come qu’il en voit, il doit dissimuler et faindre par dehors qu’il soit tout froit d’amours et aussi come chastes et qu’il ne soit de riens en l’amoureux dangier79 ». En distinguant Bien Celer de Beau Maintien, Évrart de Conty esquisse une dynamique 388double au sein de la tradition amoureuse : il se détache de la seule recommandation courtoise de discrétion que Bien Celer représente en louant cet amour secret comme démonstration de sagesse. Le Beau Maintien offrirait ainsi peut-être un niveau supérieur de la manipulation des semblants amoureux conseillée par les troubadours. Mais leur rapprochement est lui aussi révélateur. Il atteste l’entremêlement des normes émotionnelles, la ligne ténue entre les recommandations de bienséance et le recours à la ruse. Évrart de Conty semble dans ce sens jouer de l’ambiguïté du vocabulaire du jeu émotionnel. La description donnée révèle la manipulation en question : elle se concentre, comme si souvent, sur les apparences, sur le dehors de l’amoureux dangier qu’il convient de garder discret. Le renversement entre dedans et dehors est exprimé ici avec subtilité : aucune formule adversative ou référence explicite au cœur opposée à celle du dehors dans ce cas. Mais la qualification de froit d’amours joue du contraste avec la métaphore amoureuse du feu, et l’évocation de l’amoureux dangier est significative de l’intensité émotionnelle. Il convient de considérer l’ambiguïté que recèle cette présentation. Elle est inscrite dans la comparaison au cygne, qui connote cette recommandation de dissimulation. Elle révèle la part condamnable de la dissimulation opérée du noir par le blanc. Le noir, autrement dit le vicieux, se situe ainsi à l’intérieur, camouflé sous l’apparence blanche, vertueuse, selon une association évidente de la symbolique des couleurs. Surtout, cette image évoque celle de Faux Semblant, lui aussi dépeint noir au-dedans et blanc au-dehors80. L’analogie avec Faux Semblant, à l’hypocrisie indubitable, met en lumière la part trompeuse de cette dissimulation de l’amour sous un dehors plus vertueux. A fortiori, ce n’est pas uniquement l’amour qui doit être caché. L’adjectif chastes tendrait en effet aussi à connoter cette présentation : davantage que l’amour, c’est le désir qui doit être couvert. Cette allusion à la part charnelle de l’amour paraît le dépurifier d’emblée et pare sa dissimulation d’une dimension plus trompeuse. À l’instar de Jean de Meun, Évrart de Conty veille donc également à infiltrer la révélation de l’amour courtois comme masque du désir. Il porte en outre un regard pour le moins défavorable sur la prétendue chasteté au gré de sa présentation de Papelardie. Nous l’avons dit, c’est 389l’optique religieuse qui dicte la critique virulente qu’il livre alors de l’hypocrisie. Quand il s’en prend dans cette veine aux pappelards, il les critique en effet de feindre la religion autant que la chasteté :
Ainsy voit on souvent aucuns qui faignent estre juste, religieux et chaste et tout plain de vertu, dont il n’est riens de fait quant a la conscience, ainz font du tout le contraire, en derriere, de ce que leur samblant par defors segnefie, et tel foiz est qu’il faignent orisons et jeunes et font moult de abstinences et de afflictions grandes qui la face amaigrient et grievent moult au corps, pour la loenge acquerre et la grace du monde, car il leur semble bien que par autre chemin ilz n’y pevent venir81.
L’accusation de papelardie touche ainsi également à l’apparence chaste dénuée de la conscience requise. Évrart de Conty insiste par trois fois sur la dimension seulement apparente de ces vertus, qui ne sont qu’en derriere, de leur samblant, par defors. La dénonciation est explicite, a fortiori quand il énonce les actions supposées investies des faux religieux qui prient, jeûnent, s’abstiennent et s’affligent faussement. Comme toujours, leur intention surtout est condamnée, puisqu’elle vise la loenge seulement. Comme pour mieux souligner le vice d’une telle démarche, Évrart de Conty détourne la recherche de grâce divine en grace du monde. Il est dès lors difficile de ne percevoir aucune critique dans l’attitude aussi come chastes de l’amant82. Évrart de Conty s’inscrit exactement dans la lignée de Jean de Meun, jouant de l’éthique amoureuse, qu’il éclaire et remodule par le prisme religieux, pour mieux en démontrer la portée trompeuse. Il témoigne à son tour de l’entremêlement des manipulations nécessaires à la conquête amoureuse, liant les stratégies de la dissimulation et de la simulation, non sans faire allusion à la part proprement rusée qu’elles induisent. La mention des faux semblants, tout comme celle de la chasteté attestent cette volonté de révéler le caractère problématique des jeux émotionnels requis pour la communauté des amants. Non content de suivre son modèle, Évrart de Conty veille à asseoir le message de Jean de Meun en le conjuguant à celui de Guillaume de Lorris, et ainsi à lier le bel au faux semblant. C’est dans ce sens qu’il intègre la menace de Malebouche aux justifications de l’utilité de Pitié et de la pierre d’héliotrope qui la figure. Nous l’avons souligné, il n’y est en effet plus 390question de Danger, mais directement des médisants, légitimant ainsi la transition immédiate du bien celer aux faux semblants.
Cette volonté de réorienter la leçon du Roman de la Rose afin d’en légitimer pleinement l’épisode de Faux Semblant apparaît encore lors de la section consacrée aux dernières pièces de l’Amant, ses tours représentées par Patience et par Persévérance. Évrart de Conty revient à cette occasion sur la règle essentielle du secret, et sur le jeu dont il l’a entourée tout au long de cette partie d’échecs :
Il convient aussi en amours faindre et dissimuler en moult de cas, et ly couvertement et closement tenir, come il a esté dit, pour eschaper, se on peut, des paroles de Malebouche et de la souspeçon aussi de Jalousie, laquelle chose aussi ne se peut sagement faire sans fainte pacience. Et c’est ce que veult dire le Rommant de la Rose quant il faint et qu’il dit que Faulx Samblant et Contrainte Abstinence vindrent en l’ost du dieu d’amours pour sa gent conforter, car on ne peut, selon la verité, ces deux grans anemis d’amours mielx decepvoir que par bien faindre et bien dissimuler et par bien sagement tousdiz celer s’amour83.
Au moment de conclure sa présentation, il confirme ainsi la nécessité absolue de Faux Semblant pour gagner la partie d’Amour. Louant la patience dont l’Amant ne peut se départir, il souligne le rôle capital rempli par Faux Semblant en intégrant l’armée d’Amour. On voit combien, davantage que la dissimulation premièrement évoquée, sa présence se révèle indispensable pour vaincre les ennemis d’Amour, au nom de ce précepte fondamental : mieux vaut tromper qu’être trompé. On a pu noter que les arts d’aimer de tradition ovidienne, comme celui de Drouart la Vache, ouvraient déjà la porte à cette dimension de tromperie défensive. Il n’y était alors pas question d’obtenir l’amour ou de le préserver des losengiers, mais plutôt de s’en assurer, de mettre l’aimée à l’épreuve84. La ruse y était à la fois recommandée et critiquée, notamment dans le cas des femmes cupides85. Cette construction en demi-teinte de la tromperie semble également perceptible chez Évrart de Conty. En effet, s’il dresse sans nuance l’éloge des stratégies du faulx semblant pour conquérir la Dame, son traitement de l’hypocrisie n’est pas entièrement univoque. C’est avec beaucoup de subtilité, la même 391subtilité ironique qui était celle de Jean de Meun, qu’Évrart de Conty connote ces descriptions de la ruse amoureuse. Ici encore, il n’évoque en rien la tromperie qu’impliquent les actions de Faux Semblant et de Contrainte Abstinence. Il est seulement question de faindre et dissimuler, de couvertement tenir. Même la triple stratégie sur laquelle le passage se clôt, et dont l’importance est bien mise en exergue par sa construction syntaxique, ne comporte aucune allusion explicite à la ruse, aux faux semblants même. Elle sert cependant à decepvoir les ennemis d’amour. Plus encore, nous savons parfaitement comment Faux Semblant parvient en effet à les decepvoir : en les assassinant. Sans la spécifier ou la condamner pour autant, l’hypocrisie s’infiltre ainsi dans l’éthique amoureuse mise en scène par Évrart de Conty. La réception de Faux Semblant, dans sa reprise du Roman de la Rose, est pour le moins intéressante : sans apparaître parmi les pièces de l’Amant, Faux Semblant imprègne pourtant la quasi-totalité des mentions à la loi du secret amoureux. Évrart de Conty s’ingénie à démontrer à son tour combien, du bel au faux semblant, il n’y a qu’un pas, que les amants ne peuvent hésiter à accomplir une fois soumis à la menace des losengiers. Le souci de justification est révélateur, dans l’entremêlement des critiques nuancées tout comme des allusions qui percent dans chaque description de l’influence de Faux Semblant.
Évrart de Conty comme Jakemés cultivent ainsi l’ironie chère à Jean de Meun pour révéler la part trompeuse de l’éthique amoureuse. Ils mettent en lumière le rôle essentiel des faux semblants, directement intégrés aux normes qui pèsent sur la communauté émotionnelle des amants. Les allusions à l’hypocrisie qu’ils impliquent abondent, mais il en va tout autant des justifications que ces deux auteurs souhaitent offrir aux manipulations émotionnelles des amants. La menace des ennemis des amants, femme vengeresse, mari jaloux, ou losengier, légitime, à chaque allusion des ruses des amants, la nécessité, bien davantage que de celer, de decepvoïr. Nous aurons constaté combien ces deux œuvres mettent en exergue la tromperie bien plus néfaste des opposants, comme pour mieux excuser celle des amants, à l’instar de la leçon dressée dans le Roman de la Rose, mais aussi déjà, dans une certaine mesure, dans certaines des grandes œuvres de la littérature courtoise. Au gré de ces allusions et justifications réapparaît néanmoins toujours la démonstration implacable de la ruse, sans qu’elle ne soit jamais proprement critiquée 392bien sûr. Les deux auteurs profitent ainsi de l’insolvabilité qui entoure les manipulations émotionnelles des amants dès l’instauration de la fin’amor. L’importance accordée à la discrétion leur permet de déborder de la seule sphère du secret à celle de la ruse, dans un simple entremêlement des stratégies nécessaires à l’assurer. Cette répartition et cette complaisance à l’égard de la fausseté amoureuse ne sont cependant pas généralisées dans la littérature médiévale.
Réfutation de l’utilité des faux semblants amoureux
La mise en lumière des faux semblants amoureux ne laisse jamais indifférents les auteurs qui s’inscrivent dans le sillage de Guillaume de Lorris et surtout de Jean de Meun. Elle ne suscite néanmoins pas toujours cette adhésion pleine d’enthousiasme – et d’ironie – qu’est celle de Jakemés et d’Évrart de Conty. Si la crainte de la révélation et l’impératif du secret peuvent inspirer le souci de légitimer la manipulation des semblants amoureux, et même leur ruse, tel n’est pas toujours le cas. Au contraire, ils peuvent justement provoquer une obsession de la fiabilité des signes, renforcée par la menace, bien plus que de Malebouche, de Faux Semblant. De la peur des losengiers, on passe ainsi à celle des faux amants, selon cette proximité que nous avons déjà pu constater dans la dénonciation de l’hypocrisie propre à la sphère amoureuse86. Nous aurions pu citer de nombreux exemples de cette volonté de révéler le vice des faux semblants et leur incompatibilité avec l’éthique de la fin’amor. Nous nous contenterons de rapidement souligner combien Eustache Deschamps et Guillaume de Machaut s’investissent dans la condamnation de toute forme d’inauthenticité amoureuse ou comment Jean Froissart remodule le schéma allégorique pour le libérer du spectre de Faux Semblant, pour nous concentrer sur les œuvres d’Antoine de la Sale et de Martin le Franc. Elles nous semblaient offrir de parfaits contrexemples de celles de Jakemés et d’Évrart de Conty. Elles jouent à leur tour de la tradition romanesque courtoise ou de celle de l’allégorie, mais les réorientent cette fois dans le sens d’une dénonciation manifeste des jeux émotionnels trompeurs déployés par les amants.
Nous ne nous arrêterons que bien trop brièvement aux œuvres des grands poètes Eustache Deschamps et Guillaume de Machaut. L’un 393comme l’autre dédient nombre de leurs poèmes à la dénonciation des faux semblants amoureux, en écho souvent direct au personnage de Faux Semblant. Compte tenu de l’ampleur de leur œuvre, nous avons néanmoins choisi de ne les citer que de manière partielle. Nous ne pouvions nous résoudre à ne pas évoquer au moins les exemples éclatants qu’ils offrent de la réfutation de la veine hypocrite insufflée par Jean de Meun à la tradition de la fin’amor. Guillaume de Machaut accorde beaucoup d’importance à l’authenticité émotionnelle, au sein de la relation amoureuse comme de sa production poétique. Il l’inscrit à la source même de son inspiration et en défend le caractère impératif pour toute œuvre de qualité. Didier Lechat cite dans ce sens l’une des lettres du Voir dit : « qui de sentement ne fait, son dit et son chant contrefait87 ». Guillaume de Machaut relève ainsi l’équation qu’il perçoit entre sincérité du contenu lyrique et réussite formelle. De la même manière, Eustache Deschamps met en exergue le lien de cause à effet qu’il perçoit entre la fausseté des sentiments et la contrefaçon ou, du moins, la malfaçon du chant. Convaincu de l’impératif de l’authenticité émotionnelle, il dénonce les faux amants, les « faintis en amours » qui s’ingénient à « contrefaire » les vrais amants88. Le regard qu’ils portent sur le risque de révélation du corps est tout aussi intéressant. Loin de la crainte qu’il inspire généralement, Guillaume de Machaut souligne au contraire l’argument de sincérité que le corps offre aux amants. Dans sa quête de la vérité, il lui accorde un rôle primordial, par opposition avec la parole si facilement fallacieuse89. Pareille recherche ne peut bien sûr que s’opposer à l’héritage de Jean de Meun et surtout au personnage de Faux Semblant. L’influence du Roman de la Rose pèse sans aucun doute sur chacun de ces auteurs. L’inspiration qu’il offre à Eustache Deschamps est remarquable90. Cependant, il se désolidarise 394de Jean de Meun quand il est question de l’héritage spécifique de Faux Semblant. Refusant toute transigeance, il dénonce le danger de cette incarnation de la faulsedesloyautez. Il la conçoit même comme contraire à l’épanouissement courtois91 et souligne le danger social qu’implique pareille manipulation des apparences92. Quant à Guillaume de Machaut, s’il témoigne d’une volonté similaire à celle de Jean de Meun de lier art d’aimer et art poétique dans son Voir Dit93, il s’oppose avec force à l’association que l’auteur du Roman de la Rose proposait entre Amour et Faux Semblant. Il y consacre un motet célèbre, Amour qui a le pouvoir. Kevin Brownlee souligne tout l’intérêt de la réflexion qu’il y mène autour de la chute des signes au fondement du discours courtois figurée par Faux Semblant94. On le voit, la désapprobation irrigue l’œuvre, l’esprit et la production poétique des grands poètes que sont Eustache Deschamps et Guillaume de Machaut. Ils participent de l’emphase portée également dans l’éthique amoureuse sur la sincérité et surtout de la dénonciation de toute atteinte à ce critère tout aussi essentiel que celui du secret. Faux Semblant ne peut bien sûr intégrer pareil système de valeurs, mais permet justement de cristalliser l’opposition aux manipulations malhonnêtes des faux amants. Le Dit dou Lyon de Guillaume de Machaut, que nous citions à l’occasion de notre réflexion sur l’impératif de sincérité, constituait un excellent exemple de l’intégration de Faux Semblant non plus au sein des stratégies louées pour la conquête amoureuse, mais de celles dénoncées chez les plus 395grands ennemis des amants que sont non plus les losengiers, mais ceux qui se jouent de leur apparence95.
Peut-être plus anecdotique, mais non moins intéressante, la réflexion que Jean Froissart propose autour de l’univers allégorique amoureux envisage également la place laissée aux jeux émotionnels requis chez les amants. Nous avons déjà pu insister sur l’intérêt de son Orloge amoureus dans le cadre du chapitre que nous dédiions à l’importance de la garde des émotions. Sa personnification d’Attemprance met bien en exergue son rôle crucial dans la dynamique amoureuse96. La place qu’il lui accorde ne souffre néanmoins aucun dérapage de la discrétion à la ruse plus explicite. Au contraire d’ailleurs : celui qui épaule Attemprance dans sa lutte contre Malebouche n’est pas Faux Semblant, mais Peur. Il s’agit là d’une réorientation surprenante du modèle allégorique de l’économie amoureuse. Chez Guillaume de Lorris et Jean de Meun, cette figure apparaît dans le cadre d’une triade qu’elle forme avec Danger et Honte. Elle se voit justement vaincue par Pitié, comme nous l’évoquions au gré de notre analyse du fou d’Évrart de Conty97. Elle se situe donc du côté des défenseurs de la Dame, allié de l’un des plus grands ennemis de l’Amant avant Malebouche. Dans l’économie de ce changement de valence de Peur, notons le déplacement de genre de cette émotion, féminine dans le Roman de la Rose, rattachée à l’amant sous la plume de Jean Froissart. Cette réappropriation participe d’un souhait de revoir la tradition de l’amant couard, comme il insiste d’ailleurs lui-même sur la question98. Jean Froissart modifie donc ce schéma en dépeignant Peur comme le « foliot d’amours99 », indispensable au bon fonctionnement de cette deuxième roue d’Attemprance. Ce changement de camp interpelle. La description qui en est donnée est néanmoins explicite de ce retournement, et de la confiance que Jean Froissart place dans la vertu de cette nouvelle personnification des forces de l’Amant :
Pour ce fault il que Paours y sourviegne,
Car Paours est le foliot d’amours
396Qui a l’amant fait attemprer les mours,
Et son desir mouvoir par tel mesure
Que nuls ne voie en son fait mespresure ;
Car aultrement il poroit ou dangier
De Male Bouche escheïr de legier
Et resvillier Dangier et Jalousie,
Qui sont contraire a toute courtoisie,
Et heent par leur nature envïeuse
Toute personne honnourable et joieuse,
Et par especial trop ont d’envie
Dont est Paours a l’amant necessaire,
Car elle fait attemprer son afaire,
Et le nourist en cremeur d’entreprendre
Chose dont nuls ne le peüst reprendre.
Car tout ensi que le foliot branle,
Doit coers loyaus estre tous jours en branle,
Et regarder, puis avant, puis arriere,
Qu’on ne se puist cognoistre a sa maniere
Ne percevoir a quoi il pense et vise.
Briefment, Paours, qui ses vertus devise,
Fait a l’amant maint bel et bon servisce,
Car par son fait sont esquiewé li visce,
Et mis en avant, par vertu noble et grande,
Meurs de tel pris qu’Attemprance demande100.
On perçoit d’emblée l’emphase mise sur l’utilité et même sur la nécessité de l’intervention de Peur : il fault qu’elle survienne. Ce souci de valorisation irrigue l’ensemble du passage : le lexique employé en est révélateur. Il va de pair avec une insistance portée sur l’objet de l’action de Peur : l’amant lui-même. Par trois fois, Jean Froissart précise que le destinataire de cette influence si necessaire est l’amant, objectivé ainsi au gré de cette intervention de Peur qui lui faitattemprer et, ainsi, maint bel et bon servisce. Jean Froissart semble cependant bien conscient du caractère singulier de ce déplacement des forces en présence : cinq car étayent sa description. Cet effort de justification s’inscrit bien sûr aussi dans la valorisation de Peur, par un vocabulaire élogieux, mais surtout par l’association qui s’y dessine avec Attemprance, et même par l’insistance sur la vertu de son action, en écho à la vertu du foliot. Dans une belle démonstration du jeu qu’il introduit dans l’allégorie 397amoureuse, Jean Froissart défend également son action en mettant en lumière les dangers, les vices mêmes, dont Peur protège l’amant contre le vil Male Bouche et ses comparses que sont Danger et Jalousie. Loin de s’associer à Danger comme elle le fait dans le Roman de la Rose, Peur se définit comme une vertu par contraste avec le visce de son ancienne alliée. Elle permet à l’amant de se prémunir de sa nature envïeuse en l’aidant à mesurer les signes guettés par ses ennemis. Son utilité est défendue avec insistance, notamment quant à la nature continuelle du travail qu’elle mène pour esquiewer li visce. Le caractère perpétuel de son action anime la comparaison avec le foliot et déplace ainsi dans le champ mécanique l’évocation, habituelle, du secret qui se doit d’entourer la pensée et l’objectif de l’amant pour faire face aux losengiers. L’importance accordée à la mesure et à son moteur qu’est Peur traverse l’Orloge amoureus. Jean Froissart résume avec autant d’éloquence leur action bienfaisante au moment de conclure la présentation qu’il leur dédie :
Et quant j’en sui auques pres a la voie,
Adont Paours Attemprance m’envoie
Qui me semont trop bien de l’aviser.
Lors me couvient couvertement viser
Et regarder a senestre et a destre,
Que Male Bouche entour moi ne puist estre.
Ensi Paours me tient en grant soussi.
Mes savés vous de quoi je me soussi ?
De ce qu’on dist, oubliié ne l’ai mie,
Que couars homs n’avra ja belle amie.
Mes sans faille, dame, ma couardise
Ne me vient point de mal ne de faintise,
Fors que de tres parfette loyauté
Que Bonne Amour a en mon coer enté101.
Louant encore l’utilité de Peur, Jean Froissart démontre néanmoins ici aussi qu’il a bien conscience de la surprise que celle-ci suscite. Il paraît dès lors soucieux de contrer les critiques qu’elle pourrait occasionner. Il vante pour cela le choix d’Attemprance, qui le semont trop bien de l’aviser en lui envoyant Peur, de lui occasionner ce soussi salutaire à sa défense contre Male Bouche. La rime entre le soussi offert par Peur et celui qui anime le poète de le valoriser témoigne de la réinterprétation positive de 398l’inquiétude amoureuse qu’il souhaite mener. Jean Froissart se prête à un vif plaidoyer de la peur, de la couardise même, comme relevant de la loyauté de l’amant. Il invoque à nouveau pour ce faire l’autorité d’Amour et oppose cette peur loyale à la feintise. On croirait ainsi retrouver une nuance esquissée dans le Roman de la Rose. Au gré de son exposé sur les périls amoureux, le dieu Amour insiste sur la nécessité de dissimuler en public les tourments ressentis au souvenir de la dame, mais aussi sur la tromperie des faux amants qui seuls peuvent rester maîtres de leur discours et de leur apparence, par contraste avec l’amant véritable trop accablé par la douleur pour y parvenir aussi aisément102. Ce contraste paraît presque paradoxal au vu de l’injonction du contrôle de soi qui la précède directement dans les recommandations d’Amour. Mais peut-être peut-on le lire en rapport avec cette valorisation de la peur que Jean Froissart propose : la peur différencie les vrais des faux amants, qui en sont dépourvus, tout comme ils le sont, dans la description de Jean Froissart, d’ordenance, de mesure, d’art, tel que pourrait l’induire cette même formulation centrée sur la préposition sans. Guillaume de Lorris vantait déjà le rôle bénéfique de la peur, en écho à la tradition de la fin’amor dans son ensemble d’ailleurs. La peur apparaît en effet assez souvent comme justification ou comme moteur des dissimulations émotionnelles auxquelles s’efforcent les protagonistes. Plusieurs exemples que nous avons cités témoignent de la place accordée à la peur dans la manipulation mise en scène. Tel était le cas de la dissimulation d’amour d’Alexandre et Soredamor, pourtant difficile en raison de l’intensité de leur émotion, animée par leur angoisse de se dévoiler103, ou celui de la reine Guenièvre qui veille à se montrer sage et apercevant par crainte de révéler son amour pour Lancelot104. Certes, la peur reste exempte des entités amoureuses dépeintes dans les grandes œuvres allégoriques, tout comme des arts d’aimer tels que celui de Drouart la Vache, mais ce n’est pas pour autant qu’elle est étrangère à la tradition de l’amour courtois. 399Les troubadours déjà en soulignaient l’importance, comme Glynnis Cropp l’indique dans son analyse du vocabulaire chez les troubadours : « C’om non ama finamenz / Senes gran temensa gaia105 ». Il n’empêche que cette mise en lumière de la place de Peur parmi les adjuvants plutôt que les opposants de l’amant nous paraît significative, a fortiori dans le jeu de reprise allégorique du Roman de la Rose. L’emphase mise sur l’aide apportée par Peur pour vaincre Male Bouche est remarquable. Elle atteste un véritable souci de réorientation de la conquête amoureuse, loin de toute connotation trompeuse véhiculée par Faux Semblant. Quelque périphérique qu’il puisse sembler, ce rapide parcours dans l’œuvre de Jean Froissart nous semblait offrir un bon indice de la volonté de remodeler le schéma amoureux offert par le Roman de la Rose dans une tout autre veine que celle d’Évrart de Conty. Il n’y en effet plus question de soutenir l’action de la mesure et de la discrétion indispensables aux amants par la ruse, mais au contraire par la peur, certes de tous temps sous-entendue dans le souci de l’amant de ne pas révéler ses émotions, mais ainsi mise en exergue dans une optique purement courtoise. Le rôle qui lui est accordé ne laisse aucune place à la tromperie, rendue inutile par la force et la constance de son action. Jean Froissart offre ainsi un exemple significatif de réécriture de l’allégorie amoureuse et du souci de la libérer du spectre de Faux Semblant.
Le roman Jehan de Saintré d’Antoine de la Sale s’avère tout aussi intéressant pour considérer l’influence exercée par le Roman de la Rose sur l’univers de la fin’amor jusqu’au xve siècle. Antoine de la Sale partage avec Jean de Meun l’ironie dont il instille le tableau qu’il offre de l’apprentissage amoureux du jeune Saintré. Faux Semblant y connaît une postérité remarquable dans le personnage de damps Abbé, que Florence Bouchet présente comme son lointain cousin. Antoine la Sale dénoncerait par son biais la fausse comédie de la séduction masculine106. Davantage qu’à cet ennemi, aussi haut en couleurs soit-il, c’est à l’amant lui-même et à sa dame que nous aimerions nous consacrer. L’ironie et la réflexion dont Antoine de la Sale entoure ses personnages ne touchent en effet pas seulement au prêtre licencieux. Nous voudrions envisager celles 400dont il connote son tableau des jeux émotionnels de la communauté spécifique des amants formée par le naïf Jehan et par Belle Cousine. Ces jeux se révèlent d’autant plus dignes d’intérêt qu’ils s’inscrivent au cœur d’une véritable leçon dispensée au fil du roman autour de l’utilité du secret courtois et plus encore de la feintise107. Cette forme particulière d’art d’aimer ainsi mis en abyme dans l’enseignement de Belle Cousine permet de mettre en évidence toute l’ironie de situations dans lesquelles les personnages se voient partagés entre leur for intérieur et l’apparence courtoise qu’ils doivent offrir aux autres108. Voici un trait commun aux leçons d’Antoine de la Sale et au Miroer aus amoureux de Jean de Meun bien sûr : tous deux insistent sur le caractère indispensable des manipulations émotionnelles pour mener à bien la conquête et plus encore la préservation de l’amour. Antoine de la Sale cultive cependant autant l’ironie dont il teinte son récit que le conformisme face aux préceptes courtois. Chacun des jeux émotionnels qu’il insère se conçoit dans l’objectif d’assurer le secret amoureux, ou du moins d’y initier. L’intention didactique prêtée à Belle Cousine anime ainsi même les fausses colères qu’elle offre à plusieurs occasions à son jeune amant109. Elle s’inscrit dans la logique de la fausse colère de la Dame du Lac à l’égard du jeune Lancelot110. Ce parallèle atteste l’importance accordée au rôle formateur de la dame aussi dans la relation amoureuse. Mais il témoigne également d’un changement majeur opéré par Antoine de la Sale face à la tradition offerte par le Roman de la Rose. L’objet d’amour y était en effet dépourvu de toute agentivité, les jeux émotionnels ne relevant en aucun cas de son fait. L’attitude de Belle Cousine signale un retournement important et une intégration notable de la dame dans les stratégies amoureuses. Cette dynamique pédagogique se confirme dans la plupart des jeux émotionnels de Jehan, mis sur pied à la demande expresse de sa dame. Ainsi, quatre des cinq simulations qu’il est dépeint mobiliser afin de garder discrète leur relation répondent à la recommandation de 401Belle Cousine. Elle lui conseille par exemple de camoufler sa joie derrière une apparence de surprise :
ne aussi vueil je que point vous en riez, affin que mes femmes ne se apperchoivent de noz voullentez, mais devant elles faittes ainssi l’esbahy comme par avant faisiez, et attendez moy cy, car je revenray tost111.
Le jeu émotionnel s’inscrit donc dans la volonté même de la dame. Elle sous-tend l’intention de discrétion de cette double manipulation, bien précisée par la mention au public visé : les femmes de Belle Cousine. La tendance paraît générale dans le roman de Jehan de Saintré, cet exemple en est significatif : on observe une inversion des rôles sociaux de genre dans la logique des jeux émotionnels. Ce ne sont plus les hommes du chevalier ou du souverain qui sont concernés par la dissimulation souhaitée, mais les femmes de la dame. Le renversement est notable, plus encore quand on constate la prégnance des appels de Belle Cousine à la dissimulation des émotions de Saintré. L’initiation courtoise à laquelle elle le soumet en passe par une véritable éducation émotionnelle, qui se rapproche de celle que la Dame du Lac inculque à Lancelot. Mais surtout, elle peut se lire en opposition avec les propres incitations à la discrétion de Gobert à la dame de Fayel112, de Galehaut à Guenièvre113, ou du moine à Hélène de Benoïc dans le Lancelot Graal114. Ce sont les femmes qui possèdent les clés des codes émotionnels courtois dans ce roman du xve siècle et peuvent ainsi les intégrer aux leçons cruciales délivrées au jeune chevalier. Mais c’était aussi déjà le cas dans le Tristan de Béroul lorsque Brangien recommandait à Tristan de mimer la colère à son égard115. Le parallèle est intéressant et dénote une forme de propension trompeuse prêtée à la gent féminine ou, du moins, la qualité de ses conseils quand elle vise la maîtrise des émotions des hommes amoureux. De manière intéressante, à la volonté de la dame que Saintré dissimule son plaisir se superpose leur voullentez à tous deux. Comme souvent, la manipulation émotionnelle s’intègre dans une stratégie plus 402vaste. Son succès se veut assuré par le double jeu ainsi recommandé. Il n’est en effet pas seulement question que Jehan ne manifeste pas son plaisir, mais qu’il apparaisse esbahy. Sur la base du renversement habituel entre l’émotion ressentie et celle qui est affichée, Belle Cousine conseille à Jehan de simuler la surprise. Le choix de l’émotion est notable, il joue des habitudes du jeune homme, mais surtout de sa naïveté, bien soulignée lors de ses premières aventures. La surprise est d’ailleurs l’émotion la plus souvent manifestée par Jehan de Saintré, toujours selon le conseil de son aimée, avec une ironie évidente. Mais elle lui recommande également à l’occasion de simuler le mécontentement : « Saintré, qui de Madame avoit sa leichon, faingnant de estre couroucé, se agenouilla et sans dire mot prend congié116 ». La relative précisant la source de la manipulation précède donc sa description, comme pour mieux insister sur le rôle joué par Madame dans cette fausse désolation. Les objectifs d’éducation de Belle Cousine à l’égard de Jehan sont explicites dans ce passage qui présente le jeu mis sur pied par le jeune homme comme relevant de sa leichon. Plutôt qu’une leçon d’amour, c’est donc une leçon de faux semblant que la dame paraît délivrer. L’enjeu de sa leçon correspond tout à fait à celle dispensée dans les arts d’aimer que nous parcourions en introduction : elle vise la discrétion, indispensable à leur relation amoureuse et aussi, dans ce cas, au parcours initiatique mené par Saintré par ce biais. Les gestes choisis pour assurer cette impression de colère sont significatifs : il garde le silence comme pour mieux garder le secret, s’agenouille comme pour faire montre de son respect aux règles courtoises qu’il endosse avec cette simulation de colère. Le choix de cette émotion, toute logique qu’elle soit pour assurer la discrétion de leur relation derrière une fausse apparence de mésentente, s’avère néanmoins plus représentatif de la dimension rusée qui peut empreindre les jeux émotionnels des amants que de la dynamique bienséante propre à la courtoisie. Nous avons en effet pu souligner que celle-ci recommandait plutôt l’expression d’émotions positives comme la joie pour dissimuler justement tristesses et mécontentements117. En outre, si le public visé n’est pas précisé, on perçoit bien le désir de tromper dans ce prétendu mécontentement. L’agenouillement paraît dans ce sens témoigner de 403l’entremêlement de ces injonctions de la manipulation émotionnelle, la ruse amoureuse et la convenance courtoise, et surtout de leur réorientation dans une optique bienséante.
Sans l’intervention de Belle Cousine, les jeux émotionnels mobilisés par Jehan sont bien plus conventionnels, plus simplistes aussi. Les trois seules occurrences de manipulation du semblant offert de ses émotions touchent en effet toutes à la dissimulation de sa tristesse. Elles attestent l’intensité de l’investissement émotionnel du jeune homme. Nous avions noté, dans les œuvres arthuriennes et tristaniennes, la propension à un tel jeu émotionnel autour de la tristesse difficile à maîtriser par les amants. L’inscription de Jehan dans cette dynamique attesterait un clivage entre les jeux dictés par sa dame et ceux qu’il mène lui-même, dans une optique moins rusée. Ils paraissent en effet viser plus simplement la discrétion amoureuse, loin des stratégies plus développées de Belle Cousine. Ainsi Jehan camoufle sa peine à ses compagnons dans l’espoir que l’amour qui en est la cause ne leur soit pas révélé : « et en riant leur demanda comment chascun estoit content de sa dame. Hellas ! mais il ne dist pas de la scienne, ne de la fainte doleur que son triste coeur portoit118 ». On perçoit bien le souci courtois de Saintré, qui veille à dissimuler sa doleur. Son intensité comme le jeu qui l’entoure sont mis en exergue par sa présentation. Elle se situe en effet dans son coeur, lui-même encore qualifié de triste comme pour mieux insister sur la rupture opérée entre l’apparence qu’il offre à ses compagnons et la réalité de son cœur. Il est d’ailleurs précisé qu’il s’enquiert d’eux en riant, ce qui témoigne encore de sa volonté toute courtoise. Il recouvre donc son émotion sous son contraire, selon ce double jeu usuel de la dissimulation voulue plus efficace par la simulation qui l’assure. À une autre occasion encore, il fait montre de cette maîtrise de soi, exacerbée ici par le public de sa joie prétendue :
Le seigneur de Saintré, qui de tous poins avoit sy tresfaulcement perdu sa dame, que tant et sy tresloyaument servie avoit, prist en soy maniere telle que se de tout ce ne fust riens esté. Lors a grant façon de lye chiere vient redoubler la leesse de Madame avec celle de damps Abbés119
La joie que Saintré s’efforce de manifester s’inscrit sans aucun doute dans une optique bienséante. Bien que cela ne soit pas précisé de manière 404explicite, elle sert à recouvrir le ressentiment de la tresfauce rupture de sa relation avec Belle Cousine. Surtout, elle concorde avec la propre leesse de Madame et de damps Abbé. Le verbe redoubler témoigne de ce souhait révélateur du souci de convenance qui l’anime. Jehan choisit en effet de le camoufler à la source même de son ressentiment : Madame. Cependant, les raisons n’en sont cette fois pas données. Ce qui est justifié, au contraire, est son ressentiment pourtant inexprimé. Cette ambiguïté paraît souligner encore l’émotion de Saintré, et ainsi les efforts qu’il fournit pour la dissimuler. La formule employée pour les signifier atteste aussi l’intensité de l’émotion suscitée par tout cela. C’est ainsi non seulement l’émotion qui en découle qui est cachée, mais aussi toutes ses causes. L’outrage qu’elles impliquent est patent, évoqué surtout par ces justifications qui précèdent, dans la description qui en est donnée, le jeu lui-même. Le parallélisme presque parfait des relatives l’atteste : le service tresloyal de Saintré correspond à la perte tresfaulce de Madame. Les adverbes intensifs sy et tres se suivent pour mettre en exergue le lien de cause à effet et surtout la rupture entre la qualité du service d’amour rendu à la dame et l’abjection de son rejet. La comparaison est renforcée par la position similaire de la dame, présentée comme l’objet du service comme de la perte, tout en étant en réalité le sujet de l’un comme de l’autre : du parcours initiatique amoureux que comportait ce service et de l’abandon. La faute lui incombe ce faisant, et sa vilenie est soulignée, a fortiori par le rapprochement qui est introduit avec damps Abbés dans la suite du passage. C’est l’occasion d’ailleurs de mettre en exergue tout l’intérêt, dans la leçon d’amour ainsi dispensée, du choix de Belle Cousine pour l’Abbé. Il révèle en effet tout le danger que représentent les faux amants, qui s’érigent comme les véritables ennemis des amants à la place des losengiers. Toutes les astuces déployées pour couvrir l’amour ne peuvent suffire face à la propre tromperie non pas des médisants, mais de ceux qui recourent honteusement aux apparences amoureuses pour s’approprier le cœur des dames. L’adverbe tresfaulcement témoigne du lien tissé entre la propre fausseté de l’abbé et celle de la perte qu’elle engendre. Tout ceci fait bien sûr écho aux leçons d’Ami, de la Vieille et de Faux Semblant, qui mettaient en lumière l’hypocrisie dont l’amour peut se teinter. L’intervention de Faux Semblant permet certes à l’Amant de remporter la Rose, mais nous avons pu noter que cette conquête ne semble pas exempte d’une certaine ironie qui révélerait combien les moyens 405déployés pour ce faire tendent à rapprocher l’Amant des faux amants. La fausseté de damps Abbés, et ainsi sa dénonciation, est néanmoins bien plus injustifiable encore dans contexte : elle ne vise en effet en rien la défense de l’amour face à la menace des losengiers, mais démunit seulement le véritable amant, Jehan. Paradoxalement, ces deux épisodes de double jeu de la part du jeune Saintré témoignent du succès de ses leçons, non pas dans leur amour justement, mais dans la maîtrise émotionnelle dont il sait maintenant faire preuve. Il est en effet intéressant que sa capacité à manipuler les apparences offertes de ses émotions soit acquise une fois la rupture consommée. Il est ainsi clair que son souci n’est en rien d’assurer le secret d’un amour perdu, mais plutôt d’assurer la bienséance requise par la société courtoise. Il est révélateur à ce niveau qu’il ne camoufle plus ses émotions sous une mine faussement surprise, symbolique – nous l’évoquions – de la naïveté de sa position de jeune amoureux, mais sous une apparence de joie, émotion éminemment sociale comme les jeux émotionnels des souverains, par exemple, l’attestaient120. Jehan passe ainsi du statut de nice d’amour à celui de seigneur, employé dans ce passage pour le qualifier, par le biais de cette initiation amoureuse. Toute l’utilité de la relation d’amour s’en voit redistribuée, au profit d’une leçon de la maîtrise émotionnelle. Le secret amoureux ne sert ce faisant plus que d’intermédiaire à la véritable manipulation émotionnelle qui compte, celle qui relève de la bienséance sociale.
Le jeu qu’Antoine de la Sale paraît proposer autour de l’importance accordée aux semblants émotionnels touche également au portrait dressé de la dame. Certes, les recommandations qu’elle donne à Jehan témoignent d’une habileté qui tend à la rapprocher des femmes rusées dénoncées tout au long du Moyen Âge dans une littérature volontiers misogyne. Inspirée du modèle biblique de Dalila, repris d’ailleurs par André le Chapelain121, cette dénonciation anime l’ensemble des œuvres de la fin’amor. Bernard de Ventadour déjà reprochait l’illusion que les femmes se plaisent à cultiver en rapprochant le semblant affable de la dame à de l’eau qui dort, « en réalité plus menaçante que l’eau qui bruie (XXIII, v. 33-40)122 ». Il 406conviendrait néanmoins de nuancer ce constat en ce qui concerne Belle Cousine. Certes, elle s’érige en maîtresse de l’art amoureux et, donc, de l’art de ménager les apparences offertes d’émotions nécessairement cachées dans ce contexte. Mais tous les exemples de ses propres jeux émotionnels attestent son propre investissement affectif dans la relation qu’elle entretient avec son jeune élève. Bien loin de souhaiter le tromper, elle a surtout le souci de le préserver, à la manière d’Énide qui s’ingéniait à dissimuler ses émotions pour ménager son époux : « Madame, qui derriere lui veoit ses femmes rire et s’en tenoit le plus que povoit, lui dist123 ». Avant même que débute leur relation, Belle Cousine témoigne de son affection pour le jeune homme en réfrénant le rire que lui communiquent ses compagnes. Le narrateur souligne les efforts qu’elle consent pour ce faire, dans une belle démonstration de son intérêt à son égard. La joie, davantage que ce rire quelque peu moqueur, constitue l’émotion la plus souvent dissimulée par Belle Cousine, selon une dynamique particulière des jeux émotionnels des amants. Loin de la tristesse propre aux difficultés éprouvées par les amants, Madame veille en effet plutôt à garder secret le plaisir que lui inspire le jeune homme, dans l’ensemble des occurrences de dissimulation qu’elle est dépeinte mettre sur pied. La plupart d’entre elles ponctuent les succès de Jehan, dont Belle Cousine tente de se réjouir discrètement seulement. Ainsi s’efforce-t-elle de camoufler sa joie au retour glorieux du jeune Saintré à l’issue de ses classes d’armes à Barcelone : « lors va a Madame qui de joye avoit tant que a paines savoit soy maintenir, combien que, comme saige dame que elle estoit, sa tresentiere joye elle celoit124 ». La mise en scène du jeu émotionnel se voit dédoublée ici pour souligner l’ampleur du plaisir ressenti par Belle Cousine et, ainsi, des efforts consentis pour le maîtriser. Ils se révèlent presqu’insuffisants pourtant, comme le précise la proposition qui vient justement compléter l’intensif qui caractérise sa joie, dans une formulation proche de celle qui était donnée des efforts vains de la reine Guenièvre pour cacher sa tristesse125. La difficulté n’a d’égal que la valorisation de sa contenance. Sa dissimulation lui vaut 407en effet d’être reconnue comme saige dame, à l’instar des amants soucieux de garder leur amour discret chez Drouart la Vache126. Cette qualification démontre l’inscription de Belle Cousine dans une optique amoureuse, que dénote bien sûr aussi la joie éprouvée face aux succès de l’amant. Celle-ci s’intègre aussi à la perfection dans la dynamique formatrice qu’insuffle Belle Cousine à cette relation. Sa joie, dont l’intensité est bien soulignée aux deux occasions de sa présentation, correspond en effet à la reconnaissance d’une étape de l’initiation amoureuse voulue, dans la tradition de la fin’amor, comme relevant aussi bien d’une démonstration de vaillance que de fidélité. Ce souci pédagogique anime également l’une ou l’autre des fausses colères de Belle Cousine, comme nous l’évoquions en amont de cette analyse du roman d’Antoine de la Sale. Elle va jusqu’à lui manifester sa colère à la seule fin d’exemplifier ses recommandations : « “Or, vous en allez : je vueil dormir, et de chose que je vous tansse devant les gens, comme je vous ay dit, ne vous esbahissiez.” Lors Madame, comme par couroux, lui dist127 ». La volonté didactique est encore plus manifeste dans ce cas qui redouble la prétendue colère dans la présentation que la dame en donne avant de la simuler. La précision comme je vous ay dit atteste pour sa part la continuité d’une leçon inscrite dès ses prémices dans ce qui se veut un exposé des commandements d’amour128. La recommandation s’avère d’autant plus intéressante qu’elle touche elle-même aux émotions du jeune homme, qui doit réfréner sa surprise face aux pseudo-récriminations de sa dame. À l’objectif formateur du prétendu courroux de Belle Cousine se greffe donc celui de discrétion que vient assurer l’absence d’étonnement de la part de Saintré. Sa surprise équivaudrait en effet à reconnaître que sa colère à son égard n’a pas de place dans la relation privilégiée qui est la leur. Bien plus que Jehan, Madame veille en effet au secret de leur amour. À l’exception du rire maîtrisé lors de leurs premières rencontres, tous les jeux émotionnels qu’elle présente s’inscrivent dans cette dynamique de discrétion, révélatrice de sa propre inscription dans la communauté amoureuse. Nulle occurrence de manipulation véritablement trompeuse de sa part. Il est d’ailleurs notable que l’on ne relève plus aucun épisode de jeu émotionnel une fois consommée sa rupture avec Jehan. Elle ne vise donc jamais la ruse, pas même quand 408elle se détourne du fin’amant qu’elle a aidé à former au profit du vil damps Abbé. Le seul autre objectif qui lui est prêté réside du côté de ce souci de préservation de son amant, à la manière de ce rire réfréné ou encore d’une fausse joie qu’elle affiche pour s’accorder à celle de Jehan : « Madame, qui le voist sy tresjoyeux, lors son coeur changa propos et se mist de grant dueil en tresgrant joye129 ». L’altruisme manifesté par Belle Cousine à l’égard de Jehan est bien mis en valeur par la nature de cette manipulation qui ne touche pas au semblant, mais bien au cœur directement. Le renversement est souligné, mais pas selon la rupture qui nous devient presqu’habituelle entre dedans et dehors. Ici, c’est le cœur qui s’avère le lieu du changement. L’intensité émotionnelle est pourtant cette fois aussi mise en exergue : la dame passe ainsi d’un grant deuil à une tresgrant joie, l’intensité finissant par toucher davantage la prétendue émotion que celle qu’elle éprouve à la base. Cet épisode témoigne de l’investissement émotionnel très fort de Belle Cousine, bien loin d’un tableau stéréotypé de la dame hypocrite, plus encore dans le contexte de douce manipulation qu’elle instaure autour de son jeune amant. Certes, elle vise avant tout la formation amoureuse, et ainsi – on l’a vu – la formation émotionnelle de Jehan, mais elle ne se détache pas pour autant de la sphère amoureuse qui conditionne l’ensemble des jeux émotionnels qui lui sont prêtés. La portée didactique des manipulations qu’elle met elle-même en scène, comme celles qu’elle conseille à Jehan, participe du jeu instauré autour des préceptes qui pèsent sur la sphère affective dans la fin’amor. Elle permet de révéler toutes les nuances qui les entourent, mais surtout de les réorienter ainsi. L’ironie dont Antoine de la Sale teinte le portrait de ses héros sert au final à dévoiler non pas leur hypocrisie, comme le faisait Jean de Meun, mais le bienfondé de leur parcours émotionnel. Jehan acquiert par ce biais la maîtrise requise sur la scène courtoise, tandis que Belle Cousine trouve dans la leçon amoureuse qu’elle offre les meilleures raisons de manipuler autant ses semblants émotionnels que le jeune Saintré. Les jeux émotionnels gagnent ce faisant une importance considérable, tout en se réintégrant dans une dynamique avant tout respectueuse des normes courtoises de bienséance et de discrétion pure. La preuve en est donnée par l’absence d’investissement émotionnel dans les ruses du vil damps Abbé et de la, dès lors, tout aussi condamnable Belle Cousine.
409Le point de vue est bien plus affirmé dans l’œuvre de Martin le Franc. Il n’y est nullement question de nuances ou de jeux en demi-teinte portés à l’encontre de l’éthique amoureuse redessinée par Jean de Meun. Au contraire, ses préceptes y sont dénoncés avec force dans la reprise, révélatrice dans le cadre allégorique ainsi réintroduit, qui est proposée du personnage de Faux Semblant. Cette dénonciation est d’autant plus éclatante que l’influence du Roman de la Rose marque l’ensemble du Champion des Dames. Au gré de citations ponctuelles, d’efforts de réaménagements du décor ou de reprises détournées, la volonté de réécriture de Martin le Franc est ample et polymorphe130. Celle de ces reprises détournées qui nous intéressera le plus touche bien sûr à Faux Semblant. Elle fournit un exemple significatif de la réluctance et même de l’opposition avec laquelle le faux moine pouvait être perçu. Le nom-même du héros qui y fait face, Franc Vouloir, illustre la contestation d’une philosophie telle que celle que proclamait le personnage de Jean de Meun. Martin le Franc souligne par son biais, ainsi que par celui de son propre nom bien sûr, la morale de la sincérité qui anime son œuvre en réponse à celle du second Roman de la Rose. Il convient de préciser l’inspiration offerte à Martin le Franc par Christine de Pizan à ce niveau. Nous aurons l’occasion de revenir sur cet aspect important de la réflexion qu’elle mène dans le chapitre que nous lui consacrerons131. Elle se marque également dans le projet même de Martin le Franc d’offrir un champion aux dames. Il s’agit en effet d’une idée tirée de la Cité des Dames, qu’il décline au masculin, pour accorder la protection souhaitée aux dames. L’empreinte que laisse la pensée de Christine de Pizan sur le Champion des Dames ne peut faire l’impasse sur celui qui permet à l’Amant le succès que l’on connaît à la conquête, et à la défloration, de la Rose.
Le cinquième livre du Champion des Dames accorde une place centrale au personnage de Faux Semblant, dernier des ennemis que le héros Franc Vouloir doit défaire pour défendre les dames :
Cy commence le quint et derrenier livre du Champion des Dames, ouquel Franc Vouloir chevaleureusement se combat contre maistre Faulx Semblant lequel osa jadis affermer et tenir que la Vierge glorieuse fut salie de la commune tache132.
410L’amorce de cet ultime chapitre du combat que Franc Vouloir livre contre Malebouche témoigne de l’importance conférée au faux moine, mais surtout de l’ampleur de sa vilenie. Sa présentation, et sa critique bien sûr, sont animées par l’attaque qu’il porte à l’encontre de la Vierge, la plus noble des Dames dont Franc Vouloir se fait le champion. Faux Semblant semble s’ériger ainsi en ennemi le plus notable des dames puisqu’il ose s’en prendre à la meilleure d’entre elles. L’ombre de Faux Semblant prend ce faisant une fois encore des proportions théologiques. Il se fait l’écho des débats qui entourent la pureté de la Vierge, quoi que depuis longtemps contestés – le culte marial étant alors bien établi –, tout comme il le faisait de la querelle des Ordres Mendiants sous la plume de Jean de Meun. Il s’agit d’une récupération intéressante, pour mettre en exergue le vice de Faux Semblant bien sûr, mais aussi pour démontrer l’inscription de Martin le Franc dans l’héritage du Roman de la Rose. La réécriture se veut avant tout courtoise dans le contexte du Champion des Dames. Il n’empêche que la portée religieuse du personnage de Faux Semblant continue à animer la dépréciation dont Martin le Franc souhaite également témoigner dans son œuvre, nous le verrons. Mais c’est avant tout dans une optique amoureuse, dictée par la menace qu’il impose aux dames, que Faux Semblant se construit, comme symbole de l’hypocrisie des faux amants. Martin le Franc envisage et dénonce le danger qu’il incarne dès l’introduction même de son ouvrage, bien avant l’affrontement final de Franc Vouloir :
Les dames pas ne se doubtoient
Que le traitre larron les prit
D’assault, mais asseures n’estoyent
De Faulx Semblant qui trop mesprit
Jadis, car la maniere aprit
D’avoir chasteau sans grant effort
Et par sa trahison sousprit
Bel Accueil en son chasteau fort133.
D’emblée, Martin le Franc fait part de son projet de réécriture du Roman de la Rose, révélé par cette condamnation de Faux Semblant pour l’aide indue qu’il y offrait à l’Amant pour approcher Bel Accueil. Loin de louer, comme le faisait l’Amant chez Jean de Meun134, l’action de Faux 411Semblant, Martin le Franc la critique au contraire avec véhémence comme étant de l’ordre de la mesprison et de la trahison. Les titres de larron et de traitre sont repris aux descriptions données par Jean de Meun, mais pour qualifier cette fois Malebouche, son ennemi dans le Roman de la Rose, devenu ici, de manière si intéressante, son allié. Martin le Franc souligne ainsi la menace bien plus grande que Faux Semblant fait peser sur les dames, qui ne peuvent s’en asseurer. Bien davantage que pour son caractère par essence non fiable, Faux Semblant est surtout condamné pour la facilité qu’il offre indûment à l’Amant, qui devrait plutôt conquérir le château de Jalousie par grant effort. Cette superficialité de l’amour tel que Faux Semblant permet de le concevoir est amplement décriée au gré des aventures de Franc Vouloir. Martin le Franc consacre un long développement à la condamnation des astuces trompeuses recommandées par Ovide et Jean de Meun, érigés en modèles des faux amants :
Chevalier fait cellui quicunques
Scet tromper dame et allourder.
Et n’ait il pas vaillant deux conques,
Il est prince de bouhourder.
Trahir, mentir, faindre, bourder
Sont les engins, les croqs, les hains
Dont tout amant se doibt hourder,
Disant : « Ma dame, je vous aims135. »
Il dévalorise presque avec hargne ces attitudes trompeuses. Pas moins de six synonymes sont employés pour qualifier la ruse des prétendus amants. On est loin des jeux lexicaux cultivés par Évrart de Conty pour préserver l’ambiguïté de la manipulation émotionnelle. Elle est ici décriée sans aucun doute, plus encore quand elle est rapprochée des engins et même des hains ainsi dressés aux dames. La rime qui rapproche ces pièges de la prétendue déclaration d’amour illustre bien la mécanique de mise en lumière des ruses des faux amants. Explicite, le vocabulaire se veut aussi fort familier pour mieux porter la dévalorisation. La comparaison aux conques joue de cette dévaluation, fondée de manière intéressante sur la vaillance des faux amants. La dépréciation se veut ainsi totale et révélatrice dans l’insertion dans l’univers de la joute qu’est celui du Champion des Dames. Comme le notait Pierre-Yves Badel, Faux Semblant 412devient au fil du temps un « symbole de l’hypocrisie la plus générale136 », et ainsi même de la fausse vaillance ici. Mais au contraire des constats dressés quant à la réception de Faux Semblant au xive siècle, sa dimension religieuse est loin d’être oubliée chez Martin le Franc. La menace qu’il fait peser à un niveau amoureux est évidente, mais Franc Vouloir veille à rappeler toute l’ampleur des manipulations de celui qui reste ainsi le faux moine créé par Jean de Meun :
Ainsy la fausse gent falye
Par le moyen de Faulx Semblant
Monstrant chiere saincte et palye
Languist et vivote en tremblant.
Quant Franc Vouloir vit le preusdome
Les yeulx abessiez et mains jointes,
Emmantellé et couvert comme
Cellui qui ne doibt estre cointes,
Il dit : « Faulx Semblant, qui t’acointes
De Malebouche mensongier,
Neantmains si sainctement t’appointes
Qu’on n’y scet que tout bien jugier137. »
L’influence même que Faux Semblant exerce sur la fausse gent se conçoit dans cette optique. Le moyen qu’il offre aux hypocrites paraît inspirer la chiere saincte, que Jean de Meun dépeignait déjà138. Tout le corps est même impliqué dans ce faux semblant, comme pour mieux souligner toute sa portée trompeuse, par ces tremblements feints. Dès son arrivée, Faux Semblant s’inscrit donc dans la lignée que lui offrait le Roman de la Rose. La dévotion prétendue s’affiche dans toute son attitude et même, une fois encore, dans son manteau qui évoque bien sûr celui qu’il revêtait pour accomplir son funeste pèlerinage. Franc Vouloir manifeste d’ailleurs sa bonne connaissance des méfaits passés de son nouvel opposant, tout en jouant peut-être du renversement opéré dans le Champion des Dames. Il souligne en effet le rapprochement entre Malebouche et son nouveau jouteur, mais sa formulation peut également faire allusion à l’approche détournée de Faux Semblant auprès de Malebouche139. La 413proximité qu’ils gagnent semble en effet pouvoir se comprendre dans le cadre de l’alliance qui les unit tout comme de celle qui s’avérait fatale à Malebouche dans le Roman de la Rose. Cette allusion s’inscrit en outre en amont d’une dénonciation du caractère non fiable propre à Faux Semblant. Elle se construit justement sur la base du rapprochement avec Malebouche qui permet d’éclairer la rupture entre sa tendance mensongère et son apparence sainte. L’alliance que Martin le Franc propose entre Malebouche et Faux Semblant revêt plus d’intérêt encore ainsi. Placer Faux Semblant aux côtés de Malebouche – autrement que pour l’égorger – constitue un changement de camp pour le moins surprenant dans cette réélaboration de l’allégorie amoureuse développée dans le Roman de la Rose. Leslie C. Brook soulignait, à raison, toute l’ironie de cette nouvelle dynamique entre Faux Semblant et Malebouche dans le contexte de la réponse que Martin le Franc souhaite donner au Roman de la Rose et à sa misogynie140. Elle offre en réalité au Champion des Dames le moyen de dénoncer tout à la fois tous les ennemis de la dame, tous ceux qui mettent son honneur en péril par leurs attitudes trompeuses. Devenu symbole de l’hypocrisie générale, Faux Semblant incarne une malversation de l’amour tout aussi préjudiciable aux fin’amants que la médisance en soi. En ce qui concerne Faux Semblant, sa réorientation permet de mieux souligner le vice qui lui est inhérent. L’introduction que Franc Vouloir donne à sa longue tirade dépréciative l’atteste déjà : la présence de Faux Semblant auprès de Malebouche permet de révéler la réalité de ses dehors que l’on pourrait tout bien jugier. C’est néanmoins avec une ironie fort similaire à celle que cultivait lui-même Jean de Meun que Franc Vouloir dénonce la fausseté de ce personnage. Il poursuit en effet en ridiculisant les effets dévastateurs de ses prétendus jeûnes sur son aspect cadavérique et même sur sa capacité à prêcher. Franc Vouloir joue ainsi du droit débattu des Frères Mendiants à prêcher, tout comme de celui de Faux Semblant à intégrer l’armée du dieu Amour :
« Qui t’a en ce champ amené,
Faulx Semblant ? Par ton sacrement,
T’a l’on commis ou ordonné
Que tu faces le preschement ?
414Certes, je ne sçay pas comment
Prescheras, car en verité
Tu as jeuné trop longement :
Ton corps est tout debilité.
Quicunques te voit ou viaire,
Il te juge mains vif que mort.
Ce font les jeunes et la haire
Dont la char mastines trop fort.
Preng ung petit d’humain deport,
Car avec ce que tu mendies
Et que tu as bien mesgre aport,
Chascun scet que trop estudies141. »
Le sacrement de Faux Semblant nous paraît évoquer tout autant son statut de moine supposé que son intégration dans l’armée du dieu Amour. Sans jamais y faire la moindre allusion explicite, Franc Vouloir parvient à critiquer aussi bien l’atteinte de Faux Semblant aux préceptes amoureux que celle, qu’il dénonce ici, à la dévotion religieuse. Bien sûr, l’ironie à l’égard de son corps tout debilité peut servir également à souligner la faiblesse de Faux Semblant et ainsi annoncer sa défaite évidente face à la courtoisie incarnée de Franc Vouloir et des véritables fin’amants. L’humain deport, que Franc Vouloir recommande de prendre, offre un autre indice de l’ironie avec laquelle il traite la dévotion feinte de Faux Semblant. Elle réside avant tout dans la référence aux propres aveux que le faux moine faisait au dieu Amour, affirmant son goût detres bons morsiaus et de vins pour révéler l’hypocrisie de son apparence de sainz hermites142. De manière intéressante, cette séquence des confidences de Faux Semblant visait à dénoncer les excès, de richesse comme de pauvreté, pour louer li moiens où la gist des vertuz l’abondance143. Or, ce sont justement les excès, de mortification comme d’étude, que Franc Vouloir tourne ici en ridicule chez Faux Semblant. La réorientation que Martin le Franc propose de Faux Semblant, non plus allié, mais ennemi des amants, comporte donc une exception. Elle est d’autant plus marquante qu’elle touche aux préceptes qui semblaient justifier le recours aux faux semblants. On pourrait comprendre que, si la manipulation rusée se voit condamnée dans le Champion des Dames, 415celle qui vise le juste milieu paraît exemptée de cette condamnation. Cette lecture, tout à fait orientée bien sûr, nous semble cependant supportée par la concentration proposée sur les indices physiques de la dévotion, jeûnes, mortifications et, plus encore, sur les références au corps et à la chair même, et ainsi sur l’investissement émotionnel qu’ils impliquent. Dans la lignée de Jean de Meun, Franc Vouloir met en lumière la fausseté des signes émotionnels, en particulier de ceux que l’on peut offrir de la dévotion. Comme chez Jean de Meun également, cette dénonciation des faux dévots se consacre en particulier au sort des Frères Mendiants. Martin le Franc fait ainsi écho, presque deux siècles après les faits, à la querelle de l’Université de Paris, en mentionnant « le bon saint Dominique144 » ou « saint Franczois atout sa corde145 » pour relever, avec tout autant d’ironie, la rupture entre leur prêche « du bien de vertu146 » et « l’estat de son contraire147 ». Le lien tissé avec la querelle universitaire portée par Faux Semblant chez Jean de Meun se confirme. Franc Vouloir conclut avec la même ironie mordante pour souhaiter la bienvenue à son nouvel opposant, mimant toujours la naïveté à l’égard de Faux Semblant « que l’on scet certainement / que de mentir n’a[vez] envie148 ». Pareille attitude ne peut qu’évoquer celle de Malebouche qui, dans le Roman de la Rose, reste incapable de percevoir l’ambiguïté de son faux confesseur. Franc Vouloir se voit d’emblée valorisé ainsi : Faux Semblant, chez Jean de Meun, soulignait en effet la sagesse des rares personnes capables de discerner sa fausseté149. Ce passage, qui semblait annoncer la perte de Malebouche, permet a contrario de vanter les qualités de Franc Vouloir qui « apercevra » bien le « barat » de Faux Semblant et s’évite ainsi « ses granz damages150 ». Le jeu de reprise du Roman de la Rose se poursuit tout au long de la joute verbale qui oppose Faux Semblant à Franc Vouloir. Les références à ses fausses apparences dévotes rythment l’ensemble de leur débat, dans une belle démonstration de l’attention que Martin le Franc prête à mêler les univers religieux et amoureux auxquels Faux Semblant 416porte atteinte dans l’œuvre de Jean de Meun. Ainsi, au moment de rappeler son allégeance à Malebouche et donc sa menace à l’égard des dames, la critique se concentre encore sur son rapprochement avec les Ordres Mendiants :
« Je suis obligié et tenu
D’accomplir vo commandement
Sire, pour ce suis je venu. »
Si s’en revient mettre en chaiere
A long pas et le col enclin,
En plus grimacheuse maniere
Que cordelier ou jacopin.
Il semble estre escoux d’ung patin
Tant est il mesgre et abatu,
Mais il entent bien son latin
Soubs sa chappe a grant vertu.
Il commença de ses deux dois
Torchier sa bouche doulcement,
Puis souspirer deux cops ou trois
Levant la teste tendrement.
Fus tu jamais a preschement
Ou de begart ou d’ipocrite ?
Leur maniere est entierement
En maistre Faulx Semblant escrite151.
La mise au service de Faux Semblant devant Malebouche ne va pas sans rappeler celle qu’il offrait au dieu Amour dans le Roman de la Rose et souligne donc encore le changement de camp opéré dans le Champion des Dames. Cette différence d’allégeance témoigne de la volonté de Martin le Franc de réorienter l’éthique amoureuse pervertie par Jean de Meun. Il ne s’agit plus d’opposer la tromperie à la tromperie, mais de les allier pour mieux les condamner. Comme pour mieux insister sur la nécessité de cette réforme, la description de Faux Semblant s’attache encore à ses dérives dans la sphère religieuse. On met ici aussi en exergue comment il mime le moine qu’il est supposé incarner. On note à nouveau le recours à l’ensemble du corps pour ce faire : sa démarche comme son visage, son habit et ses soupirs. La description de ses grimaces supporte une comparaison avec les Cordeliers ou Jacobins attaqués par Jean de Meun dans le Roman de la Rose. La chappe propose une nouvelle référence explicite 417à son personnage qui y trouvait le moyen de s’eschaper152. Ici aussi, on devine que ses stratégies sont percées à jour et donc inutiles pour tromper Franc Vouloir. Le dernier geste évoqué est lui aussi significatif de l’héritage de Faux Semblant : il tiorche sa bouche, à la manière des courtisans qui torchent Fauvel dans le roman éponyme153. Symbole de la vanité et de l’hypocrisie, ce geste s’inscrit dans une véritable généalogie des attitudes trompeuses dont Fauvel incarne un représentant lui aussi éclatant. Mais il introduit également à la dénonciation plus générale sur laquelle ce passage s’achève. Faux Semblant y est condamné comme le maître de tous les hypocrites, des begarts en particulier, objets favoris de la critique de l’hypocrisie religieuse avec les Frères Mendiants chez Jean de Meun également. C’est leur maniere qui est ainsi visée, c’est-à-dire leur façon d’apparaître154, dans la lignée bien sûr de Faux Semblant aux apparences trompeuses. Martin le Franc démontre donc, au gré de ce cinquième et dernier épisode du Champion des Dames, sa maîtrise parfaite de la mesnie Faux Semblant, de ses avatars et de ses lignes critiques. En remodelant son rapport à Malebouche, il confirme cependant sa portée avant tout amoureuse bien sûr. Le combat de Franc Vouloir contre Faux Semblant s’inscrit dans une dénonciation virulente des faux amants, menée depuis le début de la joute. Jean de Meun paraît toujours en ligne de mire de ces critiques. Martin le Franc ne s’en prend en effet pas seulement à Faux Semblant, mais aussi aux autres personnages de la triade trompeuse qu’il forme avec l’Ami et la Vieille. Franc Vouloir dénonce l’ensemble des stratégies trompeuses mises en lumière par Jean de Meun avec un peu trop d’enthousiasme selon Martin le Franc. La référence, et l’opposition, s’avère indubitable quand Franc Vouloir condamne les amants qui simulent la tristesse pour mieux trahir les dames :
« Il pleure, et s’il ne poeut plourer,
D’oignons et par son nez pinchier
Scet faire ses yeulx esplourer.
Halas, le vaillant espichier !
Au puis se laira trebuchier
418S’elle ne l’aime, il se pendra
Plus hault que ne soit le clochier.
Puis Dieu a elle s’en prendra155. »
L’allusion au discours de l’Ami est immanquable, tout comme l’accusation que Franc Vouloir porte à l’encontre de ses manipulations. Plus encore que le recours aux oignons, Franc Vouloir révèle d’autres techniques tout aussi ridicules pour feindre les larmes qui servent à manipuler les dames : pinçages de nez et trébuchages. Tout comme dans la description de l’aspect famélique de Faux Semblant156, il paraît tout autant condamner que moquer les hypocrites, ou plutôt les moquer pour mieux les condamner, par le tragique de leur prétendue déploration conclue dans la pendaison. Il a à cœur de souligner les effets néfastes pour les dames, pas seulement trompées, mais aussi placées en porte-à-faux de cette douleur affichée par les faux amants, à l’encontre de Dieu. En évoquant Dieu, Franc Vouloir donne plus de force encore à sa critique de l’hypocrisie des faux amants qui implique aussi Dieu lui-même. Martin le Franc veille ainsi à conserver l’ensemble du réseau dans lequel Faux Semblant s’inscrit. Il paraît d’ailleurs lui permettre d’alimenter sa critique, à chacun des épisodes de la joute que Franc Vouloir mène contre Malebouche et bien avant sa lutte finale contre Faux Semblant. Cette référence aux fausses larmes conseillées par l’Ami s’insère en effet dans son combat contre Villain Penser, le deuxième des champions de Malebouche. Mais il fait également allusion aux stratégies de la Vieille au gré de son combat contre Trop Cuidier qui suit directement157. L’introduction de ce troisième défenseur de Malebouche sert d’ailleurs déjà d’occasion à la dénonciation des attitudes trompeuses :
« Du vray amour a l’amour faint
Ainsy me convient il descendre,
Monstrant que l’omme plus y faint,
Plus y pesche et fait a reprendre158. »
Martin le Franc paraît ainsi réélaborer les règles de la conquête amoureuse proposées par Jean de Meun. Au contraire de son célèbre prédécesseur, il associe de manière explicite la feintise au péché. La répétition de la 419feintise atteste le souci de mise en lumière, tandis que la rime entre descendre et reprendre témoigne de celui d’en souligner le vice. Le parallélisme plus y faint, plus y pesche contribue encore à cette condamnation formelle de ce qui ne peut constituer une stratégie de conquête acceptable aux yeux de Martin le Franc. La lutte qu’il mène tout au long du Champion des Dames témoigne de son refus absolu de la feintise, réitéré à chacune de ses étapes. Déjà lors de son opposition au tout premier champion de Malebouche, Brief Conseil, Franc Vouloir affirmait son opposition aux attitudes trompeuses, et surtout à cette rupture entre cœur et apparence que Faux Semblant finit par incarner :
« Et primes, que vous ne diez
Que la bouche aultre chose die
Que le cueur, force ne vous cuidiez
Que j’aye vostre maladie.
Je requier a Dieu qu’il mauldie
Celle ame qui ou corps me bat,
Ou cas que ma langue desdie
Mon cueur en tout cestui debat159. »
Dans le sillon creusé par Faux Semblant, la critique de la feintise se construit sur la discordance entre dedans et dehors. Cette citation permet d’éclairer le lien tissé entre Faux Semblant et Malebouche et leur concentration similaire sur la rupture avec la vérité du cœur. Elle inspire, sinon la tromperie recommandée dans le Roman de la Rose, de maudire ceux dont la langue choisit de dédire le cœur. La médisance se rapproche ainsi de l’hypocrisie même dans sa condamnation obsessionnelle dictée par la menace qu’elle représente pour les amants. C’est ainsi que bien plus que la bouche mensongère de Brief Conseil – en parfait représentant de son chef Malebouche –, la feintise vicieuse de Trop Cuidier, les fausses larmes de Villain Penser, Franc Vouloir dénonce la tromperie de Faux Semblant, ultime défenseur de Malebouche. Au moment de critiquer son hypocrisie plutôt que de seulement la moquer en ironisant la crédulité à son égard, Franc Vouloir témoigne de l’ampleur du danger que Faux Semblant représente :
« Nous avons bien experience
Que trop sçavez dissimuler
420Et en manteau de pacience
Sans honte et sans vergogne aler.
Barat estoit tout desconfit
Par ung eschec de descouverte
Quant cest habit faire vous fit
Affin que fraude en fut couverte.
Son jeu depuis ne fut en perte
Et tant l’avez vous tenu quier
Que pour lui faictes guerre ouverte
Es meilleurs poins de l’eschequier160. »
La généalogie de Faux Semblant est rappelée par son lien avec Barat, qui lui offre son fameux habit qui ne fait pas le moine. La difficulté d’appréhender la fraude de Faux Semblant est révélée par le désarroi de Barat lui-même, tout ironique une fois encore, et soulignée par la rime entre la descouverte rendue impossible et la fraude ainsi si bien couverte. Les succès remportés par Faux Semblant dans le combat qu’il mène au nom de son père sont eux aussi mis en exergue, tout comme la dimension trompeuse qu’ils impliquent : la seule chose qui s’avère ouverte avec lui, par contraste avec sa fraude couverte, est la guerre livrée de tous côtés. La référence à l’eschequier alimente l’inscription dans l’univers amoureux, plus encore peut-être en allusion aux Échecs amoureux, ou même à ceux moralisés par Évrart de Conty. Martin le Franc témoigne ainsi de la puissance de Faux Semblant dans la conquête amoureuse figurée dans la partie d’échecs. Son propre échec dans la joute qui l’oppose à Franc Vouloir est cependant annoncé ici par la descouverte justement de sa fraude couverte. Tout en soulignant sa fausseté, Franc Vouloir insiste en effet sur le fait qu’elle ne le dupera pas lui, puisqu’il en a l’experience. Franc Vouloir ne s’y trompe pas comme son ennemi Malebouche et, conscient tout aussi bien des dangers que Faux Semblant fait encourir dans l’optique dévotionnelle, éclairée auparavant, qu’amoureuse, il en condamne la fausseté d’une manière qui se veut totale. Notons tout l’intérêt de cette présentation qui continue à cultiver l’ambiguïté propre aux manipulations émotionnelles chères aux amants. Avant qu’il ne soit question de Barat, de la fraude couverte et de la guerre ouverte qu’elle induit, Franc Vouloir mentionne seulement la dissimulation et la prétendue patience de 421Faux Semblant. En lieu du manteau de papelardie dont Jean de Meun affublait son personnage161, Martin le Franc revêt sa version de Faux Semblant de celui de patience. La nuance est remarquable : elle tend sûrement à mettre en lumière les apparences faussement vertueuses et bénignes, qui se révèlent en réalité bien plus problématiques. La critique paraît se concentrer ici sur l’absence de honte et de vergogne, des émotions essentielles dans l’éthique affective médiévale, plus encore pour les dames dont Franc Vouloir est le champion162. Percé à jour, Faux Semblant s’avère inefficace et, donc, mis en échec. Sa défaite face à Franc Vouloir suit en effet assez rapidement :
Encores mis ne l’avoit pas
Sur le chief du preu combatant
Quant Faulx Semblant fait son trespas
Et mort de doeul trebuche a tant163.
Sa mort survient avant même que Franc Vouloir ne soit sacré champion : le lien entre sa défaite – par sa révélation – et sa mort est assuré. Elle ne laisse aucun doute ici, comme pour insister sur cette disparition voulue définitive par contraste avec celle, énigmatique seulement, du Roman de la Rose164. Martin le Franc la met en exergue en variant les formules et les signes de ce trespas, indiqué dans la mort qu’il fait même, dans sa chute, dans la douleur qui l’entoure. La mort de Faux Semblant importe d’autant plus qu’elle se veut parallèle à celle de Malebouche. Martin le Franc indique ainsi le lien qu’il perçoit dans la médisance commune aux losengiers et à Faux Semblant, tel que Leslie C. Brook le souligne au sujet de cette fin commune : « Faulx Semblant et Malebouche disparaissent ensemble suivant la décision de Vérité : Faulx Semblant meurt et Malebouche est englouti par le sol165 ». Notons tout de même que la mort de Malebouche paraît moins assurée que celle de Faux 422Semblant. Le mystère qui plane sur la disparition du faux moine chez Jean de Meun paraît ainsi préservé et transféré à celle de Malebouche. La mort de Faux Semblant assure néanmoins les objectifs poursuivis par Franc Vouloir d’annihiler la feintise dont Jean de Meun avait teinté la conquête amoureuse. Les critiques variées qu’il porte à l’encontre des attitudes trompeuses formalisent son refus d’une telle conception de l’éthique amoureuse qu’il s’efforce de redresser. Un constat s’impose à la lecture du Champion des Dames : aucune occurrence de manipulation émotionnelle n’y apparaît, si ce n’est pour la condamner. On est bien loin des discours tenus par la triade de l’Ami, la Vieille et Faux Semblant ou même des enseignements dispensés dans l’art d’aimer de Drouart la Vache par exemple. Martin le Franc manifeste son souci de réorienter les jeux des émotions impliqués dans la sphère amoureuse, de les réinscrire dans une dynamique courtoise ainsi épurée. Seule la loi du secret reste assurée, avec la force qui l’a toujours caractérisée. Franc Vouloir assène en effet que l’« Amours en secret se nourrist166 ». Même son opposition aux enseignements d’Ovide et de Jean de Meun, centrée sur la ruse qu’ils impliquent167, est l’occasion de rappeler l’importance de préserver la discrétion de l’amour. Le combat mené contre Malebouche ne saurait faire l’impasse sur le secret vanté depuis les troubadours pour protéger l’amour de la menace des losengiers. Martin le Franc insiste de manière révélatrice sur cet impératif :
… Couvrir, taire,
Dissimuler, et maint contraire
Souffrir, ung amant appartient
Ainçois qu’a personne desclaire
Le riche don qu’en son cueur tient168.
Trois synonymes servent à mettre en exergue la nécessité de camoufler l’amour. L’insistance dont cette répétition témoigne va de pair avec la précision qu’elle permet : il est seulement question de couvrir. La dissimulation se veut d’autant plus vertueuse qu’elle vise le secret d’un riche don effectivement tenu dans le cueur. C’est comme si Martin le Franc cherchait à redessiner la polarité entre dissimulation et simulation, et 423surtout celle qui entoure leur objet. L’action de camoufler une émotion, aussi positive qu’elle est rapprochée d’un don, est ainsi acceptable, au contraire des apparences faussement amoureuses. Il s’agit bien sûr aussi du motif d’une telle manipulation : loin de vouloir tromper les dames, Franc Vouloir cherche à les protéger des médisants. Le nom même du champion des dames, tout comme de son auteur – Martin le Franc – l’attestait : c’est la bonne intention qui éclaire l’évaluation des manipulations émotionnelles. Cette métaphore de la richesse dissimulée paraît d’ailleurs commune à la valorisation d’une forme de dissimulation bien intentionnée169. Elle conditionne la seule exception de la condamnation de l’hypocrisie martelée, nous l’avons vu, à chaque étape de la lutte contre Malebouche. Franc Vouloir s’en défend d’ailleurs contre Malebouche qui se moque des ruses des amants, des faux amants en l’occurrence bien sûr. Il lui rétorque que cette feintise qu’il autorise est toute particulière, au contraire de celle professée et même exemplifiée Faux Semblant :
« Dissimuler contre le voir
Certes c’est ung villain refuge170. »
Le refuge dont lui se sert n’a rien de villain, puisqu’il sert à protéger ce qui est réellement dans le cœur et ne s’oppose donc pas au voir. On retrouve ainsi la loi de la vérité qui doit animer le rapport aux émotions. On retrouve surtout le système établi autour de Faux Semblant, dont la simulation d’émotions tout à fait absentes de son cœur fondait le cas maximal. Soucieux de justifier cette forme de manipulation jugée bienséante, Franc Vouloir s’arme de tous les arguments. Davantage même qu’au secret de l’amour, la bonne intention qu’il revendique tient au souci de préserver l’honneur féminin. Il le souligne au gré d’un retour, significatif, sur les commandements d’Amour :
« Tiercement, se tu veuls avoir
Grace en amours certainement,
Il te fault faire ton debvoir
De te contenir sagement.
424C’est de gouverner tellement
Ton maintien, tes yeulx et ta bouche
Que Malebouche aucunement
L’onneur de la dame n’atouche171. »
Ces quatre nouveaux commandements impliquent donc la nécessité de se contenir. Elle se présente de manière conventionnelle à l’éthique de la fin’amor en relevant de la sagesse même. Cette contenance requise pour obtenir la grace d’amour cible l’ensemble des apparences que l’amant peut offrir, de sa parole à son maintien. Comme si souvent dans ces occurrences de manipulation de l’amour, l’objectif est précisé. La peur de voir l’honneur de la dame atouché par Malebouche anime cette dissimulation valorisée alors comme sage. La seule forme de manipulation du semblant que tolère Martin le Franc se situe donc du côté de cette pratique typique de la fin’amor, à la seule fin de préserver la Dame :
« En est il ung qui considere
A garder l’onneur de sa dame
Et qui sagement amodere
Son desir que trop hault ne flame ?
Je n’en voy nul couvrir sa flame
Ne dissimuler sa destresse,
Et qui le plaisir du corps n’ame
Plus que l’onneur de sa maistresse172. »
On observe les efforts de justification et de dissociation de toutes manipulations bien plus malhonnêtes. Il s’agit ici seulement de contenir ou encore d’amoderer, c’est-à-dire de faire montre de la juste mesure vantée tout au long du Moyen Âge, tous champs d’action confondus. Bien sûr, celle-ci se conçoit dans une dynamique amoureuse, éclairée par le souhait de défendre l’onneur de sa maistresse. Elle se concentre sur toute la palette émotionnelle de la fin’amor : l’amour ressenti et figuré sous la flame que l’amant doit couvrir et la destresse qui est si souvent la sienne mais qu’il convient qu’il dissimule. La tendance à la tempérance se marque autant dans le lexique sélectionné pour qualifier cette manipulation de l’émotion, que dans la dévalorisation des excès, du désir qui brûlerait trop haut. Une fois encore, il est question du désir davantage que de 425l’amour à contrôler et d’autant plus à contrôler donc173. Franc Vouloir démontre bien son souci de distinguer cette forme de manipulation au détriment des autres qui ne semblent animées que par le plaisir du corps. La nuance est ainsi bien perceptible avec le choix d’amoderer au contraire le désir. Le renversement face à la propre conclusion du Roman de la Rose est notable à ce niveau. L’éloge que Franc Vouloir souhaite porter se marque dans la collusion d’une double intention louable, celle de la mesure bienséante et celle de la préservation de l’honneur féminin. La formule garder l’onneur témoigne de cette association de la garde à la protection de l’aimée. Pareille emphase sur l’honneur de la dame fait bien sûr écho aux combats livrés par Christine de Pizan dans ce sens. On ne peut manquer l’influence exercée à ce niveau par l’auteure du Livre des Trois Vertus sur lequel nous aurons l’occasion de nous arrêter dans la suite de nos analyses. L’insistance mise sur la bonne intention, tout comme sur la situation des femmes si longtemps soumises à l’opprobre des misogynes et autres médisants, rappelle sans aucun doute sa défense d’une juste ypocrisie qui vise justement la préservation des dames et surtout de leur honneur174. Dans sa lignée, Martin le Franc souhaite à son tour s’opposer à la misogynie véhiculée par la littérature amoureuse et Jean de Meun au premier plan. Tout comme la grande poétesse, il reconfigure pour cela le recours aux manipulations des émotions, essentielles à la protection des dames dont il veut se faire le champion, mais délicates. Il cherche cette fois à les orienter à leur avantage plutôt qu’à celui de leurs ennemis que sont les faux amants conduits par le vil Faux Semblant. La place accordée à Faux Semblant au sein du combat mené par Franc Vouloir prend tout son sens dans cette optique de défense de l’honneur féminin, son atteinte à celui de la Vierge le démontrait déjà175. Tout autant que Malebouche dont il vient ici rejoindre les rangs, Faux Semblant menace la condition des dames trompées par les apparences faussement vertueuses et amoureuses qu’il incarne.
426Dans une réécriture évidente du Roman de la Rose, Martin le Franc redessine de manière conséquente le schéma allégorique amoureux. Le traitement de Faux Semblant éclaire l’esprit qu’il souhaite y insuffler : bien loin de s’accorder à Jean de Meun, il martèle son refus du Miroer aus amoureux esquissé au fil de la seconde partie du Roman de la Rose. Nulle justification ne peut excuser l’intervention d’un personnage tel que Faux Semblant. Tout ce qu’il représente se voit dénoncé dans chaque section du Champion des Dames. La manipulation des apparences ne peut être acceptée comme une stratégie défensive légitime, quelle que soit la menace de Malebouche. Pour mieux en mettre en lumière la vilenie, Martin le Franc la rapproche même de celle des médisants. Elle est condamnée, qu’elle relève des astuces de Brief Conseil, de Villain Penser, de Trop Cuidier ou directement de Faux Semblant. Martin le Franc en revient ainsi à la seule recommandation du bel semblant conjugué au bien celer, qui relève de la mesure bienséante. Il paraît ainsi chercher à annuler l’ensemble de la seconde partie du Roman de la Rose au profit de la première. Il renoue d’autant plus avec cette dimension courtoise des manipulations émotionnelles qu’il se concentre sur la question de l’honneur, éminemment sociale, de la dame. Il éclaire ainsi un nouvel idéal de convenance manifestée dans le souci de l’aimée, inhérent à la fin’amor. Nous nous retrouvons ainsi à la croisée des objectifs de discrétion amoureuse et de préservation de l’être aimé observés dans le premier temps de notre analyse, réintégrés dans leur optique bienséante par cette insistance sur l’honneur. Cette volonté est également révélée dans l’emphase portée sur la démesure de telles manipulations. Martin le Franc insiste en effet sur son refus de tout excès, blâmant les extrêmes qui peuvent entourer les manifestations émotionnelles. Le lien qui se tisse avec l’émotion de l’honneur relève de la dynamique de face-work identifiée par Erving Goffman176. Il est néanmoins intéressant de noter que le moteur qu’elle peut constituer se construit ici de manière épurée par rapport aux occurrences induites dans un contexte d’amour adultère. À ce niveau également, Martin le Franc vise une réorientation de la tradition de la fin’amor, conçue dans une convenance absolue. C’est ainsi qu’il parvient à valoriser à nouveau le secret comme relevant de la seule vertu d’une éthique amoureuse qu’il s’est efforcé de retravailler.
427Entre réorientations et ambiguïtés persistantes
des faux semblants amoureux
Les œuvres d’Antoine de la Sale et de Martin le Franc attestent le souci de réorienter la tradition didactique amoureuse dans une optique plus convenante et surtout moins polémique que celle que transmettait la conclusion du Roman de la Rose. Elles renouent avec un souhait pédagogique bien affirmé, à l’aune des leçons de Belle Cousine ou des nouveaux commandements d’Amour professés par le biais de Franc Vouloir. Elles marquent ainsi une deuxième tendance observée quant à la réception du roman emblématique de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun et du traitement qui y est réservé aux jeux émotionnels. Bien au contraire d’Évrart de Conty qui y voyait une arme défensive incontournable à la lutte contre Malebouche, Martin le Franc conçoit Faux Semblant comme le dernier et le plus grand des ennemis de la dame et de son véritable champion. Ils témoignent ainsi tous deux de regards fort différents portés sur la problématique que Faux Semblant soulève au sein de l’éthique amoureuse. La transition du bel au faux semblant y est repensée, raffermie ou dénoncée selon les objectifs visés par ces deux auteurs. La nuance est évidente à ce niveau : Évrart de Conty vise lui aussi la conquête amoureuse, figurée non plus comme le rêve de la Rose mais, de manière plus explicite peut-être encore, comme une partie d’échecs. Au contraire, Martin le Franc se veut le défenseur des dames, des roses qui risquent d’être percées par les amants si vilement armés par Faux Semblant. La lutte qu’il mène en leur honneur le conduit à révéler la fausseté de ces prétendus amants qui ne peuvent faire preuve des efforts requis dans une conquête amoureuse honnête. Faux Semblant ne peut plus figurer une aide bienvenue à la quête des amants, mais seulement une entorse à celle qui veut rester respectueuse des lois amoureuses. Faux Semblant ne peut plus demeurer dans le camp d’Amour et rejoint celui de son ancien ennemi, Malebouche, au nom de la menace qu’il représente tout autant que les médisants pour l’honneur féminin.
La place accordée aux femmes comme argument dedénonciation des faux semblants amoureux conduit à repenser les nuances de genre qui 428entourent les jeux émotionnels. Nous le soulignions en introduction, il nous semblait intéressant d’éclairer cette problématique particulière dans la répartition des manipulations déployées par la communauté émotionnelle des amants. Un premier constat s’impose à l’issue de cette analyse conclue sur l’œuvre de Martin le Franc, en écho à celui que nous avions pu dresser quant aux attitudes de garde des femmes dans la communauté amoureuse. L’optique didactique qui est la sienne, similaire à celle des arts d’aimer à proprement parler, induit une concentration avant tout sur la gent masculine visée par ces enseignements. Elle pourrait donc dénoter une orientation de genre, qui ferait reposer le secret amoureux avant tout sur les épaules de l’amant. Mais elle démontre surtout l’intérêt de concevoir la situation des amants de manière plus globale, ce que permettent les romans du corpus arthurien, de Jakemés ou d’Antoine de la Sale. Les conclusions que nous pouvons tirer de leur analyse tendent dans une tout autre direction : les femmes paraissent, bien plus que leur amant, garantes de la discrétion de leur relation. Elles n’hésitent pas à mobiliser toutes sortes de moyens pour l’assurer, simulent même pour mieux dissimuler leur émoi, comme le faisaient Yseut ou Guenièvre par exemple. Cette propension aux jeux émotionnels féminins se conçoit néanmoins en-dehors de toute portée trompeuse. Leur bonne intention transparaît en particulier des occurrences de manipulations de la part d’Énide, animée d’un souci tout à fait altruiste à l’égard de son époux177, mais aussi de Guenièvre qui paraît s’assurer du secret de sa relation autant pour sa préservation que pour le bien de son entourage178. Surtout, tous ces épisodes témoignent de la prise en charge obligatoire pour les dames de leur relation et du maintien de sa bienséance. Cette forme de responsabilité entoure toujours les jeux déployés dans l’œuvre de Jakemés ou celle d’Antoine de la Sale. Nous avons en effet pu noter combien la dame de Fayel se dédiait à la protection de sa relation amoureuse, avec une aisance remarquable en comparaison avec celle de son amant. Quant à Belle Cousine, si elle doit elle aussi s’efforcer à de nombreuses reprises de contenir ses émotions, elle reste tant et si bien maîtresse des 429jeux émotionnels requis dans la sphère amoureuse qu’elle les enseigne au jeune Jehan. Cette position de guide dans l’initiation amoureuse, tout à fait conforme à la tradition de la fin’amor, prête à la dame un rôle proéminent dans la mesure des émotions qu’elle implique. Tous ces portraits féminins semblent ainsi participer d’une mise en lumière de la place essentielle que les dames occupent dans l’émotionologie amoureuse, comme protectrices du secret indispensable à la fin’amor et même tutrices des amants qui doivent eux aussi l’assurer. Le parcours de Jehan de Saintré démontre l’importance accordée à la garde émotionnelle dans l’établissement du modèle des fin’amants179. Le tableau dressé d’amants exemplaires comme Lancelot ou Tristan en constituait déjà un exemple révélateur : le véritable amant est celui qui parvient à veiller à la discrétion de son amour et ainsi, Martin le Franc le met finalement en exergue, à l’honneur de sa dame. Cette concentration sur l’honneur féminin, alliée à la proportion imposante de manipulations prises en main par les dames elles-mêmes, tend à révéler l’importance qu’elles accordent à l’apparence de leurs émotions. Ces deux tendances paraissent d’ailleurs tout à fait liées : leurs efforts peuvent en effet se comprendre plus aisément quand on conçoit que c’est leur propre honneur qui est en jeu. Quant à ce souci de l’honneur des dames, il témoigne de la pression sociale qui pèsesurtout sur la gent féminine180. On en revient ainsi aux dynamiques avant tout courtoises qui animent l’éthique amoureuse, dans cette lutte entre l’intimité de l’émotion amoureuse et l’obsession du regard public qui pèse à son encontre.
Le conflit qui marque la communauté des amants avec la société dans son ensemble, scrutatrice obsessionnelle des émotions qui sont manifestées sur la scène sociale, sous-tend l’orientation des jeux émotionnels. Elle s’éclaire selon cette morale de l’intention qui entoure autant la sphère affective elle-même que ses manipulations. Il est ainsi toujours question du public visé, comme pour mieux justifier ce recours aux faux semblants pour protéger l’amour ainsi dissimulé. Elle semble 430supporter la répartition des manipulations légitimes ou condamnables. La nuance paraît aussi tenir à leur rapport à l’entité du couple, selon qu’elles la concernent ou en sortent justement. La ruse se cristallise dans la manipulation émotionnelle au sein même de l’intimité des amants, tandis que celle qui sert à préserver le secret de l’amour en-dehors de celle-ci reste acceptable181. C’est dans ce sens que se fonde la dénonciation des médisants, tout aussi incessante que leur observation menaçante. L’exemple que Jean de Meun offre de la victoire de Faux Semblant sur Malebouche anime l’évaluation des jeux d’émotions requis dans la sphère amoureuse. Il ne va pas sans nuances cependant, nous l’aurons constaté. Si la préservation du secret amoureux paraît dans une large mesure excuser les moyens qui peuvent être mobilisés pour l’assurer, tel n’est pas toujours le cas. Au contraire, la menace des médisants peut devenir le support d’une mise en lumière cette fois sans fard de l’hypocrisie des prétendus amants qui tendent à s’en libérer par des faux semblants. Il est intéressant alors de retrouver la réciprocité des lignes de conduite entre les amants et leurs opposants que nous notions au sujet de l’idéal de mezura qui anime les uns comme les autres182. Nous pouvons en effet noter une dynamique similaire en ce qui concerne leur hypocrisie. Elle se construit de la même manière comme moyen de justification presque réciproque – la tromperie des uns légitimant celle des autres – ou, au contraire, comme argument de condamnation conjointe. Tel est le point de vue défendu de manière exemplaire par Martin le Franc qui rapproche la menace de Malebouche de celle qu’il perçoit tout autant chez Faux Semblant.
Cette divergence qui marque l’héritage du Roman de la Rose se conçoit en réalité à l’aune des ambiguïtés inhérentes aux manipulations émotionnelles. D’emblée, la polarité qui les entoure se teinte de flou. De la loi du secret qui pèse sur les amants aux astuces développées pour l’assurer, il n’y a souvent qu’un pas que le plus courtois des fin’amants qu’est Lancelot n’hésite parfois pas à effectuer pour protéger son amour. La particularité de l’œuvre de Jean de Meun est néanmoins de mettre en lumière, sans 431fard, que ce pas est franchi : même les fin’amants composent avec des faux semblants plutôt que de se contenter de leur seul bel semblant ou de celui de leur dame. Il s’y trouve figuré dans la transition du bel au faux semblant et s’accompagne d’un dévoilement qui se veut complet des attitudes mystificatrices qu’elle sous-entend. Il devient dès lors nettement plus difficile de passer sous silence le potentiel problématique de ces manipulations indispensables des semblants amoureux. Sans jamais rompre avec l’idéal de discrétion qui les inspire, les jeux émotionnels se trouvent dès lors posés au cœur d’une réflexion sur leur bienfondé ou leur vice incontestable. La tromperie qu’ils impliquent nécessairement quand ils servent à lutter contre la menace des médisants conduit en effet à diverses justifications ou condamnations, selon que l’on s’accorde à l’éloge proposé par Jean de Meun de telles stratégies ou que l’on s’y refuse. On note dans tous les cas l’intégration remarquable de Faux Semblant au sein des stratégies amoureuses. C’est dans ce sens que nous avons souhaité nommer ce chapitre de nos analyses en référence à la triple stratégie proposée par Évrart de Conty183. Elle nous paraît révéler de manière exemplaire cette incorporation des faux semblants dans la loi du secret qui anime l’éthique amoureuse et qui permet si souvent de les justifier. Nous avons insisté sur cette intégration significative des faux semblants entre le bien celer emblématique de l’impératif de discrétion et la sage feintise qui joue autant de la valorisation commune à l’éthique amoureuse que de l’ambiguïté du vocabulaire employé pour qualifier ces manipulations chez Évrart de Conty encore. Mais la tendance n’est pas toujours à l’entremêlement et à la nuance. D’autres auteurs comme Antoine de la Sale et Martin le Franc s’efforcent plutôt de dresser une ligne de démarcation formelle entre la manipulation acceptable et celle condamnée avec fermeté comme une atteinte à cet autre critère fondamental de la fin’amor qu’est la sincérité obligée des amants. Ainsi, le spectre de Faux Semblant pèse sur l’ensemble de la tradition amoureuse. Il s’immisce au cœur de tous les arts d’aimer, miroirs, jeux d’échecs ou joutes amoureuses, mis en scène pour représenter les dynamiques à l’œuvre dans la sphère amoureuse. Il se voit tour à tour vanté comme l’outil indispensable à la lutte contre les ennemis d’Amour et dénoncé pour l’entorse qu’il symbolise lui-même face à l’éthique amoureuse. 432Quelles que soient ces nuances, une constante semble se dégager dans l’héritage du personnage de Faux Semblant : aussi bien chez Évrart de Conty que chez Martin le Franc, la dimension religieuse de l’hypocrisie personnifiée par Faux Semblant se voit condamnée avec emphase, pour mieux légitimer ou, au contraire, mieux critiquer les tendances trompeuses du faux moine dans la sphère amoureuse.
Nous voudrions à présent nous consacrer à cette autre dynamique essentielle du personnage de Jean de Meun, tout aussi révélatrice de l’émotionologie médiévale et de l’importance qui est accordée aux jeux émotionnels. Nous nous dédierons ainsi à une autre émotion tout aussi délicate et problématique peut-être que l’est l’amour : celle de la dévotion également mise en question et problématisée par Faux Semblant. Celle-ci revêt plus d’importance encore qu’elle paraît soutenir la condamnation du défaut des manipulations amoureuses, la dénonciation combinée de Martin le Franc l’illustre. La mise en lumière des ambigüités inhérentes aux jeux émotionnels amoureux doit beaucoup au lien tissé pour ce faire par Faux Semblant avec les jeux émotionnels religieux. Ils semblent, de prime abord, portés par un discours bien plus univoque de dénonciation de l’hypocrisie religieuse. C’est sur cette base même que Faux Semblant peut porter sa révélation de la malignité des jeux émotionnels amoureux d’ailleurs. Martin le Franc reprend ce schéma pour dénoncer avec plus de fermeté encore les attitudes trompeuses des faux amants. Mais Faux Semblant éclaire aussi les nuances dont peuvent se parer les jeux émotionnels dévotionnels. Nous voudrions dès lors nous pencher aussi sur la richesse du regard porté sur les manipulations émotionnelles déployées, recommandées ou critiquées dans la sphère religieuse.
1 L’étiquette de fin’amants sera employée tout au long de ce chapitre pour renvoyer à l’ensemble, mixte, de la communauté émotionnelle amoureuse.
2 J. Cerquiglini, « Un engin si soutil ». Guillaume de Machaut et l’écriture au xive siècle, Genève/Paris, Slaktine, 1985, p. 191.
3 J. Cerquiglini, « Syntaxe et syncope : langage du corps et écriture chez Guillaume de Machaut », Langue française, no 40, 1978, p. 60-74, ici p. 63.
4 M. Grodet, « “Par bel mentir”. Mensonges et vérités ambigües en amour dans les récits courtois des xiie et xiiie siècles », Perspectives médiévales, no 35, 2014, p. 656-666, ici p. 661.
5 Comme le révèle notamment avec intérêt Sif Ríkharðsdóttir : S. Ríkharðsdóttir, Emotion in Old Norse Literature. Translations, Voices, Contexts, Cambridge, D. S. Brewer, 2017, p. 74-76. Nous nous sommes aussi arrêtée à cette dynamique intrinsèque du jeu émotionnel dans les derniers temps de notre analyse du principe de garde. Pour rappel : p. 209-215.
6 J. Eming, Emotion und Expression. Untersuchungen zu deutschen und französischen Liebes- und Abenteuerromanen des 12. bis 16. Jahrhunderts, Berlin, De Gruyter, 2007, p. 108.
7 J. Eming, « On Stage. Ritualized Emotions and Theatrically in Isolde’s Trial », MLN, no 124/3, 2009, p. 555-571, ici p. 564.
8 D. L. Smail, « Emotions and Narrative Gestures in Medieval Narratives. The case of Raoul de Cambrai », Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik, no 138, 2005, p. 34-38, ici p. 43-44.
9 M. Grodet, op. cit., p. 660.
10 Pour rappel : R. Schnell, « L’amour courtois en tant que discours courtois sur l’amour (I) », Romania, no 110/437-438, 1989, p. 72-126, ici p. 80, cité p. 162.
11 Ibid., p. 96.
12 B. Grigoriu, « Amor sans desonor » : une pragmatique pour Tristan et Yseut, Craiova, Editura universitaria, 2013, p. 23-24.
13 J. Eming, « Die Maskierung von Emotionen in der Literatur des Spätmittelalters. Florio und Biancefora und Euralius und Lucretia », Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik, no 138, 2005, p. 49-69, ici p. 63.
14 Pour rappel, voir la section dédiée à l’émotion amoureuse dans notre analyse de la garde émotionnelle : p. 160-209.
15 Pour rappel : Béroul, Le Roman de Tristan, éd. E. Muret, Paris, Firmin Didot, 1903, v. 8 et v. 3 490-3 492, cités p. 80.
16 F. Brandsma, C. Larrington et C. Saunders, « Introduction », dans Emotions in medieval Arthurian Literature. Body, mind, voice, dir. F. Brandsma, C. Larrington et C. Saunders, Cambridge, D. S. Brewer, 2015, p. 1-12, ici p. 10.
17 J. Eming, Emotion und Expression, op. cit., p. 255.
18 A. Vélissariou, Aspects dramatiques et écriture de l’oralité dans Les Cent Nouvelles Nouvelles, Paris, Champion, 2012, p. 207-208.
19 Pour rappel : Drouart La Vache, Li Livres d’Amours, éd. R. Bossuat, Paris, Champion, 1926, v. 4 983-4 988 ou v. 5 670-5 677, cités p. 177.
20 Pour rappel : Les Braies du Cordelier, v. 206, dans Recueil général et complet des fabliaux des xiiie et xive siècles, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1872, cité en guise de préambule, p. 76.
21 M. T. Bruckner, Shaping Romance. Interpretation, Truth, and Closure in Twelfth-Century French Fictions, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1993, p. 139.
22 M. Grodet, op. cit., p. 5.
23 Catherine Gaullier-Bougassas insiste sur l’importance de cette logique de légitimation, sur laquelle nous pourrons d’ailleurs revenir dans la suite de nos analyses. Voir déjà : C. Gaullier-Bougassas, « Mystifications et ruses dans les Romans d’Alexandre du pseudo-Callisthene et de Thomas de Kent », dans « Deceptio ». Mystifications, tromperies, illusions de l’Antiquité au xviie siècle. Actes des journées d’études organisées en 1998-1999 par l’Équipe d’Accueil Moyen Âge, Renaissance, Âge Baroque MA-REN-BAR, Montpellier, Publications de l’Université Paul-Valéry, 2000, p. 339-366, ici p. 342.
24 Jutta Eming le souligne notamment, ce qui annonce également la suite de notre réflexion que nous dédierons à la dynamique sociale des jeux émotionnels. Voir déjà : J. Eming, « Affektüberwältigung als Körperstil im höfischen Roman », dans Anima und sêle. Darstellungen und Systematisierungen von Seele im Mittelalter, dir. K. Philipowski et A. Prior, Berlin, Eric Schmidt Verlag, 2006, p. 249-262, ici p. 255.
25 Comme le souligne Jean-Louis Benoit : J.-L. Benoit, « Tromperie et vérité dans trois textes brefs : Les Lais de Marie de France, La Châtelaine de Vergy, Les Miracles de Notre-Dame », dans Imposture et fiction dans les récits d’Ancien Régime, dir. N. Kremer, J.-P. Sermain, Y.-M. Tran-Gervat, Paris, Hermann, 2016, p. 85-101, ici p. 86.
26 M.-L. Ollier, « Le statut de la vérité et du mensonge dans le Tristan de Béroul », dans Tristan et Iseut, mythe européen et mondial. Actes du colloque des 10, 11 et 12 janvier 1986, dir. D. Buschinger, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1987, p. 298-318, ici p. 300.
27 M. Grodet, op. cit., p. 3.
28 M. T. Bruckner, op. cit., p. 139.
29 Pour rappel, voir l’analyse que nous dédiions à ce corpus en guise de préambule : p. 70-77.
30 M. Grodet, op. cit., p. 4.
31 Ibid., p. 3.
32 I. Coumert, « “Si ceste amur esteit seüe…”. L’obligation du secret dans la fin’amor (xiie-xiiie siècles) », Questes, no 16, 2009, p. 51-63, ici p. 55.
33 M. Grodet, op. cit., p. 5.
34 Ibid.
35 Pour rappel, voir l’analyse dédiée à cet épisode du Roman de la Rose au chapitre précédent.
36 E. Baumgartner, « Trouvères et “Losengiers” », Cahiers de civilisation médiévale, no 25, 1982, p. 171-178, ici p. 174.
37 Pour rappel encore : R. Schnell, op. cit., p. 80, cité p. 162.
38 Bernard de Ventadour, Chansons d’amour, éd. M. Lazar, Paris, Carrefour Ventadour, 1966, p.-c. 70, 31, cité par Rüdiger Schnell : ibid., p. 91.
39 Guillaume de Machaut, Dit dou Lyon, v. 1 131-1 138, dans Œuvres, éd. E. Hoepffner, Paris, S.A.T.F., 1908-1921, cité par Jacqueline Cerquiglini : J. Cerquiglini, « Un engin si soutil », op. cit., p. 191.
40 J. Cerquiglini, « Parler d’amour, penser l’amour aux xive et xve siècles », dans Aimer, haïr, menacer, flatter… en moyen français, dir. J. Härmä et E. Suomela-Härmä, Paris, Champion, 2017, p. 13-25, ici p. 14.
41 Pour rappel, voir nos conclusions à ce sujet dans la section consacrée à la dimension amoureuse de la garde.
42 Jakemés, Le Roman du Châtelain de Coucy et de la Dame de Fayel, éd. C. Gaullier-Bougassas, Paris, Champion, 2009, v. 1 767-1 770.
43 Ibid., v. 7 049-7 050.
44 Ibid., v. 3 889-3 895.
45 Ibid., v. 5 291-5 294.
46 Ibid., v. 5 489-5 491.
47 Pour rappel : M. Grodet, op. cit., p. 5, cité p. 367.
48 Jakemés, op. cit., v. 6 753-6 757.
49 Voir ibid., v. 4 240-4 242.
50 F. Bouchet, « Performativité et déceptivité du langage courtois dans Le Roman du châtelain de Coucy », dans Sens, Rhétorique et Musique. Études réunies en hommage à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, dir. S. Albert, M. Demaules, E. Doudet, S. Lefèvre, C. Lucken et A. Sultan, Paris, Champion, 2015, p. 367-379, ici p. 378.
51 Jakemés, op. cit., v. 3 824-3 824.
52 Pour rappel : La Mort le Roi Arthur, éd. et trad. D. Hult, Paris, Le Livre de Poche, 2009, § 148, l. 9-12, cité p. 204 et Floriant et Florete, éd. et trad. A. Combes et R. Trachsler, Paris, Champion, 2003, v. 451-453, cité p. 205.
53 M. Jeay, « Entre encyclopédie et récit : dans la mouvance du Roman de la Rose, le Livre des Échecs amoureux d’Évrart de Conty », Cahiers de Recherches Médiévales, no 18, 2009, p. 253-261, ici p. 254.
54 Ibid., p. 256.
55 Ibid., p. 254.
56 M. Gally, « Le Miroir mis en abyme. Les échecs amoureux et la réécriture du Roman de la Rose », dans Miroirs et jeux de miroir, dir. F. Pomel, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 253-263, ici p. 254.
57 Ibid., p. 256.
58 P.-Y. Badel, Le Roman de la Rose au xive siècle. Étude de la réception de l’œuvre, Genève, Droz, 1980, p. 303.
59 M. Gally, « Le Miroir mis en abyme », op. cit., p. 258.
60 Ibid., p. 253.
61 Évrart de Conty, Le Livre des Eschez amoureux moralisés, éd. F. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréal, CERES, 1993, f. 262v40-f. 262v41.
62 Ibid., f. 183v39-f. 183v45.
63 Pour rappel, voir la présentation que nous en donnions dans notre chapitre sur la garde : p. 160-209.
64 Évrart de Conty, op. cit., f. 166v26-f. 166v30.
65 Un rapprochement qui ne va pas toujours de soi, nous aurons l’occasion d’y revenir dans la réflexion plus ample que nous dédierons à la définition de la vérité et du mensonge telles que les propose Christine de Pizan.
66 Évrart de Conty, op. cit., f. 237r21-f. 237r25.
67 Pour rappel, voir les valorisations de ce type chez Drouart la Vache : Drouart La Vache, op. cit.,v. 657-659 et v. 4 574-4 582, cités p. 174 et p. 175.
68 Nous l’avons souligné à la suite de Pierre-Yves Badel ou de Michèle Gally, Évrart de Conty veille à composer avec les deux volets du Roman de la Rose. Pour rappel : P.-Y. Badel, op. cit., p. 303, et M. Gally, « Le Miroir mis en abyme », op. cit., p. 258, cité p. 378.
69 Évrart de Conty, op. cit., f. 183r28-f. 183r39.
70 Pour rappel, voir l’analyse consacrée à l’attemprance, chez Évrart de Conty lui-même, que nous citions dans notre analyse du principe de garde : p. 182.
71 Voir le chapitre suivant dédié aux jeux émotionnels religieux, en particulier pour leur dénonciation.
72 Évrart de Conty, op. cit., f. 247v39-f. 247v52.
73 Pour rappel : Drouart La Vache, op. cit., v. 657-659, cité p. 174.
74 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 3 245-3 339 et v. 15 395-15 490.
75 Pour rappel : P.-Y. Badel, op. cit., p. 303, cité p. 378.
76 Nous nous arrêtions d’ailleurs à l’importance de cette figure aussi dans le Roman de la Rose. Pour rappel : p. 283-284.
77 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 823-7 838, cité p. 317.
78 Évrart de Conty, op. cit., f. 167v40-f. 168r4.
79 Ibid., f. 262r37-f. 262r39.
80 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 015-12 018, cité p. 306.
81 Évrart de Conty, op. cit., f. 183v45-f. 184r2.
82 Pour rappel : ibid., f. 262r37-f. 262r39, cité p. 387.
83 Ibid., f. 270r32-f. 270r40.
84 Pour rappel : Drouart La Vache, op. cit.,v. 4 999-5 001, cité p. 176.
85 Pour rappel : ibid., v. 4 314-4 319, cité p. 178.
86 Pour rappel : E. Baumgartner, op. cit., p. 174, cité p. 368.
87 Guillaume de Machaut, Le Livre du Voir Dit (Le Dit véridique), éd. et trad. P. Imbs, Paris, Livre de Poche, 1999, lettre VIII, p. 170, cité par Didier Lechat : D. Lechat, « La place du sentement dans l’expérience lyrique aux xive et xve siècles », PerspectivesMédiévales, no 28, 2002, p. 193-207, ici p. 204.
88 Eustache Deschamps, Ballade 1297, dans Œuvres complètes, éd. G. Raynaud, Paris, Firmin Didot, 1891, t. 7, p. 49-51, cité également par Didier Lechat : ibid., p. 205-206.
89 J. Cerquiglini, « Syntaxe et syncope », op. cit., p. 61.
90 Lui aussi se sert de l’outil allégorique pour développer son propos (M. Lacassagne et T. Lassabatère, « Courtoisie et chevalerie : la critique de Jean de Meun et d’Eustache Deschamps », dans Jean de Meun et la culture médiévale. Littérature, art, sciences et droit aux derniers siècles du Moyen Âge, dir. J.-P. Boudet, P. Haugeard, S. Menegaldo et F. Ploton-Nicollet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 231-255, ici p. 233), volontiers didactique tout comme celui cultivé par Jean de Meun (J. Devaux, « Entre didactisme et modèle courtois : Eustache Deschamps, héritier du Roman de la Rose », dans Les dictez vertueulx d’Eustache Deschamps. Forme poétique et discours engagé à la fin du Moyen Âge, dir. M. Lacassagne et T. Lassabatère, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2005, p. 43-56, ici p. 46). Il lui reprend également son art de l’écriture jouant d’arguments contraires et sa volonté de réinterroger l’ordre établi (M. Lacassagne et T. Lassabatère, op. cit., p. 252). Surtout, lui aussi se prête à la lecture et à l’interprétation d’événements historiques par le biais d’une critique courtoise (ibid., p. 232). Il finit à son tour par dénigrer le discours amoureux au profit d’une démonstration morale voilée au fil de son Lay de Franchise par exemple (J. Devaux, op. cit., p. 48).
91 J. Devaux, op. cit., p. 45.
92 P.-Y. Badel, op. cit., p. 210.
93 M. Gally, L’intelligence de l’amour d’Ovide à Dante, op. cit., p. 8.
94 K. Brownlee, « Machaut’s Motet 15 and the Roman de la Rose : the literary context of “Amours qui a le pouoir / Faux Samblan m’a deceu / Vidi Dominum” », Early Music History, no 10, 1991, p. 1-14, en particulier p. 12.
95 Pour rappel : Guillaume de Machaut, Dit dou Lyon, op. cit., v. 1 131-1 138, cité par J. Cerquiglini, « Un engin si soutil », op. cit., p. 191, cité p. 369.
96 Pour rappel : Jean Froissart, L’orloge amoureus, éd. P. F. Dembowski, Genève, Droz, 1986, v. 340-346 par exemple, cité p. 181.
97 Pour rappel : Évrart de Conty, op. cit., f. 247v39-f. 247v52, cité p. 384.
98 Jean Froissart, op. cit., v. 289-300, que nous citerons p. 397.
99 Ibid., v. 235.
100 Ibid., v. 234-260.
101 Ibid., v. 289-300.
102 Pour rappel : « Il n’iert ja nus si apensez / Qu’il en ce point n’oblit asez, / Si tieus n’est qui d’angin se serve ; / Mes Faux amant content leur verve / Si com il velent, sanz paor. / Icil sont fort angingneor ; / Il dient .i. et pensent el, / Li traïtor felon mortel ». Guillaume de Lorris et Jean Meun, op. cit., v. 2 401-2 408, cité p. 287.
103 Pour rappel : Chrétien de Troyes, Cligès, éd. W. Foerster et trad. M. Rousse, Paris, Flammarion, 2006, v. 601-615, cité p. 188.
104 Pour rappel : Lancelot du Lac III. La fausse Guenièvre, éd. et trad. F. Mosès et L. Le Guay, Paris, Le Livre de Poche, 1998, IX, f. 53vb, p. 292, cité p. 202.
105 RO IX, 48-49 (Car un homme n’aime pas parfaitement sans une grande peur gaie), cité par Glynnis M. Cropp : G. M. Cropp, Le vocabulaire courtois des troubadours de l’époque classique, Genève, Droz, 1975, p. 200.
106 F. Bouchet, op. cit., p. 376.
107 F. Bouchet, « “Que reste-t-il de nos amours ?” L’écriture ironique du roman au xve siècle », dans Le Romanesque aux xive et xve siècles, dir. D. Bohler, Bordeaux, Eidôlon, 2009, p. 15-27, ici p. 20.
108 Ibid.
109 Antoine de la Sale, Jehan de Saintré, éd. J. Blanchard et trad. M. Quereuil, Paris, Le Livre de Poche, 1995, 32 [35], p. 128.
110 Pour rappel : Lancelot du Lac, éd. E. Kennedy et trad. F. Mosès, Paris, Le Livre de Poche, 1991 (2e édition), p. 156, f. 16c-f. 16d, cité p. 216.
111 Antoine de la Sale, op. cit., 26 [29], p. 108.
112 Pour rappel : Jakemés, op. cit., v. 5 291-5 294, cité p. 373.
113 Pour rappel : Lancelot du Lac II. éd. E. Kennedy et trad. M.-L. Chênerie, Paris, Le Livre de Poche, 1993, chap. 70, f. 181a, p. 642-644, cité p. 155.
114 Pour rappel : Lancelot du Lac, op. cit., chap. 10, f. 17d, p. 166, cité p. 132.
115 Pour rappel : Béroul, Le Roman de Tristan, op. cit., v. 517-520, cité p. 81.
116 Antoine de la Sale, op. cit., 32 [35], p. 130.
117 Pour rappel, voir surtout l’analyse que nous dédiions à cette dynamique de garde bienséante dans l’univers courtois, mais aussi amoureux.
118 Antoine de la Sale, op. cit., 132 [138], p. 408.
119 Ibid., 163 [165], p. 490.
120 Pour rappel, voir l’analyse que nous y dédiions dans le chapitre sur la garde.
121 F. Le Nan, Le secret dans la littérature narrative arthurienne (1150-1250). « Du lexique au motif », Paris, Champion, 2002, p. 68.
122 L’exemple est proposé par Francis Gingras que nous citons ici : F. Gingras, Érotisme et merveilles dans le récit français des xiie et xiiie siècles, Paris, Champion, 2002, p. 139.
123 Antoine de la Sale, op. cit., 8 [7], p. 54. Et, pour rappel : Chrétien de Troyes, Érec et Énide, éd. et trad. J.-M. Fritz, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 2 465-2 468 et v. 2 676-2 680, cités p. 192.
124 Ibid., 79 [82], p. 256.
125 Pour rappel : Lancelot du Lac V. Le val des amants infidèles, éd. Y. Lepage et trad. M.-L. Ollier, Paris, Le Livre de Poche, 2002, 14, f. 82a, p. 218, cité p. 194.
126 Pour rappel : Drouart La Vache, op. cit., v. 657-659, cité p. 174.
127 Antoine de la Sale, op. cit., 32 [35], p. 130.
128 Ibid., p. 62-68.
129 Ibid., 85 [88], p. 274.
130 P. Frieden, « Le temps de la glose. Pratiques de réécritures dans le Champion des Dames de Martin le Franc », dans Sens, Rhétorique et Musique, op. cit., p. 99-110, ici p. 99.
131 Voir le chapitre dédié à l’œuvre de Christine de Pizan.
132 Martin le Franc, Le Champion des Dames, éd. R. Deschaux, Paris, Champion, 1999, V.
133 Ibid., I, x, v. 73-80.
134 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 739-14 756, cité p. 330.
135 Martin le Franc, op. cit., III, mcdvii, v. 11 249-11 256.
136 P.-Y. Badel, op. cit., p. 261.
137 Martin le Franc, op. cit., V, mmdlxiii-mmdlxiv, v. 20 501-20 512.
138 Pour rappel, par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 037-12 047, cité p. 273.
139 Pour rappel : ibid., v. 12 045-12 046, cité p. 273.
140 L. C. Brook, « Malebouche dans le Roman de la Rose et le Champion des Dames », dans De la Rose. Texte, image, fortune, dir. C. Bel et H. Braet, Louvain/Paris, Peeters, 2006, p. 421-434, ici p. 434.
141 Martin le Franc, op. cit., V, mmdlxv-mmdlxvi, v. 20 512-20 528.
142 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 239 et v. 11 235.
143 Ibid., v. 11 279-11 280.
144 Martin le Franc, op. cit., V, mmdlxvii, v. 20 533.
145 Ibid., V, mmdlxvii, v. 20 534.
146 Ibid., V, mmdlxviii, v. 20 539.
147 Ibid., V, mmdlxviii, v. 20 540.
148 Ibid., V, mmdlxix, v. 20 545-20 552, en particulier v. 20 551-20 552.
149 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 177-11 182, cité p. 245.
150 Ibid., v. 11 181, v. 11 178 et v. 11 182.
151 Martin le Franc, op. cit., V, mmdlxxxiv-mmdlxxxvi, v. 20 670-20 688.
152 « “Savez comment je m’en eschape ? Je faz entendant par la chape” ». Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 267-11 268.
153 Nous aurons l’occasion de nous réarrêter au personnage de Fauvel dans le chapitre suivant, voir p. 453-466.
154 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 26 juin 2020.
155 Martin le Franc, op. cit., II, mxiii, v. 8 097-8 104.
156 Pour rappel : ibid., V, mmdlxv-mmdlxvi, v. 20 512-20 528, cité p. 414.
157 Voir ibid., III, mdcccxiii-mdcccxv.
158 Ibid., III, mcccxci, v. 11 121-11 124.
159 Ibid., I, ccclii, v. 2 809-2 816.
160 Ibid., V, mmdxcvii-mmdxcviii, v. 20 773-20 784.
161 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 528, cité p. 254.
162 Voir notamment les études menées par Damien Boquet sur l’importance de cette émotion, a fortiori pour la gent féminine justement. Voir pour exemple son dernier ouvrage : D. Boquet, Sainte vergogne. Les privilèges de la honte dans l’hagiographie féminine au xiiie siècle, Paris, Garnier, 2020.
163 Martin le Franc, op. cit., V, mmmxl, v. 24 313-24 316.
164 Pour rappel, voir l’analyse dédiée au sort de Faux Semblant en conclusion du chapitre précédent : p. 341-349.
165 L. C. Brook, op. cit., p. 432.
166 Martin le Franc, op. cit., III, mcdxcvi, v. 11 961.
167 Pour rappel : ibid., III, mcdvii, v. 11 249-11 256, cité p. 411.
168 Ibid., III, mcdxciv, v. 11 948-11 952.
169 Nous la retrouverons en effet sous la plume de Guillaume de Diguleville qui veille lui aussi à condamner toute forme de manipulation des émotions offertes au public, à l’exception de celle de la vertu représentée par un trésor caché dans un pain. Pour plus de détails, voir l’analyse fournie de ce motif dans le chapitre suivant, p. 502-508.
170 Martin le Franc, op. cit., III, mdccxix, v. 13 751-13 752.
171 Ibid., III, mdcclxxv, v. 14 193-14 200.
172 Ibid., III, mcdlxix, v. 11 745-11 752.
173 Nous avons noté la conjonction des leçons de Martin le Franc et de Jean Froissart à ce niveau dans notre chapitre sur la garde. Pour rappel : ibid., I, lxxxiii, v. 657-664 et Jean Froissart, op. cit., v. 340-346, cités p. 185 et p. 181. C’est aussi le cas chez Évrart de Conty : Évrart de Conty, op. cit., f. 262r37-f. 262r39, cité p. 387.
174 Comme nous le verrons dans le chapitre consacré au Livre des Trois Vertus en particulier.
175 Pour rappel : Martin le Franc, op. cit., V, cité p. 409.
176 Pour rappel : B. Grigoriu, « Amor sans desonor », op. cit., p. 26 et p. 77, cités p. 169.
177 Pour rappel : Chrétien de Troyes, Érec et Énide, op. cit., v. 2 465-2 468 et v. 2 676-2 680, cités p. 192.
178 Pour rappel : Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la Charrette ou le Roman de Lancelot, éd. et trad. C. Méla, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 5 190-5 201, cité p. 193 ou Lancelot du Lac V, op. cit., 14, f. 82a, p. 218, cité p. 194.
179 On rejoint ainsi la vertu civilisatrice de la fin’amor défendue par Georges Duby. Pour rappel : G. Duby, Mâle Moyen Âge. De l’amour et autres essais, Paris, Flammarion, 1988, p. 47, cité p. 164.
180 Nous pouvons ici faire écho aux analyses de Yasmina Foehr-Janssens concernant l’école de maintien des femmes en particulier, ce que nous pourrons d’ailleurs continuer à explorer dans notre analyse de l’œuvre de Christine de Pizan. Y. Foehr-Janssens, « Le genre du désir dans le Lancelot en prose », dans Sens, Rhétorique et Musique, op. cit., p. 587-601, p. 590.
181 Nous trouvons ici un parallèle avec les conclusions de Mathilde Grodet qui insistait sur l’impératif de sincérité à l’intérieur même du couple. Pour rappel : M. Grodet, op. cit., p. 5, cité p. 367.
182 Comme nous le soulignions en introduction, à l’instar de Damien Boquet et de Piroska Nagy : D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval, Paris, Seuil, 2015, p. 182-185, cité p. 167.
183 Pour rappel : Évrart de Conty, op. cit., f. 247v39-f. 247v52, cité p. 384.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15161-6
- EAN : 9782406151616
- ISSN : 2492-0150
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15161-6.p.0357
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/11/2023
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