Du Bel Semblant au Faux Semblant Réflexions autour de la mise en scène émotionnelle du Roman de la Rose
- Publication type: Book chapter
- Book: Le Jeu des émotions dans la littérature française médiévale. Du beau au faux semblant
- Pages: 223 to 355
- Collection: POLEN - Power, Literature, Norms, n° 34
Du Bel Semblant au Faux Semblant
Réflexions autour de la mise en scène émotionnelle
du Roman de la Rose
À la recherche des faux semblants
Introduction
La réflexion menée autour des recommandations de garde, prégnantes au Moyen Âge, nous conduit en toute logique à envisager la place réservée à l’apparence des émotions dans ce jeu émotionnel que nous souhaitons interroger. La société médiévale se révèle obsédée par le rapport établi entre intérieur et extérieur et par sa concordance impérative. Mais, de manière paradoxale peut-être, elle accorde aussi une importance capitale à la bienséance à assurer en public. L’intérêt porté aux apparences s’avère ainsi ambivalent, ce qui ne les rend peut-être que plus pertinentes à examiner. Il s’agit tout à la fois de préserver le rapport de transparence entre cœur et apparence et de veiller à leur juste mesure sur la scène sociale. C’est donc au cœur du semblant offert des émotions que se tisse à proprement parler le jeu qui les entoure. C’est à son niveau que se construisent les dynamiques de dissimulation, mais aussi de simulation. Au-delà de la simple préservation des apparences induite par ces codes sociaux décortiqués au chapitre précédent, le semblant peut faire l’objet d’une manipulation plus vaste des émotions affichées. On dépasse ainsi la dimension de maîtrise des émotions pour envisager les jeux dont elles peuvent aussi se parer.
Le Roman de la Rose cristallise cette transition. Il met en scène la métamorphose du bel semblant, qui relève de l’injonction au contrôle de soi et à la convenance courtoise, au faux semblant, qui symbolise toutes les connotations trompeuses dont peuvent se revêtir ces instances régulatrices. 224Le personnage de Faux Semblant témoigne de l’importance accordée aux apparences émotionnelles et surtout de leur ambiguïté. Il révèle, voire il dénonce leur rôle incontournable dans l’approche des émotions. Sa place dans le roman et surtout dans la réception qu’il connaît comme objet de concentration des réflexions portées autour des apparences nous paraît justifier l’analyse que nous souhaitons lui dédier dans ce chapitre. Ce faux moine nommé ribaus d’Amour offre un exemple éclatant du règne des apparences que sous-entendait déjà la recommandation obsessionnelle de garde, dont Jean de Meun met en lumière toutes les nuances. Il éclaire ce faisant la place fondamentale des émotions, et avant tout du semblant qui en est manifesté, aussi bien dans la sphère amoureuse que dans la sphère religieuse. Par son intégration dans l’armée du dieu Amour et son discours lié à la querelle autour des Ordres Mendiants, Faux Semblant contamine ces deux univers que nous aimerions considérer sous leur prisme affectif. Dans les deux cas, Faux Semblant expose l’hypocrisie qui empreint l’investissement émotionnel requis. Il trahit ainsi, dès son nom même, la fausseté du semblant offert de ces émotions cruciales que sont l’amour et la dévotion. En croisant ces deux univers, Jean de Meun met mieux encore en exergue les enjeux fondamentaux des apparences émotionnelles et de leurs dérives. Ses continuateurs ne s’y tromperont pas, nous aurons l’occasion de le constater : pareille mise en lumière ne pouvait rester sous silence.
Suivant l’exemple de ce curieux personnage, nous voudrions nous consacrer aux logiques et spécificités de cette notion cruciale, multiforme, mouvante et ambigüe qu’est celle du semblant. Au-delà de la problématique que soulève la personnification du Roman de la Rose, le terme de semblant véhicule une conception ambivalente de la physionomie. Celui du faux témoigne pour sa part d’une orientation dans la veine religieuse dans laquelle s’immiscera le faux moine. Les jeux auxquels Jean de Meun se livre à leur entour méritent d’être éclairés par un détour lexical qui permettra une meilleure compréhension de la figure de Faux Semblant. Nous pourrons aussi appréhender toute l’importance de ces notions et les nuances dont elles se parent pour donner lieu à l’ambiguïté inhérente de Faux Semblant. Elles offrent surtout une entrée en matière éclairante de l’évaluation qui pèse sur la manipulation des apparences émotionnelles, quand elles se voient teintées de la fausseté incarnée par le personnage de Jean de Meun. De la dissimulation bienséante, mais 225non sans nuances déjà, envisagée au chapitre précédent, on passe à une tout autre forme du jeu des émotions, dont Faux Semblant revendique sans détour la malignité, mais aussi l’utilité. Il met à jour un véritable système du jeu des émotions par ses aveux et techniques à la fois critiquées et louées au fil de la quête de l’Amant. Nous chercherons à approcher ce code sémiotique des semblants émotionnels, à la lueur des dynamiques religieuses, mais aussi amoureuses, investies par Faux Semblant. À l’issue de cet exposé introductif de la polysémie et de la tension du faux semblant, nous pourrons construire, selon ce double volet, nos analyses de l’épisode consacré au faux moine nommé ribaus d’Amour, de ses origines et de ses implications dans la querelle de l’Université de Paris, mais aussi de ses alliés et de son influence décisive sur les aventures de l’Amant. Nous percevrons ainsi toutes les nuances dont se parent les confessions et recommandations qu’il offre, mais surtout l’importance cruciale qu’il gagne dans la diégèse et dans la leçon délivrée par ce biais par Jean de Meun. Nous souhaitons de la sorte contribuer à défendre la place centrale dans le Roman de la Rose de Faux Semblant et, ainsi, celle des manipulations émotionnelles dans les univers religieux et amoureux que Jean de Meun présente contaminés par Faux Semblant.
Approches lexicales et sémantiques du faux semblant
La consultation des dictionnaires de référence offre un accès immédiat à toute la complexité de la notion de semblant1. Elle recèle une ambiguïté inhérente au réseau sémantique qu’elle véhicule, au cœur des nuances qu’elle présente. Surtout, elle connaît une évolution révélatrice de la tension qui la traverse. De manière intéressante, cette évolution paraît concorder avec l’époque de rédaction de la seconde partie du Roman de la Rose qui donne naissance à Faux Semblant. Elle tient en effet avant tout à l’importance croissante donnée à la sphère trompeuse, à laquelle le personnage de Jean de Meun ne semblerait pas étranger. Elle relève d’une prise de conscience de la rupture potentielle de l’idée de similitude que recèle la notion de semblant et donc de la manipulation possible des apparences livrées.
226Le semblant porte dans son étymon un idéal de ressemblance, qui se lie à celui de concordance entre intérieur et extérieur dont nous avons pu souligner la prégnance dans la compréhension médiévale des émotions en particulier. Les émotions se conçoivent dans une tendance à l’extériorisation révélatrice de l’importance conférée à la visibilité qui porte la notion de semblant. Le semblant recèle ainsi d’emblée une portée signifiante, qui dicte sa définition comme signe, voire comme preuve. Il connaît une déclinaison importante sur le corps, qui relève dans ce sens de l’image offerte de quelqu’un. Dans cette dynamique de manifestation physique, l’émotion prend une place importante, comme objet possible de la révélation impliquée par cette visibilité qui en est ainsi offerte. La considération physique du semblant fait en effet écho à celle des émotions, toujours appréhendées par les signaux corporels qui en sont donnés. La fonction communicative conférée au semblant porte en elle la possibilité de rompre la ressemblance qu’il devrait aussi induire2. Dans la conscience prise du pouvoir signifiant du semblant, le signe qu’il offre peut se voir manipulé. L’expression, aujourd’hui très équivoque, de faire semblant prend ainsi le sens de laisser apparaître, dans cette optique d’extériorisation fondamentale, mais aussi celui de feindre. Le Trésor de la Langue française, qui présente ces définitions dans sa section étymologique et historique, souligne la proximité de leur apparition, sur une trentaine d’années à peine dans le courant du xiie siècle. La dimension extérieure qui sous-tend le rapport de ressemblance du semblant mène donc à sa rupture potentielle. Nous pourrions alors lire le caractère ambigu du semblant en lien avec une perturbation identitaire due au jeu sur l’apparence qui en est livrée. Cette concentration sur l’apparence rejoint très exactement la dimension d’extériorisation qui nous intéresse dans le phénomène de manifestation émotionnelle. La notion de conformité, elle aussi centrale dans la définition du semblant, induit pour sa part une réflexion autour des normes pesant sur l’apparence, celle qui est livrée des émotions en particulier, dans la culture médiévale. Cette notion se révèle d’autant plus intéressante qu’elle semble directement conduire 227au phénomène de dissimulation qui concentre nos réflexions autour des manipulations émotionnelles. Nous l’avons vu au chapitre précédent, la dissimulation découle de la pression de la conformité3, mais elle ouvre ainsi la voie à d’autres manipulations encore du semblant4, enjeu crucial du contrôle des émotions.
On touche ainsi aux enjeux du semblant, qui ne peut, de par son ambiguïté, se cantonner à une étiquette. Le semblant prend plus d’importance encore, nous le verrons, dans la sphère amoureuse, dans laquelle il assure le lien entre l’amant et la dame, mais aussi avec la société dans son ensemble5. Cette dimension d’observation sociale implique, malheureusement pour les amants, la présence de leur ennemi, le losengier. C’est dans ce cadre que le semblant se charge aussitôt d’un potentiel d’illusion6 que la littérature, et en premier lieu le Roman de la Rose, se plaît à cultiver. Les apparences se situent au carrefour de préceptes monastiques et aristocratiques, fondés sur leur contrôle, que les codes amoureux adoptent à leur tour7. On observe une tension indissoluble entre ces appels d’ordres variés à la maîtrise de soi et l’idéal de concordance, développé en particulier sur la base du nouveau modèle duel de l’âme, qui remplace au xiiie siècle le schéma tertiaire, ainsi que de l’influence aristotélicienne8. Gil Bartholeyns confronte de manière intéressante ces 228deux injonctions de l’idéal de transparence et de l’opacité nécessaire9. Il démontre surtout tout l’intérêt de cette confrontation en refusant l’opposition stricte entre les couples être-paraître et vérité-fausseté. Il insiste sur la nature variable d’une telle articulation, dépendante du point de vue sous lequel la question est envisagée. La transition qu’opère Jean de Meun du bel au faux semblant témoigne de ce phénomène. Il choisit de mettre en exergue le regard qu’il porte sur la pratique des beaux semblants en les qualifiant explicitement de faux. C’est à cette association entre faux et semblant que nous voudrions nous dédier, comme y invite le personnage de Faux Semblant. Il permet de révéler toute la portée rusée des apparences, tel qu’Armand Strubel le met en exergue : « Sans la manipulation des apparences, il n’est pas de ruse : cacher sa véritable identité et sa nature, feindre un sentiment, une émotion ou un état qui n’existent pas ou se travestir sous des accessoires vestimentaires, ce sont les armes classiques de la fourberie10 ».
Pour appréhender au mieux les modalités du jeu mené sur l’apparence émotionnelle, il convient de nous arrêter également sur la dynamique de fausseté qui peut l’entourer et qui la définit même dans le cas de Faux Semblant. La dénomination d’un personnage aussi important du récit par cet adjectif pour le moins connoté, dans le christianisme médiéval en particulier, interpelle et pousse à la réflexion. Son sémantisme est lui aussi révélateur des dynamiques essentielles dont Jean de Meun entoure son personnage11. Il témoigne très vite d’une tendance religieuse, marquée dans des définitions données en lien avec la fausse religion par exemple. Le jugement que recèle la notion de faux tient surtout à son opposition à la vérité et se trouve donc dépendante des facteurs de sa compréhension dans l’idéologie médiévale, on le verra. Mais il peut aussi prendre le sens de contrefaçon, significatif dans le cas de Faux Semblant. 229Il peut dans ce cas s’agir du faux bruit, de la fausse nouvelle et donc toucher à la question de la réputation, elle aussi pertinente pour notre analyse. Elle évoque la problématique de la médisance qui se trouve au cœur des justifications des manipulations émotionnelles requises pour les amants, la lutte de Faux Semblant contre Malebouche en offre un exemple éclatant. L’association qu’opère Jean de Meun entre le faux et le semblant est plus nette encore dans l’idée de falsification des apparences qu’induit également la notion de faux. Le Dictionnaire du Moyen Français insiste sur cette définition du faux comme ce qui n’est pas ce qu’il paraît, et même qui ne mérite pas son nom. Elle pose question en regard du personnage de Faux Semblant, qui mérite justement son nom de par le caractère faux de son apparence, mais qui s’avère aussi problématique en l’affirmant de manière aussi explicite. Dans la sphère subjective et non plus objective du faux, sa dimension morale gagne en importance. L’intention trompeuse est soulignée, selon un paramètre de grand intérêt pour l’instance émotionnelle. Il est aussi question parfois d’emblée du menteur, dans une orientation langagière que nous aimerions d’ailleurs nuancer dans la suite de nos analyses. Surtout, on découvre une orientation émotionnelle, liée à l’affectation d’émotions inexistantes. La notion de faux se veut donc elle aussi vaste et complexe, ce que le Dictionnaire étymologique de l’ancien français atteste dans le triple niveau d’opposition qu’il en présente à la fois à la réalité, à la justice et à la morale. Nous ne manquerons pas d’exploiter ces spécificités et nuances révélées au gré de cette analyse sémantique, riche en allusions et effets d’annonce. Les connotations déjà trompeuses du semblant, la dynamique morale qui entoure la notion de fausseté, ou encore leur perspective intentionnelle nous paraissent enrichissantes pour appréhender le rôle de Faux Semblant, et tout son réseau d’influences posé au cœur de la compréhension médiévale de la fausseté.
L’idéologie médiévale se caractérise par un refus absolu de la fausseté, avec une influence certaine de la pensée chrétienne. La notion de Verbe comme vérité dans la foi d’un Dieu omniscient empreint les réflexions portées autour de la fausseté au Moyen Âge12. Ce rapport à Dieu marque d’ailleurs en particulier l’approche de la fausseté des apparences, loin de la seule considération de la fausse parole :
230L’homme ayant été créé à l’image de Dieu, toute simulation ou dissimulation du sujet est considérée comme une falsification, qu’elle soit physique (masque, travestissement, métamorphose, fard, qui mettent en question l’intégrité de l’être) ou morale (tromperie, mensonge, supercherie, hypocrisie, parjure)13.
Au-delà d’une concentration explicite sur la simulation, qui nous intéressera au premier plan, on note l’importance prise par la notion d’hypocrisie, plus encore que par celle de fausseté. Cette orientation logique de la dynamique trompeuse vers l’hypocrisie nous paraît porteuse au vu de l’association que Faux Semblant effectue entre fausseté et apparence. L’hypocrisie condense cette fausseté particulière qu’est celle des apparences14 et la dimension émotionnelle qu’elle implique15. Il est surtout question alors des émotions religieuses qui se trouvent simulées, ainsi que, de manière révélatrice, de la vertu. L’hypocrisie se définit d’ailleurs bien vite avant tout comme un vice. Pareille compréhension témoigne d’une perspective dépréciative importante, qui se lie même à une portée dénonciatrice, volontiers développée dans la littérature médiévale, satirique en particulier. La critique de l’hypocrisie occupe dans ce contexte une place centrale, au sein du texte biblique déjà. C’est le cas dans la parabole de Mathieu qui promet la damnation éternelle aux hypocrites comme les faux Christs et les faux prophètes (7:15). La figure de l’Antéchrist cristallise cette condamnation de l’hypocrisie par l’archétype qu’elle en offre et qui irrigue l’univers de la tromperie réprouvée dans les Écritures. Mais la dénonciation de la fausse dévotion prend la forme de bien d’autres accusations, des pharisiens ou des hérétiques en passant par les gnostiques ou les pseudo-apôtres. Une autre caractéristique intéressante de ce regard chrétien porté sur le faux se situe ainsi du côté de l’association, presqu’immédiate, qui est faite avec la problématique 231du vêtement comme moyen de tromper ou d’impressionner son prochain16. L’attention portée à la critique de l’hypocrisie se concentre ainsi sur l’écart établi entre réalité et apparence, davantage qu’entre vérité et fausseté. Cette orientation éclaire bien sûr la construction de la personnification de l’hypocrisie qu’est Faux Semblant. Le choix de Jean de Meun de prêter à son personnage l’aspect d’un faux moine, dont la fausseté se dissimule sous la sainteté de son habit, répond de manière significative à cette interprétation de l’affectation qu’induit la notion d’hypocrisie. C’est dans la lignée de la dénonciation des hypocrites comme des loups dissimulés sous leur habit de mouton, selon l’image de saint Matthieu (7:15), que semble se tisser cette critique spécifique de l’hypocrisie liée à l’habit. Cette condamnation ne va pas sans nuances. On observe dans la littérature médiévale des courants humoristiques fondés sur ces jeux de simulation ou de dissimulation qui animent les pratiques hypocrites17, comme la veine satiriste anticléricale endossée par Faux Semblant. Mais on constate aussi l’apparition de toutes sortes de justifications, du secret amoureux par exemple18, dont se joue Jean de Meun dans sa construction de la duplicité de Faux Semblant. On verra l’importance prise par la réflexion autour de la fausseté tant dans l’univers religieux que dans l’univers amoureux que convoque tour à tour Faux Semblant. Cet entremêlement est marqué dans l’évocation incessante du faux qu’inscrit Jean de Meun dans le Roman de la Rose19. Faux Semblant incarne la volonté de Jean de Meun de mettre en lumière toute l’instabilité de la notion de vérité et surtout la faillibilité des sens humains pour y accéder20. C’est ainsi que Susan Stakel en vient à considérer la plus grande stabilité du champ de la tromperie que de 232celui de la vérité sous la plume de Jean de Meun. Elle souligne le critère essentiel de l’intention dans le système qu’elle crée autour du vrai et du faux, du secret ou de l’illusion. Cette notion d’illusion surtout nous paraît intéressante : elle vient qualifier un second régime de manipulation qui dépasse celui, envisagé au chapitre précédent, du contrôle ou du secret. Elle détermine ce qui relève du non-être et seulement du paraître par contraste avec le secret qui réside dans l’être qui n’apparaît pas21. Ces réflexions attestent la richesse des jeux développés autour de la tromperie et de la manipulation, en particulier des apparences d’ailleurs comme en témoigne la place prise par Faux Semblant. Fabienne Pomel insiste sur la valeur d’emblème que prend le faux moine dans cette réflexion produite autour de la fausseté :
Le personnage de Faux-Semblant fédère à lui seul l’interrogation sur la fausseté, déclinée sur le plan historique avec la querelle des ordres mendiants en toile de fond, sur le plan amoureux et moral, mais aussi, et c’est ce qui nous retiendra principalement, sur le plan de la parole et de l’écriture22.
Dans une grande diversité des sphères d’actions considérées, Faux Semblant s’érige comme le symbole de l’art du comme si, jouant des contraires qu’il expose et incarne entre le parler et le faire ou l’habit et le cœur23. De manière d’autant plus intéressante, nous aurons à cœur de le souligner, Faux Semblant permet autant de définir que d’accuser l’hypocrisie24. Il entretient un rapport paradoxal à la quête du vrai qui anime Jean de Meun, en revendiquant le vrai par l’évocation du faux25. Sa fausseté sert d’appel au discernement, et c’est dans ce sens que l’on peut analyser le véritable fourmillement de modèles de la fausseté qu’il convoque, de l’eiron de Théophraste au caméléon de Protée, qu’il vient même surpasser26. Faux Semblant n’incarne d’ailleurs pas seulement une incertitude radicale de la vérité, mais aussi du langage, et c’est en ceci qu’il s’intègre le mieux dans le projet d’écriture de Jean de Meun. Il ne touche pas seulement au dévoilement des apparences trompeuses, 233mais aussi au discernement du vrai du faux de la parole et, plus encore, de la pratique allégorique. Jean de Meun semble en effet rapprocher le défi de l’accès aux vraies intentions derrière les apparences et celui posé par la poésie allégorique, Faux Semblant fonctionnant dans ces deux cas comme un véritable levier de compréhension des enjeux de lecture de la vérité. En faisant exploser le rapport de personnification de l’allégorie, il symbolise tout l’arbitraire du signe que Jean de Meun cherche à mettre en lumière27.
Ce parcours lexicographique visait à prendre conscience du poids des instances de contrôle qui régissent cet arbitraire du signe, en particulier, des apparences émotionnelles, mais aussi des dérives qu’il implique. Nous l’avons déjà constaté : dans cette obsession de maîtrise, le semblant se pare d’autres possibilités de manipulations, qu’elles relèvent de la bienséance ou, davantage, de la fausseté explicite. Le personnage de Faux Semblant nous paraissait dans ce sens offrir l’objet de réflexion le plus pertinent et passionnant pour cette analyse du semblant, c’est donc à son portrait, à sa généalogie et à ses fonctions dans le Roman de la Rose et le projet de Jean de Meun que nous voudrions dès à présent nous dédier.
Le système Faux Semblant au cœur du Roman de la Rose
L’importance conférée au personnage de Faux Semblant influence beaucoup la réception du Roman de la Rose, avec les débats que l’on sait et auxquels nous aurons l’occasion de revenir dans la suite de nos analyses. Sans prétendre entrer en matière quant au projet exact de Jean de Meun, nous aimerions tenter de l’approcher par le biais du symbole qu’en offre Faux Semblant. Son discours ample et ambigu vise en effet à interpeller bien davantage que son public à la fois naïf et réticent qu’est le dieu Amour, mais aussi les lecteurs de Jean de Meun. Il permet surtout de poser un critère central pour l’évaluation de l’émotion, tout comme pour celle la vérité ou de l’œuvre littéraire conçue dans une dynamique horatienne : le critère de l’intention. Cette orientation poétique éclaire le souci de Jean de Meun à la fois de plaire et d’instruire28, 234mais sous un prisme particulier. Son œuvre ne se laisse en effet aisément approcher. Simon Gaunt la définit même selon sa nature profondément insaisissable : « It is characteristic of Jean de Meun that it is not possible to glean a clear sense of his own views: he presents us rather with a series of competing voices that sometimes complement, sometimes contradict each other29 ». Tous les spécialistes du Roman de la Rose s’y accordent, l’œuvre de Jean de Meun est une œuvre polyphonique30, marquée par une pluralité de personnages31 et un entremêlement de voix32, souvent contradictoires33, fondé sur un jeu constant autour du langage34. Dans un véritable art du brouillage35, son opinion reste ainsi insondable parmi toutes celles de ses personnages36, Faux Semblant au premier plan bien sûr. Nous pourrons revenir aux modalités de la querelle de l’Université de Paris dans laquelle Jean de Meun s’inscrit, ou semble s’inscrire, par le biais de son personnage, ou celles de l’apologie de la ruse amoureuse qu’il introduit, elles constituent un excellent exemple de cette détermination confuse du point de vue de l’auteur dans son œuvre. Sarah Kay résume avec éloquence toute l’ambiguïté de ces points de vue entremêlés au gré des discours pris en charge de cette seconde moitié du roman : « Taken in conjunction, they illustrate Jean de Meun’s perverse and playful refusal to commit himself to any unambiguous position37 ». Cette insaisissabilité prend 235plus d’intérêt encore dans le cadre allégorique, défini chez Quintilien comme le fait de dire une chose et de vouloir en dire une autre38. Le rôle de Faux Semblant s’éclaire ainsi, lui dont le discours repose sur le paradoxe insurmontable du mensonge. Quelle que soit son atteinte aux conventions du genre, il s’inscrit en réalité à merveille dans cet art d’écrire que Douglas Kelly qualifie de mensonger, voilant la vérité, selon la pratique de l’integumentum qui inspire la lecture allégorique39. Estelle Doudet rappelle également que la personnification classique repose sur la transparence entre le nom et l’être, par appui sur le système platonico-réaliste qui promeut l’allégorie, mais surtout sur les qualités herméneutiques de ses récepteurs40. Toute l’intervention de Faux Semblant semble jouer de cette finalité essentielle du décryptage, à laquelle Malebouche se prête si mal. Mais elle se conçoit avant tout dans le rapport ironique que Jean de Meun entretient avec l’écriture allégorique41, que le faux moine permet également de symboliser. Cette ironie irrigue tout le travail de reprise de l’œuvre de Guillaume de Lorris, qui procède par décalages, voire par inversions42. Le dédoublement même des voix narratives auquel procède Jean de Meun avec la figure de Papelardie43, mais aussi le guide de l’Amant qu’incarne dès lors Faux Semblant peut-être plus que tout autre, joue de cette ironie. Cette pratique ironique de l’allégorie permet de développer cette leçon de duplicité que Faux Semblant servira à l’Amant, avec l’aide de l’Ami, et éclaire, plus largement, la volonté qui anime Jean de Meun de proposer une réflexion sur l’intelligibilité du monde44 et notamment 236de l’univers amoureux sur lequel il jette le discrédit45. L’ensemble des objectifs didactiques poursuivis dans la seconde partie du Roman de la Rose semblent ainsi soutenus par ce montage allégorique teinté d’ironie. L’œuvre de Jean de Meun fonctionne comme une allégorie de la lecture pour les lecteurs que sont l’Amant, avec un succès relatif comme on le sait, mais aussi le public que nous sommes46. L’Amant démontre bien l’enjeu des enseignements du roman : il reste lui-même bloqué au niveau littéral, qu’il invite le lecteur à dépasser. Cet exercice de lecture que devient le Roman de la Rose inspire la pratique d’écriture de Jean de Meun. Il la conçoit comme un exercice d’interprétation et de glose, en recourant à ses connaissances des autorités antiques, religieuses, mais aussi de la partie de Guillaume de Lorris47. La leçon qu’il nous incite à en tirer est claire : ne jamais se contenter du niveau littéral, plus encore dans le cadre de l’allégorie et de la continuation, construite comme une réinterprétation48, qu’il propose. Faux Semblant occupe dans ce contexte une place essentielle. Il incarne cette tension insufflée par Jean de Meun, révélatrice de l’effort de lecture qu’il requiert49. Elle invite à considérer le type de connaissance que Jean de Meun souhaite transmettre50. Il s’avère explicite dans l’apologie composée pour son œuvre, révélatrice du jeu qu’il mène sur la figure auctoriale51, mais aussi de la portée universalisante qu’il souhaite insuffler à son œuvre. Il ne s’adresse en effet plus seulement à l’homme courtois, tel que le faisait Guillaume de Lorris, mais à l’ensemble des hommes52. Il démontre bien ainsi qu’il vise non seulement la subversion de l’éthique amoureuse, mais celle du système poétique entier. La provocation s’érige comme moteur de son 237œuvre, qu’il subvertit ainsi53. Une fois encore, Faux Semblant permet une entrée en matière exemplaire de cette dynamique de l’œuvre de Jean de Meun. Son échange avec Amour et peut-être plus encore celui avec Malebouche exemplifient le souci de toucher à la subtilité du lecteur. Il invite à ne pas se laisser tromper par la duplicité du sophisme, en écho à la technique du syllogisme employée par les maîtres du xiiie siècle54. Le cœur de la leçon que Jean de Meun met de cette façon en exergue touche à la vérité même55, présentée comme insaisissable et donc d’autant plus nécessaire56.
Cette ambition de Jean de Meun d’approcher la vérité témoigne de son souhait de mener une enquête totale, qui embrasse tous les registres de l’existence humaine. Aussi diverse soit-elle, cette enquête se veut néanmoins cohérente, parfaitement entremêlée. Faux Semblant atteste 238ce souci de faire concorder l’ensemble des champs de réflexion, animés par cette question fondamentale qu’est celle de l’accès à la vérité. La véritable débauche d’érudition que cela occasionne ne souffre cependant aucune digression57, en dépit des critiques souvent émises notamment à l’encontre de la section Faux Semblant, tant l’ensemble se coordonne au gré des personnifications qui incarnent les divers aspects de cette réflexion générale. Davantage qu’une attitude ironique, l’étiquette de Miroer que Jean de Meun donne à son œuvre révèle sa volonté d’offrir sa leçon avant tout aus amoureus, l’amour restant la principale science traitée58. Il souhaite pour cela compléter l’œuvre de Guillaume de Lorris, à la manière du Nouveau Testament qui offre une continuation fondamentale à l’Ancien59. À la quête de la Rose que dépeint Guillaume de Lorris se superpose donc la véritable enquête sur l’amour qu’y greffe Jean de Meun60. C’est ainsi qu’il y entretient ce rapport ambigu, à comprendre à l’aune de sa volonté de révéler la vérité de l’amour. Claire Nouvet éclairait dans ce contexte la contradiction souvent perçue dans la seconde moitié du Roman de la Rose entre style courtois et non courtois61. Elle s’expliquerait par la tendance de Jean de Meun à jouer et déjouer les oppositions pour mettre en jeu l’interprétation qu’il souhaite in fine en apporter, au gré de cet exercice de lecture qui inspire toute son œuvre. Faux Semblant nous paraît offrir une représentation éclatante de ce didactisme ambivalent, qui reste caché et ne se dévoile qu’au gré des efforts requis pour en saisir toute la subtilité. Ces dernières remarques tendent à signaler l’importance que nous souhaiterions à notre tour accorder à la dynamique amoureuse de cette réflexion incarnée par Faux Semblant. Quelle que soit son implication dans la polémique religieuse, Faux Semblant est avant tout nommé baron d’Amour et rendu indispensable au succès de l’Amant.
Toute la richesse de ce personnage exemplaire de la finesse de composition de Jean de Meun nous paraît nécessiter que nous nous arrêtions sur ses origines. Nous l’avons souligné à de multiples occasions, 239Faux Semblant offre un concentré de la pratique allégorique de Jean de Meun, et de ses limites62, par l’ironie qu’il y instille63. Placé au cœur des objectifs d’écriture de la seconde partie du Roman de la Rose, Faux Semblant se construit également en regard d’un vaste réseau de références qui lui permettent de résonner plus encore, mais bien sûr aussi de gagner en importance au vu de l’ampleur des réseaux qu’il mobilise. Sa source la plus évidente, et longtemps la seule considérée, le rattache aux événements historiques de la querelle de l’Université de Paris qui marque les années 1250. Faux Semblant naît dans ce contexte sous la plume de Rutebeuf qui s’en sert pour défendre Guillaume de Saint-Amour dans le débat qui l’oppose aux Ordres Mendiants. Mais en réalité, Faux Semblant s’inscrit dans un réseau plus large, notamment de par le lien qu’il tisse avec Papelardie, ou encore avec les personnages du Roman de Renart64. Son association au champ de la ruse ne saurait être plus explicite au gré des parallèles qu’il présente avec Renart, pour son comportement insidieux et surtout trompeur, mais aussi avec Tibert le Chat qui se définit lui aussi selon son attitude extérieure65. Il est intéressant que Faux Semblant y fasse lui-même mention : il prend ainsi une fois de plus en charge le jeu qu’il opère sur le semblant, comme son nom le révèle d’emblée. Faux Semblant revendique l’ensemble de ce tissu de références et ce rapprochement entre les deux figures les plus représentatives de la dynamique trompeuse qu’il vient à son tour incarner. Il emploie pour se définir une rime qui associe la papelardie et la renardie66, comme pour mieux témoigner de sa fausseté qu’il veut totale. L’autoportrait auquel le faux moine se prête à la demande d’Amour l’atteste : il offre un symbole généralisé de l’hypocrisie67. Il importe de ne pas cantonner Faux Semblant au seul univers religieux 240auquel il porte atteinte sous son manteau de moine. Il s’avère d’autant plus intéressant quand, à l’instar de nombreux spécialistes du Roman de la Rose aujourd’hui, on envisage la réflexion qu’il induit sur le principe allégorique lui-même comme cachant la vérité derrière les fables de la fiction68. Dans cette incarnation d’un projet littéraire, Faux Semblant figure l’invasion générale de l’hypocrisie, associée à tous les vices69. Peter F. Dembowski résume l’importance qu’il prend dans le récit, et dans sa postérité : « La littérature du Moyen Âge a créé ce qu’on peut appeler le “genre Faux Semblant” : le mal déguisé en bien, c’est-à-dire l’hypocrisie, source de tous les vices, envahit tous les domaines de la vie et paraît y régner de façon constante70 ». La menace qu’il représente est à la hauteur de ce règne absolu de l’hypocrisie.
Elle se révèle dès son entrée dans la trame du roman en marquant une rupture nette avec le reste de l’armée d’Amour, au « cuer gent », à l’exception d’Abstinence Constrainte et lui-même71. De manière intéressante pour notre propos, mais aussi pour la réflexion induite sur le genre allégorique bien sûr, l’opposition se concentre sur leur apparence trompeuse et surtout sur la dissociation entre leur « samblant par dehors » et leur « pensee » ou leur « cuer72 ». On perçoit ainsi d’emblée l’importance accordée à la vérité des émotions et surtout au dévoilement de leur potentiel fallacieux. Jean de Meun joue pour cela de l’opposition consommée entre dedans et dehors qui rythme souvent les exemples de jeux émotionnels. Le vocabulaire de l’apparence irrigue la présentation du nouvel allié d’Amour, tout autant que celui de la fausseté, selon le sémantisme même du nom de Faux Semblant. Sa description enchaîne sur celle de sa parenté, révélatrice de cette fausseté généralisée qui lui est accolée :
Baraz engendra faus semblant
Qui va les cuers des genz enblant.
Sa mere ot non ypocrisie
La larronnesse, la honnie :
241Ceste l’aleita et norri,
L’ort ypocrite au cuer porri
Qui traÿst mainte region
Par habit de religion73.
Jean de Meun applique une logique rigoureuse à ce portrait, en choisissant de justifier le barat qui habite les pensées de son nouveau protagoniste par sa filiation. L’exposé qu’il y consacre ne laisse aucun doute sur sa nature trompeuse : le lexique en la matière abonde et fait transparaître la menace qu’elle représente et la dénonciation qu’elle nécessite. Le semblant rime immédiatement avec la tromperie, une tromperie fondée sur le cœur, comme pour mieux en souligner tant la portée émotionnelle que le vice. Jean de Meun redouble l’association à l’univers de la ruse, en présentant également la mère de Faux Semblant sous la figure d’Hypocrisie. Susan Stakel perçoit cette double filiation comme un dédoublement de la capacité au mal de Faux Semblant74. Elle permet également de démontrer la prégnance de la ruse dans le sang de Faux Semblant, descendant de Barat, nourri d’Hypocrisie. Celle-ci insuffle la portée religieuse de la propre hypocrisie de Faux Semblant. Elle concentre aussi la fausseté de Faux Semblant sur l’apparence, telle que nous la détaillions au gré de l’analyse lexicale de la notion d’hypocrisie. La parenté de Faux Semblant joue aussi bien de la dénonciation du vice d’hypocrisie que de l’effet d’annonce de la trahison perpétrée par le biais de son habit de religion. La menace qu’il incarne est également d’emblée révélée par la précision de la portée de sa trahison, qui se veut multiple comme l’atteste l’indication des maintes regions qu’il contamine. Le jeu de rimes témoigne de la source attribuée à ce danger, associé à cet habit trompeur dont Faux Semblant fera si bon usage. La formule cuer porri semble jouer du contraste avec le cuer gent du reste des barons d’Amour. Elle symbolise aussi, dès son arrivée, la malignité de Faux Semblant et l’atteinte qu’il incarne à l’égard de l’expression émotionnelle, lui qui camoufle ce cuer porri sous un habit de religion. Jean de Meun lève donc aussitôt le voile sur la fausseté et l’incongruité de son personnage. La réaction d’Amour est à la hauteur de la rupture opérée par Faux Semblant dans ses rangs : il est « esmeü » dans son 242« cuer » même75, selon une mise en lumière immédiate de l’influence émotionnelle de Faux Semblant. Amour croit d’ailleurs avoir « songié », tant il est surpris de cette irruption, et multiplie les interrogations à son allié impromptu76. La deuxième d’entre elles fait allusion à la fameuse rime songe-mensonge de Guillaume de Lorris77 et témoigne du jeu instauré par Jean de Meun avec la première partie du roman, au moment d’introduire l’élément le plus disruptif peut-être de sa continuation. Abstinence Contrainte en livre une défense enflammée, au nom des « mainte honnor » et « mainte aise » que lui a offertes son compagnon78. Elle appelle pour cela le dieu Amour à ce « qu’il ne [lui] deplaise79 ». Outre l’association formelle entre ces deux protagonistes liés « par compagnie80 », son intervention fournit sa propre définition. Elle qui est dénommée Abstinence Contrainte remercie donc son compagnon de lui permettre de ne garder qu’apparente cette abstinence qu’elle est supposée incarner. Elle annonce du même mouvement la propre atteinte de Faux Semblant aux préceptes qu’il est censé représenter par la contamination qu’il induit sur sa partenaire. Mais surtout, sa défense comme « preudon et sainz hom clamez81 » témoigne de la nécessité de Faux Semblant, pour le dieu Amour lui-même auquel elle le recommande. Entre sa double filiation qui le prédispose à la fausseté et son influence sur Abstinence Contrainte, l’hypocrisie de Faux Semblant se fait déjà omniprésente. Il l’affirme d’ailleurs à l’issue de sa tirade au dieu Amour : ses parents, Barat et Hypocrisie, sont empereur et impératrice de « tout le monde », « mau gré qu’en ait sainz esperis82 ». Cette nouvelle allusion à sa parenté permet de mieux exacerber encore le danger qu’il représente, fondé sur sa capacité à « deçoivre » sans que « nus ne s’en puet aperçoivre83 ». Faux Semblant joue les effets d’annonce de cette incapacité de Malebouche à détecter le faux de son semblant. Surtout, il martèle ainsi déjà sa leçon de révélation de la menace des hypocrites.
243Faux Semblant le reconnaît lui-même : lui et sa parenté compliquent la compréhension de l’ensemble du monde, de la nature humaine rendue inaccessible par cette hypocrisie totale ainsi incarnée84. Il illustre l’illusion du genre définie par Peter L. Allen85 en référence à la définition brouillée, modulable à l’envi que donne Faux Semblant de lui-même86. Ce jeu mené sur le genre semble trouver écho chez ses acolytes, l’Ami et la Vieille, dont les conseils se répondent pour la gent masculine comme féminine. Faux Semblant s’oppose ainsi à la vérité, à Dieu, et même au sens commun87. Il brouille l’ensemble de la nature, par sa seule apparence. Sa seule constante repose dans son essence protéenne88, lui qui expose sa capacité à changer d’identité à souhait89. Il affirme lui-même son rapprochement avec ce symbole bien connu de la mutabilité des signes pour souligner combien est « forz la decevance » qu’elle en rend difficile « l’apercevance90 ». Cette référence lui permet surtout de vanter sa supériorité sur le mythique Protée, « qui ne sot onc tant barat ne guile91 ». C’est tout l’intérêt de Faux Semblant : parfaitement conscient de ses pouvoirs, fondés sur une rupture entre vue et connaissance92, il n’hésite pas à en rendre tout aussi conscient son auditoire et à révéler la fausseté de son semblant inidentifiable. Telle est l’ambiguïté fondamentale du discours et des apparences de Faux Semblant qui peut ainsi porter la réflexion autour des conventions allégoriques et plus largement des rapports à la vérité. Faux Semblant trouble en effet l’accès à la vérité elle-même par cette instabilité des signes qui le caractérise :
244« Sire, j’ai mansions diverses
Que ja ne vous quier reciter,
S’il vous plaist a m’en respiter.
Car se je le voir vous raconte,
G’i puis avoir damage et honte.
Se mi compaignon le savoient,
Certainement il m’en harroient
Et m’en procurroient anui,
S’onques leur cruauté connui ;
Quar il veulent en tous lieus taire
Verité, qui leur est contraire93. »
Faux Semblant l’établit dès ses tout premiers mots au dieu Amour : la vérité leur est contraire à lui et ses compaignon. Il joue d’ailleurs avec son rapport à la vérité, qu’il ne peut révéler sans mécontenter les autres pratiquants de la fausseté dont il fait partie. Mais bien davantage, le paradoxe qu’il vient personnifier empêche toute résolution de l’énigme de sa fausseté qu’il dévoilera pourtant en toute sincérité. Selon une ambivalence indépassable, son discours vise l’exposition d’une vérité rendue impossible par son hypocrisie94. Carolynn van Dyke résume toute l’importance de Faux Semblant dans ce jeu mené autour de la lecture même des signes :
Voicing the most straightforward correctives to his dishonesty without seeming any less dishonest, False Seeming casts doubt on the efficacy of truth. Insincere in his virtue but sincere about his insincerity, he baffles our ability to distinguish truth from falsehood 95 .
Ce paradoxe prend toute son ampleur dans le cadre du discours d’autodéfinition de Faux Semblant. Il offre tout le relief et surtout tout le piquant de sa présentation, qui se veut sans ambages :
« Sanz faille traÿstres sui gié,
Et pour larron m’a dieus jugié ;
Parjurs sui. Mais ce que j’afin
Set l’en anviz devant la fin,
Car pluseur par moi mort reçurent
Qui ainc mon barat n’aperçurent,
245Et reçoivent et recevront,
Qui jamais ne l’apercevront.
Qui l’apercevra, s’il est sages,
Gart s’en, ou c’iert ses granz damages96. »
Il affirme son identité de trompeur, de traître même, condamné par Dieu. Il expose même tout le danger qu’il incarne, les méfaits qu’il a accomplis et les morts qu’il a occasionnées par sa traîtrise. Il livre ce faisant une leçon d’une grande force contre la faillibilité des apparences. La rime recevront-apercevront formalise le lien de cause à effet entre l’incapacité de déceler le barat et la mort que Faux Semblant inflige. Elle se redouble d’ailleurs juste ensuite comme pour mieux souligner cette menace à valeur prophétique. Plus encore, Faux Semblant valorise la sagesse de celui qui parviendrait à l’identifier comme trompeur, du même mouvement qu’il insiste sur le danger de ne pas y arriver. Cette capacité de Faux Semblant à dresser son autoportrait, sans nuances ni demi-teintes, concentre autant la subtilité que la menace de son échange avec le dieu Amour97. Si Faux Semblant finit par accepter de se présenter à Amour, il ne lui révèle en réalité absolument rien98. Il cultive le flou par la dimension dialogique de cette autoreprésentation adressée à Amour99. Surtout, sa description se fonde sur une opposition constante, selon l’art de la définition par contraires exposée par Aristote. Nous y avons déjà fait allusion, cette autoreprésentation offre un exemple éclatant du paradoxe du menteur100. On prend toute la mesure de ce discours d’autodéfinition ambigüe à la lumière du modèle du paradoxe du Crétois. Celui-ci permet, depuis la Grèce antique, d’envisager la vérité dans la fausseté101. Le Moyen Âge le connaît sous la formule popularisée ego dico falsum102, qui irrigue la confidence de 246Faux Semblant. Faux Semblant a en effet la particularité d’avouer sa tromperie avec une honnêteté incompatible avec son essence. Son affirmation « parjurs sui103 » pourrait résumer l’ensemble de sa longue définition104. Faux Semblant est un contradicteur, avec tout l’intérêt qu’il concentre son mensonge sur lui-même. Il s’oppose au principe de non-contradiction par l’adage qu’il défend et exemplifie L’habit ne fait pas le moine105, auquel nous reviendrons au vu de son intérêt dans notre perspective. Cette autodéfinition toute en ambiguïté se fonde sur les contradictions qu’il multiplie jusqu’à la confusion :
« Trop sai bien mes habiz changier,
Prendre l’un et l’autre estrangier :
Or sui chevaliers, or sui moines,
Or sui prelaz, or sui chanoines,
Or sui clers, autre heure sui prestres
Or sui deciples, or sui mestres,
Or chastelains or forestiers ;
Briement, je sui de touz mestiers.
Or sui princes, or resui pages,
Et sai par cuer trestouz langages.
Autre heure sui vieulz et chenuz,
Or resui juenes devenuz.
Or sui Roberz, or sui Robins,
Or cordeliers or jacobins.
Si preign pour sivre ma compaingne
Qui me soulace et me compaingne :
C’est dame astinence contrainte,
Autre desguiseüre mainte,
Si com il li vient a plaisir,
Pour acomplir le sien plaisir.
Autre heure vest robe de fame :
Or sui damoisele, or sui dame ;
Autre heure sui religieuse :
Or sui rendue or sui prieuse,
Or sui nonnain, ore abesse,
Or sui novice, or sui professe,
Et vois par toutes regions
Cerchant toutes religions106. »
247L’anaphore or sui illustre à merveille ce culte de la mutabilité de l’identité qui caractérise Faux Semblant et inspire cette confidence biaisée qu’il livre à Amour. Elle s’inscrit dans la démonstration que fait Faux Semblant de sa capacité à changer d’apparence, à la manière de Protée auquel il se comparait juste auparavant. Elle permet de concentrer l’insaisissabilité du faux moine, dans la multitude des identités qu’il peut endosser. Il se mêle à celles d’Abstinence Contrainte qui paraît presque confondue avec son confrère dans cette présentation, ce qui permettait à Peter L. Allen de démontrer l’atteinte que Faux Semblant constitue également à la notion de genre. Cette association éclaire aussi l’entremêlement des vices dans la figure de Faux Semblant, lui qui incarne autant la fausseté que l’abstinence simulée de sa compagne. Faux Semblant brouille ainsi l’ensemble des rapports définitoires de la société médiévale fondée sur les apparences, qu’elles relèvent de la profession, du statut ou de l’âge. La richesse stylistique de ce passage dicte également d’insister sur le talent rhétorique que Faux Semblant déploie pour asséner sa leçon. Il lui confère une force révélatrice de la portée didactique dont Jean de Meun l’investit bien au-delà de la diégèse, avec toute l’originalité de faire dévoiler l’hypocrisie par un hypocrite. Faux Semblant s’inscrit pour ce faire dans la tradition satiriste, dont il rejoue l’indignatio caractéristique ici, dans une mobilisation émotionnelle d’intérêt d’ailleurs. En le déclinant à la première personne, Faux Semblant semble jouer de la ventriloquie qui peut lui être prêtée dans l’œuvre de Jean de Meun. Il nous semble en tout cas témoigner d’une prise d’autorité qui dépasse la fonction du personnage. Cette leçon doit se comprendre dans toute sa subtilité, exacerbée jusqu’à la confusion dans cette démultiplication des voix et identités endossées par Faux Semblant. Il devient ainsi son propre metteur en scène, dans une performance incroyable marquée par l’importance donnée à une première personne du singulier employée ici pour démontrer sa pluralité. Ce passage atteste ainsi la place de Faux Semblant comme emblème de la polyphonie cultivée par Jean de Meun, mais aussi du rapport dialogique que Faux Semblant tisse avec Amour107. Cette dynamique d’entremêlement de voix conduit à considérer l’influence, voire la contamination, de Faux Semblant sur 248le dieu Amour, nous y reviendrons. En brouillant son rapport identitaire, Faux Semblant s’érige en arme fatale à l’encontre des règles du genre allégorique avec lesquelles il joue, notamment par ce discours auto-définitoire, l’un de ses artifices les plus fréquents108. Plus encore, Faux Semblant démontre la rupture des signes linguistiques dans leur ensemble. En brisant le rapport de transparence entre intérieur et extérieur, il se fait symbole du détachement radical du signe de son référent et expose toute l’ambiguïté inhérente à la pratique discursive109. En résumé, « Faux Semblant is a destroyer of mimesis110 ».
La menace qu’il fait peser sur l’ensemble du système signifiant touche également, et avant tout, aux apparences, même au plus infime et fondamental des signes qu’est l’émotion. Il est intéressant de noter que l’importance que Jean de Meun confère aux apparences davantage qu’aux seuls mots – avec lesquels Faux Semblant joue également, son nom même en témoigne – tient une fois de plus à la logique allégorique qu’il travaille et à la relation qu’il cherche à tisser avec la première partie du roman. Guillaume de Lorris déjà s’attachait aux apparences pour définir ses personnages, en particulier les Images du Mur du Verger. Quand il en débute la description, il précise en effet son objectif de donner « de ces ymages la semblance111 ». Au-delà de la seule logique allégorique, le choix même de les qualifier d’images témoigne de ce rapport obsédant que la société médiévale entretient aux apparences112. Guillaume de Lorris y revient à chacun des portraits des vices dépeints à l’extérieur du Verger. Celui de Tristesse est éloquent : elle est présentée « a duel faire ententive113 ». Cette remarque nous semble révélatrice de l’attention portée aux apparences par Tristesse, qui ne se contente pas d’être triste, mais de faire, c’est-à-dire manifester sa tristesse. Il s’agit là d’un mouvement commun au jeu des émotions, celui de la manifestation, qui paraît d’emblée calculatrice ici, comme la formule employée le démontre. Le 249jeu émotionnel, s’il s’intègre déjà chez Guillaume de Lorris, se trouve donc du côté avant tout du vice. La concentration de cette attention portée aux apparences sur les Images du Mur révèle en tout cas leur pouvoir de signification crucial dans le processus d’identification des vices. Tel pourrait être le cœur de la leçon que livrera Faux Semblant, au dépens de Malebouche. La subtilité de cette leçon tient bien sûr à l’ambiguïté du discours de Faux Semblant dont nous tenions à mettre en lumière la richesse en amorce de nos analyses. En biaisant d’emblée sa définition, Faux Semblant révèle la réflexion qu’il induit sur le travail d’écriture de Jean de Meun, fondé sur une pratique ironique de l’allégorie, non sans rapport à la fausseté des apparences qu’il dévoile autant qu’il condamne. Ce constat fondamental concentre l’ambiguïté de son discours de représentation minée : « Faux Semblant est ce qu’il n’est pas, ou plus exactement il dit le contraire de ce qu’il prétend dire, car sa profession de foi hypocrite, se donnant comme telle, se dénonce en même temps qu’elle se définit114 ». Influent en maintes regions, Faux Semblant fait peser les ramifications de cette défense/dénonciation de la fausseté des apparences aussi bien sur l’investissement émotionnel dévotionnel qu’amoureux. Il met ainsi en lumière la nature conventionnelle, et potentiellement faussée, des signes requis aussi bien dans l’un comme dans l’autre de ces univers fondés sur l’émotion et sur sa fiabilité aussi indispensable qu’impénétrable.
Pour mieux apprécier tout le talent déployé par Jean de Meun pour entremêler ces communautés émotionnelles d’apparence fort distincte que sont les hommes religieux et amoureux, nous nous y consacrerons séparément. Quoi que convaincue de l’intérêt de Faux Semblant dans ces deux dynamiques, il nous semblait plus efficace de les envisager une à une pour mieux en considérer les nuances et ainsi mieux percevoir toute la portée de Faux Semblant comme emblème d’une fausseté totale des apparences émotionnelles. L’importance parfois seulement accordée à la sphère religieuse du discours de Faux Semblant nous a convaincue de nous y dédier en premier lieu, pour mieux appréhender ensuite son utilité dans le cadre plus général de son dialogue avec le dieu Amour.
250Faux Semblant, vallez antecrist115
Faux Semblant au cœur de la querelle anti-fraternaliste
On a longtemps cantonné Faux Semblant à la figure du faux ypocrites inscrite dans la ligne critique du débat de l’Université de Paris. Il nous paraît essentiel de sortir de cette seule perspective pour envisager tout l’intérêt de ce personnage haut en couleurs, selon cette double dynamique religieuse et amoureuse. Nous ne pouvons néanmoins manquer de nous arrêter sur cet aspect effectivement primordial de sa personnification, comme symbole du jeu émotionnel dans le rapport dévotionnel. Il témoigne ainsi de l’importance des apparences et de la fiabilité des signes de la foi au Moyen Âge.
Sans prétendre nous inscrire dans l’analyse du débat qui opposa les maîtres de l’Université de Paris aux Frères Mendiants, nous voudrions proposer un rapide rappel des événements comme base de réflexion au personnage de Faux Semblant et au discours anticlérical qu’il porte au gré de son dialogue avec Amour. Nous l’avons évoqué, le nom même de Faux Semblant apparaît dans ce contexte, sous la plume de Rutebeuf qui s’investit grandement au sein de cette querelle116. Il développe dans ce cadre la figure d’Hypocrisie dans le Dit du Pharisien et surtout celle de Faux Semblant dans la Complainte maitre Guillaume de saint Amour117. C’est donc en défense de l’un des plus célèbres acteurs de cette polémique que nous trouvons la première mention de Faux Semblant, parmi la liste des coupables de tant de vilenie que sont « Ypocrisie / et Vainne Gloire et Tricherie / et Faux Semblant et dame Envie118 ». Cette première allusion à Faux Semblant résume tous les traits caractéristiques qui seront les siens au gré de son histoire littéraire. On note déjà sa proximité avec Hypocrisie bien sûr, mais aussi avec Vaine Gloire et 251Envie, qui révèle l’entremêlement de vices auquel il se prêtera aussi chez Jean de Meun. On perçoit aussi son inscription dans la dénonciation des vices d’église, en particulier de celui qui relève de « doute[r] plus le cors que l’ame119 ». Rutebeuf ouvre ainsi un cycle de poèmes allégoriques de critique sociale dans lequel la deuxième partie du Roman de la Rose vient se greffer120. C’est aussi au travers de la poétique de Rutebeuf que se marquerait l’orientation sémantique de la guile vers l’hypocrisie religieuse121. L’intervention de Rutebeuf dans la polémique des chansonniers contre les Mendiants semble déterminer la propre construction du Faux Semblant comme symbole de la participation de Jean de Meun à la querelle de l’Université de Paris122. Le Roman de la Rose s’inscrit dans ce sens dans la lignée offerte par Rutebeuf de mise en scène littéraire de cette polémique123, à laquelle nous voudrions revenir pour en envisager les lignes d’influence sur le personnage de Jean de Meun.
Guillaume de Saint-Amour, dont Rutebeuf prend la défense dans sa Complainte, incarne le vent de révolte qui souffle au sein de l’Université de Paris dans la première moitié du xiiie siècle. Face aux privilèges et à la popularité croissante des Frères Mendiants dans la scolarité et dans l’Église, la grogne enfle parmi les maîtres de l’Université. Le conflit va croissant, le clergé entre alors en scène au début de l’année 1254 sous l’impulsion du Pape Innocent IV qui, dans une volonté pacificatrice, prend la défense des clercs et des maîtres. La situation s’inverse cependant sous son successeur, Alexandre IV. C’est dans ce contexte que paraît le De Periculis de Guillaume de Saint-Amour, au début de l’année 1255, comme un résumé des griefs de l’Université et du clergé pour démontrer les torts des Frères Prêcheurs et les faire chasser. Guillaume de Saint-Amour les accuse notamment de causer la mort spirituelle des fidèles dupés par ces faux docteurs. Il blâme également leur pratique de la mendicité, la pauvreté devant résider dans le mépris des biens terrestres et non dans la mendicité en soi, que les maîtres dénoncent comme relevant de cette 252hypocrisie tant reprochée aux Frères. Le danger que représenteraient les Mendiants, tout autant que les Béguines par ailleurs, est alors condamné comme un signe avant-coureur de la fin des temps. Son accusation des vices dont il revêt les Ordres Mendiants vaut à Guillaume de Saint-Amour de se voir exilé par Alexandre IV. C’est dans ce cadre que Rutebeuf prend sa défense. Il transforme la polémique en pamphlet et lui fait gagner une dimension proprement littéraire. Jean de Meun assure ensuite le passage du pamphlet au livre, en explorant l’ensemble de cette tradition critique124. Il convient de souligner l’influence, au-delà de celle de Rutebeuf, de Guillaume de Saint-Amour lui-même. Constant J. Mews note dans ce sens la concentration que présente Jean de Meun sur la critique de la pauvreté davantage que de l’orgueil, à la manière du maître parisien et au contraire de Rutebeuf. Il souligne également l’importance des tonalités apocalyptiques, surtout dues à Guillaume de Saint-Amour125, qui irriguent en effet le portrait de Faux Semblant. La volonté de Jean de Meun de s’inscrire dans la querelle contre les Ordres Mendiants ne laisse aucun doute : il revêt son personnage de l’habit de cordelier ou de jacobin pour mieux discréditer ceux qu’il vient ainsi incarner126.
En preuve de sa relation complexe à ce débat, qu’il investit et dépasse à la fois, Jean de Meun y apporte une dimension supplémentaire en y investissant une dénonciation importante, en-dehors du cadre même de la querelle, du vice du sophisme127. Faux Semblant illustre tout le danger de cette logique insidieuse : on le verra, il en fait un usage fatal contre Malebouche. Il en révèle déjà toute la dynamique fallacieuse au tout début de son explication au dieu Amour :
253« Ne sont religieus ne monde ;
Il font .i. argument au monde,
Ou conclusion a honteuse :
Cist a robe religieuse,
Donques est il religieus.
Cist argumenz est touz fieus,
Il ne vaut pas .i. coustiau troine ;
Li abiz ne fait pas le moine.
Nepourquant nus n’i set respondre,
Tant sache haut sa teste tondre
Voire rere au rasoir d’ellanches
Qui barat trenche en .xiij. branches ;
Nus nel set si bien distinter
Qu’il en ose .i. seul mot tinter128. »
De manière révélatrice, c’est au cœur d’un exposé sur la fausseté des apparences que s’intègre cette critique des argumentations sophistiques. Elle sert à déconstruire l’adage l’habit fait le moine que Faux Semblant vient problématiser. La dénonciation est explicite, Faux Semblant jugeant, avec l’ironie qui le caractérise, ce type de raisonnement de honteux, fieus, mais aussi malheureusement difficile à distinguer. Sa dénonciation semble gagner en importance en s’appuyant sur la seule citation à laquelle recourt Faux Semblant avec son allusion au De Sophisticis Elenchis d’Aristote. Elle joue d’ailleurs les effets d’annonce du propre rasoir de Faux Semblant, qu’il emploie exactement dans l’optique qu’il décrie ici pour tromper et vaincre Malebouche. Selon ce paradoxe inhérent à la nature de Faux Semblant, il révèle donc autant l’erreur de se fier à son apparence, à sa robe religieuse, que ses stratégies à venir. Aussi transparent soit-il, nus nel saura distinter, en tout cas pas Malebouche qui se verra en effet trenché. Cette critique vise les hypocrites qui ne sont ni religieus ne monde, ces faux Frères qui sont accusés de se prêter à cet argumenttouz fieuz. Il s’agit là aussi d’une influence de Guillaume de Saint-Amour, mais la question dépasse déjà celle des seuls Frères Mendiants. Cette condamnation des raisonnements fallacieux infiltre l’ensemble de l’œuvre de Jean de Meun, en tout cas toute la partie dédiée à la triade trompeuse formée par l’Ami, Faux Semblant et la Vieille. C’est comme si Jean de Meun insérait ces références à la polémique universitaire au service d’une contestation générale de la sophistique129 et, de manière 254plus générale encore, du vice des conclusions hâtives, fondées sur des logiques non fiables telles que celles des manifestations émotionnelles, dont l’habit religieux devrait faire partie. La référence à la problématique des Frères Mendiants n’en est pas moins certaine, qu’elle doive être affinée ou relativisée à l’aune de questions plus générales du projet rédactionnel de Jean de Meun. Faux Semblant avoue d’ailleurs sans ambages son adhésion au parti de Guillaume de Saint-Amour : qu’importe qu’on « grouce » ou « s’en courrouce », même s’il devait « perdre vie », il martèle qu’il « ne [s]’en tairoie mie130 ». À la liste des risques qu’il accepte de prendre pour affirmer son point de vue, il ajoute celui d’être « mis contre droiture », à l’instar de Guillaume de Saint Amour « baniz […] a tort », à l’instigation « par grant envie » d’Ypocrisie, « [s]a mere131 ». De manière intéressante, il associe donc le pape Alexandre IV lui-même à Ypocrisie, avec une association marquante également au péché capital d’envie, découlant directement de l’orgueil dans la morale chrétienne du xiiie siècle. Le rapprochement avec le propre sort de « saint Pol en chartre oscure » est plus significatif encore de sa volonté de dénoncer celui de Guillaume de Saint-Amour132. De manière plus concise mais tout aussi efficace, il juge cet exil comme une décision prise a tort – et l’enjambement met encore en exergue la portée de ce jugement – et opposée à la droiture. De manière intéressante, Faux Semblant mêle à sa défense de la « verité » de Guillaume de Saint-Amour son opposition à celui qui souhaite lui faire renier sa « mendicité » et le faire « laborer133 ». Selon tout le paradoxe de sa figure, Faux Semblant intègre ainsi à la critique qu’il en a livrée jusqu’alors une sorte de plaidoyer de la pratique de la mendicité. L’oisiveté des Frères Mendiants est dévoilée sans nuances dans leur goût trop prononcé pour le prêche, par un rapprochement éloquent avec le vice d’hypocrisie. Il vante ainsi sa préférence à « devant les genz orer » en lien avec sa tendance à « affubler [s]a renardie / du mantel de papelardie134 ». Cette mise en parallèle témoigne de la force rhétorique que Faux Semblant insuffle à sa critique des Frères Mendiants, hors même de la seule diégèse et de son échange avec Amour. Son investissement dans la querelle universitaire va bien sûr dans ce sens. Mais le talent dont il fait 255preuve pour ce faire atteste aussi ce souci de Jean de Meun de dépasser le cadre dialogique avec Amour pour envisager celui qu’il noue par ce biais avec son propre auditoire. Il insuffle à son personnage une colère digne de celle mobilisée par les satiristes, dans un jeu d’échos évident, mais d’autant plus ironique dans la bouche de cette incarnation des vices d’église qu’est Faux Semblant. Mais cette condamnation des Frères Mendiants se voit aussi d’emblée dépassée. La rime renardie-papelardie, au-delà de la révélation qu’elle induit du pouvoir de l’habit, signale la volonté de Jean de Meun d’inscrire son personnage dans un réseau référentiel plus large que celui de la seule querelle universitaire. Les allusions faites aux deux personnages les plus représentatifs de la critique de l’hypocrisie religieuse que sont Renart et Papelardie nous incitent à envisager plus globalement la place de Faux Semblant.
Faux Semblant comme égérie de l’hypocrisie religieuse
Les appels à ne pas réduire Faux Semblant à cette seule perspective de critique à l’encontre des Frères Mendiants se sont multipliés au gré des analyses qui lui ont été dédiées135. Guy Geltner surtout a souligné le fonctionnement de Faux Semblant comme personnification de l’hypocrisie générale, et non d’un ordre en particulier136. Il démontre notamment la large diffusion du motif du faux Frère servant le diable pour dépasser ce rattachement à la querelle universitaire. Il résume : « Faux Semblant does not “depict” anyone; he typifies hypocrisy137 ». Il convient en outre de prendre quelque distance avec cette association de Jean de Meun à la défense des maîtres de l’Université de Paris. Il convient surtout de dissocier son point de vue de celui de son personnage et de considérer l’ironie potentielle dont il a pu teinter son discours à cet égard138. Nous voudrions porter un regard plus large sur le discours de Faux Semblant, à l’instar de Fabienne Pomel qui insiste sur la nécessité de prendre la pleine mesure de l’image 256de fausse dévotion dans l’ensemble de la deuxième partie du roman139. Elle souligne l’importance prise par Faux Semblant au sein du roman, qui invite à une réflexion plus vaste et fondamentale que celle qui concerne seulement le cas des Frères Mendiants. Bien davantage, il inciterait à « s’interroger sur les feintes du langage et le statut de la métaphore comme faux-semblant140 ». Pareille réflexion se concentre d’emblée, dans sa portée critique, sur le pan religieux, propice aux condamnations de l’hypocrisie incompatible avec la morale chrétienne. Nous aimerions nous arrêter à cet aspect central de la figure de Faux Semblant et démontrer ainsi la portée de la réflexion qu’elle induit sur les jeux émotionnels qui infiltrent la pratique dévotionnelle tout entière.
La rime entre renardie et papelardie, par laquelle nous amorcions cette transition depuis le dernier passage cité, nous paraît constituer un exemple éclatant de la nécessité de considérer l’ensemble du réseau référentiel de Faux Semblant. Elle conclut en effet son exposé des griefs reprochés aux Frères Mendiants sur la technique qui paraît les résumer : le fait d’affubler sa renardie du mantel de papelardie. Elle témoigne ainsi de sa proximité à la fois avec la figure, bien connue, de Renart et avec celle de Papelardie, introduite dans la première partie du Roman de la Rose. Présenté comme le père littéraire de Faux Semblant141, Renart s’insère dans cette description comme pour mieux démontrer l’association de Faux Semblant à tous les vices. Symbole de l’envie, de la gourmandise, du sacrilège et de la tromperie, Renart se mêle à l’hypocrisie pour déterminer Faux Semblant. Tous ces vices se cachent derrière le mantel de Papelardie, en allusion à la neuvième Image du Mur du Verger décrite par Guillaume de Lorris. Si son manteau n’était pas dépeint, c’est sûrement là un clin d’œil de Jean de Meun au propre manteau de Faux Semblant et à l’entremêlement qu’il souhaite proposer de ces deux personnages. Papelardie incarnait déjà, alors hors du Verger, toute la malignité de l’hypocrisie. Armand Strubel atteste le rapprochement des deux figures à la lumière de la critique cléricale, non sans en relever les divergences : « l’enjeu n’est pas le même et la portée de la transgression n’a pas de commune mesure, entre le “vice” individuel (la fausse dévote insérée entre Vieillesse et Pauvreté) et 257la perversion sociale, voire ontologique (le faux moine)142 ». Surtout, l’hypocrisie n’est alors qu’un attribut de Papelardie. Elle ne peut donc que préfigurer le rôle tenu par Faux Semblant comme véritable appellatif de ce vice ainsi intégré au Verger de Déduit143. Car telle est bien sûr la principale différence à noter quant à Papelardie : chez Guillaume de Lorris, la fausseté figurée sous ce « vis simple et piteus144 » ne peut que se cantonner au Mur aux Images, ses fausses prières laissées inaudibles aux personnages de la Carole. Surtout, elle reste alors hors de la sphère du Verger du Déduit, sans aucun lien possible avec le dieu Amour145. Elle offre un premier temps aux deux états successifs de l’hypocrisie intégrés dans le Roman de la Rose, une première réflexion autour de la dévotion prétendue, interdite d’accès au Verger qui symbolise l’univers courtois. On note déjà un important recours au lexique du paraître pour déterminer le vice de Papelardie, avec les références à son attitude par « dehors », à son « vis » ou les occurrences du verbe sembler qui qualifient autant son hypocrisie que son apparence sainte146. Avec une ironie que son continuateur s’efforcera de cultiver bien plus encore, Guillaume de Lorris présente donc son hypocrisie selon l’apparence qui en est justement révélée. Il atteste le pouvoir signifiant des semblants, tout en le problématisant déjà au cœur de sa description des Images. Il définit sur cette base le nom de Papelardie en lien avec l’expression « en recelee », comme la rime « appelee-recelee » le signale147. Celle-ci témoigne de la dynamique dissimulatrice qui vient déterminer Papelardie. Elle n’est certes alors vêtue d’aucun manteau, mais Guillaume de Lorris vient insister sur ses dehors trompeurs. Il souligne surtout ses mauvaises intentions, elle qui « soz ciel n’a male aventure / qu’ele ne pens en son corage148 ». Son attitude sournoise se met au service de son souhait « de nul mal fere », qu’elle ne se prive jamais d’accomplir, à l’insu de ses victimes plus encore149. Son attitude de « marmiteus150 » condense ce jeu d’apparences manipulatrices. 258Elle sert en effet avant tout à qualifier un état soucieux et préoccupé, comme c’est le cas dans la Vie saint-Alexis, parfait exemple de l’investissement émotionnel requis dans la vie spirituelle que véhicule cet adjectif151. Mais il peut aussi prendre un sens plus ambigu et suggestif, surtout dans cette expression de faire le marmiteus qui en vient à signifier le jeu hypocrite152. On rejoint ainsi l’ambivalence du terme semblant, plus encore du semblant émotionnel, seule voie d’accès à l’intériorité, a fortiori quand elle touche à la dévotion, infiniment intime. Guillaume de Lorris paraît insister sur la dimension seulement extérieure de cette tristesse affichée par Papelardie, en précisant encore qu’elle apparaît seulement par dehors. Pour souligner la fausseté de cette apparence, il la met aussitôt en opposition avec la réalité de son corage, selon un jeu on ne peut plus clair sur les émotions manifestées. La nuance est de taille, puisqu’à la sainteté de son apparence s’oppose la male aventure qui anime son cœur. Cette fausse affliction empreinte de sainteté répond parfaitement à la définition de la papelardie relevant de la religiosité affectée153. La suite de la description de Papelardie continue à jouer sur les indices cultivés de sa dévotion. Comme pour mieux la dénoncer, Guillaume de Lorris insiste sur la fiabilité du portrait dressé sur le Mur des Images qui « mout la resembloit / qui faite fu a sa semblance154 ». Il étaye ainsi encore le lexique des apparences qui irrigue sa description. Il soutient un portrait fondé sur la « simple contenance » et la pauvreté affichée par Papelardie, « tout aussi com fame rendue155 ». Le recours aux signes extérieurs de la dévotion se développe avec la présentation du « sautier » tenu par Papelardie, mais plus encore des « proieres saintes » qu’elle « mout se penoit » de faire156. La dimension d’effort rejoue celle souvent convoquée pour qualifier la garde émotionnelle, dans un jeu de décalage explicite. Le jeu mené sur les conventions dévotionnelles est plus net encore pour conclure sa description. L’investissement émotionnel gagne en importance : non contente de simuler la tristesse ou la dévotion, Papelardie réfrène toute manifestation de joie, au profit d’une concentration, toute apparente – la formule « par semblant » rompt avec certitude, et intérêt, avec ses prétendus efforts –, sur son souhait de « bones oevres 259faire157 ». Bien sûr, son attention ne relève que du semblant, selon une rupture importante avec cette charité bien intentionnée qui est supposée animer les dévots. Comme pour mieux souligner cette dimension seulement apparente, une présentation de sa « heire »suit directement158. L’empreinte religieuse que prend l’hypocrisie se fait plus claire encore ainsi, tout comme son ancrage affectif. La heire vient jouer de l’esprit de mortification feint par Papelardie, fondé sur l’affliction qui l’anime159. Dans cette même logique, on dépeint ensuite l’aspect de Papelardie et les impressions qu’il offre de son investissement spirituel. Amaigrie, elle « sembloit de jeuner estre lasse » jusqu’à en apparaître « pale et morte160 ». La ruse sous-entendue dans cette description est immanquable à cette allusion du cheval de l’Apocalypse, lui aussi caractérisé par sa pâleur morbide161. Si le vice que Papelardie incarne n’était pas assez clair, Guillaume de Lorris conclut sur la tromperie qu’elle induit en se concentrant, bien davantage que sur les ressorts spirituels de son existence, sur des considérations purement mondaines, selon une critique portée par « l’evangile » même : le « los par mi la vile » et la recherche de la « vainegloire162 ». On retrouvera chez Faux Semblant, et plus encore, de manière logique, chez Abstinence Contrainte, ces contradictions entre les apparences dévotes et la recherche des honneurs. Ce portrait inspire sans aucun doute celui que Jean de Meun dressera de ces héros atypiques. Le Roman de la Rose offre ainsi deux états successifs de l’hypocrisie, dont Jean de Meun se joue pour mieux dénoncer le propre vice de Faux Semblant en écho à celui, clairement mis en lumière, de Papelardie. Exclue du Verger, elle ne peut porter atteinte au système amoureux mis en scène au gré des rencontres de l’Amant, au contraire de son homologue Faux Semblant. Nous aurons bien sûr à cœur de nuancer ce parallèle établi entre les deux grandes figures de l’hypocrisie, mais il nous semblait intéressant à souligner pour dévoiler la place occupée par Faux Semblant dans une réflexion globale sur la fausseté religieuse.
260Le faux moine insiste en effet sur le danger de la dévotion feinte tout au long de la présentation qu’il accepte de donner au dieu Amour. Son adresse se veut néanmoins d’emblée plus générale et prend une valeur proclamatrice qui signale l’importance de sa prise de parole comme un véritable discours de sagesse. Il revêt pour cela les habits du satiriste pour dénoncer ceux des religieux, au potentiel trompeur bien plus menaçant que l’habit séculier :
« Baron, entendez ma sentence !
Qui faus samblant vorra connoistre
Si le quiere au siecle ou en cloistre.
Nul lieu fors en ces .ii. ne mains
Mais en l’un plus, en l’autre mains.
Briement, je me vois osteler
La ou je me puis mieus celer,
S’est la celee plus seüre
Souz la plus simple vesteüre.
Religieus sont mout couvert,
Seculier sont plus a ouvert.
Si ne vueill je mie blamer
Religion ne diffamer
En quel qu’abit que l’en la truisse ;
Ja religion, que je puisse,
Humble et loial ne blamerai,
Nepourquant ja ne l’amerai163. »
Entamant sa longue tirade d’autodéfinition, Faux Semblant commence par identifier les lieux qui lui sont le plus propices, les cloîtres bien davantage que le siècle. Les jeux de rimes sont révélateurs de l’association effectuée par Faux Semblant entre le cloître et son hypocrisie : c’est encloistre que l’on semble pouvoir mieux le connoistre, son choix du lieu où il veut osteler se comprend selon sa possibilité de s’y celer, et celui de son habit avec la sécurité de son camouflage. Surtout, ces jeux de rime permettent de cristalliser l’opposition entre religieux et séculiers selon leur degré de couverture. Faux Semblant se prête ainsi à une dénonciation générale de l’hypocrisie religieuse. On retrouve dans ce sens l’idée de la simplicité de l’apparence que cultivait Papelardie dans cette optique trompeuse164. Elle devient ici le moteur de Faux Semblant, le premier des critères qu’il 261accepte d’exposer à l’ensemble des barons d’Amour, pour mieux révéler déjà la portée de sa condamnation, mais aussi le lien tissé avec l’Image de Guillaume de Lorris. Il précise d’ailleurs qu’il ne vise aucun habit en particulier, quelle que soit la portée de ses critiques orientées vers les Frères Mendiants dans la suite de son discours. Comme en annonce de l’apologie à laquelle se livrera Jean de Meun, Faux Semblant prend la peine de justifier qu’il ne blâme pas la religion en soi. C’est sur cette base qu’il porte sa condamnation des « faus religieux165 ». Selon une tradition critique bien établie, chez les Cisterciens en particulier, Faux Semblant oppose la vraie religion au culte des apparences166. C’est la rupture entre ceux « qui l’abit en veulent vestir / et ne veulent leur cuer mestir » qui anime l’accusation « des felons, des malicieus » que sont les faux religieux167. Faux Semblant la met en exergue par l’opposition des verbes vestir et mestir, à la rime. La reprise du verbe vouloir rythme encore cette opposition. Ainsi, toute la critique, et la pratique, de Faux Semblant se fonde sur le jeu émotionnel prêté aux faux religieux qui se contentent de vestir, sans mestirleur cuer. Il détermine sur cette base la véritable pratique religieuse, fondée sur une autre opposition entre les tendances à « orgeuill ensivre » ou à « humblement vivre168 ». Avec l’ironie qui lui est propre, Faux Semblant dénigre ces véritables religieux, avec lesquels il ne pourrait rester que par ruse169. Selon cette sincérité paradoxale qui le caractérise, il expose l’essence de sa nature trompeuse basée sur un habit revêtu seulement par feintise170. Il confesse son usage détourné de l’habit religieux, lui qui ne peut se résoudre à ce que « de [s]on propos ississe, / quelque chiere qu’[il] y feïsse171 ». Il instaure ainsi une nouvelle nuance, qui lui sera chère, entre l’apparence et la parole ou, plus encore, les actes. Faux Semblant renoue ici avec l’enjeu de son exposé au dieu Amour pour préciser avec qui il réside réellement, bien loin des religieux dont il ne peut s’approcher que par feintise : « les orgueilleus172 ». Faux Semblant s’accorde ainsi au premier et plus grand 262des vices pour mieux dévoiler sa fausseté et le mal qu’il véhicule. Dans cette volonté de joindre tous les vices sous son manteau d’hypocrite, il y associe encore l’astuce des « artilleus » et surtout la vanité de ceux qui « mondaines honnors couvoitent173 », un péché condamné avec emphase chez les Frères, et chez les Frères Mendiants en particulier. Faux Semblant se définit ainsi à l’exact opposé exact de la religion qu’il détermine selon l’humilité et la miséricorde. De manière intéressante, le qualificatif de « piteus174 » employé pour qualifier les religieux apparaissait également dans le portrait de Papelardie, dont Faux Semblant se rapproche par ce double épithète de simple et de piteus qui servait à décrire son apparence175. Tout comme l’Image cantonnée à l’extérieur du Verger, Faux Semblant ne recourt qu’aux signes extérieurs de la dévotion. Sa critique des vices infiltrés dans l’Église n’en est que plus claire. Leurs objectifs de « couvoite[r] » et « esploite[r] » illustrent l’abus dont ils sont accusés176. Surtout, et la condamnation se concentre ainsi sans aucun doute vers les Frères Mendiants, il leur reproche de « se f[aire] povre177 ». Là semble résider le cœur de leur péché, tel que la rime entre la « povreté [qu’ils] preeschent » et « les granz richesses [qu’ils] peeschent » le révèle en dénonçant l’hypocrisie de leurs recommandations178. Faux Semblant fait alors allusion à leur droit, si contesté dans la querelle universitaire, au prêche. Il renforce cette impression d’excès par une anaphore de et pour qualifier le contraste entre la pauvreté prétendue et le goût des « bons morsiaus » et des « vins precieus179 ». Tel est l’argument, et, nous le verrons, la leçon essentielle de Faux Semblant : la vraie religion doit s’afficher dans les actes davantage que sur l’habit :
« Mais en quelque lieu que je viengne,
Ne comment que je m’i contiengne,
Nient plus fors barat n’i chaz.
Aussi com dant Tyberz li chaz
N’entent qu’a soriz et a raz,
N’entent je a riens fors a baraz.
263Ne ja certes pour mon habit
Ne savrez o quel gent j’abit ;
Non ferez vous voir as paroles,
Ja tant n’ierent simples ne moles.
Les oevres regarder devez,
Si vous n’avez les ieulz crevez,
Car s’il font el que il ne dient,
Certainement il vous conchient,
Quelconques robes que il aient,
De quelconques estat qu’il soient,
Soit clers soit lais, soit hons soit fame,
Sire, serjanz, baiasse ou dame180. »
Il clôture ce premier volet de sa réponse à Amour en revenant à sa question première : le lieu où il réside. Il s’en sert pour rapprocher ce lieu et sa contenance, tous deux dépeints comme trompeurs. Faux Semblant se compare sur cette base au personnage de Tibert le Chat du Roman de Renart, avec lequel il aime jouer pour mieux dévoiler la fausseté qui le caractérise. Il se contente ici de rapprocher l’obsession du chat pour les rats et les souris avec la sienne pour le baraz. Le parallélisme n’entent témoigne, dans cette concentration qu’elle présente sur les appétits du chat, de la déconsidération du baraz de Faux Semblant, qui touche au bas-ventre et à cet entremêlement de vices déjà évoqué. Mais nous avons aussi pu noter que Tibert servait de symbole à une attention excessive sur les signes extérieurs181. La référence paraît intéressante au moment de conclure ce premier temps de l’aveu que Faux Semblant offre de la fausseté de son semblant. Il affirme la non-fiabilité de son habit, de son lieu de vie comme de ses paroles, dans une dénonciation globale de l’hypocrisie. Tout comme il s’est attardé à dénoncer la bonne impression que peuvent offrir l’habit religieux comme le cloître, il veille à prémunir contre les paroles, aussi simples et douces soient-elles. La collusion du voir et des paroles met en exergue le danger de prendre les mots à la lettre. Faux Semblant l’assène sans ambages : ce sont les oevres qu’il faut regarder. Dans un nouveau jeu d’annonce, teinté d’ironie, il souligne d’ailleurs qu’il faut être aveugle pour manquer à cette recommandation. La rime entre le verbe devoir et les yeux crevés qu’il faut avoir pour ne pas le faire le met en lumière. Faux Semblant livre sur cette base la 264conclusion de sa réflexion : peu importe le lieu ou l’habit, le statut ou même le genre, celui qui n’est pas fidèle, dans ses actes, à ses paroles est animé d’intentions trompeuses. Il révèle le potentiel trompeur de l’ensemble des signes, physiques ou langagiers, qui comportent le risque de rompre la concordance impérative entre extérieur et intérieur. Cette menace se veut plus forte encore dans la sphère religieuse, en regard de l’exemplarité supposée des Frères, directeurs de pensée attitrés, avec tout le débat que cela peut provoquer. Dans son investissement dans la querelle universitaire, Jean de Meun y fait d’ailleurs écho en rendant Faux Semblant porte-parole de la dénonciation portée à l’encontre des Ordres Mendiants qui comptent parmi leurs privilèges, condamnés par Guillaume de Saint-Amour, le droit de « confesser et assoudre182 ». La rime entre le fait de « cheoir dedenz [s]es pieges » et « [s]es privileges183 » atteste l’inscription de Faux Semblant dans la querelle : il associe directement sa tromperie et ses privilèges, à raison au vu du sort subi par Malebouche. Mais la portée critique de Faux Semblant dépasse ce seul privilège, la conclusion du passage précédent l’illustrait : peu importe la robe, si les actes ne concordent avec les dires, la tromperie est indubitable. Il l’assène, la robe n’offre aucune garantie :
« Bon cuer fait la pensee bonne ;
La robe n’i tost ne ne donne ;
Et la bonne pensee l’oevre,
Qui la religion descoevre.
Illuec gist la religion
Selonc la droite entencion184. »
Bien au contraire de la robe, c’est l’oevre qui se fait l’indice de la pensee bonne. C’est même elle qui permet de découvrir la religion, comme la proposition relative, et le jeu de rimes, le révèlent. La répétition de cette pensee bonne ainsi issue du bon cuer porte l’emphase sur la pureté des intentions, et des émotions, affirmée en fin de passage. La religion est affaire de droite entencion. La dénonciation des attitudes mystificatrices s’oriente ainsi avant tout dans une dynamique religieuse. Jean de Meun s’inscrit en ceci dans une tradition critique bien établie, développée déjà chez Jean 265de Salisbury, de l’hypocrisie condamnée comme un travers religieux185. C’est sûrement dans ce sens que peut se comprendre l’association de Faux Semblant avec Abstinence Contrainte, autre vice d’Église186. Bien sûr, ils se retrouvent également dans la personnification qu’ils offrent des abus des apparences. Ils se combinent ainsi à merveille dans la dénonciation voulue par Jean de Meun du règne des apparences qui subvertit l’investissement émotionnel indispensable à la pratique dévotionnelle :
Si Faux Semblant se présente dans l’habit de pauvreté, son amie, Attenance (Abstinence) Contrainte se présente comme le visage de la chasteté hypocrite, dans la robe d’une béguine. Dans un milieu saturé d’idéaux religieux, Jean de Meun se moque de l’importance accordée aux formes externes de la religion et s’attache à dénoncer l’hypocrisie que permet cette valorisation des apparences187.
On voit combien le personnage de Faux Semblant dépasse la seule question des privilèges des Ordres Mendiants. Il vise une remise en question fondamentale de l’adéquation entre extérieur et intérieur, bien révélée par l’adage l’habit ne pas fait le moine.
L ’ habit fait ou ne fait pas le moine : réflexions
autour du semblant dévotionnel
Faux Semblant dédie une bonne part de son discours à condamner l’artifice et le vice de l’argument l’habit fait le moine188. La formule semble porter l’ensemble de son raisonnement. Il s’inscrit ainsi dans une réflexion importante développée au Moyen Âge à ce sujet. Innocent III serait à l’origine de son développement. Il diffuse dans ce cadre un exemplum du viie siècle d’origine arabe, qu’il reprend dans son De Miseria condicionis humane, d’un philosophe, refusé à la cour en habit misérable, mais accepté aussitôt quand il se présente en habits somptueux, qui baise son habit pour vanter cette source d’honneur plus grande que la vertu elle-même189. C’est ensuite sous Grégoire IX que l’expression de prendre 266l’habit prend son sens le plus connu, lié à l’entrée, au transfert ou à la sortie d’un couvent190. Cette identification du moine par l’habit suscite néanmoins d’emblée la réflexion, par exemple chez saint Bernard191. Ainsi, la critique des dérives qui peuvent en découler apparaît aussitôt. On retrouve déjà la condamnation de la tromperie de l’habit dans le De hypocritis du satiriste carolingien Theodolphus192. C’est ainsi que la dénonciation de l’hypocrisie se concentre sur l’habit193, selon une tendance à laquelle Faux Semblant offre un éclat particulier. Aelred de Rievaulx contribue à la dénonciation de la duplicité de l’habit religieux : « Forsitan enim sub habitu religionis uentrem colunt ; sub tunica paenitentium, ad mundiales glorias et honores anhelant194 ». Faux Semblant s’inscrit dans la même ligne critique en opposant la fiabilité supposée de l’habit religieux au vice de vanité. Il s’évertue ainsi à redéfinir l’adage L’habit fait le moine, dans une mise en lumière obsessionnelle de la non-fiabilité des apparences. Cette dénonciation se construit au cœur de sa critique des Ordres Mendiants, et plus largement de l’hypocrisie religieuse, mais la dépasse par l’ampleur des questions qu’elle suscite :
Hiding his motives behind his holy garb, Faus Semblant ’ s “habiz” illustrates the admittedly banal danger associated with the notion of habitus: the possibility of disguising bad motives behind the clothing, gestures and comportment associated with a particular social group. He warns, “la robe ne fet pas le moine” (11,028). But, more importantly for the present analysis, the character illustrates very precisely how habitus develops–how emotions and sexuality are acquired195.
Tracy Adams atteste l’importance des émotions dans le développement de l’habitus et l’entremêlement de l’investissement affectif et des signes requis dans ce contexte. Faux Semblant éclate cependant cette association, dans le cadre sexuel et amoureux comme dans le cadre religieux 267d’ailleurs. Ainsi, bien loin d’associer l’habit à l’état religieux, il le lie à la tromperie :
« Mais je qui vest ma simple robe,
Lobanz lobez et lobeours,
Robe robez et robeours.
Par ma lobe entasse et amasse
Grant tresor en tas et en masse,
Qui ne puet pour riens affonder ;
Car se j’en faz palais fonder
Et acomplis touz mes deliz,
De compaignies et de liz,
De tables plaines d’entremais
– Car ne vueill autre vie mais –
Recroist mes argenz et mes ors,
Car ainz que soit vuiz mes tresors,
Deniers me vienent a resours196. »
Dans un jeu subtil de sonorités, paronomases, allitérations et assonances, caractéristique de la veine satiriste pour porter l’indignatio, Faux Semblant entremêle la robe et la lobe. De la robe, une fois encore qualifiée de simple, il passe à la lobe qui lui permet d’amasser richesses et honneurs. Il joue ainsi avec l’ensemble de la tradition critique des vices du clergé. Il s’approprie les indices d’investissement personnel de la figure thymique du satiriste en portant son discours à la première personne du singulier, avec tout l’intérêt qu’il soit tenu par un personnage lui-même hypocrite. Faux Semblant complique la donne en dénonçant sa propre hypocrisie par ce jeu de masques qu’il met en scène. Pareille construction atteste la richesse de son discours déjà dans ce seul cadre religieux. La rupture entre apparence et état est formelle : les robeours ne peuvent rimer qu’avec les lobeours. On retrouve ainsi tout à fait l’esprit critique d’Aelred de Rievaulx197. Le vice de la ruse est bien souligné, par un jeu d’homophonie et de parallèle syntaxique sur le grant tresor que la lobe permet d’amasseren masse. Comme souvent, Faux Semblant 268s’attarde sur l’ensemble des richesses et divertissements auxquels son hypocrisie lui ouvre la voie. Pas un des plaisirs mondains ne semble omis de la liste qu’il dresse. On perçoit une fois encore la critique de l’hypocrisie religieuse bien sûr, mais aussi sa concentration sur l’habit. Faux Semblant se construit ainsi dans le cadre d’une véritable dénonciation de la fiabilité des signes et démontre le pouvoir de communication de l’habit lui aussi dans ce contexte. Sa révélation est à la hauteur de sa propre maîtrise du signe vestimentaire, rendue éclatante dans sa ruse à l’encontre de Malebouche. Il fait preuve d’autant de savoir-faire quant à la manipulation des apparences qu’à celle du langage198, dans un entremêlement complet des moyens de communication tous dénoncés pour leur potentiel fallacieux. Il dramatise ainsi l’impératif de stabilité sociale à laquelle le vêtement contribue et incarne la crainte que provoque l’hypocrisie vestimentaire199. Le pouvoir de la visibilité est clair au gré de son intervention, tout comme ses dérives dans cette critique de l’hypocrisie religieuse : « s’il font oevres qui bonnes soient, / c’est pour ce que les genz les voient200 ». Si sa dénonciation se cristallise autour de l’adage l’habit fait le moine, elle déborde de la question de la robe monastique pour envisager tous les aspects de la manipulation de la dévotion. Même les oevres, dont Faux Semblant vante souvent la fiabilité par contraste avec celle des mots ou des apparences, peuvent s’investir dans une logique uniquement extérieure et frauduleuse. Mais plus que tout, il y revient de manière plus affirmée, les robes ne peuvent rimer qu’avec les lobes. C’est dans les faiz qu’il faut chercher la connaissance, quelles que soient les précautions dont il les entourait juste auparavant :
« Ja ne les connistrez as robes,
Les faus traÿstres plains de lobes :
Leur faiz vous estuet regarder
Se vous voulez d’euls bien garder201. »
Toute la stratégie de défense que Faux Semblant délivre contre les hypocrites repose sur l’observation des faits, la rime regarder-garder269en témoigne. L’obsession des apparences transparaît, tout comme la difficulté de les décoder correctement. Quant à la dénonciation de la fausseté des habits, elle est explicite. Elle sert même à déterminer la trahison, mise en exergue au gré d’une véritable accumulation des indices trompeurs : la fausseté, la trahison, la lobe, le tout coordonné à cette robe décidément non fiable. Cette manipulation généralisée des signes émotionnels induit une véritable réflexion, davantage que sur l’habit, sur l’identité elle-même. Susan Stakel insistait sur l’importance prise par l’habit dans le portrait identitaire dressé par Faux Semblant, l’un comme l’autre se voyant contaminés par la tromperie qu’il instille tout au long de son discours202. Toute l’intervention de Faux Semblant repose sur cette association : en acceptant de s’autodéfinir, il se concentre sur ses apparences, trompeuses, mais déterminantes pour la présentation qu’il livre. Il démontre ainsi la place réservée aux apparences dans le processus cognitif et identificatoire. Il induit surtout une réflexion importante sur la concordance obsédante entre intérieur et extérieur, de manière exemplaire dans l’opposition qu’il met en exergue entre la blancheur de son habit et la noirceur de son cœur203.
L’importance qu’il accorde à la condamnation de l’hypocrisie religieuse paraît plus grande encore dans le contexte dans lequel il l’inscrit. C’est en écho à une tradition critique bien établie qu’il la développe, en témoignent ces références répétées à la fiabilité de l’habit ou ces indices rhétoriques déployés sur le modèle des satiristes. Faux Semblant fait preuve d’un grand respect à l’égard du réseau critique sur lequel il fonde son argumentaire. Il s’agit de l’un des nombreux paradoxes de son discours : déterminé par sa fausseté, il se révèle néanmoins d’une grande justesse. Il veille à rester conforme à la pensée dominante qu’il instille au gré de son intervention. On a ainsi pu noter l’exactitude de ses remarques exégétiques, surprenantes chez un personnage aussi sulfureux204. L’argumentation qu’il déploie contre les hypocrites en vient par exemple à trouver appui sur une réflexion de « saint Machi / – c’est a savoir l’evangelistre – / el vintetroisiesme chapistre205 ». De manière intéressante, les réfé270rences auxquelles il recourt servent à développer les conseils dispensés « pour les felons aperçoivre206 ». Elles confèrent une force décisive à cette argumentation déployée tout au long de son discours. Il cite et commente avec justesse le texte biblique, autorité incontournable ainsi mise au service de sa critique des apparences trompeuses et, en particulier, de la foi seulement ostentatoire des hypocrites. Une fois de plus, Faux Semblant veille à mettre en exergue toute la difficulté de discerner la tromperie, au gré de la première rime entre aperçoivre et sa critique de la tendance des hypocrites à« deçoivre207 ». Mais c’est sa citation qui s’avère la plus marquante dans ce discours, qui vise à l’inscrire directement dans le sillage de saint Matthieu. La tendance exégétique se prête ainsi également aux attaques de Faux Semblant, selon un paradoxe digne d’intérêt chez cette incarnation de la tromperie. Il exploite de manière tout aussi appropriée le réseau référentiel religieux par le biais de l’image du loup en habit de mouton, qu’il tire également de l’évangile selon Matthieu (7:15). Lieu commun des homélies patristiques, l’association des hypocrites aux loups se trouve par exemple chez saint Augustin qui contribue à sa diffusion208. Elle permet de cristalliser la dénonciation de la pureté prétendue des faux prophètes et sert dès lors de base à l’attaque livrée contre l’hypocrisie du clergé209. Elle se mêle ainsi à l’univers renardien convoqué pour mettre en lumière les dangers de la tromperie de l’habit religieux :
« Qui de la toison dant Belin
En lieu de mantiau sebelin
Sire Ysangrin affubleroit,
Le leu, qui mouton sambleroit,
Pour c’o les berbiz demorast,
Cuidiez vous qu’il nes devorast ?
Ja de leur sanc mains ne bevroit,
Mais plus tost les en decevroit,
Car puis qu’els ne le connistroient,
S’il vouloit fuir, els le sivroient210. »
271L’analogie avec les personnages du Roman de Renart démontre à la fois le vice et la popularité de l’image de saint Matthieu. Le rapprochement de l’apparence de Bélin avec un manteau de zibeline révèle les ambitions malintentionnées du loup qui s’en affublerait. La conjugaison des références bibliques et littéraires permet une mise en lumière efficace du vice de l’hypocrisie et de son omniprésence. La figure du loup offre un exemple révélateur de la menace de ces apparences trompeuses et du vice qu’elles peuvent dissimuler. Bien davantage, elle permet de personnifier tous les excès. Elle mêle au vice d’hypocrisie celui de la bestialité des appétits humains211, le loup étant un symbole bien connu de l’envie et de la voracité212. L’image connaît un certain succès au Moyen Âge, avec notamment un poème satirique du xie siècle consacré au loup qui feint la conversion par sa tonsure et son habit de mouton, puis l’Ysengrimus, exemple marquant de cette tradition213. Faux Semblant démontre à ce niveau également son inscription dans un réseau critique bien identifiable, avec lequel il joue avec aisance pour donner plus de force à sa critique.
L’univers biblique qui irrigue son discours se retrouve aussi dans les références apocalyptiques qui contribuent à la définition de Faux Semblant. Il s’associe de manière frappante à l’Antéchrist :
« Je sui des vallez antecrist,
Des larrons dont il est escrist
Qu’il ont habit de sainteé
Et vivent en tel fainteé.
Dehors semblons aigniaus pitables
Dedenz sommes leus ravissables ;
Si avironnons mer et terre :
A tout le monde avons pris guerre
Et volons du tout ordener
Quel vie l’en i doit mener214. »
Faux Semblant recourt encore à l’image du loup, dans une belle démonstration de son succès pour révéler le danger des apparences. Mais c’est bien sûr l’association à l’Antéchrist dont est dite enceinte Abstinence 272Contrainte qui constitue l’argument le plus éclatant de la menace de Faux Semblant. Pour mettre en lumière toute l’ampleur de sa fausseté, Jean de Meun va jusqu’à prêter à son personnage la parenté de l’Antéchrist. Il démontre ainsi à la fois la parfaite maîtrise exégétique du faux moine et sa tendance trompeuse. Il offre ce faisant une nouvelle allusion indubitable aux critiques anti-fraternalistes. Les Frères Mendiants et les Béguines symbolisent en effet, selon les dénonciations de Guillaume de Saint-Amour, les signes annonciateurs de la venue de l’Antéchrist215. Les références de Faux Semblant au souhait de tout ordener s’inscrivent dans cette ligne critique, en allusion à l’interférence que les maîtres de l’Université voient dans la pratique de la confession par les Frères Mendiants. Mais plus largement, la figure de l’Antéchrist véhicule une dénonciation remarquable de l’hypocrisie ecclésiastique. Saint Augustin contribue à la diffusion de cette critique des hypocrites qui prétendent servir le Christ par leurs paroles seules plutôt que par leurs actes216. On a pu noter combien Faux Semblant aimait recourir à cet argument. Loin d’une véritable application des préceptes religieux, la sainteé ne rime plus qu’avec la fainteé, l’habit s’opposant de manière révélatrice à la vie.
Toute la description de Faux Semblant se conforme à cet univers, lui qui se montre tricheur, menteur et même meurtrier. Sa rencontre avec Malebouche témoigne elle aussi de cette inspiration apocalyptique. Le portrait d’Abstinence Contrainte joue également de cette influence, l’insistance sur sa pâleur la rapproche de manière explicite de « la puste lisse, / le cheval de l’apocalisse217 ». Abstinence Contrainte prend donc le chemin de son pèlerinage prétendu qui les mène à la porte de Malebouche vêtue « comme beguine218 », drapée d’une « robe cameline219 » et du « blanc drap » qui lui couvre le visage220. Elle témoigne à son tour de l’inscription dans la critique des Ordres Mendiants, souvent associée à celle des Béguines qui connaissent aussi tout à la fois un succès et une condamnation importants à cette époque. Sa description se clôture sur ses traits physiques et surtout sur sa pâleur. À trois reprises, cet élément 273distinctif du dernier cheval de l’Apocalypse est souligné. Symbolisé par Fraude et Hypocrisie, il représente le passé immédiat au moment de la fin des temps221. La compagne de Faux Semblant contribue ainsi par ses propres attributs au tableau qu’ils offrent des vices de l’Église et à leur dénonciation comme indices de l’imminence de l’Apocalypse. Fils d’Hypocrisie, futur père de l’Antéchrist, Faux Semblant incarne la menace de l’effondrement du monde directement associée à la fausse apparence de sainteté. La description du départ des deux envoyés d’Amour pour vaincre Malebouche est révélatrice de la dénonciation de la manipulation des signes émotionnels religieux :
Or vous dirai la contenance
De faus samblant et d’astinance
Qui contre male bouche vindrent :
Entr’euls un parlement tindrent,
Comment contenir se devroient,
Ou se connoistre se feroient
Ou s’il iroient desguisé.
Si ont par acort devisé
Qu’il s’en iront en tapinage
Ausi comme en pelerinage,
Com bonne gent piteuse et sainte222.
Au moment d’entamer le récit de leur mission meurtrière, la narration s’arrête sur un nouveau tableau de Faux Semblant et d’Abstinence Contrainte. C’est à leur apparence même qu’elle se consacre, comme pour révéler son importance que Malebouche ne prendra pas la peine de déchiffrer. Dans ce contexte, la compagne de Faux Semblant est qualifiée seulement d’Abstinence, sans précision de sa nature contrainte. La rime produite est significative de la nature seulement apparente de ces personnages. Leur seule stratégie repose d’ailleurs sur l’apparence qu’ils vont offrir à Malebouche pour mieux le tromper, comme en témoigne la reprise du champ lexical de la contenance. Sa portée fallacieuse est également démontrée au gré de l’alternative proposée : se faire connaître ou se déguiser. L’apparence ne peut donc mener à la connaissance, le lien entre intérieur et extérieur se voyant définitivement rompu. Selon cette ambiguïté propre à tout l’épisode de Faux Semblant, il se trouve 274aussi valorisé du même mouvement, l’absence de déguisement pour le déformer signifiant la connaissance. La ruse est mise en exergue par leur décision de partir en tapinage. Elle se fonde sur une apparence non seulement fausse, mais faussement pieuse, puisque c’est en pseudo-pèlerinage qu’ils prennent la route. Trois adjectifs servent à qualifier les bonnes gens qu’ils cherchent à imiter, comme pour mieux souligner le contraste avec les deux comparses. La rime de l’expression en tapinage avec le pelerinage révèle la déformation des pratiques dévotionnelles. Le choix de ce déguisement s’inscrit dans la mise en lumière des vices que peut receler l’habit religieux. Quant à la formule ausi comme, elle pourrait résumer à elle seule l’art de Faux Semblant en cet instant crucial de ses aventures223. Tout autant qu’Abstinence Contrainte, Faux Semblant veille d’ailleurs à assurer sa ruse par une apparence dévote, « vestuz [d]es dras frere Soier224 ». Réapparaît la formule « aussicom », presqu’ironique ici quand elle sert à qualifier l’essai de cette tenue de Frère225. Selon le portrait qu’il dressait au dieu Amour, Faux Semblant ne paraît pas à son coup d’essai d’un tel habillement. Le reste de sa description s’attarde sur la mine qu’il laisse paraître. Jean de Meun démontre ainsi toute l’importance qu’il accorde aux signes émotionnels. Faux Semblant affiche une « chiere […] simple » et « douce et paisible226 », supposée refléter l’état émotionnel religieux apaisé. À l’instar d’Abstinence Contrainte décrite pour sa pâleur, Faux Semblant est dépeint en vertu de la simplicité de toute son attitude, lui qui « a pié s’en va sans escuier227 ». Sa description évoque ainsi celle de Papelardie qui ouvrait le volet critique de l’hypocrisie religieuse du Roman de la Rose. La simplicité figurait au premier rang de ses attributs, tout comme la pâleur d’ailleurs, dans une belle démonstration de l’association d’Abstinence Contrainte et de Faux Semblant pour personnifier le vice d’hypocrisie religieuse. Papelardie se caractérisait également par son apparence maladive228, que Faux Semblant mime lui aussi en s’appuyant sur une « potence », « aussi com par impotence229 ». Au moment d’inscrire 275l’action décisive de son personnage, Jean de Meun veille à tisser le lien avec celui de Guillaume de Lorris, ainsi infiltré parmi les rangs du dieu Amour. Il assure la transition de l’hypocrisie religieuse reléguée sur les murs extérieurs du Verger de Déduit à celle, encore montée en puissance, qui va s’avérer déterminante au sort de l’Amant. Notons d’ailleurs qu’il « a son col portoit une bible230 », comme un symbole de sa capacité à manipuler par sa parole même le texte biblique. Il avait démontré tout au long de son échange avec Amour sa parfaite maîtrise des Évangiles, il est intéressant que celle-ci soit aussi figurée au moment de sa rencontre avec Malebouche. Sa propension à la ruse se voit du même mouvement accrue et exposée dans toute sa perfidie. La nécessité de Faux Semblant dans la quête amoureuse ne fait donc pas l’impasse sur le vice de sa posture. C’est d’ailleurs exactement à cet instant que l’arme fatale de Faux Semblant est introduite : « .i. bien tranchant rasoir d’acier231 », en écho à celui d’Ellenches auquel il faisait allusion au fil de sa condamnation des défauts de la sophistique232. À l’image de Faux Semblant, cette arme, et le danger qu’elle véhicule, est dissimulée. Il la « fist en sa manche glacier233 », d’apparence d’autant plus inoffensive qu’il s’agit de celle de cet habit de Frère qu’il a revêtu. La menace qu’elle constitue pour Malebouche est néanmoins explicite, avec la précision de sa matière et de son caractère bien tranchant. Plus encore, il précise qu’il l’a fait « forgier en une forge », dénommée, de manière une fois encore annonciatrice, « coupegorge234 ». Le danger est dépeint comme imminent, puisque c’est sur ce détail que la description des deux pseudo-pèlerins se conclut pour annoncer « qu’il sont venuz a male bouche235 ». Leur qualification comme « trespassanz » paraît elle aussi déjà évoquer le propre sort de Malebouche qui les observe arriver en des termes comme volontairement ambigus236. Mais l’allusion au rasoir d’Ellenches permet de dépasser cette seule menace pour le losengier. Sa dissimulation le fait relever de la menace de l’hypocrisie dans son ensemble. Or, son danger déborde de manière évidente du 276seul cadre diégétique à l’issue de cette mise en lumière éloquente par Faux Semblant.
La dernière description de Faux Semblant réactive donc l’ensemble du réseau référentiel dans lequel Jean de Meun l’a introduit. Elle dénote l’obsession des apparences offertes dans la quête décrite dans le Roman de la Rose. Elle renvoie une fois de plus à la querelle anti-fraternaliste par l’habit que choisissent de revêtir Faux Semblant comme Abstinence Contrainte. Le rasoir joue lui aussi les rappels de la dénonciation des vices prêtés aux Frères Mendiants : celui du mésusage de la parole, au-delà de celui de l’habit religieux, par le biais des sophismes reprochés à l’argumentation fraternaliste. Réapparaît ainsi aussi l’univers apocalyptique. Faux Semblant rassemble donc l’ensemble des indices de condamnation de l’hypocrisie religieuse, ce que les évocations du portrait de Papelardie semblent confirmer. Mais surtout, ce qui transparaît de cet ultime portrait du faux moine, c’est l’insistance mise sur la fausseté de ses apparences et sur la rupture qu’elles présentent avec la réalité de son cœur. Le choix de ce costume de pèlerin révèle la malignité de son attitude trompeuse. En feignant le pèlerinage, il démontre toute l’ampleur de son hypocrisie en manipulant même ce signe hautement symbolique de la pénitence religieuse. Ce portrait décisif synthétise donc l’ensemble des indices trompeurs de Faux Semblant et de l’univers hypocrite dans lequel ils se greffent. Surtout, il rappelle toute la portée de ce personnage, hors de la seule querelle, hors de la seule condamnation de l’hypocrisie religieuse : il officie comme l’un des barons d’Amour et son envoyé dans la stratégie développée pour assurer la prise du château de Jalousie. Si Jean de Meun a l’originalité de développer, sur le modèle de Rutebeuf, la querelle anti-fraternaliste au sein de sa dénonciation de l’hypocrisie religieuse, il s’inscrit néanmoins dans une tradition critique bien établie. Nous avons pu observer la force de la condamnation, dans cet univers référentiel, de la rupture entre apparences et réalité du cœur quand elle touche à l’investissement émotionnel indispensable à la pratique dévotionnelle. Nous pourrons dresser le même constat dans l’univers amoureux. Nous l’avons observé dans ce chapitre dédié aux logiques de garde, la manipulation des émotions dévotionnelles et amoureuses se ressemble souvent, mais avec des nuances d’intérêt. Or, telle est la plus grande originalité du personnage de Faux Semblant : au contraire de Papelardie qui figurait déjà l’hypocrisie, Faux Semblant ne se prête pas 277seulement à la mise en lumière des manipulations de l’émotion religieuse, mais aussi de celles de l’amour posées au cœur du Roman de la Rose. Sa rencontre avec Malebouche, au-delà du dialogue qu’il entretient avec le dieu Amour, pousse à considérer le lien, et surtout l’atteinte portée par Faux Semblant également à la sphère amoureuse.
Faux Semblant, rois des ribaus d’Amour237
Faux Semblant au cœur de l’éthique amoureuse de Jean de Meun : dialogue amoureux
Il nous semblait essentiel de mettre en exergue la richesse du réseau référentiel dans lequel Faux Semblant se greffe pour porter la condamnation du vice incarné par les Frères Mendiants, et, plus largement, par l’hypocrisie religieuse. Mais il nous paraît plus important encore de démontrer l’entremêlement que cette réflexion sur l’investissement dévotionnel présente avec celle induite autour de la sphère amoureuse. Tout autant qu’il révèle et dénonce la fausseté des signes religieux, Faux Semblant personnifie les attitudes trompeuses qui peuvent contaminer la relation amoureuse. Cette mise en lumière de la manipulation des signes émotionnels requis dans la conquête amoureuse semble d’ailleurs prendre le pas sur celle de l’hypocrisie religieuse. Il convient de garder à l’esprit que la longue tirade à l’encontre des Frères Mendiants s’inscrit dans la confession livrée au dieu Amour et que le prétendu pèlerinage entrepris par Faux Semblant et Abstinence Contrainte vise la défaite de Malebouche et ainsi le succès de l’Amant. D’ailleurs, si la critique a longtemps cantonné la lecture de Faux Semblant à celle d’une personnification de l’hypocrisie, elle a depuis reconsidéré la place de ce personnage dans la trame du récit avant tout comme allégorie de la démarche amoureuse238. Il offrait donc un cas de figure idéal pour étayer notre analyse des semblants émotionnels au cœur de l’originalité 278même du projet d’écriture de Jean de Meun à l’égard de son subversif personnage. La fonction accordée au faux moine par le dieu Amour au sein de son armée est révélatrice de l’importance qui lui est conférée. De manière significative, Faux Semblant s’y voit intégré avant même que le dieu Amour ne prenne la peine de l’interroger. Certes, il fait part de sa surprise à l’irruption dans ses rangs de Faux Semblant et de sa compagne239. Mais il accepte aussitôt la stratégie établie par ses barons, fondée sur la ruse des deux hypocrites pour défaire Malebouche240. Loin de s’offusquer de la proposition de ses barons, Amour « l’otroi241 ». Plus encore, il la fait sienne en affirmant son propre souhait de voir Faux Semblant à sa cour242. Le rapprochement, sur le même vers, de l’ordre d’Amour qu’il « viegne avant » et de l’arrivée de Faux Semblant témoigne, par la rime entre sa « court » et Faux Semblant qui y « acourt243 », de l’inscription de ce personnage atypique dans la logique amoureuse244. S’il a déjà accepté sa présence et son rôle dans la prise du château de Jalousie, Amour paraît tenter de reprendre la main sur son armée et la place qu’y occupe Faux Semblant. Il formalise ainsi son accord en des termes qui relèvent du véritable contrat juridique. Il fait allusion au « couvenant » ainsi établi et au « chapistres » qui l’a émis, comme pour mieux souligner sa légitimité d’engager Faux Semblant245. L’objet contractuel est présenté de manière explicite : Faux Semblant « seras a [lui] tout maintenant246 ». On dépasse ici la seule idée de la stratégie développée par les barons, il est question d’une forme de possession. Mais Amour ne se prémunit pas moins de Faux Semblant, dont il veut garantir l’inoffensivité, du moins pour « nos amis » qu’il doit aider et ne pas « grever247 ». Il démontre ce faisant sa parfaite connaissance du danger incarné par Faux Semblant, tout en touchant une fois encore à la question des objectifs poursuivis, essentiels dans tout processus 279d’évaluation. Il oppose ainsi fermement, dans la logique combattive dans laquelle le récit est dès lors engagé, le camp adverse au sien, et démontre la place prise par Faux Semblant par le biais des déterminants possessifs « nos » employés248. Il lui assigne même une fonction précise et symbolique de l’importance qui lui est accordée, celle de « rois des ribaus249 ». Il s’agit d’une charge administrative importante de la cour de France, qui touche à la justice et à la régulation de la prostitution, des sports et des jeux250. En lui conférant une telle fonction, Amour signale le rôle qu’il souhaite voir jouer par Faux Semblant. Il paraît ainsi nommé vérificateur du jeu d’amour, en chef même comme la précision de rois des ribaus l’induirait. Il semble aussi responsable de tous les excès auxquels il peut conduire, comme les questions de jeux ou de prostitution semblent l’évoquer. L’intégration de Faux Semblant n’implique cependant aucun manque de lucidité de la part d’Amour quant aux travers de son nouveau baron. À sa nomination suit directement le portrait sans ambages du vice qu’il incarne. Plus encore, Amour cumule les défauts qui sont prêtés à Faux Semblant, de « maus traÿstres », de « lerres », de « parjurez » et de « trop desmesurez » justement251. La précision est intéressante : elle atteste la place de la mesure dans l’éthique de l’amour courtois personnifié par Amour et l’atteinte qu’y constitue Faux Semblant. Tout le paradoxe tient bien sûr au fait qu’il soit lui-même nommé responsable des excès, en professionnel qu’il peut prétendre représenter. Dans la dynamique juridique insufflée au discours d’Amour, une condition est posée à l’intégration de Faux Semblant. Il lui est demandé qu’il « ensaingnes », « en audiance », les clés de sa connaissance, par quelques « generaus ensaingnes252 ». Il est notable que l’enjeu soit de le « connoistre253 », selon la problématique épistémologique qu’incarne Faux Semblant. Amour souhaite ainsi libérer ses barons de toute « doutance » à l’égard du faux moine254. Tel est bien sûr le nœud du problème personnifié avec tant d’éclat par Faux Semblant. Cette seule tirade, qui clôture le mouvement d’irruption de Faux Semblant 280sur l’enjeu de le connaître pour le « grand sens » que l’on lui connaît, suffit à révéler la menace qu’il représente, comme symbole du vice de fausseté, mais plus largement de l’impossibilité épistémologique qu’il véhicule255. De manière tout aussi révélatrice, Amour introduit d’emblée des restrictions à sa demande, comme la formule « au mains » semble le sous-entendre256. Il paraît ainsi conscient autant des vices de Faux Semblant que de l’impossibilité d’obtenir sa présentation, et l’absence de doutance qu’elle offrirait. L’aide de Faux Semblant s’avère donc d’entrée de jeu aussi cruciale que sa non-fiabilité. On peut d’ailleurs noter qu’il se voit intégré à l’armée et aux stratégies d’Amour avant même qu’il ne livre la confession que lui demande Amour. Il lui accorde le pouvoir de réguler ses troupes à une condition qu’il sait d’emblée irréalisable ou peu s’en faut. Le rôle qu’il lui assigne révèle le jeu que Faux Semblant va mener autour de la tradition courtoise. En lui laissant ce contrôle, Amour démontre la nécessité de cette manipulation induite autour de ses préceptes édictés chez Guillaume de Lorris.
On constate en effet l’importance des allusions introduites, dans tout l’épisode Faux Semblant, à la première partie du Roman de la Rose. Loin de se contenter des parallèles établis avec la figure de Papelardie, Jean de Meun cultive surtout ceux que l’on peut percevoir avec Bel Semblant. Peter F. Dembowski pose comme hypothèse un lien d’opposition entre le Faux Semblant de Jean de Meun et le Bel Semblant de Guillaume de Lorris257. Nous souhaiterions donner plus de force à ce rapprochement, révélateur à nos yeux d’une tension inhérente à la tradition amoureuse et aux codes émotionnels. Tout comme le fera Faux Semblant, la cinquième des flèches décochées par Amour258 se caractérise par le réconfort qu’elle offre à l’Amant. Ce réconfort se veut d’ailleurs tout aussi ambigu que celui prodigué par Faux Semblant en tuant Malebouche, à la fois « douceur i a et amertume259 ». L’Amant reconnaît d’emblée le caractère « mout puissant » de cette ultime flèche d’Amour260. Il démontre ainsi l’importance accordée aux apparences, dont s’emparera ensuite Faux Semblant. Mais Jean de Meun profite surtout des échos à cette description 281dans la présentation donnée du pouvoir « tranchanz » de Bel Semblant, « com rasor d’acier261 », que nous retrouverons dans la propre manche de Faux Semblant262 et bientôt sous la gorge de Malebouche bien sûr. La transition du Bel au Faux Semblant n’en est que plus explicite. De manière intéressante, l’effet du rasoir est compensé, dans le cas de Bel Semblant, par celui d’un « oignement » dans lequel Amour a plongé la pointe263. Or, cet oignement paraît lui aussi trouver écho dans le jus d’oignons que l’Ami recommande à l’Amant pour mieux convaincre de sa tristesse264. Surtout, il semble fonder le besoin d’apparences avenantes, même si seulement dissimulatrices, de Faux Semblant. Tout comme Bel Semblant, Faux Semblant entoure sa menace et la douleur qu’il peut occasionner du manteau réconfortant de moine. Tout le paradoxe de Bel Semblant est présenté de manière explicite au gré d’une double rime entre le caractère tranchant de sa « pointe » et la « ointure » qui vient le relativiser265. Il s’immisce ensuite dans le rythme même, par un double parallélisme qui met en lumière la distinction entre l’un et l’autre : « d’une part oint, d’autre part cuit, / einssi m’aide, einssi me nuit266 ». La définition même de la flèche paraît fondée sur cet entremêlement de la douleur et du confort. On nous présente sa « costume » dans une perspective avant tout émotionnelle, elle qui est à la fois à la source de la douceur et de l’amertume dans le cœur de l’Amant267. La concentration sur son cœur est d’ailleurs soulignée pour les plaies qui lui rendent « le cuer […] toz falliz268 ». Quelle que soit l’efficacité de l’oignement, la douleur subsiste et se marque donc directement sur les traits de l’Amant. Elle lui fait même « muer la color », un indice crucial de la « dolor », comme la rime le révèle269, mais surtout selon une association courante dans la tradition amoureuse270. Ce double effet paradoxal de Bel Semblant est ainsi à la fois la garantie de la persévérance et de la sincérité de l’amour. On perçoit combien le Bel Semblant de Guillaume de Lorris reste inscrit 282dans une logique respectueuse de l’éthique amoureuse. Si Jean de Meun construit les personnages de Faux Semblant et de l’Ami en écho à celui-ci pour mettre en lumière les dérives qui peuvent l’entourer, il reste ici une incarnation parfaite de la nécessité des apparences flatteuses en accord avec les recommandations courtoises.
Jean Batany assure d’ailleurs que Guillaume de Lorris n’envisage pas un instant un personnage tel que Faux Semblant271. La première partie du Roman de la Rose prône seulement la dissimulation, en accord avec la loi du secret et du beau semblant qui en découle dans la tradition amoureuse courtoise272. L’exposé des commandements d’Amour ne fait pas l’impasse sur cette règle fondamentale de la fin’amor. Amour insiste, dans son évocation des difficultés auxquelles les amants peuvent être confrontés, sur l’impératif de ne pas permettre d’« aparcevoir / le mal dont tu es angoisseus273 ». Il recommande de « partir des genz », de rester « touz seus » et de, dans ce cas seulement, laisser exprimer les « soupirs et plaintes, / friçons et autres dolors maintes274 ». La seule pensée de l’amour peut suffire à ébranler l’amant sincère – Amour revient d’ailleurs peu après sur ce critère décisif de la vérité de l’investissement émotionnel – qui doit néanmoins veiller à garder secret son émoi. La dynamique bienséante est révélée par le verbe « convenra » et par la formule « par estovoir » par lesquels Amour amorce ses conseils275. L’impératif touche directement, comme le signale la rime entre estovoir et aparcevoir, aux apparences. Il n’est pas question de maîtrise de l’émotion, mais seulement des signes qui en sont offerts. L’Amant n’est pas incité à les contrôler, mais, bien plus encore, à se dissimuler lui tout entier. L’angoisse ne peut rimer qu’avec la solitude dans laquelle elle peut alors s’exprimer276, selon une opposition nette entre l’attitude émotionnelle permise en public et celle qui relève de la sphère privée, intime même. On constate cependant l’importance accordée aux signes émotionnels : l’amant paraît submergé par l’angoisse qui l’étreint, source de soupirs, de plaintes et même de friçons, dans une accumulation de symptômes 283propres à l’intensité du mal d’amour. Ceux-ci doivent dans ce sens d’autant plus rester cachés. Il s’agit là d’une injonction commune aux arts d’aimer fondés sur le modèle ovidien avec lequel Guillaume de Lorris compose à son tour. C’est également dans ce cadre qu’il prône le bel semblant que l’amant doit afficher quel que soit le mal qui l’atteint. Au-delà du souvenir de l’amour qui peut frapper l’amant277, Amour insiste sur celui que l’amant doit garder « d’anvoisseüre maintenir278 », dans une dynamique bienséante explicite. Loin des soupirs et frissons, il convient qu’il « a joie et a deduit [s]’atorne279 ». Toute l’ambiguïté de cette prescription est révélée dans la formule « c’est maladie mout cortoise280 » : peu importe la douleur qu’il suscite, l’amour ne peut se départir de la courtoisie qui lui est propre. À la manière de la flèche de Bel Semblant – selon un rapprochement intéressant d’ailleurs –, l’amant est à la fois transpercé par l’amour et animé par son indispensable bienséance. La rime le souligne : l’éthique courtoise ne peut correspondre qu’au fait que l’amant s’« envoise281 ». Le dédain d’Amour pour l’« ome morne282 » est révélateur de l’incompatibilité de la souffrance, du moins celle manifestée, avec la fin’amor. On perçoit combien Guillaume de Lorris investit la problématique des apparences émotionnelles, conformément aux canons de l’éthique amoureuse courtoise. Nous avons noté la concentration, notamment au gré des portraits dressés des Images du Mur, sur les apparences283, elle se réactive de manière essentielle au fil des commandements d’Amour. L’importance qu’il accorde à la discrétion amoureuse et au maintien des apparences se voit ensuite personnifiée avec le personnage de Bien Celer. Il permet une incarnation exemplaire de la dynamique courtoise propre au Roman de la Rose284, que Jean de Meun remodèle pour en révéler toutes les dérives. Il y revient lors du combat final qui oppose l’armée d’Amour aux défenseurs du château de Jalousie, avec la confrontation de Honte et Pitié, épaulée par Plaisir et Bien Celer :
284Bien celer fu mout bons guerriers,
Sages et veziez terriers,
En sa main une coie espée
Ausi com de langue coupée.
Si la brandist sanz faire noise,
Qu’en ne l’oïst pas d’une toise,
Qu’el ne rent son ne rebondie,
Ja si fort ne sera brandie.
Ses escuz ert en lieu repost
– Onques geline en tel ne post –
Bordé de seüres alees
Et de revenues celees285.
Au-delà des qualificatifs usuels de la dissimulation comme relevant de la sagesse, on découvre à la main de Bien Celer une coie espée qui n’est pas sans rappeler le propre rasoir de Faux Semblant, a fortiori par l’évocation de la langue coupée286. L’intégration de Faux Semblant dans la tradition courtoise en paraît renforcée, lui qui inspire l’arme de Bien Celer autant que Bel Semblant avait inspiré la sienne. On trouve ainsi confirmation de la véritable transition opérée par Faux Semblant de la dissimulation à la simulation. Ce faisant, la dissimulation que Bien Celer incarne se voit connotée bien plus négativement que ce que l’on pouvait lire au sein des arts d’aimer traditionnels. Elle lui permet en effet une attaque sournoise, rendue efficace par sa discrétion, loin de celle qui vise seulement la préservation de l’amour.
On perçoit l’ampleur du jeu mené par Jean de Meun sur la tradition amoureuse. Il affirme dans ce sens l’ambition de son œuvre. Il entend livrer un « Miroer aus amoureus287 », à la manière de son prédécesseur qui présentait le titre du Roman de la Rose « ou l’art d’amours est toute enclose288 ». Il veille d’ailleurs à démontrer l’influence exercée sur son œuvre par l’art d’aimer ovidien et ses adaptations médiévales289. L’inscription de Jean de Meun dans la tradition amoureuse gagne en 285importance en se prêtant ainsi aux enjeux de son écriture. C’est peut-être dans ce sens que l’on peut comprendre la tension qu’il explore entre l’idéal de sincérité et celui de bienséance comme relevant de l’art poétique dans son ensemble au-delà de celui de l’amour. Il s’agit là d’une opposition commune aux arts d’aimer médiévaux. Leurs auteurs se heurtent en effet au problème de la sincérité et de sa preuve, au contraire de leurs prédécesseurs antiques qui privilégiaient l’habileté de l’éloquence290. Jean de Meun, dans la réflexion qu’il porte sur le processus d’écriture fictionnelle, exacerbe cette tension en mêlant celle qui pèse sur l’expression amoureuse et celle dont il entoure son écriture. Il témoigne de toute la portée de l’influence ovidienne dans sa volonté de synthétiser le savoir amoureux dans son Miroer. Notons, au rang des indices de l’influence ovidienne, le souci de mêler les points de vue masculin et féminin291, tel que Jean de Meun veille à le faire en intégrant le discours de la Vieille après celui de l’Ami. Tout comme les autres arts d’aimer médiévaux, l’œuvre de Jean de Meun présuppose un projet didactique explicite, affirmé au gré de trois volets d’enseignements, respectivement portés par Raison, la triade trompeuse, puis Nature et Génius292. Son projet se conçoit en outre à la lumière des problèmes moraux que l’amour pose à l’idéologie chrétienne, de la même manière que chez André le Chapelain293. Il favorise dans ce sens l’amitié dans le discours de Raison, selon les modèles offerts à ce niveau par Cicéron ou Aelred de Rievaulx ensuite294. Et, tout comme André le Chapelain, il souhaite présenter une grande diversité de situations liées à la relation amoureuse, qu’il tourne pour sa part à la négative comme pour mieux démontrer la calamité de l’amour295. Jean de Meun se distingue en effet aussi à de 286nombreux niveaux du modèle d’André le Chapelain ou de son traducteur Drouart la Vache. Il réintroduit dans ce sens la distinction entre l’Amant et le Maître et libère ainsi des contraintes le servant d’amour dans l’exposé qui en est offert296. Surtout, il développe et paraît même soutenir le jeu des clercs séducteurs contesté par Drouart la Vache297. C’est dans ce jeu de reprise détournée et d’influence sans cesse remise en question que semble se situer le cœur du projet de Jean de Meun. Il souhaite porter un regard lucide et ironique sur le modèle amoureux courtois298. Il conteste le modèle du rêve d’amour comme source de bonheur au profit d’un bonheur contemplatif, à l’instar de celui défendu par Thomas d’Aquin299. Hermann Kleber interprète dans ce sens le rapport d’opposition qui marquerait la continuation de Jean de Meun : « L’intention foncière de Jean de Meun se trouve avant tout dans une ironie polémique qui fait de la continuation narrative la réfutation réelle de l’œuvre de son devancier300 ». Ce sont donc les implications émotionnelles de la relation, et de la fiction, amoureuse qu’il cherche à repenser, en dédiant une part importante de sa réflexion aux apparences. Essentiel dans la première partie du roman, le rapport de continuité entre intérieur et extérieur éclate chez Jean de Meun301. Il touche ainsi à une problématique centrale de l’éthique amoureuse, comme l’exposé des commandements d’Amour chez Guillaume de Lorris l’atteste encore. Bien que volontiers caractérisé par son intensité, l’amour doit s’entourer de la modération indispensable à l’ensemble de la morale chrétienne302. Nous l’avons vu, il se caractérise par un contraste impératif entre 287intérieur et extérieur303. La loi d’amour se fait ainsi école de maîtrise de soi304, jusqu’à accorder plus d’importance aux apparences qu’aux émotions, dans un véritable univers d’illusions305. L’éthique amoureuse fonde ses leçons sur un système de signes séparables de l’émotion authentique, qui substituent les signes naturels par des signes conventionnels306. La loi du secret qui anime ce souci de manipulation des signes amoureux s’accompagne cependant d’une réflexion importante sur la sincérité, elle aussi revendiquée dans l’éthique amoureuse307. La place exacte conférée à la tromperie dans les jeux de séduction se voit souvent interrogée, notamment au gré de jeux partis qui mettent en scène la décision entre la ruse et l’honnêteté des amants308. Une tradition critique importante se développe dans ce contexte à l’encontre des faux amants. Le Roman de la Rose s’en fait d’ailleurs l’écho sous la plume de Guillaume de Lorris qui dénonce, au gré du discours d’Amour, les faux « homages » qui lui sont rendus309. Amour martèle la condamnation de la rupture entre les hommages reçus et ses attentes « deceüz310 ». De manière intéressante, sa diatribe à l’encontre des « faus amant » s’arrête sur les signes qu’ils sont si prompts à manipuler pour feindre l’amour311. Avec emphase, il qualifie ces « angingneor » de « traïtor felon mortel » pour les accuser de rompre le rapport de transparence indispensable entre leurs paroles et leurs pensées312. Ils se distinguent des vrais amants surtout par le fait qu’ils puissent « sans paor » vanter leur amour. L’investissement émotionnel se fait donc critère de choix dans la réflexion menée sur les signes amoureux. Amour poursuit cette comparaison en identifiant les imposteurs selon leur poids. Il définit en tout cas les vrais amants comme nécessairement amaigris et pâles, une manifestation plus difficilement simulée par les hypocrites313. Notons cependant que cette pâleur et cette apparence faiblarde se retrouveront justement chez Faux Semblant et 288sa compagne, dans une belle démonstration de la manipulation totale des signes qu’ils manifestent. Chez Guillaume de Lorris, une telle répartition du discours porté sur les signes de l’amour révèle une distinction nette entre les jeux de dissimulation ou de simulation. D’un côté, on retrouve les figures de Bien Celer et de Bel Semblant, les injonctions d’Amour au secret, de l’autre la condamnation des faux amants caractérisés par leur aisance à manipuler les apparences amoureuses. Bien sûr, Jean de Meun la mettra bien plus en avant lui-même. Ce qui émerge surtout ici, c’est l’importance conférée aux apparences, selon une ambiguïté inhérente, dictée par la crainte des losengiers. Les grands ennemis des amants inspirent le souci de préservation recommandé aux amants. Dès la présentation des danseurs de la Carole, Guillaume de Lorris insiste sur la menace de ces « curieus / de desprisier et de blasmer », qui s’opposent et menacent « touz qui font mieulz a amer314 », selon une distinction intéressante, parallèle à celle entre vrais et faux amants, entre amants et médisants. Cette description des flatteurs hypocrites qui écument la cour de Richesse joue aussi de l’opposition, fréquente dans la mise en scène des jeux émotionnels, entre devant et derrière. Nulle rupture entre cœur et apparence ici, toute la manipulation réside dans la parole, flatteuse « par devant », diffamatoire « par desrier315 ». Le renversement s’opère selon que la parole « oigne » ou « poigne316 », dans un parallèle intéressant avec la description à venir de Bel Semblant317. Le jeu sur les apparences livrées par devant est ainsi on ne peut plus clair, tout comme leur ambiguïté. Certes, l’intention n’est pas la même, et c’est là que réside toute la nuance : le Bel Semblant cherche à encourager l’amant, au contraire du « losengier » qui ne cherche qu’à l’« abesser318 ». Par un effet sonore bien mis en exergue, le danger incarné par les losengiers est souligné : ils portent atteinte, « jusques a l’os », au « los319 », central dans la société médiévale de l’honneur. Le spectre des losengiers se fait plus intimidant encore sous la figure de Malebouche, qui fait peu après son apparition :
289Male bouche qui le covine
A mainz amans pense et devine,
Et tout le mal qu’il set retret,
Se print garde dou bel atret
Que bel acueil me daignoit faire,
Et tant que il ne se pot taire,
Qu’il fu filz d’une vieille ireuse,
Si ot la langue mout pugnese
Et mout poignant et mout amere,
Et bien retraoit a sa mere320.
Ce premier portrait de celui qui deviendra l’opposant principal de l’Amant rassemble tous les enjeux de la médisance. Le losengier personnifié menace les amants par sa lucidité quant à leurs pensées supposées secrètes. Ses mauvaises intentions sont bien indiquées : il se concentre sur le mal, sa langue est qualifiée de pugnese, et même de poignant et d’amere. À l’instar des losengiers de la cour de Richesse, Malebouche se caractérise donc par un usage abusif de la parole. Son nom même l’indique, et cette description confirme l’importance conférée à sa langue traîtresse. Une fois de plus, l’adjectif poignant offre un écho à la description des losengiers, mais aussi de Bel Semblant. Tout le problème de Malebouche réside dans le fait qu’il setle mal, mais qu’il ne se pot taire. On retrouve ainsi déjà les enjeux cognitifs incarnés par Faux Semblant, dont on ne peut rien connaistre et qui ne peut rien révéler. D’ailleurs, la connaissance de Malebouche se veut en outre dissimulée, à la manière des losengiers manipulateurs. Il garde le savoir en retret, ce qui inspire le contraste avec Bel Accueil et son atret envers l’Amant. Le rapport d’opposition entre Malebouche et l’Amant se marque ainsi déjà, avant de se cristalliser à la toute fin de la partie de Guillaume de Lorris. Il achève en effet sa narration sur l’érection du château de Jalousie, informée par Malebouche de cet atret de Bel Accueil. L’Ami avait déjà eu à cœur de mettre l’Amant en garde contre les méfaits de Malebouche321, mais ses conseils paraissent insuffisants à évacuer la menace du losengier. C’est ainsi que Faux Semblant entre en scène et, surtout, que son intervention se voit justifiée. Sa confrontation avec Malebouche, avec toute la violence qu’elle implique, se veut à la hauteur de la malignité et de la menace du médisant.
290Les intentions des pseudo-pèlerins transparaissent déjà dans la description fournie de leurs préparatifs. Le danger qu’ils recèlent se manifeste notamment de manière concrète dans le rasoir dissimulé dans la manche du manteau de Faux Semblant322. Mais ils incarnent surtout la menace de la mélecture, de l’interprétation difficile des signes brouillés par leur prétendue dévotion affichée dans l’habit de pèlerin. Jean de Meun dédie une part importante de sa réflexion à l’exercice herméneutique et à la dénonciation de la manipulation des indices nécessaires à cette fin, dans la sphère émotionnelle surtout, inaccessible si ce n’est par les apparences qui en sont offertes. C’est sur cette problématique qu’il se concentre à l’arrivée de Faux Semblant et d’Abstinence Contrainte auprès de Malebouche. Tout comme lors de la description des Images du Mur323, l’attention se porte aussitôt sur les apparences, sur la manière dont les pèlerins « se contienent324 ». La répétition de la formule « mout humblement » met en scène, avec une emphase ironique révélatrice de leur fausseté, l’attitude émotionnelle conforme au pèlerinage qu’ils sont supposés avoir entrepris325. Elle induit d’emblée Malebouche en erreur :
Astinance premierement
Le salue et de lui va pres ;
Faus samblant le salue aprés
Et cil euls, mais il ne se mut
Qu’il nes douta ne ne cremut,
Car quant les ot veüz ou vis
Bien les connut, ce li fu vis,
Qu’il connoissoit bien astinance,
Mais n’i sot point de contraignance :
Ne savoit pas que fust contrainte
La larronnesse vieille fainte,
Ainz cuidoit qu’el venist de gré ;
Mais el venoit d’autre degré !
Et s’ele de gré commença,
Failli le gré des lors en ça.
291Samblant ravoit il bien veü
Mais faus ne l’avoit conneü.
Faus ert il, mais de fausseté
Ne l’eüst il jamais reté
Car li samblanz si fort ouvroit
Que la fausseté li couvroit326.
Aux saluts d’Abstinence Contrainte (seulement nommée Abstinence, de manière significative) et de Faux Semblant, le médisant répond sans inquiétude. Son absence de crainte paraît correspondre à l’absence d’orgueil manifestée par les deux pèlerins sous leurs dehors d’humilité. L’erreur de son interprétation est ainsi mise en lumière par ce parallèle avec une émotion seulement feinte. Comme lors de la présentation de Faux Semblant, l’enjeu réside dans la connaissance, rendue impossible ici. Elle reste inaccessible et tronquée, car fondée sur la seule apparence, sur la vue et leur vis si minutieusement composé. Les verbes cognitifs abondent dans ce passage et viennent s’opposer à celui de la vue. La rime veü-conneü employée pour présenter la faute d’interprétation du personnage de Faux Semblant révèle la rupture induite par cette manipulation des apparences émotionnelles. La répétition du verbe savoir vient s’opposer et contrecarrer celle du verbe connaître employé seulement pour déterminer la lecture du vis ou l’impression de Malebouche. S’il est capable d’identifier l’abstinence, il échoue à percevoir son caractère contraint, tel que la rime qui décompose son nom entre abstinance et contraignance le souligne. Une anaphore sur le gré qu’elle paraît manifester met en exergue ce caractère forcé et les intentions en réalité bien moins louables d’Abstinence Contrainte. La rime de gré-degré témoigne de cette mise en lumière de l’état d’esprit tout autre de la fausse béguine. Ce jeu sur sa contraignance paraît révéler la nature forcément imposée et affectée des attitudes dévotes telles que l’abstinence ou l’humilité. Cette leçon fait en tout cas écho à celle dispensée par Faux Semblant au fil de son autodéfinition mise au service d’une dénonciation haute en couleurs de la fausseté des apparences de l’investissement émotionnel religieux. Malebouche commet d’ailleurs la même erreur de lecture à l’endroit de Faux Semblant, berné par la qualité de son samblanz. Tout comme dans le cas d’Abstinence Contrainte, les adverbes adversatifs abondent pour 292souligner la naïveté de Malebouche. L’utilité du samblanz est précisée : elle sert à couvrir la fausseté qui détermine bien plus Faux Semblant que son seul semblant identifié par Malebouche. Le choix de ce verbe est intéressant, il atteste ce double jeu que Faux Semblant incarne en dissimulant sa simulation. La couverture relève de l’exigence de contrôle, voire de dissimulation, souvent requise sur la scène sociale. Elle est ici détournée au profit d’une dissimulation des plus malhonnêtes puisqu’elle cache non pas une tristesse peu séante, mais la fausseté même. Au contraire de Bien Celer qui couvre courtoisement l’amour derrière un air indifférent, Faux Semblant camoufle son vice sous des dehors fiables. C’est ainsi qu’il parvient à s’infiltrer dans les rangs d’Amour et à tromper Malebouche. L’insistance démontrée encore à ce stade de la narration sur le rapprochement de Faux Semblant et des Ordres Mendiants sert à exacerber le danger de mésinterprétation des signes trop aisément manipulés. C’est ainsi que cette nouvelle digression autour du vice des Jacobins se conclut sur la nécessité de détecter leur « duplicité327 ». Cela requiert cependant une « soutillité328 » qui dépasse Malebouche. Sa mésinterprétation des deux pèlerins place tout l’épisode sous le signe de l’exercice de lecture émotionnelle. L’accumulation des indices offerts des traits trompeurs des deux pèlerins éclaire la naïveté du médisant, mais aussi leur destinataire sous-entendu, le lecteur lui-même, dans un nouveau jeu sur le double niveau de compréhension possible des aventures du faux moine. La propre incompréhension de Malebouche préfigure surtout son échec et sa mort329. Celle-ci survient à l’issue d’un véritable parcours d’introspection, à la manière de la pénitence que se contentent de mimer Faux Semblant et sa compagne au gré de leur pèlerinage feint. L’exercice débute par une tentative de prise de conscience du vice incarné par Malebouche, menée par Abstinence Contrainte. Elle promet en effet, en échange de « l’ostel » qu’ils viennent demander, un « bon sermon330 ». Celui-ci se concentre aussitôt sur le défaut de la médisance et, par contraste, sur « la vertu premeraine » de « la langue refrener331 ». Le propos se veut d’emblée orienté, trop d’ailleurs pour ne pas percevoir la manipulation induite dans 293cette condamnation de la médisance. À la manière de Faux Semblant qui usait si habilement des références aux Écritures, Abstinence Contrainte déploie son sermon dans une accusation conforme aux canons du genre. L’identification de la vertu premeraine au fait de refrener la langue paraît néanmoins relever d’une interprétation propre à Abstinence Contrainte et à son souhait de condamner la médisance. De manière intéressante, le « pechiez » ne touche pas seulement à celui qui médit, mais aussi à celui qui « l’escoute332 ». On perçoit ainsi le souci de décrier dans son ensemble l’atteinte au secret d’amour, par celui qui le dévoile et par celui qui y contribue en en prenant ainsi connaissance. L’écoute incriminée rime avec l’absence de peur de Dieu, défaut indéniable du bon chrétien. Il est ainsi encore question de l’investissement émotionnel, manquant quand il n’est pas joué. L’accusation d’Abstinence Contrainte se précise aussitôt : l’occasion d’en revenir au cœur du récit. Elle revient en effet sur le tort causé à l’Amant, à la base de toute cette stratégie développée par les barons d’Amour333. Sa critique de la « fole loquence » de Malebouche s’appuie sur une mise en lumière des dénonciations parfois abusives des médisants, fondées sur « chose qui n’a point de preuve / Fors d’aparence et de contreuve334 ». Abstinence Contrainte en profite pour faire une révélation forcément ironique dans ce contexte : « Dire vous os tout en apert / Qu’il n’ert pas voirs quanqu’il apert335 ». Elle n’hésite pas à dévoiler la clé de lecture de son personnage et de son compagnon. Elle souligne surtout la faute de Malebouche et lie son péché à sa conséquence : sa mort à venir s’associe à son incapacité à dépasser les apparences et à distinguer le vrai du faux. La rime en apert laisse transparaître toute l’ironie de cet aveu essentiel, mais incompris. La rupture entre vérité et apparence est ce faisant formalisée. Mais elle ne suffira pas à alerter Malebouche quant à la véritable identité de ses confesseurs. La condamnation du vice de Malebouche se couple ainsi à son incapacité à lire les signes, ceux qu’il dévoile à tort et à travers ou ceux qui lui seront fatals. Son exemple sert de base à la leçon, en filigrane, de l’importance pour le lecteur de dépasser le niveau de la couverture336.
294Faux Semblant poursuit cette mise en lumière des indices trompeurs, au rang desquels les apparences sont ainsi élevées, en détournant également les moyens de conviction dont ils usent pour amener sa confession à sa fin. Il prend le pas sur les accusations de sa compagne, insuffisantes à conduire Malebouche à la pénitence et à la confession. La confrontation se déroule ainsi en deux temps337, dédoublés dans ce second mouvement entrepris dans la révélation des techniques trompeuses, du semblant et de la parole. Pour faire avouer à Malebouche le tort qu’il a eu d’accuser l’Amant, Faux Semblant se sert des raisonnements syllogistiques dont il avait souligné la nature fallacieuse lors de son échange avec Amour. Il conclut son intervention dans ce sens pour indiquer à Malebouche qu’elle a « la mort d’enfer bien desservie338 » :
Faus samblant ainsi le li prueve.
Cil ne set respondre la prueve
Et voit toutevois aparance.
Pres qu’il ne chiet en repentance
Et leur dist :
(male bouche) « Par Dieu, bien puet estre.
Samblant, je vous tieng a bon mestre
Et astinance mout a sage.
Bien samblez estre d’un corage.
Que me loez vous que je face339 ? »
La répétition du champ sémantique de la prueve signale en réalité son absence, dont il ne subsiste que l’aparence, opposées dans l’avertissement d’Abstinence Contrainte340. On retrouve la logique uniquement visuelle et extérieure qui conditionne la compréhension par Malebouche de Faux Semblant et de sa compagne. Le règne des apparences marque son apogée, puisqu’elles permettent la repetance recherchée par les deux confesseurs. Par le biais d’un raisonnement à la négative fondée sur les seules apparences visuelles – dans la lignée du propre discours d’Abstinence Contrainte – et langagières, Faux Semblant parvient à convaincre Malebouche de l’innocence de l’Amant341. Toute l’ironie tient 295bien sûr au fait qu’il avait démontré au préalable la teneur frauduleuse d’un tel raisonnement342. Il offre ainsi une illustration éclatante de la rhétorique fallacieuse du De Sophisticis Elenchis. La vérité qu’il fait émerger est tronquée par le syllogisme, d’une forme irrégulière qui le rapproche même du sophisme : correct sur le plan formel, il ne peut l’être sur celui du contenu343. Faux Semblant brouille ainsi l’ensemble des dynamiques argumentatives. Il ne conduit qu’à une aparence de vérité, que cela soit par son détournement de l’habit ou par cet usage frauduleux de la rhétorique confessionnelle. Malebouche est donc victime des apparences qui lui font prendre Faux Semblant pour un vrai Frère, pour seulement Samblant comme elle le dénomme ici, et son argumentation comme valide344. La conclusion de ce pseudo-sermon vise à dénoncer le traitement abusif des « gent » tels que l’Amant. L’action de Malebouche y est connotée négativement comme excessive par l’adverbe « outreement345 », qui porte une fois de plus l’idéal de bienséance et de juste mesure manipulé par Faux Semblant à ses fins, et par la nature de son a-sservissement. Le sermon se veut formel : Malebouche mérite la mort d’enfer. Il témoigne de la dépréciation du vice de médisance, au-delà des critiques apportées par les deux pseudo-confesseurs, mais surtout annonce l’assassinat de Malebouche. On peut bien sûr y lire aussi une condamnation d’une rhétorique abusive de la part des confesseurs, adeptes des formules toutes faites et des jugements excessifs, surtout de la part des Frères Mendiants personnifiés par Faux Semblant. Cette rhétorique permet en tout cas de convaincre le losengier. Son adhésion au sermon du faux moine se veut néanmoins nuancée : cela puet bien être le cas. La narration semble ainsi révéler, par cette apparence seulement de preuve et la possibilité seulement qu’elle soit correcte, l’erreur de Malebouche, tout comme elle insistait sur celle, répétée ici d’ailleurs, commise dans l’identification des deux pseudo-pèlerins. La qualification 296de Faux Semblant comme bon mestre peut constituer un nouvel écho à la querelle universitaire. Elle témoigne surtout de la ruse de sa position : ce n’est que délesté de son étiquette de fausseté qu’il connaît ce type de valorisation. Ici aussi, les nuances sont éloquentes : Faux Semblant n’est pas directement qualifié de mestre et Abstinence Contrainte de sage, c’est Malebouche qui les tient ainsi. La narration prend ses distances avec son constat. Malebouche souligne également l’importance, pour le convaincre, de l’accord des deux confesseurs. Même celui-ci semble néanmoins dépendre des apparences, puisqu’ils lui samblent être d’un même avis. Le corage peut aussi dénoter une certaine ironie. Il est en effet intéressant que le point de vue de Faux Semblant et sa compagne soit présenté comme relevant de leur corage, eux qui n’en dévoilent jamais rien derrière leur apparence trompeuse. Cette conclusion et cette adhésion bancales suffisent cependant à livrer Malebouche à la volonté de ses confesseurs. La repentance étant atteinte, ils passent à l’exercice de confession, selon cette pratique centrale dans la vie dévotionnelle, mais aussi dans le conflit qui anime l’Université de Paris. Dans une parfaite mise en scène du rituel de la confession, Faux Semblant exige que le péché soit avoué pour être formalisé et laisser place au repentir qui doit être exprimé346. Il prend néanmoins la forme d’une condamnation davantage que d’une invitation au repentir. La formule « en ceste place » évoque en effet davantage les lieux de châtiment que d’absolution347. Une fois de plus, Faux Semblant joue donc des effets d’annonce du sort qui sera celui de Malebouche. Comme auparavant, Faux Semblant profite de son sermon à Malebouche pour réactiver l’ensemble de la critique qu’il a portée au gré de son échange avec Amour sur les faux confesseurs348. Il entremêle l’ensemble des griefs à l’encontre des Ordres Mendiants, leur droit de confesser et d’enseigner. La menace qu’ils incarnent est renforcée par son étendue, eux qui ont « de tout le monde la cure », mais aussi par l’allusion qu’elle induit à la fin des temps qui leur est souvent associée349. La formule « com li mondes dure » peut en effet renvoyer aussi bien à sa dimension géographique que temporelle. L’une comme l’autre animaient la dénonciation du danger que constitue la montée des 297Ordres Mendiants, eux qui diffusent l’hypocrisie partout autour d’eux et se font indices de l’imminence de l’Apocalypse. Les effets d’annonce sont suffisants : c’est sa mort que Malebouche précipite en acceptant de se confesser. Jean Batany a mis en exergue la symbolique de ce sacrement débattu dans la mise à mort de Malebouche :
Mais Malebouche ne peut rien contre la duplicité : Faux Semblant le met à mort, et achève ainsi le passage à la guilt culture, où chacun est responsable devant sa propre conscience, et avoue dans le secret du confessionnal ses fautes commises elles aussi dans le secret, l’intention étant maintenant l’élément capital de la faute. Jean de Meun représente admirablement ce passage : Malebouche se confesse, fait paradoxal qui ne peut le conduire qu’à la mort, la confession privée relevant d’un autre univers moral que la médisance350.
Ce qui se joue ici, c’est l’opposition entre la sphère intime, que les médisants violent, et la sphère publique, qu’ils exploitent de manière excessive. Quant à l’intention, critère essentiel de cette nouvelle culture de la faute, Faux Semblant en a dénoncé la nature pernicieuse dans le cas de Malebouche qui agit pour le seul plaisir de nuire aux pauvres amants. L’instance émotionnelle paraît posée au cœur de cette réflexion, selon son investissement, son intention, mais surtout les apparences qui en sont offertes ou non, puisque toute la pratique pénitentielle en dépend. Mais quel que soit son repentir, Malebouche ne peut prétendre à l’absolution, seulement à la mort, tel que le soulignait Jean Batany :
Male bouche tantost s’abesse,
Si s’agenoille et se confesse,
Car veroiz repentanz ja ert.
Et cil par la gorge l’aert :
A .ij. poinz l’estraint, si l’estrangle ;
Si li a tolue sa jangle.
La langue a son rasoir li oste.
Ainsi chevirent de leur oste.
Puis le tumbent en .i. fossé,
Ne l’ont autrement enossé.
Sanz deffence la porte quassent.
Quassee l’ont, outre s’en passent,
Si trouvent laienz dormanz
Trestouz les soudoiers normanz
Qu’il orent beü a guersai
298Dou vin que je pas ne versai :
Euls meïsmes l’orent versé
Tant que tuit jurent enversé.
Yvres en dormant les estranglent :
Ja ne seront mais tel qu’il janglent351 !
Le mouvement descendant de Malebouche, signe requis de la confession, marque aussi de manière très symbolique son assujettissement à Faux Semblant. Au contraire de Faux Semblant qui brouille constamment les signes qu’il manifeste, Malebouche les investit avec respect et sincérité. Malebouche manifeste un véritable repentir, se convainc réellement du tort qu’il a commis en maltraitant l’Amant. Or, si l’on se fie à l’issue du roman, Malebouche avait en réalité raison : les intentions de l’Amant s’avèrent tout aussi ambigües qu’il les avait dénoncées. La nuance saute aux yeux avec Faux Semblant et Abstinence Contrainte qui se contentent de simuler le pèlerinage. Non content de jouer avec les signes de l’investissement dévotionnel, Faux Semblant fait preuve de toute sa perfidie en profitant de la contrition de Malebouche pour l’assassiner. La rime entre la présentation du repentir du médisant et le geste meurtrier de son prétendu confesseur est significative. Selon la loi du talion que cultivent les Psychomachies, Malebouche est vaincu par là où il a péché : les organes de sa parole déviante. La rime le révèle : Faux Semblant l’etrangle pour faire cesser sa jangle. On la retrouve d’ailleurs en fin de passage comme pour confirmer la nécessité de punir par la source même de la faute. Les actions se succèdent avec une grande rapidité après ces longues palabres, la répétition de l’adverbe si en témoigne, tout en indiquant ce lien de cause à effet entre le discours médisant de Malebouche et son assassinat. Le récit prend ici une dimension épique dans le tableau de ce meurtre nécessaire, qui permet et signe le début du siège du château de Jalousie. Mais Faux Semblant ne s’arrête pas à l’étranglement. Il lui tranche également la langue du rasoir qu’il avait dissimulé dans sa manche. Le lien avec l’usage pernicieux du raisonnement rhétorique est ainsi conforté : Malebouche est mort, pris au piège du syllogisme de Faux Semblant. Cet acte brutal témoigne d’une cruauté indéniable, marquée par son caractère gratuit352. Mais il symbolise aussi un geste 299de raffinement symbolique supplémentaire353. Il permet de confirmer le danger de ce rasoir, fait emblème de la duplicité de Faux Semblant et métaphore du discours fatal qu’il a servi au médisant. Toujours selon la loi du talion ainsi dédoublée, Malebouche meurt donc sous le coup du symbole des mauvaises langues que le rasoir représente déjà dans les Psaumes (52:4)354. Surtout, ce coup de rasoir marque le coup définitif porté à la médisance. On perçoit le lien avec le sermon d’Abstinence Contrainte sur le silence à préserver autour du secret de l’amour en particulier355. On peut néanmoins comprendre cette mise sous silence d’un autre point de vue. Elle peut indiquer le rejet définitif de la vérité au profit de la fausseté ainsi dépeinte comme voie de succès de la quête amoureuse356. Cet acte de violence peut d’ailleurs faire écho à celui de la castration de Saturne. Il signalerait la fin d’un âge d’or et le début du règne de Vénus et de la ruse qui conditionnent la suite de la quête357. Le meurtre de Malebouche, mis en exergue par ce dédoublement de sa mise à mort, marque ainsi une étape essentielle dans la quête de l’Amant. La suite du passage le souligne : il ouvre la voie à l’invasion du château de Jalousie. La narration s’arrête encore sur la perfidie de Faux Semblant et d’Abstinence Contrainte à l’égard de leur hôte Malebouche, bien mal récompensé de son accueil. Sans aucune considération pour son corps ou pour le moindre signe d’investissement religieux dans le respect de la mort, ils le laissent tomber dans un fossé. Sur cette base, ils peuvent aisément briser la porte qui gardait le château. La répétition du verbe casser et sa proximité phonique avec l’action de la passer et de pénétrer dans le château révèle l’importance conférée à leur action, mais aussi la brutalité dont ils font encore preuve. Les défenses qu’ils trouvent au-delà de cette porte s’avèrent fort limitées : les seuls gardes présents sont endormis et ivres. Dans la ligne de dénonciation de la propre fausseté des médisants, ils sont qualifiés de normands, réputés pour leur ruse358. Leur état d’ivresse peut en outre révéler les excès dont ils seraient friands et leur goût pour les plaisirs mondains, à la manière de ceux dénoncés 300par Faux Semblant chez les Frères hypocrites. Les points de comparaison sont intéressants, ils jouent d’un entremêlement des univers critiques à l’encontre des hypocrites et des médisants, de Faux Semblant et de Malebouche. Surtout, ils justifient l’acte barbare de Faux Semblant, indispensable pour vaincre les médisants vaniteux et trompeurs. La leçon de tout cet épisode s’impose d’elle-même : la dérive langagière de Malebouche légitime celle plus grande encore de Faux Semblant. On constate un rapprochement de l’ensemble de ces condamnations qui donnent plus de poids à la brutalité de Faux Semblant, inscrite dans la dénonciation de la diffamation des losengiers, mais aussi dans la critique des Frères Mendiants et de leur usage détourné du raisonnement logique ou de la confession, et surtout dans la libération de Bel Accueil et ainsi dans la progression de la quête amoureuse359. Tous les échos au long discours que Faux Semblant livre au dieu Amour permettent de réactiver la réflexion induite autour de l’hypocrisie en général et de celle des Frères Mendiants en particulier. Son sermon à Malebouche propose une démonstration éclatante du danger du vice d’hypocrisie par le biais de cette confession biaisée. Il donne ainsi toute son ampleur à la critique qu’il livrait des faux religieux en la mettant au service du Miroer aus amoureus. Bien plus que de contaminer le sacrement de confession, c’est en effet l’armée entière du dieu Amour et l’idéologie qu’il incarne que Faux Semblant subvertit. Les retombées directes de cette pseudo-confession et du meurtre qui s’en suit touchent en effet au dieu Amour, à ses barons qui peuvent ainsi mener l’attaque du château de Jalousie et, bien sûr, à l’Amant qui peut sur cette base mener à bien sa quête. Notons à ce niveau le parallèle qui peut être perçu entre la propre posture de Faux Semblant, assujetti au dieu Amour, et celle de Malebouche qui l’est à lui dans cet épisode. Si Malebouche s’agenouille face au faux moine, c’est ainsi en réalité, par cet effet d’échos, face au rois des ribaus d’Amour qu’il s’incline. Cette fonction prend tout son sens à l’issue de cet épisode. Faux Semblant est chargé de réguler les instances disruptives de la sphère amoureuse. Il porte donc la condamnation de la plus grande d’entre elles, celle de la médisance, et livre sa sentence sans scrupules, armé des droits dont Amour l’a investi. La leçon qui 301émerge du sermon à Malebouche se veut donc multiple. De manière intéressante, Faux Semblant ne la livre pas aussi explicitement qu’il ne le fait pour sa dénonciation du vice des Frères Mendiants. Mais s’il est avant tout question de l’hypocrisie religieuse – celle qui détourne les signes dévotionnels au profit de ruses qui s’opposent à l’humilité qu’ils sont censés incarner, qui touchent donc au péché d’orgueil –, c’est finalement la fausseté immiscée dans la sphère amoureuse qui est mise en lumière. Au-delà des confirmations du vice du syllogisme ou de la confession conduite par un moine hypocrite, c’est la nécessité de la tromperie dans la conquête amoureuse que l’on trouve au cœur de cet épisode. On ne peut manquer l’ironie de cette révélation. Faux Semblant recourt en effet à toutes ces stratégies hypocrites, détaillées au fil de son échange avec Amour, pour être mieux condamnées, mais finalement érigées en armes utiles, voire indispensables à la conquête amoureuse. Plus encore, elles se voient valorisées par l’acceptation, bien consciente, d’Amour, formalisée par l’intégration de Faux Semblant parmi les siens.
En tuant Malebouche, Faux Semblant se contente en effet de remplir la mission qui lui a été confiée par les barons du dieu Amour. Son rôle, endossé avec tant de panache, était explicite dès l’irruption du faux moine. Nous l’avions souligné, Amour acceptait et reconnaissait l’utilité de Faux Semblant avant même qu’il ne pose comme condition la présentation exigée du faux moine360. Elle s’avère néanmoins nécessaire au plein accord d’Amour, finalement donné à l’issue de cette longue parenthèse que constitue l’autodéfinition de Faux Semblant. Amour doit quelque peu insister pour obtenir ce portrait ambigu, offert lui-même sous forme de confession. Ses barons ne faisaient pas preuve du même zèle, ils reconnaissaient d’emblée l’utilité de Faux Semblant intégré à leur plan avant même qu’Amour n’ait pu faire part de sa stupéfaction. Ils s’avéraient ainsi moins naïfs que le dieu Amour sur le caractère indispensable de l’aide fournie par cette incarnation de la fausseté361, non seulement religieuse, mais aussi amoureuse. On peut noter la tension dans la posture du dieu Amour, entre réticence et pleine acceptation. Il se veut plus prudent que ses barons, mais livre aussi son accord avant même la présentation de Faux Semblant, ce qui paraît annuler 302tout l’intérêt de cette tirade auto-définitoire, dans la diégèse tout au moins. De la même manière que les retombées des avertissements à Malebouche semblent annulées par son manque de lucidité, celles du dialogue avec Amour paraissent aussi concerner avant tout le lecteur extradiégétique. S’il complexifie la propre figure de lecteur d’Amour, le discours de Faux Semblant lui reste adressé avant tout pour la simple et bonne raison que c’est sa morale qu’il cherche à atteindre. L’influence exercée par Faux Semblant sur la sphère amoureuse est indubitable. Son intégration dans l’armée d’Amour est significative, mais c’est surtout le long dialogue qu’ils entretiennent l’un avec l’autre qui marque l’impact de Faux Semblant sur l’idéologie amoureuse. Il est en effet intéressant que ce soit à Amour lui-même que Faux Semblant offre sa leçon, plutôt qu’à l’Amant. Susan Stakel interprète dans ce sens cet épisode comme le lieu de transformation définitive de la notion d’amour362. Le fait que cet échange se présente sous cette forme dialogique, si chère à Jean de Meun363, dénote ce rapport d’influence. Sa tendance confessionnelle renforce encore cette impression364. Selon cette dynamique dialogique, les rôles de confesseur et de confessé s’inversent au gré de leur échange, révélant une véritable remise en question d’Amour, bien plus que de Faux Semblant. Ce long exposé sur la fausseté et le vice personnifiés par le faux moine n’empêche pas Amour de donner son accord à l’entrée de Faux Semblant dans ses rangs. Celui-ci se veut révélateur de l’acceptation d’Amour de l’univers insidieux personnifié par Faux Semblant et de sa place dans le système amoureux :
Li dieus sozrit de la merveille.
Chascuns s’en rit et s’en merveille
Et dient : « ci a biau sergent
Ou bien se doivent fier gent ! »
« Faus semblant, dist amours, di moi
Puis que de moi tant t’aprimoi
K’en ma court si grant pooir as
Que rois des ribaus m’i seras,
Me tendras tu ma couvenance ? »
303« Oill, jel vous jur et fiance,
N’ainc n’orent serjant plus loiaus
Vostre pere ne vostre oiaus365 ! »
La longue présentation de Faux Semblant se clôture enfin, sur la réaction d’Amour et de ses barons. Elle fait écho à celle qu’il avait manifestée à l’arrivée du faux moine. L’épisode entier se voit ainsi encadré par les émotions d’Amour, esmeü366 par l’irruption de Faux Semblant parmi ses rangs et émerveillé de leur échange. Cela démontre une fois de plus l’influence de Faux Semblant, directement sur le cœur d’Amour. Tout autant que la première, cette émotion d’Amour témoigne de la nature ambigüe de Faux Semblant. L’émerveillement dénote un rapport d’étrangeté inaltérable367, en dépit de son intégration dans l’armée d’Amour. Il révèle surtout le caractère paradoxal du discours de Faux Semblant qui ne peut se laisser appréhender, peu importe la sincérité dont il a fait preuve. Ce qui ressort donc de cette autodéfinition, c’est la nature protéenne de Faux Semblant, le paradoxe qu’il incarne et l’impossibilité d’accéder à la connaissance qu’il fait mine de dévoiler. Or, les barons vantent gaiement sa fiabilité. L’ensemble du discours paraît ainsi réduit à sa vanité. Faux Semblant a pourtant bien souligné qu’il était par essence hypocrite, il y revient d’ailleurs encore au moment de sceller le pacte qui le lie à Amour. Cette impression de vanité est renforcée par la déclaration d’Amour qui revient à la fonction déjà accordée à Faux Semblant en amont de sa présentation368. De la même manière, l’allusion à l’ensemble des barons d’Amour rappelle que ceux-ci avaient déjà reconnu le rôle de Faux Semblant avant même qu’Amour ne le fasse ou n’obtienne les réponses qu’il exige. L’ultime demande d’Amour révèle également combien l’enseignement de Faux Semblant reste incompris du public auquel il l’a livré et éclaire ainsi son importance pour le public situé en-dehors du cadre diégétique. Amour l’interroge sur sa couvenance, comme si elle pouvait s’avérer fiable. Elle offre en outre un nouvel écho au début de l’échange lors duquel Amour insistait sur le couvenant qui permettait d’intégrer Faux Semblant parmi 304les siens369. La décision ne repose plus entièrement sur Amour ainsi, même s’il est toujours avant tout question de son autorité. Le serment qui est demandé à Faux Semblant se veut lui aussi superflu. Amour l’affirme de manière significative : Faux Semblant a déjà démontré sa proximité et son pouvoir dans la cour d’Amour. La contamination est déjà entamée avant même que Faux Semblant n’accomplisse sa mission et subvertisse, par son hypocrisie meurtrière, la conquête amoureuse. Amour fait ainsi dépendre de manière logique – la dynamique causale de son exposé en témoigne – son accord de la place que Faux Semblant a déjà prise. L’entremêlement des temps verbaux va également dans ce sens. La proximité de Faux Semblant avec Amour est déjà démontrée : son pouvoir est effectif à cet instant et sa fonction se veut inscrite sur le long terme par le temps futur employé pour la présenter, alors qu’elle était déjà inscrite en amont du discours du faux moine. Amour lui demande néanmoins sa pleine adhésion au plan élaboré par ses barons sur la base même du rôle que doit y jouer Faux Semblant. Sa réponse est à la hauteur de sa confession préalable. Il promet d’être loyal, plus que tout autre serjant qui ne s’est jamais mis au service des forces d’Amour. La valeur superlative et répétée – le doublet est significatif – témoigne de la force de cette promesse, ou de sa bizarrerie, ou de son hypocrisie. Au vu de l’issue de cet épisode, on sait néanmoins qu’il prête ce serment avec l’honnêteté paradoxale qui le caractérise. Il n’hésite d’ailleurs pas à la souligner une fois encore quand Amour manifeste sa surprise face à sa promesse :
(Li dieus d’amour)
« Comment ? C’est contre ta nature ! »
(Faus semblant)
« Metez vous en en aventure !
Car se pleges en requerrez
Ja plus aseür n’en serez ;
Non voir, se j’en bailloie ostages
Ou lettres ou tesmoins ou gages.
Car a tesmoing vous en appel :
L’on ne puet oster de sa pel
Le leu tant qu’il soit escorchiez,
Ja tant n’iert batuz ne torchiez.
Cuidiez que je ne triche et lobe
305Pour ce que je vest simple robe
Souz cui j’ai maint grant mal ouvré ?
Ja par dieu mon cuer n’en mouvré
Et se j’ai chiere simple et coie,
Que de mal faire me recroie ?
M’amie contrainte astinance
A grant mestier de porveance :
Pieça fust morte et malbaillie
S’el ne m’eüst en sa baillie.
Laissiez nous, moi et li, chevir370. »
L’étonnement d’Amour se veut presqu’aussi paradoxal que les affirmations de Faux Semblant. Il alterne en effet entre une crédulité et une lucidité, tout aussi surprenantes l’une que l’autre, à l’encontre de son rois des ribaus. C’est en tout cas l’occasion pour Faux Semblant d’offrir un résumé de sa définition première, hors de toute considération liée à la querelle mendiante : il est impossible de se fier à lui et surtout à son apparence. Il assène ainsi sa leçon dans un ultime rappel, qui ne suffit cependant toujours pas, au vu de la réaction d’Amour. Plutôt que jurer encore et exiger la confiance d’Amour – il est bien conscient qu’il n’est pas digne de cette confiance –, Faux Semblant insiste sur le fait qu’il est inutile de la chercher. Il propose plutôt l’aventure, dans une dynamique ludique de grand intérêt. C’est la seule option valable au vu de sa nature non fiable. Peu importent les pleges ou même les ostages, les lettres, les tesmoins ou gages – selon une véritable accumulation, teintée d’ironie voire de déconsidération, des signes de confiance qui peuvent être exigés –, Amour ne trouvera aucune certitude à son endroit. Faux Semblant profite de cette occasion qui lui est encore offerte pour rappeler l’ensemble du réseau trompeur dans lequel il s’inscrit. L’exemple du loup fait écho à la citation de saint Matthieu qui fondait son exposé de la fausseté et du danger de son habit. De manière peut-être plus explicite encore, Faux Semblant révèle ici que le loup ne peut se dissocier de sa nature trompeuse, quels que soient les efforts fournis pour l’en défaire par la violence ou la flatterie371. Il reprend à cette fin la rime entre lobe et robe pour mieux les associer au moment de se voir 306adoubé par Amour372. Sans plus aucun détour, Faux Semblant martèle sa fausseté et son vice. Il dévoile tout le mal qu’il peut accomplir sous son manteau de simplicité. Il intègre à son propos l’opposition, typique des jeux émotionnels, entre chiere et cuer pour mieux mettre en exergue la rupture entre cette simplicité affichée et le mal qui l’anime en réalité. Il la justifie même comme nécessaire, à son amie Abstinence Contrainte, et ainsi, par effet d’annonce, à Amour et à l’Amant. Sa baillie se fait condition de la survie de ses protégés, de manière révélatrice quant au caractère indispensable de l’hypocrisie. C’est sur cet aveu éloquent que Faux Semblant s’arrête pour prier Amour de les laisser, lui et sa compagne, prendre en charge leur mission. Il annonce à la fois leur succès, mais aussi leur nécessité indiscutable et avérée. Sur cette réponse aussi honnête qu’ambigüe une fois encore, Amour formalise son accord. Il exprime même sa confiance à Faux Semblant :
« Or soit, je t’en croi sanz plevir. »
Et li lierres enz en la place
Qui de traÿson ot la face,
Blanche dehors, dedenz nercie,
Si s’agenoille et l’en mercie373.
La confiance qu’il accorde ne se fonde finalement sur aucun engagement, Faux Semblant en ayant démontré l’inutilité comme l’impossibilité. Elle se veut donc aussi ambigüe que l’aveu de Faux Semblant. Armand Strubel souligne d’ailleurs l’importance de cette dernière réplique qui illustre toute la difficulté d’insertion de ce personnage374. Faux Semblant prête alors son serment, agenouillé devant Amour auquel il marque son assujettissement375. La malignité de Faux Semblant est encore mise en exergue à cet instant. Comme lors de la première remarque d’Amour à son égard376, il est qualifié de lierres, dans une nouvelle démonstration 307de l’absence d’avancée de la compréhension d’Amour à son endroit, pas plus ni moins informé de son état après cette longue tirade. Mais la lucidité d’Amour semble aussi transparaître de la description finale de Faux Semblant au moment de sceller leur accord. Il le définit en effet directement selon sa traïson et son apparence. Le contraste entre cœur et visage se concentre ici uniquement sur la face. Il paraît indiquer qu’il s’agit là de la seule chose accessible chez Faux Semblant. La nuance se décline en une opposition, elle aussi fréquente, entre le dedans et le dehors, mais du visage seulement, à la manière d’un masque dont Faux Semblant serait revêtu en plus de sa robe. Celui-ci révèle les mauvaises intentions de Faux Semblant, qui s’affiche simple et innocent, tel que le suggère la couleur blanche, mais est en réalité noir au-dedans. Au-delà du pouvoir symbolique de ces deux couleurs, on peut y voir une dernière allusion aux loups en habit de mouton auxquels Faux Semblant se comparait pour en dénoncer le danger377. Le jeu de rimes finales entre la couleur noire et la reconnaissance de Faux Semblant envers Amour témoigne de la contamination des stratégies amoureuses avant même que Faux Semblant n’accomplisse son noir dessein. Si Faux Semblant ne cesse de surprendre, ce n’est pas en raison du projet qu’il poursuit, dévoilé aussitôt qu’il intègre la narration. Cette absence totale de suspense laissé à l’endroit de l’action la plus essentielle peut-être de la conquête amoureuse – elle en permet l’accomplissement – atteste son importance, incontournable et décisive.
Quelque dissonant qu’il puisse paraître de prime abord, Faux Semblant prend donc une place certaine, et essentielle, dans l’économie de la quête amoureuse. Il ne se contente pas de porter son accusation à l’encontre des Ordres Mendiants ou du vice de l’hypocrisie religieuse plus globalement, il la met au service d’une mise en lumière de la nécessité de l’hypocrisie dans la sphère amoureuse. Loin de l’impression de digression qu’il a longtemps laissée, il s’investit dans la fonction que lui accorde Amour. En tant que ribaus, Faux Semblant est chargé de faire respecter la loi d’Amour. La nature de sa mission témoigne de l’atteinte que constitue la médisance à celle-ci. C’est ainsi qu’il peut livrer sa justice, au nom même d’Amour, au-delà de sa leçon incomprise par Malebouche et de sa confession détournée. L’action de Faux Semblant se conçoit donc 308comme une mission officielle, légitime à l’amour, mais révélatrice d’une subversion importante de l’éthique amoureuse. Pour faire face à la menace des médisants, Amour n’a d’autre choix que d’investir Faux Semblant, à la fausseté émotionnelle pourtant proclamée. Non content de personnifier l’hypocrisie religieuse, il incarne la nécessité de manipuler les apparences offertes dans la quête amoureuse. Mais il n’en est pas le seul indice. Il s’inscrit au contraire dans un mouvement croissant vers l’hypocrisie mis en scène par Jean de Meun, en-dehors de la seule intervention du faux moine. La place de Faux Semblant s’éclaire dans son association avec l’Ami et la Vieille avec lesquels il forme une véritable triade trompeuse qui joue de l’impérativité de la ruse dans la sphère amoureuse. C’est dans ce contexte qu’Armand Strubel défend la position centrale de Faux Semblant contre les critiques persistantes quant à l’impression de personnage annexe qu’il a longtemps laissée :
Dans la constellation de personnifications qui se met en place autour du rosier puis du château, la présence de celui qui résume dans son nom seul les paradoxes de l’hypocrisie n’est peut-être pas totalement incongrue : la feinte, la dissimulation ou le déguisement ont été largement sollicités dans les propos d’Ami et de la Vieille, et placés au cœur de l’univers de la séduction amoureuse378.
La lecture de ce long et insaisissable épisode démontre l’importance accordée à Faux Semblant. Sa dimension dialogique a poussé à considérer le faux moine comme une fonction du dieu Amour379, voire comme son double380. Or, cette perception de Faux Semblant comme fonction du dieu Amour se décline de manière intéressante au niveau émotionnel qu’elle induit. Par cette confession mutuelle qu’ils se livrent, par l’efficacité de son intervention dans la stratégie d’Amour, Faux Semblant s’immisce dans le système amoureux et le manipule jusqu’à y prendre plus de place que le dieu qui l’incarne. C’est ainsi qu’il parvient à subvertir la pratique, non plus dévotionnelle, mais aussi amoureuse en une doctrine mensongère et vicieuse381. L’alliance qu’il présente avec l’Ami 309et la Vieille ne fait que renforcer ce processus, qui aboutira à la prise brutale et sans scrupules de la Rose par un Amant converti à la loi de Faux Semblant. Elle offre une mise en application éclatante de la leçon de Faux Semblant.
Faux Semblant au cœur de l’éthique amoureuse de Jean de Meun : la triade trompeuse
L’importance conférée à Faux Semblant témoigne bien sûr de celle accordée à la leçon qu’il livre. Jean de Meun s’y dédie d’ailleurs bien avant l’irruption du faux moine dans la trame du récit. Le discours de Raison se fait déjà l’occasion de dénoncer les manipulations émotionnelles intrinsèques à la conquête amoureuse382 :
« Toutevois fins amans se faignent,
Mais par amours amer ne daignent
Et se gabent ainsi des dames
Et lor promettent cors et ames,
Et jurent mensonges et fables
A ceuls qu’il tiennent decevables,
Tant qu’il ont leur delit eü.
Mais ceuls sont le mains deceü
Car adés vient il mieus, viau mestre,
Decevoir que deceüz estre ;
Meesmement en cele guerre,
Quant le moien ne sevent querent383. »
La critique de Raison en passe ainsi par la révélation des ruses des prétendus fins amants. Leur présentation révèle la dépréciation totale de Raison : elle associe les fins amants à la feintise (aux feints amants), tout en soulignant son vice. Cette feintise s’accompagne d’une annulation de l’investissement émotionnel requis dans la relation amoureuse. La rime entre faignent et ne daignent l’indique de manière efficace. Raison insiste d’ailleurs sur la question par la précision superflue amer par amours. On se trouverait donc plutôt ici confronté aux fameux faux amants condamnés par Amour au fil de l’exposé de ses commandements384, mais Raison 310choisit de les nommer fins amants pour dénoncer l’ensemble du système idéologique de l’amour courtois. Cette étiquette témoigne d’un code en place, ainsi détourné pour révéler la manipulation qui peut s’immiscer dans les feeling rules et leurs apparences toujours aussi indispensables, mais problématiques. L’émotion amoureuse constitue en toute logique la condition sine qua non de la fin’amor. Raison instille déjà la déconstruction de l’éthique amoureuse par la ruse, que Faux Semblant viendra exemplifier avec éclat. Mais il n’est pas encore question d’apparences trompeuses, seulement des mensonges et fausses promesses typiques des faux amants. Raison n’hésite pas à dévoiler les intentions de ces hypocrites, liées au delit qu’ils comptent ainsi obtenir385. L’occasion pour Raison d’introduire un adage central dans la seconde partie du Roman de la Rose, dans laquelle Faux Semblant incarne la pièce maîtresse : mieux vaut decevoir que deceüz estre. La mise à mort de Malebouche pourrait se comprendre comme une illustration, extrême, de cet enseignement qui irrigue toute la leçon dispensée au gré du Miroer aus amoureus. C’est dans le discours de l’Ami que ce conseil prend la plus grande place. Il tente de réconforter l’Amant, désolé de l’intervention de Malebouche et désespéré de parvenir à atteindre Bel Accueil retenu prisonnier sur le conseil du médisant. Il lui offre, pour sortir de cette impasse, toute une série de conseils concernant l’attitude à adopter face à Malebouche :
« Mais prenez garde toute voie
Que male bouche ne vous voie.
S’il vous voit, si le saluez,
Mais gardez que vous muez
Ne ne faites chiere nesune
De haÿne ne de racune.
Et se vous ailleurs l’encontrez,
Nul maltalent ne li monstrez :
Sages hons son maltalent cuevre.
Si sachiez que cil font bonne oevre
Qui les deceveors deçoivent.
Sachiez k’ainsi font ce qu’il doivent
Trestuit amant, au mains li sage.
Male bouche et tout son lignage,
S’il vous devoient acorer,
311Vous lo servir et honnorer.
Offrez leur tout par grant faintise,
Cuer et cors, avoir et servise.
L’en seult dire, et voirs est, ce cuit,
Encontre vezié recuit.
De ceuls bouler n’est pas pechiez
Qui de bouler sont entenchiez386. »
L’Ami incite à la garde des émotions malséantes de la haine, de la colère, de manière tout à fait conforme à la tradition émotionologique. Ces émotions dénotent néanmoins déjà la nature peut-être problématique du jeu émotionnel. Il ne touche pas à la tristesse, commune, des amants, mais à la haine ou au désir de vengeance, émotions en effet peu adaptées au bel semblant à cultiver sur la scène sociale, mais qui relèvent aussi d’intentions tout autres que celle de la souffrance amoureuse. Or, ce sont les intentions qui servent de base à l’évaluation des émotions. Le maltalent éprouvé par l’Amant s’inscrit ainsi d’emblée dans une optique plus contestable. L’Ami souligne l’importance de n’en livrer aucune apparence. Il joue sur toutes les règles en la matière : les formules conformes à la tradition bien ancrée de la mesure de soi et l’insistance sur la sagesse d’une telle couverture. Il va cependant plus loin pour justifier la bonne oevre dont l’Amant se cuevre. Il reprend pour cela la même sentence que celle dénoncée par Raison chez les fin’amants : mieux vaut tromper que l’être. Il la condense sur un seul vers, vantant le bienfondé de decevoir les deceveors, dans une formule des plus efficaces. L’Ami prend bien en charge la fausseté du servise qu’il prône d’offrir à Malebouche. Il n’hésite pas à souligner sa faintise, qui touche autant à ce servise et aux biens offerts qu’au cœur et au corps surtout. La sphère émotionnelle, et ses manifestations, sont directement convoquées dans cet exposé révélateur des astuces trompeuses dont les amants doivent s’armer pour contrer celles de leurs ennemis, les losengiers. Comme pour mieux asséner sa leçon, l’Ami revient sur la nécessité, et la légitimité, de tromper les médisants. La reprise du verbe bouler concentre la justification, fondée sur l’absence de pechiez d’agir ainsi contre ceux qui ont eux-mêmes ainsi péché. En brodant sur la tradition de la mesure et sur l’adage inscrit dans l’éthique amoureuse par Raison elle-même, l’Ami parvient à pousser l’Amant à 312la ruse. Elle se veut purement défensive selon le discours de l’Ami, quoi que ses intentions peu louables transparaissent déjà au vu des émotions impliquées dans le jeu prôné. La tromperie gagne en importance tout au long de la section consacrée à cet étrange confident387. Elle dépasse bien vite la ruse défensive à l’encontre des losengiers. Poursuivant le plan qu’il dresse à l’intention de l’Amant, l’Ami détaille également les stratégies qu’il dédie à Jalousie et à la Vieille qui se trouvent aussi sur leur chemin pour atteindre Bel Accueil :
« Servez les de vostre mestier :
Faire leur devez cortoisie,
C’est une chose mout proisie.
Mais qu’il ne puissent aperçoivre
Que vous les beez a deçoivre388. »
L’Ami détourne le service courtois requis selon les codes de la fin’amor. Il en démontre ainsi le caractère feint et seulement intéressé. Le devoir de courtoisie est bien mis en exergue et comme dénoncé de la sorte. Surtout, on comprend que le mestier qui fait l’objet du service en question s’éloigne de la courtoisie en elle-même. Bien davantage que de l’activité attendue des fin’amants, il s’agit ici de la ruse qu’Ami recommande de servir. L’association de la fonction de l’Amant à la tromperie dénote une orientation marquante. L’Ami a conscience du potentiel critique d’une telle pratique, c’est pourquoi il conseille de la garder discrète. Débute ainsi le jeu émotionnel central dans la relation amoureuse mise en scène par Jean de Meun. Ce jeu se veut d’autant plus important et développé qu’il ne s’agit pas seulement de servir ce leurre de cortoisie, mais de camoufler qu’il ne s’agit là que d’un leurre. Le jeu se dédouble ainsi, dans une portée trompeuse immanquable puisque, bien loin des dissimulations bienséantes, renforcées à l’occasion d’une simulation de joie adéquate, ce qu’il faut ici cacher, c’est l’intention de ruse elle-même. La rime entre aperçoivre et deçoivre révèle l’hypocrisie, et l’importance conférée aux apparences, a fortiori parce qu’elle joue du parallèle tissé avec Faux Semblant qui y recourra également389. Le fait que cette ruse vise à tromper la Vieille peut se voir comme une incitation au deuxième 313temps des recommandations hypocrites dans la communauté amoureuse, portées de manière exemplaire du côté féminin par la Vieille. Selon la leçon défendue par l’Ami, il convient en effet de tromper les trompeurs, ce que la Vieille ne manquera pas de souligner à son tour. La nécessité de parer les astuces des amants se justifie plus encore au vu de l’ampleur que leur fait prendre l’Ami. Non content d’inciter à mimer seulement la courtoisie qui est supposée fonder la conquête amoureuse, l’Ami va jusqu’à recommander de feindre les larmes, une manipulation qui ne laisse nul doute sur sa portée trompeuse :
« Et si vostre oeill devant euls pleurent,
Ce vous iert mout granz avantages :
Plorez ! Si ferez mout que sages ;
Devant euls vous agenoilliez
Jointes mains, et vos eulz moilliez
De chaudes lermes en la place,
Qui vous coulent aval la face
Si qu’il les voient bien cheoir :
C’est mout granz pitié a veoir ;
Lermes ne sont pas despiteuses,
Meïsmement a genz piteuses.
Et se vous ne povez plorer,
Covertement sanz demorer,
De vostre salive preigniez,
Ou jus d’oignons, et l’espreigniez,
Ou d’auls ou d’autres licors maintes,
Dont vos paupieres soient ointes ;
S’ainsi le faites, si plorrez
Toutes les fois que vous vorrez.
Ainsi l’ont fait maint bouleour,
Qui puis furent fin ameour,
Que les dames voloient prendre
As laz qu’el leur voloient tendre,
Tant que par leur misericorde
Leur ostoient dou col la corde ;
Et maint par tels baraz plorerent
Qui onques par amour n’amerent,
Ainz decevoient les puceles
Par leur pleurs et par leur faveles.
Lermes les cuers de tex gens sachent,
Mais sanz plus que barat n’i sachent.
Mais se vostre barat savoient,
314Jamais de vous merci n’avroient :
Crier merci seroit naienz ;
Jamais n’enterriez laienz390. »
On remarque d’emblée le poids accordé aux apparences émotionnelles, placées au cœur du jeu développé par l’Ami sur les signes de la tristesse qu’il recommande de manifester. On peut relever à ce sujet l’importance de leur visibilité, le verbe veoir rythmant la présentation de ces astuces. Plus que tout autre symptôme physique de l’émotion, les larmes sont investies d’une véritable force de conviction – dans la tradition du don des larmes par exemple391 –, et donc de manipulation. Mais l’Ami ne s’en contente pas pour autant : il joue aussi sur les génuflexions et les gestes de prière, et donc sur l’ensemble des signes de dévotion ainsi investis – faussement – dans la relation amoureuse. Un tel entremêlement des univers émotionnels religieux et amoureux n’est pas sans annoncer la figure de Faux Semblant bien sûr. L’Ami dévoile ainsi l’importance, au-delà des fausses promesses, des jeux émotionnels dans la ruse qu’il prône dans la conquête amoureuse. Il compose cette fois encore avec la tradition existante à ce niveau. C’est ainsi qu’il associe la manipulation à la sagesse, mais le débordement de la sphère de la garde est ici formel. La mesure de soi vise la préservation des apparences, fondée sur un souci de bienséance qui conduit à leur dissimulation voire à la simulation d’émotions jugées plus adéquates pour y parvenir. Ici, bien au contraire, il est question de feindre la tristesse si souvent camouflée derrière un semblant plus jovial. Plus encore, la seule chose qui se voit dissimulée, c’est le barat que l’Ami rappelle une fois de plus de garder discret. Il incite également à camoufler les astuces nécessaires pour simuler la tristesse. Ce besoin de recourir à de véritables instruments de manipulation, aussi vulgaires que de la salive ou du jus d’oignons, témoigne de la portée rusée, mais aussi de l’importance qui leur est conférée. On pourrait presque y trouver un parallèle avec les jeux émotionnels de pure bienséance qui ne peuvent s’appuyer sur les seules capacités de contrôle du personnage concerné et doivent compenser ses difficultés par une 315dissimulation totale, dans une autre pièce par exemple. C’est d’ailleurs ce qu’Amour préconisait dans l’exposé de ses commandements392. Un tel cas de figure dénote l’intensité de l’émotion impossible à camoufler par la seule maîtrise des indices physiques qui en sont offerts. Ici, on peut au contraire remarquer, par transposition, l’absence complète d’émotion pour susciter la réaction attendue. L’Ami met en scène une rupture complète du lien entre cœur et apparence. Elle est d’ailleurs elle-même mise en exergue, l’Ami présentant presqu’en adéquation ces larmes rusées et l’absence d’amour. Le verbe plorer en vient à rimer avec la négation du verbe amer. Ils s’opposent mieux encore au gré de leurs qualificatifs, les larmes relevant du barat, tandis que l’absence d’amour se voit encore renforcée par cette précision superflue par amour, dont usait également Raison pour mieux en souligner l’absence393. L’Ami scelle encore l’association des pleurs et de la ruse dans le parallélisme par leurs pleurs et par leur faveles. La dimension rusée d’une telle manipulation de la tristesse amoureuse ne laisse aucun doute. Le vocabulaire de la ruse irrigue son discours, de ces faveles liées aux larmes au barat répété à de multiples reprises, en passant par la qualification des bouleour, rapprochés de manière si intéressante des fin ameour. La rime évoque celle de Raison entre faigner et amer daigner394, dans une belle démonstration du cheminement logique de Jean de Meun parmi les recommandations trompeuses. Comme chez Raison, l’association se légitime selon l’adage « mieux vaut tromper que l’être ». L’Ami dénonce en effet les laz tendus par les dames pour prendre leurs amants. On observe ainsi le jeu déployé sur la tradition amoureuse et les astuces qui lui sont propres depuis l’Ars amatoria. Les lacets d’amour constituent en effet une métaphore bien connue, que l’Ami attribue cette fois aux femmes. On verra qu’elle se retrouve également chez la Vieille pour condamner la propre hypocrisie des hommes. C’est un véritable cercle vicieux de la ruse que Jean de Meun met en lumière ce faisant. Cette tentative de justification à part, les intentions de l’Ami paraissent peu louables. L’objectif poursuivi par ces fausses larmes est d’ailleurs affirmé : elles ne visent que le seul avantage de l’Amant. Bien loin de l’éthique amoureuse fondée sur le souci de la dame aimée, bien loin des manipulations bienséantes 316qui visent le maintien de l’ordre social, les jeux émotionnels prescrits par l’Ami s’inscrivent dans une optique hypocrite et mal intentionnée indubitable. Les conseils de l’Ami sont ainsi l’occasion de percevoir toutes les nuances dont se parent les jeux émotionnels. Entre Bel et Faux Semblant, Jean de Meun met en scène la montée trompeuse qui les sépare. Le personnage de Faux Semblant se trouve ainsi encadré par la propre ruse de l’Ami et de la Vieille. Cette répartition égale de l’hypocrisie chez les hommes comme chez les femmes participe certainement de cette omniprésence de la ruse chez Jean de Meun395. Une telle mise en lumière de l’hypocrisie que l’Ami cherche à intégrer à l’éthique amoureuse ne peut laisser l’Amant indifférent. Il s’indigne de tels stratagèmes qu’il accuse d’hypocrisie et même de « deablie396 ». La sphère religieuse se fait ainsi argument de dénonciation de la fausseté qui s’infiltre dans l’univers amoureux. Elle se retrouvera dans la même optique, teintée d’une ironie mordante, dans le manteau de faux Frère de Faux Semblant, baron formidable du dieu Amour. Si l’expression de « faus ypocrites » de l’Amant relève avant tout du vocabulaire religieux, ce n’est pas sa première utilisation dans la sphère amoureuse397. Ce mouvement de contamination est intéressant : « L’emprunt de ce mot savant nous montre bien que les auteurs courtois avaient conscience de la parenté entre leurs problèmes d’amour et les problèmes religieux398 ». La volonté de mêler les champs religieux et amoureux pour porter la dénonciation de l’hypocrisie se marque donc dans les récriminations de l’Amant, avant même que leur fusion chez Faux Semblant ne lui semble si efficace et bénéfique. Ce ne sont cependant pas les fausses larmes ou les autres conseils de fausseté manifestée à Jalousie, à la Vieille ou même à Malebouche qui choquent l’Amant, mais le fait qu’il « ennore et serve » le losengier, « ceste gent qui est fausse et serve399 ». L’Amant insiste sur ce double défaut, par l’oxymore « faus voirement400 », en annonce de la 317justification qu’offrira l’Ami. L’Amant met néanmoins le doigt sur le nœud du problème : un service de « trahistres » qu’il ne rendrait que pour « decevoir401 ». Il ne peut se résoudre à une telle entorse au code amoureux et à son investissement émotionnel indispensable. L’accusation de trahistres sera réactivée chez Faux Semblant402, comme pour assurer la continuité entre ces figures trompeuses auxquelles l’Amant finit par se greffer. Tout comme Faux Semblant, l’Ami justifie donc cette hypocrisie par celle de Malebouche :
« Mais male bouche est trop couverz :
Il n’est pas anemis ouverz
Car quant il het homme ou fame,
Par darrier les blasme et diffame.
Traÿstres est, dieus le honnisse !
Si est drois que l’en le traÿsse.
D’omme traÿstre j’en di “fi !”
Puis qu’il n’a foi, point ne m’i fi ;
Il het les genz ou cuer dedenz
Et leur rist de bouche et de denz :
Onques tels hom ne m’abeli.
De moi se gart, et je de li.
Droiz est, qui a traÿr s’amort,
Qu’il ait par traÿson sa mort
Se l’en ne s’en puet autrement
Vangier plus honorablement403. »
Il reprend l’accusation de trahistres de l’Amant pour l’appliquer à Malebouche et légitimer sa propre trahison à son égard. La répétition du champ lexical de la trahison atteste la transition de celle du losengier à celle de l’Ami. La haine que le losengier éprouve lui aussi se veut plus condamnable encore que celle qu’il suscite chez les amants. Malebouche ne cherche en effet pas tant à la dissimuler, comme l’Ami le recommande à l’Amant dans cette optique de garde toute relative, qu’à en camoufler les effets plus vils encore que sont les blâmes et la diffamation qui s’en inspirent. Le jeu émotionnel impliqué est bien souligné : on retrouve l’opposition habituelle entre cœur et apparence et entre dedans et dehors, redoublée comme pour mieux la mettre en 318exergue. Le contraste se marque entre la haine logée dans son cœur, au dedens, et les rires qu’il affiche. La concentration sur les indices physiques d’une émotion joyeuse qui n’est pas nommée, a fortiori sur des indices tels que les dents – au-delà de l’allusion à la bouche que l’on sait male chez ce personnage – témoigne de la logique dépréciative. On constate en outre l’absence de toute émotion positive dans la manipulation à laquelle Malebouche s’efforce. On ne peut noter que l’absence de la joie seulement manifestée par les rires et surtout celle de la foi qui vient encore renforcer la condamnation. Tout comme dans sa première incitation à la garde à l’encontre de Malebouche, l’Ami insiste sur la dynamique protectrice d’une telle trahison, mais surtout sur son bienfondé. L’Ami le répète deux fois sur ce passage conclusif de ses conseils de ruse à l’égard du losengier : cela est bien droit. La deuxième occurrence se veut plus ferme encore, dans cette optique justicière que Faux Semblant amènera encore à un degré supérieur : ce droit dicte la mort méritée par Malebouche. On perçoit l’effet d’annonce du sort réservé au losengier. La loi du talion est d’ailleurs déjà instillée ici. Avant qu’elle ne se voie appliquée dans la double exécution de Malebouche étranglé et à la langue coupée, elle se lit dans cette sentence, menée par trahison, pour punir sa propre trahison. Le lien tissé avec Faux Semblant laisse peu de doute à ce stade du discours de l’Ami. Tous deux visent la défaite du losengier, avec plus d’efficacité encore de la part du faux moine qui accomplit finalement la sentence de l’Ami. Il annonce d’ailleurs déjà dans ce sens sa mort, obligatoire si aucune autre vengeance ne s’avère possible. Cela sera plus encore le cas avec Faux Semblant, mais ces propos suffisent à convaincre l’Amant d’abandonner ses scrupules. Il doit se résoudre à la nécessité de s’opposer au vil losengier, quels que soient les moyens déployés pour y parvenir. Son accord révèle la subversion du code amoureux qui se verra confirmée par l’intégration de Faux Semblant parmi les rangs d’Amour404. La leçon de l’Ami anticipe ainsi celle de Faux Semblant dans la mise en lumière éclatante qu’ils proposent de l’utilité et de l’omniprésence de la fausseté émotionnelle dans l’éthique amoureuse.
On constate l’importance accordée aux jeux des émotions dans ces stratégies déployées pour faire face aux propres ruses des médisants405. Ils 319s’infiltrent tant et si bien dans l’univers de la fin’amor qu’ils conditionnent les réactions de Bel Accueil lui-même. Face à « la pute vieille redotee », il « trestout son pensé li nia », sans savoir « s’el dist voir ou ment406 ». Par manque de confiance en elle et par suspicion de sa propre ruse, il préfère lui dissimuler « ses cuers » et la peur qui y est logée, et même les tremblements qu’elle lui suscite407. Plus que de n’en « monstrer semblant », il s’efforce de faire « bele chiere408 ». C’est donc un double jeu que Bel Accueil met sur pied pour s’assurer de la discrétion de son émotion et ainsi se « garder […] de mesprison » par sa « paour de traîson409 ». La garde dont il relève se veut détournée. Bel Accueil n’agit pas ainsi par souci de bienséance, mais par celui de ne pas se voir trompé. La peur de la Vieille se justifie dans la rime qui la dépeint à la fois comme « redoutée » et comme la « pute vieille redotee » qu’elle est410. La manipulation émotionnelle de Bel Accueil se légitime donc en regard de celle dont il craint être lui-même la victime de la part de la Vieille, selon l’enseignement qu’offrait l’Ami à l’Amant. Cette transposition dans le camp de la dame anticipe la propre leçon que la Vieille délivre à Bel Accueil. Elle se veut tout aussi explicite que l’Ami quant à l’importance de la ruse dans la sphère amoureuse. Ce passage témoigne de l’importance gagnée par l’adage « mieux vaut décevoir qu’être déçu », dès lors personnifié par Faux Semblant. Il se voit ainsi intériorisé de manière remarquable chez Bel Accueil, figure de la dame, en démonstration de l’influence exercée par le faux moine sur l’ensemble du système de la fin’amor.
Le discours de la Vieille offre un contrepoint parfait à la fois à celui de l’Ami, comme incitation aux manipulations émotionnelles dans la relation amoureuse, et à celui de Faux Semblant, dont elle rejoue la scène 320d’aveu dans une ample présentation de ses déboires et des enseignements qu’elle en a tirés. Elle scelle cette association trompeuse fondée sur la nécessité de tromper pour ne pas l’être. Elle met ainsi en exergue la ruse des amants pour justifier la sienne à leur égard. La dénonciation de la Vieille porte le spectre des figures de l’Ami et surtout de Faux Semblant. Les hypocrites sont décrits « bouler »et « tricher », conformément aux appels de l’Ami à ruser face à la Vieille411. Ils sont surtout qualifiés de « ribaut », comme en écho à la propre fonction de Faux Semblant412. La Vieille réactive ainsi la polysémie de cette étiquette et indique par-là la tradition trompeuse dans laquelle elle s’inscrit. L’entremêlement des verbes « tricher » et « ficher », à la rime, révèle la mutualisation de la tromperie, son omniprésence du côté masculin et la nécessité pour cela de ne pas « son cuer en .i. fichier413 ». Elle base donc sur ce double jeu de rimes le cœur de son argumentaire qui vise à défaire l’impératif de fidélité en regard de l’hypocrisie masculine. La reprise du complément direct « les » qu’il faut tricher, comme volontairement vague, atteste cette réciprocité de la ruse qui s’infiltre dans les relations entre hommes et femmes. Jean Batany résume : « Voilà la duplicité démasquée chez la femme et recommandée chez l’homme, dans leurs rapports mutuels414 ». Ce constat tiré de l’analyse du discours de l’Ami s’applique en réalité aussi bien, en se renversant, au discours de la Vieille, qui dévoile, ou confirme, l’hypocrisie masculine et prône celle des femmes. Cette prise en charge du discours féminin s’avère intéressante. Certes, on note l’influence ovidienne aussi bien dans les conseils de l’Ami que de la Vieille, nous y reviendrons d’ailleurs. Les arts d’aimer médiévaux travaillaient à l’occasion leurs personnages féminins dans cette perspective. Jean de Meun donne néanmoins à son personnage de la Vieille une autre ampleur. La portée misogyne du Roman de la Rose ne s’en voit cependant pas vraiment nuancée, au contraire415. Certes, il est autant question de la ruse masculine que féminine, mais plutôt que de 321dénoircir le portrait des femmes, il s’agit de dresser le tableau d’une corruption généralisée de l’éthique de la fin’amor416. Le discours de la Vieille a néanmoins la particularité de se fonder sur sa propre expérience, son « sens et usage », comme pour lui conférer davantage d’autorité417. Elle insiste sur le « grant damage » qui lui a conféré cet usage, dans une valorisation particulière de son expérience, qui vient pleinement justifier la nécessité de ses conseils dans l’univers amoureux courtois dominé par la ruse masculine418. Par une mise en relief de la dynamique temporelle, elle souligne l’importance de cet usage qui lui a permis de renverser la tendance trompeuse. La reprise du participe passé « deceü[e] » joue de ce rapport d’inversion entre l’époque où elle l’était elle-même et celle où elle est devenue actrice de cette decepcion419. On retrouve les « las » dont l’Ami accusait, à raison au vu de cette confession de la Vieille, les femmes de piéger les hommes420. De manière intéressante, le renversement, et ainsi l’usage de la Vieille, se concentre sur sa capacité à ce qu’elle se « fusse aperceüe » qu’elle est deceüe421. On perçoit le pouvoir signifiant des apparences, celles des émotions manipulées par les prétendus amants dans ce cas. C’est en toute logique sur les apparences qu’elle concentre à son tour sa leçon d’hypocrisie. Ses conseils laissent une large place aux jeux émotionnels à adopter pour berner les hommes :
« Si doit fame, s’el n’est musarde,
Faire semblant d’estre coarde,
De trembler, d’estre paoreuse,
D’estre destroite et angoisseuse,
Quant son ami doit recevoir422. »
Ou encore « Puis doit la dame souspirer / Et soi par samblant aïrer423 ». La dame qui n’est pas musarde doit pouvoir jouer sur une vaste palette 322émotionnelle, de la peur à simuler pour convaincre l’amant du danger qu’elle encourt à le recevoir à la tristesse prétendue de le voir lui préférer une autre dame. Les attitudes émotionnelles se comprennent ainsi de manière tout aussi importante des côtés féminin et masculin dans cette guerre des sexes que Jean-Charles Payen discerne dans ces deux sections de l’Ami et de la Vieille424. Le message qui en ressort est remarquable : pour parvenir à ses fins, ce sont sur les émotions et leurs apparences qu’il faut jouer pour tromper son ami.e. On peut une fois de plus noter la proximité de ces conseils avec ceux de l’Ami qui incitait lui aussi à afficher tous les signes de déploration possibles425. Les parallèles induits attestent le souhait de Jean de Meun d’offrir un enseignement global et symétrique des manipulations émotionnelles. C’est un véritable art d’aimer, ou de tromper, au féminin qui se dégage du discours de la Vieille. Quelle que soit son originalité, il embrasse toute la tradition didactique amoureuse existante. Le lien tissé avec le modèle ovidien s’affirme d’ailleurs au moment de clore le récit du Roman de la Rose. La description des chemins que peut emprunter l’Amant-pèlerin – nous tiendrons à souligner l’intérêt d’une telle identification – se fait l’occasion d’une nouvelle digression sur la ruse des vieilles femmes habiles. Avec toute l’autorité que « Ovide meïsmes afferme / par sentence prouvee et ferme », la narration revient sur la ruse respectivement reprochée et recommandée par l’Ami et la Vieille surtout426. Pour souligner la difficulté pour celui « qui vieille prie » (et trompe donc, par un jeu de décalage remarquable), il convient qu’il « s’i gart […] qu’il ne face riens ne ne die / qui ja puisse aguiet ressambler427 ». Pareille dissimulation de la ruse à servir aux vieilles rusées joue des parallèles avec les discours de la Vieille et l’Ami. On retrouve la rime qui servait à la Vieille pour présenter l’acquisition douloureuse de son expérience, elle qui ne s’était longtemps pas aperceüe qu’elle était deceüe428. Les faveles conseillées par l’Ami à l’Amant réapparaissent également, comme pour mieux souligner 323le lien tissé entre ces divers portraits de l’hypocrisie amoureuse429. L’expérience des vieilles, « ou jadis ont esté flastees / et seurprises et barettees », est posée en contraste avec la crédulité des « tendres puceles » qui de tels « aguiez point de ne doutent430 ». Elle se révèle en particulier dans l’association des « baraz et guile » et de l’« Evangile » qu’elles ne sont pas capables de différencier. Pareille naïveté ne va pas sans évoquer celle de Malebouche. La nature comparative entre vieilles et jeunes filles tend à révéler la nuance ainsi esquissée entre les capacités de perception de la Vieille et celles du pauvre médisant. Pour continuer à vanter la ruse des « dures vieilles ridees, / malicieuses et recuites », une métaphore de la chasse aux oiseaux vient révéler toute la perfidie potentielle des laz des « oiselierres » que sont les faux amants « flajoleeur », mais que, « par tans et par experience », elles sont capables de percevoir431. La nuance se construit donc entre Malebouche, comparé lui aussi à un « fols oisiaus », et la Vieille capable de percer à jour les oiselierres432. L’allusion au losengier se veut d’autant plus certaine qu’il est question du « sophisme » qui fonde la « deception433 ». Toutes les astuces détaillées par l’Ami à destination de la Vieille et de Jalousie sont ici réactivées, parfois au mot près, dans une portée presqu’ironique. Ces recommandations témoignent d’un excès explicite par l’accumulation incroyable des efforts pour « souspire[r] », « s’umilie[r] », « merci crie[r] », « s’encline[r] et s’agenouille[r] », « pleure[r] si que touz se moillent » et même « se croicefi[r]434 ». Elles révèlent ainsi, pour les dames aussi, la fausseté qui les anime. Leur défaut transparaît sans doute possible par leur inefficacité, les vieilles ne se laissant pas berner, mais aussi par leur rapprochement avec les « figure de diction » dénoncées et employées avec tant de malice par Faux Semblant435. L’ensemble des instances trompeuses se rejoignent dans cette véritable synthèse des stratégies auxquelles hommes comme femmes sont présentés recourir. On ne peut manquer de constater le rapprochement entre la Vieille et Faux Semblant. Elle aussi se présente 324comme une véritable maîtresse des apparences, dont elle possède l’usage et le sens. Les premiers vers de ce dernier passage sont d’ailleurs révélateurs de la « science » des vieilles en matière de ruse436. L’influence du faux moine se note aussi dans les stratégies qu’elle prône elle-même de « la louve ressambler / quant el vait les berbiz ambler437 ». Ce jeu sur les apparences qu’elle recommande d’afficher prend une forme des plus intéressantes en se rapprochant de ceux mis en lumière, et en pratique ensuite avec le succès que nous connaissons, par Faux Semblant438. L’image de saint Matthieu assure ainsi la continuité entre ces diverses figures d’hypocrites. Les viles intentions des dames qui se prêtent à de telles manipulations laissent ce faisant peu de doute. On trouve dans la section de la Vieille beaucoup d’arguments similaires à ceux de Faux Semblant. L’un comme l’autre fondent leur leçon sur un règne des apparences. Ils se concentrent en particulier sur l’habit, comme le remarquait Jonathan Morton pour souligner leur jeu développé autour du langage tel un voile contrastant toujours avec la vérité439. Le discours de la Vieille présente en outre un large spectre d’interprétations440. On a pu le lire dans ce sens comme l’expression de l’hétérodoxie de Jean de Meun441, tout comme celui de Faux Semblant. Mais les appels se sont également multipliés pour ne pas confondre le point de vue de la Vieille avec celui de son auteur442, ce qui se retrouve également dans les analyses du personnage de Faux Semblant. Les leçons de la Vieille et de Faux Semblant se rejoignent surtout dans le cadre de cette triade trompeuse qu’ils forment avec l’Ami pour subvertir toute l’éthique amoureuse en portant atteinte aux lois d’Amour443. Au contraire du commandement central d’Amour fondé sur la fidélité, la Vieille promeut un amour libre, vanté selon l’image boécienne de l’oiseau en cage ainsi 325détournée au profit de cette leçon licencieuse444. Plus encore, elle en détourne l’essence au profit du seul plaisir. La Vieille accorde en effet une importance significative à la jouissance, qu’elle inclut dans la liste des attitudes émotionnelles à affecter. À l’absence de plaisir de la dame, qui « n’i a point de delit », doit correspondre un plaisir qu’elle « faindre doit445 ». L’émotion absente se voit donc annulée par celle simulée, dans une grande attention pour l’ensemble des « singnes » mobilisables à ce niveau446. La passivité de la dame face au plaisir sexuel se mue ainsi en une forme particulière de prise en charge par la simulation qu’elle en propose. L’hypocrisie d’une telle attitude est mise en avant, par la répétition du verbe faindre, mais surtout par la comparaison finale de l’attention réelle de la dame à une « chasteingne447 ». La Vieille ne laisse aucun doute non plus sur l’objet de son conseil : il n’est pas question d’affection, mais bien de seul plaisir, comme la répétition du terme delit l’indique bien448. Une telle concentration sur la sphère sexuelle se voit également intégrée chez l’Amant, par le biais de ce trio de maîtres que sont l’Ami, Faux Semblant et la Vieille. Nous pourrions en effet généraliser à ces trois personnages le constat d’Annika Farber :
In Jean ’ s Rose, even the characters that might typically be considered non-didactic (such as Ami and Faux Semblant) present themselves as authority figures and join the others in providing instruction for the lover-student, who, at the end of the text, poses as an instructor himself and offers his own story as an exemplary narrative449.
Bien sûr, la Vieille s’adresse en réalité à Bel Accueil et non à l’Amant. Mais on peut dans ce sens aussi comparer sa leçon à celle de Faux Semblant, qui dédie la sienne à Amour plutôt qu’à l’Amant. L’influence de ses conseils sur ce dernier s’impose néanmoins avec certitude. L’importance accordée à la question du delit en constitue un parfait exemple au vu de l’épisode final de la conquête de la Rose.
En inscrivant l’épisode de Faux Semblant au centre des leçons livrées par l’Ami et la Vieille, Jean de Meun accorde plus de poids encore à 326la mise en lumière des jeux émotionnels qu’il insère dans l’éthique amoureuse. Si l’Ami faisait preuve d’une sorte de progression quant à la ruse impliquée dans ses conseils, il n’en va pas de même pour la Vieille qui, à la suite du discours de Faux Semblant, ne s’encombre d’aucune demi-mesure pour prôner une forme de tromperie légitimée par celle dont elle et toutes les femmes sont elles-mêmes victimes. L’influence exercée par Faux Semblant se lit ainsi déjà dans l’épisode de la Vieille avant même qu’elle ne touche à l’Amant. Les discours de l’Ami et de la Vieille permettent en outre d’éclairer la portée didactique de la section consacrée à Faux Semblant. S’il n’offrait aucun conseil spécifique, sa prétendue dénonciation des usages hypocrites constitue un modèle plus éclatant encore de l’efficacité de telles pratiques. Celui-ci se conçoit d’autant mieux encadré des recommandations des modèles que sont ces deux personnages pour l’Amant et Bel Accueil. Ils appellent à une manipulation générale des signes offerts des émotions dans la relation amoureuse, de la tristesse à la haine en passant par le plaisir sexuel même. Toute une gamme de jeux émerge de leurs prescriptions rusées, des recommandations de maîtrise de la haine suscitée par Malebouche chez l’Ami aux appels à feindre la jouissance chez la Vieille. La réflexion produite dans le Roman de la Rose autour des manipulations émotionnelles dépasse d’ailleurs le cadre de ce trio d’hypocrites. L’importance accordée aux apparences dès le début du roman paraît annoncer la dénonciation de leur potentiel trompeur. Les personnages de Bel Semblant ou de Bien Celer révèlent pour leur part déjà la place essentielle de la maîtrise émotionnelle dans la conquête amoureuse. Mais la première partie de Guillaume de Lorris n’implique bien sûr aucune once rusée, si ce n’est dans la condamnation des faux amants par Amour. Jean de Meun investit la place laissée aux apparences par Guillaume de Lorris et toute la tradition de la fin’amor avant lui pour en révéler l’ambiguïté. De la loi du secret à la manipulation éhontée de l’émotion amoureuse, il n’y a au final qu’un pas, incarné dans le renversement du Bel au Faux Semblant. Au fil de la narration, on obtient un véritable carré sémiotique qui oppose la dissimulation bien intentionnée à la simulation purement hypocrite :
327
Bien Celer |
Faux Semblant |
|
Positive |
Négative |
|
Dissimulation |
Dissimulation d’émotions jugées malséantes |
Dissimulation de l’absence d’émotion (par la simulation d’émotions jugées bienséantes) |
Simulation |
Simulation d’émotions jugées bienséantes |
Simulation d’émotions jugées malséantes, à vocation rusée |
Beau Semblant |
Fausses larmes de l ’ Ami |
Le critère intentionnel joue, tout comme pour l’émotion elle-même450, un rôle fondamental dans l’appréciation du jeu développé. L’émotion manipulée revêt aussi une grande importance, puisque le schéma varie selon que l’émotion soit positive ou non, qu’elle fasse ainsi l’objet d’une manipulation bienséante ou non. Mais le cas le plus extrême réside dans l’absence d’émotions camouflée sous une fausse émotion. Faux Semblant vient incarner le climax du jeu mal intentionné, lui qui joue de l’émotion religieuse, plus pure encore peut-être que celle d’amour, pour dissimuler l’absence d’amour – ou de dévotion d’ailleurs aussi – qui l’anime. Abstinence Contrainte faisait d’emblée allusion, à leur entrée à la cour d’Amour, à la sécheresse du cœur de son compagnon, qui vient comme éclairer l’association déjà soulignée chez Raison et chez l’Ami entre les pseudo-fin’amants et les hypocrites451. Quant à l’absence de dévotion de Faux Semblant, elle laisse peu de doute à l’issue de sa confession au dieu Amour. C’est pourquoi l’on peut analyser le personnage de Faux Semblant construit sur un renversement de celui de Bel Semblant, qui vise l’apparence positive bienséante et bien intentionnée, animée du souci de réconforter l’être aimé. Entre le symbole de la garde typiquement courtoise et de la loi du secret amoureux qu’est Bien Celer, cette flèche d’Amour certes douloureuse, mais indispensable à la survie de l’amour, et Faux Semblant, l’Ami vient rythmer la progression et éclairer l’ensemble du système qui se bâtit entre ces deux extrêmes. Il met en scène la dissimulation mal intentionnée d’émotions peut-être 328plus négatives encore – si ce n’est trop négatives comme dans le cas de la haine et du désir de vengeance – face à Malebouche avant d’offrir un exemple éclatant de la ruse que peut receler la manipulation émotionnelle par le tableau des fausses larmes. La Vieille offre un contrepied ou, mieux encore, une confirmation de cet exposé déformé de la tradition de la fin’amor. En réponse à la propre hypocrisie des amants – difficilement discutable puisqu’elle correspond en tous points à celle prônée par l’Ami juste auparavant –, la Vieille conseille aux dames d’appliquer les mêmes pratiques trompeuses. Les fausses larmes de l’Ami trouvent ainsi écho dans celles que la Vieille recommande de verser pour manipuler l’amant. Les dissimulations convenantes sont bien éloignées de ces appels à la simulation d’émotions aussi peu bienséantes que la tristesse affichée grâce à du jus d’oignons ou le plaisir sexuel. Leur perfidie est assumée dans les deux cas par la forme de jeu qu’ils mettent sur pied, mimant une émotion inexistante, la tristesse ou le plaisir par exemple. Le discours de la Vieille vient ainsi renforcer le constat, imposé déjà au moment de la mort de Malebouche par Faux Semblant, de la nécessité de manipuler les apparences émotionnelles dans la conquête amoureuse, des deux côtés de cette guerre des sexes. Le parallélisme indéniable des conseils de l’Ami et de la Vieille induit une réflexion intéressante sur la perspective genrée de la pratique émotionnelle. Ils témoignent ainsi d’une porosité des genres dans les émotions jouées dans la sphère amoureuse, trop rarement considérée452.
La réaction de l’Amant joue un rôle non négligeable dans cette mise en lumière de l’importance accordée à la fausseté émotionnelle. Son indignation initiale face aux conseils de l’Ami signale une forme de résistance bientôt balayée par la force de persuasion, bien plus que de l’Ami, de Faux Semblant. Tout comme lors de la pseudo-confession de Malebouche, Faux Semblant réussit là où l’Ami – ou Abstinence 329Contrainte alors – échoue. C’est comme si la fausseté, et celle des apparences émotionnelles avant tout, avait besoin de gagner en importance pour gagner en efficacité. Faux Semblant offre ainsi une confirmation éclatante de cet adage présenté sous forme de dénonciation par Raison : mieux vaut tromper qu’être trompé. L’Ami et la Vieille viennent eux-mêmes le mettre en scène en se l’opposant entre gent masculine et gent féminine. Ils démontrent ce faisant l’omniprésence, et ainsi le plus grand besoin encore, de cette fausseté dans la communauté amoureuse. Telle est la leçon inculquée à l’Amant au gré des discours de cette triade trompeuse que forment l’Ami et la Vieille avec Faux Semblant, de manière indubitable en regard de l’issue du récit.
Faux Semblant au cœur de l’éthique amoureuse de Jean de Meun : un modèle à suivre
Si c’est au dieu Amour que Faux Semblant livre son étrange confession, les impacts de la leçon d’hypocrisie qu’elle implique se font ressentir surtout chez l’Amant. Ce carré sémiotique ainsi identifié porte donc son influence, dans sa forme maximale incarnée par Faux Semblant, avant tout sur le héros et, ce faisant, sur la conclusion de la quête amoureuse. L’Amant ne se contente pas des incitations de l’Ami au mimétisme émotionnel face à Bel Accueil453, ni même de ses appels à feindre les larmes pour l’émouvoir454. Il semble embrasser toute la fausseté promue par Faux Semblant, selon ce jeu émotionnel le plus rusé et le plus mal intentionné qu’il vient symboliser. On a souligné l’importance du modèle que constitue Faux Semblant pour l’Amant et son rôle essentiel dans la progression vers la Rose455. Faux Semblant s’érige en symbole de la transition opérée par l’Amant d’un amour raisonnable à un amour trompeur et charnel456. L’entremêlement des leçons de la triade trom330peuse n’est que plus efficace à cette lumière. Il implique en outre une répétition et ainsi une insistance sur le grand besoin du jeu émotionnel. Il est évident à la lecture de ces leçons cumulées que la trahison de Faux Semblant constitue la seule voie d’accès vers la Rose457. Face à la tromperie qui s’infiltre même entre les amants, le succès de la quête amoureuse ne se conçoit qu’à travers un jeu de masques symbolisé par la fausse face blanche du moine458. Même l’Amant reconnaît l’utilité, si ce n’est le grand service, qu’il lui rend :
« Dieus ! quel avantage me firent
Li vallet qui la deconfirent !
De Dieu et de saint Beneoit
Puissent il estre beneoit !
Ce fu faus samblant li traïstres,
Li filz barat, le faus menistres
Dame ypocrisie sa mere
Qui tant est en vertuz amere,
Et dame astinance contrainte
Qui de faus samblant est ençainte,
Preste d’enfanter Antecrist
– Si com je truis en livre escrit –
Cil la desconfirent sanz faille.
Si pri pour euls, vaille que vaille.
Seigneurs, qui veult traïstres estre,
De faus samblant face son mestre
Et contrainte astinance praigne :
Doubles soit et simples se faigne459 ! »
À la vue de Malebouche assassiné, l’Amant ne peut contenir sa joie. Il manifeste toute sa reconnaissance à l’égard de ses sauveurs. Son éloge fait l’effet d’une absolution de la cruauté et de l’hypocrisie dont ils ont fait preuve pour défaire le médisant. Cette dynamique valorisante est d’autant plus marquante après la confession de tous les vices incarnés par Faux Semblant. Certes, l’Amant n’en était pas le destinataire, mais il paraît y faire écho lui-même pour en offrir la synthèse. On retrouve la filiation symbolique de Faux Semblant, qui paraît faire relever le meurtre de Malebouche autant de Faux Semblant et sa compagne que de 331Barat et d’Ypocrisie dans ce condensé du portrait dressé du faux moine. Réapparaît également son étiquette de traïstres répétée à l’envi au dieu Amour460, à tort au vu de la fiabilité démontrée par Faux Semblant dans l’accomplissement de sa mission. L’appellation de vallet rappelle celle que Faux Semblant employait lui-même pour se présenter comme l’envoyé de l’Antéchrist461. L’Amant revient d’ailleurs lui-même sur la paternité révélatrice de toute la malignité du faux moine dans sa portée apocalyptique. La référence au livre joue de l’autorité biblique encore invoquée pour affirmer l’hypocrisie et le danger de Faux Semblant, pourtant ici mis sur un piédestal. Il évoque bien sûr aussi l’implication de Faux Semblant dans la dénonciation anti-fraternaliste. La charge de menistre qui lui est associée est également intéressante. Elle pourrait faire allusion à celle de ribaus attribuée par Amour au faux moine462. Elle peut en effet qualifier à la fois l’administrateur, le directeur – un rôle qu’il semble en effet endosser en prenant le pas sur tous les barons d’Amour pour résoudre leur problème – et le serviteur – une signification qui s’imposera avec le temps avec une orientation religieuse, notable au sujet de Faux Semblant463. Elle témoigne dans tous les cas d’une responsabilité accordée au faux moine, au service – ambigu – d’Amour. Tout le paradoxe de l’intégration de Faux Semblant au sein de l’armée d’Amour ainsi que celui de sa posture prétendument religieuse, à son arrivée et plus encore lors de son pèlerinage macabre vers Malebouche, se voit ainsi résumé dans cette nouvelle fonction de menistre. L’Amant se montre donc conscient du vice incarné par Faux Semblant au moment de le remercier. Il définit sa mère, et, avec elle, Faux Semblant lui-même, comme étant en vertu amere, une formule révélatrice de l’incompatibilité de l’hypocrisie personnifiée avec la vertu, avec plus de danger encore par Faux Semblant que par Ypocrisie. Ce qui ressort cependant plus encore de ce passage, c’est la gratitude de l’Amant pour le meurtre commis en son nom. Le verbe deconfirent apparaît deux fois, comme pour mieux souligner que la mort de Malebouche était la seule solution à l’obstacle qu’il constituait. Avec toute l’ambivalence de cette scène, cette action 332suscite la joie et les bénédictions de l’Amant qui en appelle à la protection de Dieu et de saint Benoît pour les deux meurtriers. La valorisation de Faux Semblant et sa compagne ne pourrait être plus grande, ni plus ambigüe bien sûr. La conclusion de son éloge révèle toute l’adhésion de l’Amant aux valeurs de Faux Semblant. Il le recommande en effet comme mestre. Or, nous avons vu toute l’importance de ce terme dans le cadre de la querelle universitaire, mais aussi quant à la portée du faux moine dans l’éthique amoureuse. Sa recommandation touche aux traïstres, mais elle paraît dénoter son propre souhait de faire partie du nombre pour profiter de tels avantages. L’Amant récapitule encore l’attitude de Faux Semblant, selon cet état d’opposition qui le caractérise entre son estre et ce qu’il faint. Plutôt que la couleur noire ou blanche, le vice ou la vertu, ce qui se voit ici opposé est la prétendue simplicité de Faux Semblant et sa nature double. Ce qualificatif condense l’ambiguïté de Faux Semblant qui insistait dans son autodéfinition sur sa pluralité464. Quant à celui de simple, il évoque une fois encore Papelardie, comme intégrée elle aussi par ce biais dans la louange de l’Amant. Il joue de la menace des apparences trompeuses personnifiée par Faux Semblant, dont l’Amant démontre avoir conscience au moment d’en vanter les mérites. Aucun doute ne subsiste quant au rôle joué par Faux Semblant et sa compagne, ni quant au vice dont ils teintent l’armée d’Amour et la quête de l’Amant ce faisant. Jean de Meun démontre combien ces compagnons, et leur hypocrisie, s’avèrent nécessaires pour accomplir la conquête amoureuse465. La fausseté de Faux Semblant se voit donc une fois de plus dénoncée, mais surtout valorisée comme source d’inspiration, sans objection aucune, de la part de l’Amant466. Au contraire, il révèle toute l’importance du faux moine et de sa leçon d’hypocrisie infiltrée dans l’univers de la fin’amor, avec le succès remporté par son expédition. Faux Semblant vient symboliser une étape cruciale dans l’acquisition nécessaire à l’Amant pour progresser sur le chemin d’amour467.
333L’influence de Faux Semblant se note également dans l’application par l’Amant du plan exposé par le faux moine pour approcher Bel Accueil et la Rose. Sylvia Huot note toute l’importance de cette leçon dispensée cette fois directement à l’Amant468. L’aide de Faux Semblant se dédouble ainsi dans ces deux temps des obstacles dressés entre l’Amant et Bel Accueil. Les conseils de Faux Semblant se veulent pourtant une fois de plus explicites quant à sa nature hypocrite. Ils se fondent sur un nouvel appel à la prudence face aux apparences trompeuses469 et sur la nécessité d’y recourir soi-même. Il recommande à l’Amant de dissimuler son entrée en passant par le « moustier470 » une nuit sans lune471. Surtout, il prône la cueillette du bouton de la Rose « sanz deffense472 ». L’Amant marque aussitôt son accord face à ce projet, décidé à « [s]e pens[er] […] com faus samblant ot pensé473 », pourtant bien éloigné de la logique de la fin’amor. La répétition du verbe penser pour qualifier la réflexion de Faux Semblant et celle de l’Amant en est révélatrice. On sait la fin que connaît la quête de la Rose, cueillie sans scrupule par l’Amant revêtu, de manière éloquente, d’un habit de pèlerin. L’Amant mène donc à bien sa conquête en se glissant dans les propres pas de celui qui, bien plus que l’Ami, le dieu Amour ou encore Raison, se fait son maître. La question de la prise de la Rose révèle la prise de conscience de l’Amant de sa propre condition déterminée par son désir, excessif et irrépressible474. Tout comme il n’était possible de vaincre Malebouche que par la ruse, la seule solution qui s’impose face à cette nouvelle entorse aux codes amoureux courtois animés par la mesure, du désir avant tout autre chose peut-être475, est de recourir à l’aide de Faux Semblant. Les réactions de l’Amant témoignent de la subversion de l’éthique amoureuse. Il se réjouit de la défaite de Malebouche, symbole de la médisance qui porte atteinte au système de la fin’amor, vaincu par 334l’attitude trompeuse de Faux Semblant. La loi du secret toujours vantée pour faire face à la menace des losengiers se voit ainsi détournée au profit d’un nouveau régime qui promeut l’hypocrisie pour mieux y faire face et n’hésite pas à recourir à toute la violence nécessaire pour ce faire. Mais la seconde atteinte aux codes de la fin’amor se veut bien plus ambigüe, puisqu’elle touche à l’Amant lui-même qui, en adhérant au projet de cette cueillette abusive, avoue la force de son désir, incompatible avec la pureté et la mesure de l’amour courtois. À nouveau, il ne peut que se tourner vers le faux moine, personnification de la fausseté des apparences, mais aussi de la violence et de la cruauté qui s’infiltrent dans l’univers courtois, dans une contamination générale des vices qui en étaient supposés exclus. L’Amant fait ainsi de Faux Semblant son mestre à la manière des traïstres auxquels il le recommandait. Or, la première apparition de cette dénonciation de traîtrise se retrouvait dans la propre bouche d’Amour qui accusait par cette étiquette les faux amants de se jouer des dames en dissociant leurs paroles de leur pensée476. L’Amant s’intègre ainsi parmi les séducteurs condamnés par Amour, et par la Vieille477, dans une confirmation révélatrice de l’omniprésence de la ruse dans la communauté amoureuse.
L’adhésion de l’Amant au modèle que lui offre Faux Semblant se marque dès lors dans toute une série de rapprochements cultivés par Jean de Meun. Le plus important d’entre eux réside dans l’habit de pèlerin dont l’Amant se vêt à son tour pour achever sa conquête de la Rose, « comme bons pelerins, / hastis, fervanz et enterins / de cuer comme fins amoreus478 ». Cette présentation, au moment crucial de la fin de sa quête, atteste la contamination complète de l’Amant, aussi faux dans son apparence dévote que dans son amour, dans une démonstration flagrante de l’influence de son maître Faux Semblant479. Ses véritables intentions dissimulées sous son habit, l’Amant ne vise plus l’octroi d’amour, mais bien la cueillette 335brutale de la Rose. La fausseté de l’Amant paraît a priori moindre que celle de Faux Semblant, qui entraîne des répercussions sur la société tout entière, en mêlant les univers religieux et amoureux notamment. Mais les allusions au contexte apocalyptique bien pris en charge par l’Amant révèlent que ses propres actions prennent elles aussi une mesure plus vaste. Jean de Meun témoigne ainsi de l’association, portée par Bernard de Clairvaux, entre hypocrisie privée et corruption publique480. L’inscription de la fausseté de Faux Semblant dans la sphère religieuse prend ce faisant tout son sens, au-delà de la gravité qu’elle conférait à cette dénonciation. Cet habit de pèlerin dont la description détaillée rythme la progression de l’Amant vers la Rose se veut significatif de son inscription dans une dynamique hypocrite et perfide. En s’en revêtant à l’instar de l’assassin qu’est devenu Faux Semblant, il témoigne même de la menace dont s’entoure son approche de la Rose. Le triplet d’adjectifs dont l’Amant se pare dénote aussi une forme d’excès révélatrice de leur ironie et de la distance prise face aux critères essentiels du véritable fins amoreus. L’ironie se veut plus grande encore quand on considère les remerciements qu’il adresse, avant son départ, à Bel Accueil pour lui avoir donné son accord à ce qu’il puisse accéder à la Rose, au nom de l’absence de tromperie qui l’anime481. L’Amant fonde sa demande sur la sincérité de son amour, quand son cœur se veut en vérité habité par le seul désir et l’hypocrisie qu’il implique dans sa proclamation d’amour482. Tout comme Faux Semblant, l’Amant rompt donc le rapport de transparence entre ses paroles et ses actes483. Il ne se définit dès lors plus que par les actions couvertes qu’il entreprend pour atteindre ses objectifs. À la manière de Faux Semblant, celles-ci visent cependant, avec une ironie délectable, le dévoilement. La fausseté de Faux Semblant à l’égard de Malebouche servait à faire avouer au médisant son propre vice, à lui faire porter une parole vraie, lui qui se définissait par le mensonge. Quant à la prise de la Rose que souhaite l’Amant, elle peut se lire comme une ultime action de dévoilement, accomplie par ces moyens voilés484. L’Amant se veut donc 336aussi hypocrite, vil et brutal que Faux Semblant et en offre un excellent relai au moment de sa disparition485. Il se voit d’ailleurs qualifié de sire faus par Peur, Danger et Honte, dans une formule significative du lien tissé entre le faux moine et l’Amant486.
Mais plus que le vice du système du faux semblant, ce qui s’impose à l’issue de cette quête, c’est sa nécessité. Faux Semblant vient répondre à un besoin réel pour dépasser la menace des losengiers et, davantage, pour parvenir à ses fins en amour487. Sans pourtant avoir été appelée, ni même prévue chez Guillaume de Lorris, son action s’avère indispensable au succès de la quête488. Là réside peut-être le cœur de la leçon délivrée par Faux Semblant, et par Jean de Meun lui-même. Le continuateur du Roman de la Rose semble animé du désir de mettre à jour une altération fondamentale de la notion d’amour, par l’hypocrisie émotionnelle à laquelle il fait place. Le succès de l’Amant est, sans doute possible, dû avant tout à Faux Semblant, à sa prise de la porte de Malebouche – et à l’éviction même de la menace de médisance – et à son initiative dans le projet qui mènera la conquête amoureuse à son terme. Or, l’une comme l’autre de ces étapes cruciales dans la progression de l’Amant touchent à la manipulation des apparences émotionnelles. Plus encore, elles touchent à la plus délicate des émotions, celle de la dévotion, qu’elle relève de la sphère religieuse ou amoureuse. Faux Semblant mêle en effet l’apparence dévote du faux moine et du prétendu pèlerin à celle de l’application qu’il met à accomplir la mission d’Amour. Surtout, l’Amant adopte la même posture feinte de pèlerin, selon une métaphore tout à fait attendue de la progression amoureuse, mais viciée par le modèle offert à ce niveau par Faux Semblant. Mais l’un comme l’autre de ces pseudo-pèlerinages témoignent de l’efficacité de tels jeux portés sur l’investissement émotionnel requis dans la sphère amoureuse, quel que soit leur caractère contestable. Nous pouvons encore ajouter à cette démonstration de l’utilité des faux semblants les propres leçons de 337l’Ami et de la Vieille qui, en se répondant, confirment l’omniprésence et l’impérativité plus grande encore de l’hypocrisie émotionnelle. Le message est tout à la fois évident et subversif : « Ce qui s’impose dans toute séduction, c’est un machiavélisme avant la lettre, au nom de l’efficacité489 ». Ce machiavélisme se concentre sur le vice tant critiqué de l’hypocrisie. Toute la condamnation des Frères Mendiants paraît mise au service de cette révélation caractérisée par cette honnêteté paradoxale de Faux Semblant. À l’instar de son personnage, Jean de Meun cherche à la fois à mettre en lumière et condamner la fausseté des apparences, religieuses comme amoureuses, mais surtout à en sous-entendre le besoin inaliénable. La leçon, de Faux Semblant comme de Jean de Meun, s’impose ainsi autant qu’elle échappe au lecteur, qui ne peut surmonter cette ambiguïté de l’accès à une vérité qui se veut entourée, si ce n’est cernée, par la fausseté. La conclusion portée par Faux Semblant à son long sermon-confession à Amour en témoigne. Avec l’ambiguïté qui a caractérisé l’ensemble de ses réponses à Amour, Faux Semblant achève son discours sur la revendication de sa sincérité et de sa fausseté intrinsèque490. La condition de sa fausseté est présentée en lien avec la capacité, ou non, d’Amour à « l’aperce[voir] ». Faux Semblant souligne le lien de cause à effet entre le manque de discernement à cet égard et le « mensonge » qu’il n’hésite pas à mobiliser dans ce cas491. Il paraît ainsi avertir Amour de la nécessité de percer à jour la nature de son rois des ribaus et surtout de ne pas l’en blâmer. Plus encore, la tolérance d’Amour vis-à-vis de l’hypocrisie incarnée qui s’infiltre dans ses rangs devient la clause du succès de sa bataille. C’est sur cette base qu’Amour acceptera l’aventure d’intégrer Faux Semblant dans son armée492. Il marque néanmoins d’abord son étonnement face au serment que Faux Semblant accepte de lui livrer, contre [s]a nature493. L’accord d’Amour s’entoure ainsi de la lucidité requise et remplit toutes les exigences de Faux Semblant. C’est donc une véritable leçon de lecture qu’offre Faux Semblant. Il révèle l’importance du problème de la crédibilité, entièrement placé sous la responsabilité du récepteur. Au contraire 338d’Amour qui s’en montre digne, Malebouche est incapable d’assumer cette responsabilité qui lui incombe. Jean de Meun met ainsi en lumière la nature ambigüe de la pratique discursive, dont il joue au gré du discours et de l’intervention de Faux Semblant494. Il prouve ce faisant l’importance conférée à ce personnage central de sa narration, quel que soit son caractère a priori périphérique. Faux Semblant porte la réflexion autour des faux semblants qui, d’abord inscrits dans la dénonciation anti-fraternaliste, s’imposent comme condition sine qua non de la conquête amoureuse. Il concentre la condamnation de l’hypocrisie religieuse et la mise en valeur de l’hypocrisie amoureuse, selon une ambivalence qui empreint non seulement son discours, mais l’ensemble de celui tenu par Jean de Meun au gré des interventions de ses personnages. Surtout, il met en exergue le rôle accordé aux capacités de lecture et de discernement. Il illustre les difficultés de dépasser le niveau littéral, mais aussi l’importance d’y parvenir pour accéder à la connaissance et surtout à l’efficacité recherchée. La défaite de Malebouche comme la fiabilité du rois des ribaus à l’égard d’Amour le démontrent, tout autant qu’elles éclairent le danger et la nécessité des jeux émotionnels. Cette double leçon de Faux Semblant semble valoir pour l’ensemble du Roman de la Rose. L’influence du faux moine se retrouve chez tous les personnages du roman qui jouent de cet esprit hypocrite qu’il personnifie et s’infiltre même dans la réflexion portée sur la démarche allégorique. Faux Semblant se trouve au cœur du Roman de la Rose à tous les niveaux investis par Jean de Meun au fil de sa rédaction. Il s’intègre dans les débats de son temps pour porter la défense des maîtres de l’Université de Paris, surtout pour mieux mettre en lumière le vice autant que l’impératif des faux semblants dévotionnels. Sa sincérité toute paradoxale lui fait gagner sa place dans les rangs du dieu Amour malgré son opposition indubitable aux codes de la fin’amor. Il y prend une grande importance en vainquant et assassinant Malebouche. Il assied plus encore son message en s’entourant de l’Ami et de la Vieille et en se faisant le modèle de l’Amant. Tous les niveaux de cet épisode long et d’apparence tortueux se comprennent ainsi à la lumière de cette réflexion à portée herméneutique. De manière intéressante, elle joue avant tout sur les signes liés aux apparences, au-delà de ceux du langage 339détournés au gré de bon nombre de discours du Roman de la Rose495. Et au cœur de la réflexion tant religieuse, dictée par l’incarnation des Ordres Mendiants par Faux Semblant, qu’amoureuse, logique au sein de cette allégorie de la conquête amoureuse, c’est l’investissement émotionnel et l’apparence qui en est offerte, dissimulée pour être mieux protégée ou jouée pour mieux manipuler ses destinataires, qui se pose. Tout en faisant mine de ne chercher en rien à s’y intégrer, Faux Semblant démontre son influence sur l’éthique amoureuse. Son échange avec Amour en révèle toute la dynamique dialogique et problématique, son pseudo-pèlerinage et la prétendue confession de Malebouche témoigne de son efficacité et de sa vilenie, son association avec l’Ami puis avec la Vieille rend compte de la portée de la contamination trompeuse qu’ils représentent, et la place qu’il prend comme modèle de l’Amant éclaire finalement l’importance accordée à la fausseté et aux jeux émotionnels dans la conquête amoureuse. Bien loin de l’impression d’électron libre qu’il a souvent laissée, Faux Semblant revêt une importance capitale dans le récit du Roman de la Rose ainsi que dans le projet rédactionnel de Jean de Meun.
De l’omniprésence des faux semblants
Le système Faux Semblant au cœur du Roman de la Rose
Nous entamions notre réflexion autour du système Faux Semblant en défendant sa position centrale au sein du Roman de la Rose. La scène de confession de Malebouche révèle l’importance conférée à l’exercice de lecture par la menace dont Faux Semblant l’investit. Elle permet d’éclairer l’entremêlement subtil des dynamiques convoquées par le personnage du faux moine, du Frère Mendiant et du maître adepte du sophisme dans toute leur portée aussi dans la sphère amoureuse. Elle s’avère indispensable à la destruction de la porte gardée par Malebouche et à l’irruption de l’Amant dans le château de Jalousie puis auprès de 340la Rose. Faux Semblant incarne ainsi le souhait d’analyse totale de Jean de Meun, qui n’hésite pas à se prêter à une critique historiquement construite de l’hypocrisie religieuse pour alimenter son entreprise de révélation de la fausseté inhérente à l’éthique amoureuse. Mais au-delà de son incidence dans le projet d’écriture de Jean de Meun, l’importance de Faux Semblant se comprend à la lumière de l’impulsion décisive qu’il offre à l’action du Roman de la Rose496. Son intervention survient dans un moment de doute qui offre sa pleine mesure à l’efficacité et à la nécessité du faux moine497. Le poids accordé à ce curieux personnage se marque également dans sa position véritablement centrale dans le récit498. Kevin Brownlee mettait aussi en lumière dans ce sens toute la portée de l’opposition entre Amour et Faux Semblant, placée au cœur de l’intrigue499. Une telle structure vient exacerber le renversement du code amoureux qui s’y joue. La centralité de Faux Semblant se perçoit également dans son encadrement par les personnages de l’Ami et de la Vieille, mais aussi par une autre paire contrastive formée par Raison et Génius qui rythment la réflexion de Jean de Meun500. Le spectre de Faux Semblant finit ainsi par contaminer l’ensemble du récit, par sa répercussion sur les autres figures du Roman, par l’empreinte qu’il laisse sur Amour au gré de ce dialogue problématique, par le rôle qu’il joue en défaisant Malebouche. Cet épisode, marqué par une ironie et une cruauté déroutantes, peut se lire comme un levier de compréhension d’enjeux cruciaux dans la trame narrative et le projet de Jean de Meun :
Le meurtre de Male Bouche offre donc un concentré des interrogations centrales du roman sur l’ambivalence du faux-semblant, à la fois néfaste, dangereux et moralement condamnable, et instrument utile à l’amant et à l’artiste, instigateur d’un plaisir lié à la transgression voire à la perversion. Le personnage double de Faux-Semblant soulève la question de l’usage trouble du langage par l’écrivain, lui-même falsificateur des mots501.
C’est ainsi l’ensemble du système Faux Semblant qui se voit mis en valeur par la centralité structurelle qu’il présente, par la centralité des 341questions qu’il pose et surtout bien sûr par son impact décisif sur la trame du récit. Son influence sur l’Amant vient offrir la démonstration éclatante de la place prise par Faux Semblant dans l’univers amoureux, entièrement contaminé par son système de valeurs en dépit de sa disparition. Telle est toute l’ironie de Jean de Meun qui parvient à mettre en lumière l’omniprésence et la fonction essentielle des faux semblants tout en en faisant disparaître le symbole.
Le sort de Faux Semblant entre disparition
et contamination générale
Avec l’incertitude qui entoure l’ensemble de l’épisode consacré à Faux Semblant, Jean de Meun choisit d’éliminer son personnage une fois sa mission accomplie et sa leçon délivrée. Il ne fournit pas plus d’indication formelle au moment de son départ qu’il ne l’avait fait à son arrivée, qui en paraissait presqu’abrupte. Sa disparition n’est quant à elle constatée qu’a posteriori, quand Nature et Génius rejoignent l’armée d’Amour à l’issue d’une autre confession ambigüe de Nature à Génius :
Mais faus samblant n’i trueve pas :
Partiz s’en ert plus que le pas
Des lors que la vieille fu prise
Qui m’ouvri l’uis de la pourprise
Et tant m’ot fait avant aler
K’a bel acueill me lut parler.
Il n’i vost onques plus atendre,
Ainz s’en foï samz congié prendre502.
Le retour à la narration après la longue plainte de Nature se concentre donc aussitôt sur Faux Semblant, du moins sur l’absence de Faux Semblant. Aussitôt remarquée, son absence révèle l’importance qu’il a prise dans l’armée d’Amour. Son départ remonte cependant déjà à la rencontre de l’Amant et de Bel Accueil, permise par le faux moine, comme le soulignait lui-même l’Amant, près de cinq mille vers plus tôt. La mise sous silence du départ d’un personnage aussi fracassant joue du flou qui continue à l’entourer même in absentia. Elle offre surtout l’occasion à l’Amant de saluer une fois de plus l’aide salvatrice qu’il lui a offerte et toute l’efficacité de sa mission. Les coordinateurs temporels 342mettent en lumière le souhait immédiat de Faux Semblant de quitter l’armée une fois son rôle rempli. La proximité, voire l’empressement, entre ces étapes est explicite. Le désir de Faux Semblant de partir sans même congié prendre illustre une dernière fois son caractère insaisissable, et dissident. Il détone parmi les barons d’Amour, ne peut rester parmi eux, même une fois son utilité démontrée. Il arrive comme il est venu, auréolé du mystère que nul n’aura su percer, sans avoir été demandé ni demander son dû. Nature venait d’ailleurs d’offrir un résumé de l’ambivalence de ce personnage, tout aussi malvenu qu’indispensable. Les salutations que Nature envoie à Amour et à « toute la baronnie » ne peuvent inclure le personnage de Faux Semblant, auquel elle refuse de faire preuve de cette politesse503. Le portrait qu’elle en dresse pour se justifier est un véritable condensé du personnage, pourtant riche et polymorphe. Elle insiste sur son association avec les « felons orgueilleus », selon un lien toujours marquant avec le premier des vices, et « les ypocrites », et sur le danger qu’ils recèlent504. Elle revient même sur la dimension apocalyptique qui entoure les hypocrites en faisant référence à l’« escripture » qui condamne de tels « seudophrophete505 ». Tout l’univers critique de l’hypocrisie religieuse mobilisée par Faux Semblant se trouve ainsi réactivé, de même que sa proximité avec Abstinence Contrainte. De manière presqu’ironique, Nature la met en exergue en reprochant à Abstinence Contrainte elle aussi « d’estre orgueilleuse », mais surtout « d’estre a faus samblant samblable », la similitude de la dissimilitude – très éloquente – étant centrée sur le samblant « humble et charitable506 ». Les émotions manipulées par Abstinence Contrainte relèvent donc une fois encore de celles, intouchables, de la dévotion la plus pure. En relevant de son seul samblant, sans aucun véritable investissement émotionnel, elles témoignent de la vilenie de ce personnage, selon ce carré sémiotique que nous avons pu identifier. Abstinence Contrainte joue ici de la plus condamnable de ces catégories, celle qui touche à la simulation d’émotions bienséantes, mais qui n’est fondée sur aucune réalité émotionnelle et s’inscrit en outre dans une optique trompeuse. Bien sûr, la condamnation 343d’Abstinence Contrainte s’avère assez logique de la part de Nature qui prêche contre l’abstinence. Par transposition, cette critique peut compléter celle de Faux Semblant lui-même, bien plus concerné encore par ce jeu malintentionné des signes émotionnels. Nature insiste ainsi sur la menace que représentent de « tels traïstres prouvez » et sur la faute qu’elle reproche à Amour de ne pas les « bouter / hors de son ost507 ». Il est d’ailleurs intéressant de noter le lien de cause à effet, mis en exergue par le jeu de rimes, entre leur apparence « a redouter » et cette décision qu’aurait dû prendre Amour de les bouter. Il semble déjà sous-entendre qu’un tel raisonnement n’était pas tenable, le danger que représente Faux Semblant constituant très justement la raison de son maintien parmi les barons d’Amour. La dénonciation de Nature se veut en effet aussi nuancée. Elle pose une condition à l’exclusion de Faux Semblant, accusé de traïson seulement « se plus est trouvez508 ». Cela témoigne de la parfaite compréhension de la part de Nature de la confession du faux moine et de son utilité en faisant planer le même doute que celui que Faux Semblant instillait dans sa confession à Amour. Mais cela peut aussi relever d’une crédulité criante à l’issue de celle-ci, ou plutôt encore d’une réflexion assez ironique sur la nouvelle situation de Faux Semblant, héros des barons d’Amour, que l’on ne pourrait, mais devrait peut-être, qualifier dans leur ensemble de traïstres provez. Cette ambivalence de perspective se trahit déjà dans le conditionnel employé pour condamner l’association de Faux Semblant avec les felons orgueilleus509. On perçoit ainsi qu’à aucun moment Nature ne critique directement Faux Semblant, seulement ceux auxquels il s’assemble, sans pour autant être formelle sur la question ni du côté de ces felons ni du côté d’Abstinence Contrainte. La seule chose dont Nature se montre certaine réside du côté de la nécessité de ces adjuvants contestables d’Amour. La décision d’Amour de ne pas les bouter se marque dans une double proposition conditionnelle « s’il li pleüst » et « se certainement ne seüst / qu’il li fussent si neccessaire / qu’il ne peut sanz euls rien faire510 ». On retrouve ainsi le champ lexical de la connaissance et du savoir qui restait insaisissable dans tout le discours de Faux Semblant. 344Ici au contraire, la connaissance s’impose avec évidence. L’anaphore de qu’il révèle toute l’efficacité de Faux Semblant et de sa compagne, par contraste avec Amour dont la capacité d’action est directement dépendante de ses deux nouveaux barons. La logique grammaticale de ces deux vers est intéressante, au-delà de l’anaphore. Elle met en exergue la passivité d’Amour, respectivement objet du besoin et agent de l’incapacité marquée par le verbe puet à la négative. L’action réside dans les mains seules de Faux Semblant, comme l’issue de la conquête du château l’a d’ailleurs bien démontré. Nature ne se fait aucune illusion sur le caractère indispensable de Faux Semblant, quelle que soit sa volonté – relative – de le condamner. Mais plus encore, elle « pardonne » même « cest barat », qui ne peut qu’être celui de Faux Semblant au vu de son lignage, s’il se met « en la cause as finsamoureus511 ». La condition, la troisième posée par Nature, paraît à coup sûr remplie : l’Amant a bien remercié Faux Semblant pour l’aide qu’il lui a accordée. Le pardon de Nature constitue une absolution plus grande encore que l’acceptation d’Amour l’était. Il témoigne de la place essentielle attribuée à Faux Semblant, indispensable à la réalisation de la quête d’amour et sous-entend, juste avant d’en constater la disparition, la pleine intégration. Nous voudrions dans ce contexte nuancer la remarque d’Armand Strubel au sujet du départ de Faux Semblant, justifié par le fait que Faux Semblant a achevé sa mission, mais aussi par son caractère – certes – scandaleux et encombrant512. Il nous semble cependant important de souligner que le départ de Faux Semblant relève de sa propre volonté, bien soulignée d’ailleurs dans le passage cité juste auparavant. Il ne s’agit là bien sûr que d’un détail, mais un détail qui nous paraît éclairer la nature indécise de la disparition, comme de la dénonciation par Nature, de Faux Semblant. Il joue de la pleine intégration du faux moine au système de ce Miroer aus amoureus. Celle-ci s’impose d’autant plus en regard de la contamination générale qu’il induit sur la suite du récit513. On a noté son influence dans le Roman de la Rose au-delà de sa seule association avec l’Ami et la Vieille514. Il éclaire l’ensemble de la 345quête, dont le discours de Raison par exemple515, tous deux menant à une remise en question du statut de fin’amant et de la nature de l’amour. Il colore aussi celui de Nature516, comme cette condamnation en demi-teinte semble d’ailleurs en témoigner. Surtout, en disparaissant, Faux Semblant laisse la place à Génius, au discours fondamental lui aussi dans le projet rédactionnel de Jean de Meun517. On constate encore son influence dans le combat entre les héros de l’Amant et les défenseurs de la Dame : Franchise combat avec cajolerie, Pitié n’hésite pas à verser quelques larmes, Bien Celer, nous l’avons vu518, recourt aux lieux cachés pour mieux tromper son adversaire519. Les armes de la tromperie s’insinuent partout, même, et surtout, chez l’Amant. Faux Semblant reste ainsi présent dans le héros de la quête qui ne se dépare plus de l’ombre du faux moine520. Quoiqu’absent, Faux Semblant s’avère omniprésent521, comme il l’annonçait lui-même dans son exposé à Amour522.
Bien loin d’être exclus de l’intrigue, Faux Semblant y gagne encore en importance une fois son départ constaté. Sylvia Keck note dans ce sens l’intérêt, finalement, de sa sortie du cadre narratif523. C’est une fois disparu qu’il démontre toute la portée de son intégration dans l’armée d’Amour. Sous ses airs de pièce rajoutée, Faux Semblant joue un rôle essentiel dans la conquête amoureuse, comme dans le projet de Jean de Meun. Il y sert de mise en garde contre les lectures simplistes, une ambition cruciale de la deuxième partie du Roman de la Rose instillée dans ce goût de l’écriture oblique que cultive Jean de Meun524. La véritable leçon qu’il offre à ce niveau lors de sa rencontre avec Malebouche n’est cependant pas la seule délivrée par Jean de Meun par le biais de Faux Semblant. Kevin Brownlee voit dans le dialogue entre Amour et Faux Semblant une autoreprésentation de l’entreprise de Jean de Meun par la rencontre entre poésie courtoise et histoire qu’il 346véhicule525. Fabienne Pomel insiste également dans cette perspective sur la figure paradigmatique que constitue Faux Semblant, alliant problématique sexuelle et littéraire dans une réflexion sur l’utilité du faux et la voie vers le plaisir526. Faux Semblant semble concentrer tout le talent de Jean de Meun, mêlant l’ironie et le sens de la provocation qui l’animent527. La difficulté posée par ce personnage semble s’inscrire dans cette perspective, voulue par Jean de Meun pour porter son projet. Elle se trouve cependant aussi à la source d’un besoin de justification de sa part : « Even Jean himself seemed to feel the need to gloss and contain Faus Semblant, offering an apology and clarification528 ». Il démontre sa parfaite conscience du trouble que jette son personnage et des critiques qui pourraient s’élever à son encontre. Il s’immisce pour cela au cœur de son récit pour livrer une longue défense de son œuvre, et du « chapitre » Faux Semblant en particulier529. Jean de Meun veille à anticiper les réactions de ceux qui « contre [lu]i groucent, qui se tormentent et corroucent » du discours de Faux Semblant, au nom de son « entencion530 ». On retrouve ainsi ce critère d’évaluation essentiel aussi bien pour l’œuvre poétique que pour l’émotion et sa manipulation. Le rapprochement est d’ailleurs significatif de l’importance conférée à la réflexion autour des jeux émotionnels et de leur perception. Jean de Meun s’oppose ainsi à la lecture simpliste qui pourrait être faite de ce chapitre en précisant qu’il n’y est pas question pour lui « de parler contre houme vivant / sainte religion sivant531 ». Le dédoublement des participes présents témoigne de l’essence même de la distinction faite par Faux Semblant, et Jean de Meun à son tour : il convient de suivre à proprement parler la religion en question. Il se montre d’ailleurs plus spécifique encore ensuite en nuançant, à la rime, la vie passée « en bonne oevre » et « quelque robe » dont on « se coevre532 ». L’habit, dont Faux Semblant 347a révélé le peu de fiabilité, ne suffit pas. La sainte religion ne doit pas se covrir, mais au contraire s’ouvrir de manière bien plus sincère dans les œuvres qui permettent de la manifester. Jean de Meun parvient ainsi à résumer en quatre vers seulement l’enjeu véritable de ce chapitre Faux Semblant. Il ne manque néanmoins pas cette occasion de revenir sur le cœur du débat relayé par son personnage. Il dresse à cette occasion un portrait de lui-même similaire à celui du dieu Amour, présenté tirer ses flèches au tout début du Roman533. La blessure bénéfique de sa « saiete », « pour connoistre » et non « pour affoler », n’est elle aussi pas sans rappeler celle de Bel Semblant, dont l’oignement apaisait l’effet tranchant de la flèche534. Ici, l’oignement se décline donc en cette connaissance, posée au cœur du Miroer de Jean de Meun, concentrée ici sur les « desloiauz gens », qu’ils « fussent seculier ou de cloistre535 ». Il justifie ainsi la longue digression de Faux Semblant autour des hypocrites, de tous bords comme il le souligne, à l’instar de son personnage dans sa propre présentation536, au nom du projet presqu’encyclopédique de son œuvre. Il offre ce faisant un résumé d’une grande efficacité de la condamnation du faux moine, mais aussi de tout ce qu’il incarnait. Son insistance sur l’omniprésence de l’hypocrisie dénoncée hors même du cloître lui permet bien sûr de se laver des soupçons des Frères Mendiants. Mais il rappelle aussi sa concentration sur le vice des apparences trompeuses. La manipulation de ces desloiaus genz est mise en exergue par leur souci de « sambler plus honestes537 ». Leur recours aux signes de « penitance » et d’« astinance » est dénoncé surtout en regard de la « venimeuse entencion » qui les anime538. Jean de Meun se montre explicite quant à l’importance dont il investit ce critère intentionnel, pour son œuvre comme pour la condamnation des jeux émotionnels des hypocrites. Poser comme objectif de cette mise en lumière la connaissance de leur vice et du danger qu’ils représentent permet d’ailleurs de mieux associer encore ces deux entencions. Il dévoile ainsi tout l’intérêt qu’il porte au défi herméneutique que pose la 348manipulation des semblants, de ceux qui relèvent d’émotions aussi intouchables comme celles de la dévotion plus encore. Il l’investit dans cette réflexion générale qui anime la soif de connaissance à laquelle vient répondre le Roman de la Rose. Il lui accorde une place centrale, en regard du danger qu’il y perçoit, comme il le dénonce aussi bien par le biais du discours de l’Ami, de la Vieille, de Raison ou de Génius encore, mais surtout de Faux Semblant, dont la connaissance restera inaccessible. Cette apologie illustre ainsi le rôle essentiel que Jean de Meun accorde à Faux Semblant. Ce qui s’impose également à la lecture de cette ample excusatio, c’est toute la subtilité de la critique adressée par Faux Semblant. Les arguments de Jean de Meun l’élèvent même à l’égal du roman tout entier. Il les défend, l’un comme l’autre, en ceci qu’ils ne critiquent que ceux qui s’y retrouvent539. Le lien ainsi tissé entre la leçon de Faux Semblant et celle du Roman de la Rose dans son ensemble renforce bien sûr l’importance conférée à son contenu. L’insistance de Jean de Meun sur l’enjeu de la connaissance qu’il posait au cœur du chapitre de Faux Semblant signale l’importance dont il dote la recherche de la vérité dans son œuvre. Nathalie Coilly et Marie-Hélène Tesnière dépeignent dans ce sens la proximité des enjeux du discours de Faux Semblant et du Roman de la Rose dans son ensemble : « Comme le discours satirique de Faux-Semblant contre les ordres mendiants, il [Jean de Meun] appelle à rechercher la vérité au-delà de la fable et des apparences, d’une certaine manière à “réformer” le monde540 ». Telle semble être la conclusion que l’on peut tirer de son apologie, centrée sur une justification de sa bonne intention, au contraire de celle des hypocrites qu’il dénonce dans un souci presque justicier. Cette mission dont il investit Faux Semblant au-delà de celle dont l’investissait Amour éclaire toutes les difficultés posées par ce curieux personnage. C’est dans ce sens qu’il entrelace vérité et fausseté, selon ce paradoxe immuable qui le caractérise, et en vient à incarner toute la pratique allégorique développée dans la seconde partie du Roman de la Rose541. Il se fait symbole de l’usage particulier que fait Jean de Meun de l’allégorie, dès lors fondé, comme Faux Semblant, sur l’alliance des 349contraires pour mieux inciter à en dépasser le sens premier542. Comme le résume Daniel Poirion, Faux Semblant se définit comme un personnage masqué, mais qui a la particularité, et l’ambition manifeste, de laisser passer la vérité sous son masque543. Ce qu’il révèle ainsi, c’est la place accordée à la problématique posée par les apparences dans cet exercice herméneutique, et en particulier celles des émotions si aisément, nécessairement, mais surtout si vilement manipulées.
Faux Semblant, maître à penser les jeux des émotions
Par son masque de faux moine, Faux Semblant en vient à signaler la fausseté de l’ensemble des masques portés dans la sphère amoureuse. Sa confession à Amour ne reconnaît pas seulement la fausseté de son semblant, elle met en lumière que le semblant ne peut qu’être faux544. Les liens qu’il cultive avec la première partie du roman ne témoignent pas seulement de la contamination de l’hypocrisie religieuse dans l’univers de la fin’amor symbolisé par le Verger de Déduit. Ils servent à répandre la leçon de Faux Semblant. Tous les conseils de convenance qui y étaient prodigués relèvent de la même illusion que celle de sa robe. Le Jardin dans son ensemble s’érige en royaume des illusions545, dévoilées par le faux moine qui vient le corrompre de sa fausseté et, ce faisant, en révèle la propre fausseté. Faux Semblant se fait le porte-voix de la moralité instillée par Jean de Meun dans son œuvre :
La moralité s’établit pour Jean de Meun également sur l’adéquation, l’« accordance » du « fet » à l’intention ou de l’apparence à l’idée ; sa problématique éthique est à l’image de sa problématique épistémologique : comme la connaissance, la qualité et la qualification morales dépendent de l’adéquation, de la « leialté », de la « justece » de l’acte avec l’intention et de la formalisation avec la réalité, l’acte et l’intention se jugeant autant que selon une référence hétéronomique, naturelle ou culturelle, selon la fidélité qui les unit : « bone amor doit de fin queur nestre » (v. 4 567) et « bon quer fet la pensee bone » (v. 11 087), sont des conditions nécessaires à la vertu mais c’est le « frans voloirs » (v. 17 169) qui en établit la moralité546.
350Mais surtout, Faux Semblant vient personnifier la rupture entre le cœur et son apparence, dans la forme la plus condamnable des jeux des émotions. À la dissimulation bienséante de Bien Celer et au réconfort de Bel Semblant, Faux Semblant oppose la simulation éhontée d’une dévotion sans aucun fondement affectif, mais d’une efficacité indiscutable. Mais ce faisant, il révèle aussi la part de faux de tout bel semblant qui ne reflète pas la réalité du cœur. Il ré-établit l’idéal de concordance entre intérieur et extérieur pour en démontrer l’ampleur des détournements. Il symbolise l’artifice et la trahison constante des signes. La réflexion qu’il induit se veut totale, fondée autant sur le voile du langage que sur celui du déguisement et des apparences, sans parler de celui, joué tout au long du roman, de l’allégorie. C’est sur cette base que Susan Stakel défend l’importance du personnage de Faux Semblant au cœur du Roman de la Rose : « We are unable to count on anything being what it seems, a condition incarnate in Faux Semblant and implicit in the other personifications of the Roman de la Rose. Structurally and thematically, therefore, Faux Semblant is an integral part of the Rose547 ». Faux Semblant devient le symbole d’une incertitude viscérale, fondée sur la non-fiabilité des apparences qui compliquent voire rendent impossible l’accès à la connaissance d’un être tel que lui. L’emphase mise sur sa fausseté n’a en effet d’égal que celle qui entoure l’enjeu de la connaissance souhaitée par Amour au fil des questions posées au faux moine. La seule certitude qu’Amour acquiert tient à l’impossibilité d’obtenir la moindre réponse fiable. Ce constat touche à la nature profonde de Faux Semblant, entièrement défini par son apparence, dont il met en exergue la part forcément trompeuse. Jonathan Morton souligne toute l’importance de cette démonstration faite par Faux Semblant : « Faux Semblant presents both his fictional and Jean de Meun’s real audiences with a disconcerting and destabilizing uncertainty about our ability to judge someone’s character and personality from the outside548 ». La réflexion qu’il propose autour de l’adage de l’habit qui fait ou ne fait pas le moine s’intègre bien sûr à merveille dans une telle dynamique. L’ensemble de la prétendue digression de Faux Semblant autour des Ordres Mendiants se comprend ainsi dans sa volonté de remettre en question le pouvoir accordé aux apparences. C’est aussi dans ce sens qu’il invite à plusieurs reprises à se concentrer 351plutôt sur les actes, jugés bien plus fiables549. En prenant la pleine mesure du message de Faux Semblant, on peut saisir tout l’intérêt de sa posture de moine, de sa longue diatribe à l’encontre des Ordres Mendiants, de son prétendu pèlerinage vers la porte gardée par Malebouche. Toutes ses références aux signaux dévotionnels contribuent à la mise en lumière des manipulations qui peuvent entourer une émotion aussi pure et fondamentale et qui fondent sa ruse. C’est en se jouant de cette émotion d’apparence périphérique à toutes celles investies dans la quête amoureuse que Faux Semblant parvient à démontrer le tout aussi grand potentiel frauduleux de l’émotion amoureuse. Son intégration dans l’armée d’Amour et sa contribution magistrale à la prise de la Rose, dédoublée dans sa victoire contre Malebouche et dans son conseil à l’Amant, viennent confirmer cette contamination de Faux Semblant. Tout l’intérêt réside bien sûr dans la confession paradoxale de Faux Semblant, à la fois avertissement et leçon de l’utilité des faux semblants qu’il incarne. En surinvestissant ainsi tous les aspects de son intervention dans la trame du Roman de la Rose, Faux Semblant s’en fait le maître à penser. Il éclaire l’importance conférée par Jean de Meun à cette problématique des apparences et surtout de celles qui touchent aux émotions. Son nom résume à lui seul la leçon que souhaite offrir Jean de Meun par son biais : les semblants ne sont pas beaux, ils sont faux. Il confirme et brouille à la fois le carré sémiotique auquel Bel Semblant, Bien Celer et l’Ami avaient déjà contribué à donner forme. Faux Semblant vient assurer la transition d’une catégorie à l’autre, de la dissimulation bienséante à la simulation mal intentionnée. Mais son nom révèle combien la frontière peut être ténue. Tout le discours de l’Ami l’indiquait déjà : il n’y a qu’un pas entre les attitudes bienséantes indispensables à la séduction et la ruse à proprement parler. Faux Semblant souligne néanmoins toute la malignité dont peut se parer la manipulation émotionnelle. Il en éclaire ainsi les dynamiques essentielles et surtout la place laissée au critère intentionnel. Jean de Meun y revient encore au gré de son apologie : l’intention distingue de manière formelle le jeu innocent de celui qui ne peut être que blâmé. Or, la conquête de l’Amant ne se conclut pas par la séduction de la Rose, mais par sa cueillette brutale. Toute l’efficacité reconnue à Faux Semblant dans la progression de 352l’Amant vient se parer de la lumière pour le moins ambigüe que jette la conclusion de ses aventures. L’Amant porte le coup final à l’éthique amoureuse, décidément mise à mal par ce jeu trompeur révélé, dénoncé et exemplifié, dans tout son éclat, par Faux Semblant. La réponse qu’offre le discours de la Vieille à celui de l’Ami joue de l’effet de miroir que Faux Semblant mettait déjà en scène en démultipliant ses identités. L’entremêlement des jeux masculin et féminin participe de cette mise en exergue de l’omniprésence de la ruse en amour, à laquelle Bel Accueil vient lui-même contribuer en se dissimulant à la Vieille. Elle s’infiltre donc dans le camp même de la Dame, et même entre deux membres de son camp, dans une belle démonstration de la tension qu’implique le jeu émotionnel dans la sphère amoureuse. Bien plus que Faux Semblant posé au cœur de ce chapitre, c’est l’ensemble des instances trompeuses du Roman de la Rose que nous avons donc souhaité interroger. Elles nous semblaient d’autant plus intéressantes à intégrer à notre réflexion qu’elles touchent elles aussi toutes à la sphère affective bien plus qu’aux mensonges, pourtant essentiels dans la dénonciation du péché de langue des losengiers – bien démontré par la fin de Malebouche – et de la ruse des faux amants. L’Ami comme la Vieille jouent bien davantage de leurs émotions et des apparences qu’ils s’efforcent à en manifester pour manipuler l’être – prétendument – aimé que des fausses promesses et déclarations. Surtout, l’Amant fonde lui aussi son approche de la Rose sur une attitude faussement dévote davantage que sur des proclamations de sincérité qu’il se garde bien de faire. Tout comme Faux Semblant, l’Amant finit par refuser le mensonge et se contente de jouer des apparences dont aucun défenseur de la Rose ne pense à se prémunir. Du Bel Semblant réconfortant à l’Amant faussement rassurant, mais plus encore de Papelardie exclue du Verger à Faux Semblant posé au cœur de l’armée d’Amour, toutes les incarnations et démonstrations de l’utilité reconnue aux manipulations émotionnelles ont ainsi été passées au fil de cette analyse que nous voulions consacrer au Roman de la Rose. La dimension herméneutique du projet de Jean de Meun justifiait le chapitre qu’il nous paraissait falloir lui dédier. Les longs détours que nous avons pris, des origines de Faux Semblant trouvées dans la querelle anti-fraternaliste aux propres discours de ses acolytes que sont l’Ami et la Vieille, en passant surtout par son influence décisive sur l’armée d’Amour et sur son héros, visaient à donner toute l’ampleur des logiques induites dans 353ce récit allégorique amoureux aux jeux sur les émotions. Ils nous semblaient nécessaires pour porter l’analyse qui suivra, qui se veut révélatrice de l’influence de ce système mis en lumière par le biais de Faux Semblant. Ce long parcours permet de donner toute sa force à la transition amorcée de la partie de Guillaume de Lorris à celle de Jean de Meun, du Bel au Faux Semblant. Si la première partie du Roman de la Rose s’attachait à témoigner du danger des Images fixées sur le Mur du Verger par leur apparence, sa continuation tend plutôt à illustrer tout le danger des apparences elles-mêmes. La leçon de Faux Semblant ne pourra être ignorée, plus encore au vu de la portée de sa dénonciation. Son insistance première sur l’hypocrisie religieuse démontre combien les jeux émotionnels s’avèrent omniprésents et d’autant plus périlleux qu’ils ne restent en rien cantonnés au Mur du Verger. Mais surtout elle sert à révéler la propre hypocrisie du code amoureux courtois, pourtant lui aussi marqué par cet idéal de mesure, mais surtout de sincérité qui empreint la sphère religieuse. En les unissant sous son manteau de faux moine, Faux Semblant rend compte de la proximité de ces deux codes émotionnels. Il porte atteinte autant à l’un qu’à l’autre, ou plutôt révèle la tendance trompeuse de l’un comme de l’autre. Cet entremêlement caractéristique de Faux Semblant fondera la suite de nos analyses qui, à l’instar de ce chapitre, se construiront en deux temps, centrés sur la dimension amoureuse des faux semblants, puis sur la sphère religieuse à laquelle s’en prend d’abord Faux Semblant. Autant au niveau amoureux que religieux, les questions soulevées par Faux Semblant suscitent la réaction d’auteurs qui se jettent dans la réflexion lancée par Jean de Meun autour des jeux émotionnels. Ils y formulent des réponses complexes, désactivant et réactivant l’ensemble du système Faux Semblant. Tout un prisme de solutions, toutes d’une grande originalité, voient le jour, portées tant par les détracteurs que par les défenseurs de Jean de Meun et de son personnage. On tente ainsi d’encadrer et de réorienter les dynamiques propres aux jeux émotionnels sur la base de ce carré sémiotique mis en lumière par Faux Semblant, joué, détourné, légitimé ou blâmé dans des œuvres aussi essentielles que celles d’Évrart de Conty, Guillaume de Diguleville, Antoine de la Sale ou Martin le Franc. Il restait cependant un pan essentiel de notre analyse à envisager avant de conclure ce parcours parmi les grandes logiques des jeux émotionnels mis en scène dans la littérature française médiévale. Si Faux Semblant compose avec 354les univers amoureux et religieux qu’il veille à rapprocher, il finit par appeler, par cette généralisation totale des jeux émotionnels qu’il induit dans le Roman de la Rose, à une réflexion plus globale encore. C’est chez Christine de Pizan qu’elle aboutit, dans une réponse d’une grande complexité, révélatrice de toute la tension incarnée par le faux moine ribaus d’Amour. À l’instar de cette figure paradoxale, Christine de Pizan paraît superposer à sa condamnation de Jean de Meun et de ses recommandations trompeuses une forme d’adhésion, du moins de reconnaissance de la nécessité des jeux émotionnels requis sur la scène non seulement amoureuse, mais aussi, de manière plus large, sociale. Tout autant qu’il s’inscrit dans la tradition émotionologique préexistante qu’il a le talent de mettre sous le feu des projecteurs, Faux Semblant porte en germe l’ensemble de sa réception, qui se veut à la fois condamnatrice et élogieuse, à la manière de cette étrange confession qu’il livrait au dieu Amour quant à la place des faux semblants. Ancré dans son temps par ses références à la querelle anti-fraternaliste, il joue en même temps les précurseurs, dans cette réflexion liée aux signes émotionnels comme dans celle qu’il porte autour de la pratique poétique et allégorique en particulier. Le théâtre du xve siècle présente en effet des usages intéressants des masques allégoriques comme « meneurs de jeu dont la puissance repose sur un masque déceptif550 ». De telles dérives paraissent tout à fait similaires à celles portées par Faux Semblant :
La fixité allégorique n’est plus qu’un prétexte pour une effarante complexité identitaire, qui piège les autres personnages dans leur tentative d’interprétation. Les héros maléfiques de ces pièces sont alors des manipulateurs de discours […]. Ceux-ci ont pour conséquence la non-reconnaissance par les autres protagonistes d’un corps désormais caractérisé non plus par la fixité, mais par le mouvement551.
Cette réflexion stimulante d’Estelle Doudet témoigne d’un jeu riche et complexe mené au xve siècle autour des conventions allégoriques, mais qui n’est en réalité pas sans rappeler celui déjà induit par Faux Semblant. La dimension historique de la réflexion qu’il dédie aux Ordres Mendiants ne limite donc en rien la portée de ce personnage hors norme, tant au niveau de la leçon qu’il délivre que de celle dont 355Jean de Meun l’investit également. Sa plus grande contribution au débat herméneutique lancé par Jean de Meun en parallèle de celui de l’Université de Paris touche aux signes les plus ténus et aux plus problématiques d’entre eux, ceux de l’émotion. Son enseignement se veut aussi paradoxal que sa propre figure, lui qui dénonce autant qu’il loue les jeux émotionnels qu’il dépeint. Il en dévoile toute la malignité, mais aussi toute l’efficacité, au gré des simulations malhonnêtes qu’il met sur pied pour mieux dissimuler, pire que les émotions négatives camouflées par Bel Accueil ou par l’Ami, l’absence totale d’émotion positive portée dans son cœur. Il vient incarner une forme maximale de la rupture entre cœur et apparence qui, bien loin du Bel Semblant de Guillaume de Lorris, ne peut plus se dénommer que Faux Semblant, tout en s’avérant bien plus nécessaire encore que cette flèche aux effets déjà si ambivalents d’Amour. Il porte ainsi à son apogée le jeu des émotions requis tant dans la communauté religieuse qu’amoureuse, et en affiche les résultats éclatants. Il révèle toute l’ampleur de cette problématique insoluble qu’est la maîtrise émotionnelle, prise entre ses impératifs de bienséance et d’honnêteté inconciliables. La garde ne peut que déborder dans la ruse, ses justifications s’entourer d’une part de soupçon, que les auteurs médiévaux n’auront de cesse de repenser sur la base de cet héritage incontournable de Faux Semblant.
1 Nous avons parcouru, pour ce rapide exposé terminologique, les entrées dédiées au semblant dans le Trésor de la Langue française, le Dictionnaire de Godefroy, le Dictionnaire du Moyen Français et le Französisches Etymologisches Wörterbuch, versions en ligne consultées le 2 février 2017.
2 Telles sont également les conclusions des quelques études qui ont été données de ce terme ambigu. Elles soulignent tant son noyau sémantique de conformité que sa rupture potentielle. Voir P. A. Messelaar, Le vocabulaire des idées dans le Trésor de Brunet Latin, Assen, Van Gorcum, ca. 1963, p. 312 et H. Solterer, « Le bel semblant. Faux Semblant, Semblants romanesques », Médiévales, no 3/6, 1984, p. 26-36.
3 P. Zagorin, « The Historical Significance of Lying and Dissimulation », Social Research, no 63/3, 1996, p. 863-912, ici p. 867.
4 Notons que le terme de chere revêt aussi toute cette équivocité. Laurent Smagghe évoque cette ambiguïté en conclusion de son ouvrage dédié aux émotions princières. Il souligne le doute qui plane le plus souvent sur les manifestations émotionnelles. L’historien pose ainsi l’hypothèse d’une véritable construction critique, dans ce cas des effusions de joie, du fait de ces références ambigües à la chere et surtout du recours, parfois abusif, au champ lexical du paraître. Voir L. Smagghe, Les émotions du prince. Émotion et discours politique dans l’espace bourguignon, Paris, Garnier, 2012, p. 404.
5 Comme le remarque Helen Solterer : H. Solterer, op. cit., p. 29. La définition donnée de l’apparence dans le Dictionnaire de l’historien insiste également sur sa place centrale au cœur du contrat social. Voir G. Bartholeyns, M. Charpy, M. Meiss-Even et I. Paresys, « Apparence », dans Dictionnaire de l’historien, dir. C. Gauvard et J.-F. Sirinelli, Paris, Presses Universitaires de France, 2015, p. 23-24, ici p. 24.
6 H. Solterer, op. cit., p. 34.
7 G. Bartholeyns, « Le tiers terme : le vêtement et la rationalité politique du corps au Moyen Âge », Revue des Langues Romanes, noCXXII/1, 2018, p. 125-165, ici p. 140.
8 G. Bartholeyns, « L’homme au risque du vêtement. Un indice d’humanité dans la culture occidentale », dans Adam et l’astragale. Essais d’anthropologie et d’histoire sur les limites de l’humain, dir. G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, T. Golsenne et al., Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009, p. 99-136, ici p. 121-122.
9 G. Bartholeyns, « Le tiers terme », op. cit., p. 149-150.
10 A. Strubel, « Engins, pièges et “deceptions” : la “ruse” de Renart en mots et en actes », dans « Deceptio ». Mystifications, tromperies, illusions de l’Antiquité au xviie siècle. Actes des journées d’études organisées en 1998-1999 par l’Équipe d’Accueil Moyen Âge, Renaissance, Âge Baroque MA-REN-BAR, dir. F. Dubost et F. Laurent, Montpellier, Publications de l’Université Paul-Valéry, 2000, p. 114-141, ici p. 132.
11 Nous avons parcouru, pour ce rapide exposé terminologique, les entrées dédiées au faux dans le Trésor de la Langue française, le Dictionnaire de Godefroy, le Dictionnaire du Moyen Français, le Dictionnaire étymologique de l’ancien français et le Französisches Etymologisches Wörterbuch, ainsi que le Dictionnaire Latin-Français de Gaffiot, versions en ligne consultées le 4 octobre 2018.
12 M. Grodet, « “Par bel mentir”. Mensonges et vérités ambigües en amour dans les récits courtois des xiie et xiiie siècles », Perspectives médiévales, no 35, 2014, p. 1-7.
13 A.-C. Fioratto, « Simulation/Dissimulation », dans Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre du Moyen Âge à nos jours, dir. A. Montandon, Paris, Seuil, 1995, p. 801-845, ici p. 807.
14 Son étymologie dicte d’emblée cette interprétation : le latin hypocrisis, lui-même tiré du grec hérité par le biais du domaine théâtral surtout, permet d’envisager la rupture entre intérieur et extérieur par l’opposition reconnue avec une vraie personnalité dissimulée sous des sentiments ou des qualités inexistantes. Voir le Dictionnaire étymologique de l’ancien français, version en ligne consultée le 7 octobre 2018.
15 Elle apparaît ainsi dans toutes les définitions données de ce terme pour l’époque médiévale : nous renvoyons une fois de plus aux définitions parcourues dans le Französisches Etymologisches Wörterbuch, le Dictionnaire de Godefroy et celui du Moyen Français, dans leurs versions en ligne consultées le 7 octobre 2018.
16 F. Amory, « Whited Sepulchres : The Semantic History of Hypocrisy to the High Middle Ages », Recherches de Théologie Ancienne et Médiévale, no 53, 1986, p. 5-39, ici p. 37.
17 A.-C. Fioratto, op. cit., p. 808-809.
18 J. Batany, Approches du Roman de la Rose, Paris/Bruxelles/Montréal, Bordas, 1973, p. 108-109.
19 De nombreux spécialistes du Roman de la Rose ont noté la prégnance de la thématique de la trahison et du jeu mené, par le biais de Faux Semblant, sur le système du vrai et du faux, voir par exemple : F. Pomel, « L’art du Faux Semblant chez Jean de Meun ou “la langue doublée en diverses plications” », Bien dire et bien aprandre, no 23, 2005, p. 295-313, ici p. 295 et Y. Roguet, « Forme et trahison dans le Roman de la Rose », dans Félonie, trahison, reniements au Moyen Âge, Aix-en-Provence, CUERMA, 1997, p. 219-231, ici p. 219.
20 S. Stakel, False Roses. Structures of Duality and Deceit in Jean de Meun’s Roman de la rose, Stanford, Anma Libri, 1991, p. 19-20.
21 Ibid., p. 29.
22 F. Pomel, op. cit., p. 295.
23 Ibid., p. 297-299.
24 Ibid., p. 295.
25 Ibid.
26 Comme le notent notamment Susan Stakel et Yves Roguet : S. Stakel, op. cit., p. 100 et Y. Roguet, op. cit., p. 221.
27 F. Pomel, op. cit., p. 299.
28 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, Madison, The University of Wisconsin Press, 1995, p. 153.
29 S. Gaunt, « Bel Accueil and the Improper Allegory of the Romance of the Rose », dans New Medieval Literatures 2, dir. R. Copeland, D. Lawton et W. Scase, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 65-93, ici p. 89.
30 N. D. Guynn, « Authorship and sexual/allegorical violence in Jean de Meun’s Roman de la Rose », Speculum, no 79/3, 2004, p. 628-659, ici p. 641.
31 J.-M. Mandosio, « La classification des sciences dans le Miroir des amoureux et l’érotologie de Jean de Meun », dans Jean de Meun et la culture médiévale. Littérature, art, sciences et droit aux derniers siècles du Moyen Âge, dir. J.-P. Boudet, P. Haugeard, S. Menegaldo et F. Ploton-Nicollet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 137-173, ici p. 146.
32 D. F. Hult, « Language and Dismemberment : Abelard, Origen, and the Romance of the Rose », dans Rethinking the Romance of the Rose. Text, image, reception, dir. K. Brownlee et S. Huot, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 101-130, ici p. 105.
33 A. Strubel, « Jean de Meun figure de l’aucteur dans le Roman de la Rose », dans Jean de Meun et la culture médiévale, op. cit., p. 47-60, ici p. 57 et S. Kay, The Romance of the Rose, Cambridge, Grant & Culter, 1995, p. 59.
34 D. F. Hult, op. cit., p. 110.
35 R. Dragonetti, Le mirage des sources. L’art du faux dans le roman médiéval, Paris, Seuil, 1987, p. 200.
36 D. Kelly, op. cit., p. 153.
37 S. Kay, op. cit., p. 65.
38 Ibid., p. 12.
39 D. Kelly, op. cit., p. 97.
40 E. Doudet, « Théâtre de masques : allégories et déguisements sur la scène comique française des xve et xvie siècles », Apparence(s), no 2, 2008, p. 1-13, ici p. 2.
41 C. van Dyke, The Fiction of Truth : Structures of Meaning in Narrative and Dramatic Allegory, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1985, p. 69-105, ici p. 84.
42 S. Kay, op. cit., p. 52.
43 A. Leupin, « L’hérésie littéraire. Paradigmes textuels dans le Roman de la Rose », dans De la Rose. Texte, image, fortune, dir. C. Bel et H. Braet, Louvain/Paris, Peeters, 2006, p. 59-80, ici p. 64-66. Notons bien sûr aussi la dissociation bien étudiée de la propre voix de Jean de Meun avec celle de l’Amant. Voir S. Huot, Dreams of Lovers and Lies of Poets. Poetry, Knowledge, and Desire in the Roman de la Rose, Londres, Legenda, 2010, p. 38.
44 E. J. Richards, « Les contraires choses : Irony in Jean de Meun’s Part of the Roman de la Rose and the Problem of Truth and Intelligibility in Thomas Aquinas », dans Nouvelles de la Rose : actualité et perspectives du Roman de la Rose, dir. D. M. González Doreste et M. del Pilar Mendoza-Ramos, La Laguna, Universidad, 2011, p. 383-398.
45 J.-M. Mandosio, op. cit., p. 147.
46 M.-R. Jung, « Jean de Meun et l’allégorie », Cahiers de l’association internationale des études françaises, no 28, 1976, p. 21-36, ici p. 28.
47 M.-R. Jung, « Jean de Meun et son lecteur », Romanistische Zeitschrift, noII, 1978, p. 241-245, ici p. 241.
48 Ibid., p. 243.
49 S. Keck, « Faux Semblant, Guerrier du Dieu Amour », Romanistische Zeitschrift, noII, 1978, p. 263-265, ici p. 265.
50 S. Huot, op. cit., p. 84.
51 K. Brownlee, « Reflections in the Miroër aus Amoreus. The Inscribed Reader in Jean de Meun’s Roman de la Rose », dans Mimesis. From Mirror to Method, Augustine to Descartes, dir. J. D. Lyons et S. G. Nichols, Hanovre/Londres, University Press of New England, 1982, p. 60-70, ici p. 61.
52 Ibid.
53 Marc-René Jung analysait dans ce sens le nom de Miroer aus amoureus en écho à la réflexion de Raison sur le caractère fallacieux des miroirs. Voir M.-R. Jung, « Jean de Meun et l’allégorie », op. cit., p. 28. David F. Hult met en relation l’esprit de controverse de Jean de Meun avec le concept d’herméneutique de la censure d’A. Patterson (Comme le qualifie Sarah Kay : S. Kay, « Women’s body of knowledge : epistemology and misogyny in the Romance of the Rose », dans Framing Medieval Bodies, dir. S. Kay et M. Rubin, Manchester, Manchester University Press, 1984, p. 211-235, ici p. 232), qui sert à circonscrire les œuvres cherchant à éviter toutes formes de répression, qu’elle soit sociale, religieuse ou politique, dans l’ambiguïté fonctionnelle qu’elles développent par le biais d’une indétermination linguistique pour problématiser la relation entre l’auteur et le lecteur. Voir D. F. Hult, « Words and deeds : Jean de Meun’s Romance of the Rose », New Literary History, no 28, 1997, p. 345-366, ici p. 350.
54 M.-R. Jung, « Jean de Meun et l’allégorie », op. cit., p. 28. Jean de Meun intègre ainsi le jeu développé autour de la relation entre professeur et élève, sous l’influence des réflexions menées à ce sujet par Alain de Lille ou Boèce. Voir S. Kay, « Women’s body of knowledge », op. cit., p. 212. Le lien que Jean de Meun entretient avec Boèce permet d’ailleurs d’éclairer divers aspects de son écriture, notamment la réflexion qu’il propose autour de l’usage des mots. Il en offre finalement une sorte de contre-exemple, lui qui laisse Raison partir et dont le héros refuse la consolation de Philosophie (selon une remarque de Jean Dufournet, citée par Earl Jeffrey Richards : E. J. Richards, op. cit., p. 394). Voir surtout à ce sujet D. Kelly, op. cit., p. 45.
55 Ibid., p. 387.
56 Elle se comprend en regard de la notion de duplex veritas qui irrigue la réflexion théologique. Apparue chez Pierre le Chantre, elle est popularisée chez Thomas d’Aquin qui s’en sert pour distinguer la vérité selon la raison et selon la foi. Earl Jeffrey Richards insiste dans ce contexte sur l’influence, pas assez considérée, du grand théologien sur la pensée de Jean de Meun. Il signale les échos au débat porté par Thomas d’Aquin dans son sermon Attendite a falsis prophetis de l’année 1260 dans lequel il revient sur cette opposition entre les deux vérités. Il note également dans ce cadre le goût pour les structures contrastées et l’ironie qui viendront également caractériser la deuxième partie du Roman de la Rose. Voir E. J. Richards, op. cit., p. 394.
57 Ibid., p. 145.
58 K. Brownlee, op. cit., p. 60 ; J.-M. Mandosio, op. cit., p. 147.
59 L’analogie est d’Alexandre Leupin : A. Leupin, op. cit., p. 64.
60 J.-M. Mandosio, op. cit., p. 146.
61 C. Nouvet, « Les inter-dictions courtoises : le jeu des deux bouches », Romanic Review, no 76, 1985, p. 233-250, ici p. 233.
62 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 109.
63 S. Kay, The Romance of the Rose, op. cit., p. 29. Kevin Brownlee insiste également sur la problématisation de la pratique allégorique que révèle Faux Semblant. Voir K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant : Language, History, and Truth in the Roman de la Rose », dans The New Medievalism, dir. M. S. Bronwlee, K. Brownlee et S. G. Nichols, Baltimore/Londres, The John Hopkins University Press, 1991, p. 253-271, ici p. 254.
64 Voir Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 407-417, cité p. 257, et v. 11 069-11 086, cité p. 263.
65 J. Batany, op. cit., p. 120.
66 Voir Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 527-11 528, cité p. 254.
67 Comme le souligne par exemple Gil Bartholeyns : G. Bartholeyns, « Le tiers terme », op. cit., p. 149.
68 C’est en particulier le cas de Kevin Brownlee, comme nous l’avons déjà évoqué, ou de David F. Hult par exemple : D. F. Hult, « Words and deeds », op. cit. p. 353.
69 S. Stakel, op. cit., p. 48.
70 P. F. Dembowski, « Le Faux Semblant et la problématique des masques et des déguisements », dans Masques et déguisements dans la littérature médiévale, dir. M.-L. Ollier, Paris/Montréal, Vrin / Presses Universitaires de Montréal, 1988, p. 43-53, ici p. 43.
71 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 466-10 470.
72 Ibid.
73 Ibid., v. 10 471-10 478.
74 S. Stakel, op. cit., p. 72.
75 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 479-10 480.
76 Ibid., v. 10 481-10 483.
77 Ibid., v. 1-2.
78 Ibid., v. 10 488.
79 Ibid., v. 10 487.
80 Ibid., v. 10 497.
81 Ibid., v. 10 495.
82 Ibid., v. 11 901-11 904.
83 Ibid., v. 11 909-11 910.
84 J. Morton, The Roman de la Rose in its Philosophical Context. Art, Nature, and Ethics, Oxford, Oxford University Press, 2018, p. 28.
85 P. L. Allen, « Male/Female/Both/Neither », Medieval feminist newsletter, no 14, 1992, p. 12-16, ici p. 13.
86 Nous le verrons en particulier dans la tirade d’autodéfinition qu’il propose en se rapprochant aussi bien de protagonistes masculins que féminins : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218, cité p. 246.
87 V. Greene, Logical fictions in medieval Literature and Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 118.
88 L. de Looze, Pseudo-autobiography in the 14th Century. Juan Ruiz, Guillaume de Machaut, Jean Froissart, and Geoffroy Chaucer, Gainesville, University Press of Florida, 1997, p. 43.
89 S.-G. Heller, « Anxiety, hierarchy and appearance in thirteenth century sumptuary laws and the Roman de la Rose », French Historical Studies, no 27, 2004, p. 311-348, ici p. 328.
90 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 183-11 185.
91 Ibid., v. 11 187.
92 Révélée par la rime « N’entrai ou fuisse conneüz / Tant i fusse oïz ne veü » à l’issue de cette présentation. Ibid., v. 11 198-11 190.
93 Ibid., v. 10 956-10 966.
94 I. Wei, Intellectual Culture in medieval Paris, theologians and the university c. 1100-1300, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 364.
95 C. van Dyke, op. cit., p. 92.
96 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 173-11 182.
97 « The most terrifying aspect of Faus Semblant’s confession is that he is lucid in his evil ». B. L. Callay, « Jean de Meun’s Romance of the Rose and the polemic on the theological method : a key to meaning ? », dans De la Rose, op. cit., p. 21-40, ici p. 38.
98 D. Kelly, op. cit., p. 65.
99 K. Brownlee, « Machaut’s Motet 15 and the Roman de la Rose : the literary context of “Amours qui a le pouoir / Faus Samblan m’a deceu / Vidi Dominum” », Early Music History, no 10, 1991, p. 1-14, ici p. 6.
100 L. de Looze, op. cit., p. 15.
101 V. Greene, op. cit., p. 119.
102 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 115.
103 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 175.
104 S.-G. Heller, op. cit., p. 333.
105 V. Greene, op. cit., p. 122.
106 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218.
107 Kevin Brownlee met en exergue l’importance du jeu développé autour de la multitude des postures de Faux Semblant, tout à la fois Frère hypocrite, exégète biblique, critique social, prophète radical. Voir K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 264 et p. 256, mais aussi K. Brownlee, « Machaut’s Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 11.
108 A. Strubel, La Rose, Renart et le Graal. La littérature allégorique en France au xiiie siècle, Genève/Paris, Slatkine, 1989, p. 84.
109 K. Brownlee, « Machaut’s Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 6-7 et p. 9.
110 L. de Looze, op. cit., p. 37.
111 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 137.
112 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée le 4 septembre 2020.
113 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 329.
114 D. Poirion, « Jean de Meun et la querelle de l’Université de Paris, du libelle au livre », dans Traditions polémiques. Cahiers V. L. Saulnier2, Paris, École Normale Supérieure des Jeunes Filles, 1985, p. 9-19, ici p. 16.
115 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717.
116 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, « The Apocalyptic Age of Hypocrisy : Faux Semblant and Amant in the Roman de la Rose », Speculum, no 62/3, 1987, p. 612-644, ici p. 613.
117 Comme le rappelle Guy Geltner : G. Geltner, « Faux Semblants : Antifraternalism reconsidered in Jean de Meun and Chaucer », Studies in Philology, no 101/4, 2004, p. 357-380, ici p. 359.
118 Rutebeuf, La complainte maitre Guillaume de Saint Amour, v. 76-78, dans Œuvres complètes, éd. et trad. M. Zink, Paris, Le Livre de Poche, 1990.
119 Ibid., v. 81.
120 A. Strubel, Guillaume de Lorris, Jean de Meun, Le Roman de la Rose, Paris, Garnier, 2012, p. 21.
121 R. Dragonetti, Le gai savoir dans la rhétorique courtoise. Flamenca et Joufroi de Poitiers, Paris, Seuil, 1982, p. 37.
122 B. L. Callay, op. cit., p. 33.
123 M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne 1250-1259, Paris, Éditions Picard, 1972, p. 352.
124 Pour cette rapide esquisse de la querelle parisienne, nous avons pu nous appuyer, au-delà des articles cités de manière ponctuelle, sur les présentations de Michel-Marie Dufeil, de Richard Kenneth Emmerson et de Ronald B. Herzman, de Daniel Poirion, ainsi que sur celle de Christine Thouzellier : M.-M. Dufeil, op. cit. ; M.-M. Dufeil, « Un universitaire parisien réactionnaire vers 1250 : Guillaume de Saint-Amour », dans Saint-Thomas et l’Histoire, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 1991, p. 445-456 ; R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit. ; D. Poirion, op. cit. ; C. Thouzellier, « La place du De Periculis de Guillaume de Saint-Amour dans les polémiques universitaires du xiiie siècle », Revue historique, no 156/1, 1927, p. 69-83.
125 C. J. Mews, op. cit., p. 128.
126 J.-C. Payen, La Rose et l’utopie : révolution sexuelle et communisme nostalgique chez Jean de Meung, Paris, éditions sociales, 1976, p. 83.
127 D. Poirion, op. cit., p. 17. Brigitte L. Callay insiste également sur la nécessité d’affiner l’analyse de la réception de la querelle universitaire dans l’œuvre de Jean de Meun à ce niveau : B. L. Callay, op. cit., p. 36.
128 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 055-11 068.
129 C’est le point de vue défendu par Daniel Poirion : D. Poirion, op. cit., p. 18.
130 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 503-11 506.
131 Ibid., v. 11 507-11 513.
132 Ibid., v. 11 508.
133 Ibid., v. 11 520-11 523.
134 Ibid., v. 11 526-11 528.
135 C’est notamment le cas de Richard Kenneth Emmerson et Ronald B. Herzman, de Constant J. Mews, mais surtout de Guy Geltner : R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit. ; C. J. Mews, op. cit. et G. Geltner, op. cit.
136 Ibid., p. 357. Comme le souligne aussi en particulier Constant J. Mews : C. J. Mews, op. cit., p. 139.
137 G. Geltner, op. cit., p. 365.
138 W. Wetherbee, « The Literal and the Allegorical : Jean de Meun and the De planctu naturae », Mediaeval Studies, no 33/1, 1971, p. 264-291, cité par E. J. Richards, op. cit., p. 390.
139 F. Pomel, op. cit., p. 300.
140 Ibid., p. 301.
141 G. W. Fenley, « Faus-Semblant, Fauvel, and Renart le Contrefait : A study in Kinship », The Romanic Review, no XXIII, 1932, p. 323-331, ici p. 326. Nous citerons ses analyses en détails dans le chapitre dédié à la sphère religieuse p. 447-448.
142 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 113-114.
143 Ibid., p. 114.
144 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 414.
145 S. Keck, op. cit., p. 264.
146 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 407-415.
147 Ibid., v. 409-410.
148 Ibid., v. 415-416.
149 Ibid., v. 411-412.
150 Ibid., v. 413.
151 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée le 4 février 2017.
152 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 4 février 2017.
153 J. Batany, op. cit., p. 118.
154 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 418-419.
155 Ibid., v. 420-422.
156 Ibid., v. 423-426.
157 Ibid., v. 427-429. Notons par ailleurs le parallèle avec la description donnée de la figure de Tristesse qui était présentée « a duel faire ententive ».
158 Ibid., v. 430.
159 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée 5 septembre 2020.
160 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 431-433.
161 On la retrouvera d’ailleurs dans la description d’Abstinence Contrainte : ibid., v. 12 069-12 076, cité p. 272.
162 Ibid., v. 437-440.
163 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 010-11 026.
164 Pour rappel : ibid., v. 407-417, cité p. 257.
165 Ibid., v. 11 027.
166 C. J. Mews, op. cit., p. 130.
167 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 028-11 030.
168 Ibid., v. 11 033-11 034.
169 Ibid., v. 11 035-11 036.
170 Ibid., v. 11 037-11 040.
171 Ibid., v. 11 042-11 043.
172 Ibid., v. 11 044.
173 Ibid., v. 11 045-11 046.
174 Ibid., v. 11 031.
175 Pour rappel : ibid., v. 407-417, cité p. 257.
176 Ibid., v. 11 046-11 047.
177 Ibid., v. 11 048.
178 Ibid., v. 11 051-11 052.
179 Ibid., v. 11 049-11 050.
180 Ibid., v. 11 069-11 086.
181 Pour rappel : J. Batany, op. cit., p. 120, cité p. 239.
182 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 3 de l’interpolation.
183 Ibid., v. 1-2.
184 Ibid., v. 11 121-11 126.
185 P. F. Dembowski, op. cit., p. 45.
186 Ibid., p. 46.
187 C. J. Mews, op. cit., p. 131.
188 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 062, cité p. 253.
189 Lothaire de Segni, De Miseria condicionis humane, II, 39, cité par Peter Von Moos : P. von Moos, « Le vêtement identificateur. L’habit fait-il ou ne pas-il pas le moine ? », dans Le corps et sa parure, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2007, p. 41-60, ici p. 41-42.
190 Ibid., p. 42.
191 « Aut si idoneum crediderunt ob habitum religionis, quod induor, in habitu species est sanctitatis, non sanctitas ». Bernard de Clairvaux, Epistolae 449, dans Sancti Bernardi Opera, éd. J. Leclercq, Rome, Éditions cisterciennes, 1957-1977, t. VIII, p. 426, cité par Constant J. Mews : C. J. Mews, op. cit., p. 130.
192 F. Amory, op. cit., p. 30-31.
193 Pour rappel : ibid., p. 37, cité p. 231.
194 Aelred de Rievaulx, Compendium speculi caritatis, 6, éd. A. Hoste et C. Talbot, Turnhout, Brepols, 1971, p. 182, cité par Constant J. Mews : C. J. Mews, op. cit., p. 130.
195 T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », Exemplaria, no 23/2, 2011, p. 171-193, ici p. 179.
196 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 554-11 567.
197 Pour rappel : Aelred de Rievaulx, op. cit., cité p. 266. Le lien perceptible entre ses réflexions et celles de Jean de Meun a été mis en lumière par Damien Boquet d’ailleurs : D. Boquet, « Jean de Meun et Aelred de Rievaulx : une amitié textuelle », dans Les écoles de pensée du xiie siècle et la littérature romane (Oc et Oïl), dir. V. Fasseur et J.-R. Valette, Turnhout, Brepols, 2016, p. 301-311.
198 S.-G. Heller, op. cit., p. 330.
199 Ibid., p. 331.
200 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 627-11 628.
201 Ibid., v. 11 791-11 794.
202 S. Stakel, op. cit., p. 52-53.
203 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 017, cité p. 306.
204 K. Brownlee, « Machaut’s Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 8.
205 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 606-11 608.
206 Ibid., v. 11 603.
207 Ibid., v. 11 604.
208 Saint Augustin, Sermon sur la Montagne, II, xii, 41, cité par Frederic Amory : F. Amory, op. cit., p. 17.
209 J. Morton, « Wolves in human skin : questions of animal appetite in Jean de Meun’s Roman de la Rose », The Modern Language Review, no 105/4, 2010, p. 976-997, ici p. 979-982.
210 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 127-11 136.
211 J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 986.
212 Selon les modèles bibliques du livre d’Ézéchiel (22:27) ou de celui de Sophonie (3:3) où son opposition au mouton prend forme, comme le rappelle Jonathan Morton : ibid., p. 978.
213 Ibid., p. 979.
214 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717-11 726.
215 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 619.
216 Ibid., p. 621.
217 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 069-12 076.
218 Ibid., v. 12 050.
219 Ibid., v. 12 049.
220 Ibid., v. 12 052.
221 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 612.
222 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 037-12 047.
223 F. Pomel, op. cit., p. 296.
224 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 087.
225 Ibid., v. 12 088.
226 Ibid., v. 12 089-12 091.
227 Ibid., v. 12 093.
228 Pour rappel : ibid., v. 407-417, cité p. 257.
229 Ibid., v. 12 094-12 096.
230 Ibid., v. 12 092.
231 Ibid., v. 12 098.
232 Pour rappel : ibid., v. 11 055-11 068, cité p. 253.
233 Ibid., v. 12 097.
234 Ibid., v. 12 099-12 100.
235 Ibid.,, v. 12 102.
236 Ibid., v. 12 103-12 104.
237 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 942 et v. 11 988.
238 J.-C. Payen, op. cit., p. 82. C’est aussi dans ce sens que s’oriente l’analyse qu’Helen Solterer consacre à l’expression du semblant : en incarnant la fausseté des apparences, Faux Semblant ne représente pas seulement la problématique liée à la sphère religieuse, mais aussi et surtout l’aspect mensonger des attributs courtois. Voir H. Solterer, op. cit., p. 27.
239 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 479-10 497, cité p. 242.
240 Ibid., v. 10 723-10 728.
241 Ibid., v. 10 932.
242 Ibid., v. 10 933-10 934.
243 Ibid., v. 10 933-10 934.
244 Ibid., v. 10 934.
245 Ibid., v. 10 935 et v. 10 943.
246 Ibid., v. 10 936.
247 Ibid., v. 10 937-10 938.
248 Encore ensuite : ibid., v. 10 940.
249 Ibid., v. 10 942.
250 Comme le rappelle Douglas Kelly : D. Kelly, op. cit., p. 102-103.
251 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 944-10 946.
252 Ibid., v. 10 947-10 950.
253 Ibid., v. 10 953-10 954.
254 Ibid., v. 10 948.
255 Ibid., v. 10 953-10 954.
256 Ibid., v. 10 949.
257 P. F. Dembowski, op. cit., p. 46.
258 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 946.
259 Ibid., v. 1 871.
260 Ibid., v. 1 838.
261 Ibid., v. 1 843.
262 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.
263 Ibid., v. 1 844-1 845.
264 Voir ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314.
265 Ibid., v. 1 844-1 845 pour le premier cas et v. 1 874-1 875 pour le second.
266 Ibid., v. 1 876-1 877.
267 Ibid., v. 1 870-1 871.
268 Ibid., v. 1 857-1 858.
269 Ibid., v. 1 868-1 869.
270 Nous nous y arrêterons plus en détails dans le chapitre prochain. Voir p. 369.
271 J. Batany, op. cit., p. 101.
272 Nous renvoyons à nos analyses présentées sur cette dimension importante de l’idéal de garde.
273 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 2 270-2 271.
274 Ibid., v. 2 269-2 274.
275 Ibid., v. 2 268-2 269.
276 Ibid., v. 2 270-2 271.
277 Ibid., v. 2 267-2 268.
278 Ibid., v. 2 173-2 174.
279 Ibid., v. 2 175.
280 Ibid., v. 2 177.
281 Ibid., v. 2 177-2 178.
282 Ibid., v. 2 176.
283 Pour rappel : ibid., v. 137, cité p. 248.
284 S. Stakel, op. cit., p. 28-29.
285 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 15 491-15 502.
286 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.
287 Ibid., v. 10 655.
288 Ibid., v. 38.
289 P. L. Allen, The Art of Love : Amatory Fiction from Ovid to the Romance of the Rose, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 108. Il souligne notamment que tout comme Ovide, Jean de Meun comprend le processus poétique comme une expérience amoureuse.
290 M. Gally, L’intelligence de l’amour d’Ovide à Dante. Arts d’aimer et poésie au Moyen Âge, Paris, CNRS, 2005, p. 104. Roger Dragonetti distinguait dans ce sens l’art d’aimer de la fin’amor, le premier appartenant à la stratégie de la parole. Voir R. Dragonetti, Le gai savoir dans la rhétorique courtoise, op. cit., p. 33.
291 D. Kelly, op. cit., p. 35.
292 A. Strubel, « L’apprentissage de la passion », dans L’Art d’aimer au Moyen Âge, dir. M. Cazenave, D. Poirion, A. Strubel et M. Zink, Paris, Philippe Lebaud, 1997, p. 125-184, ici p. 172.
293 P. L. Allen, The Art of Love, op. cit., p. 108.
294 D. Kelly, « Amitié comme anti-amour. Au-delà du “fin amour” de Jean de Meun à Christine de Pizan », dans Anteros. Actes du colloque de Madison (Wisconsin), mars 1994, dir. U. Langer et J. Miernowski, Orléans, Paradigme, 1994, p. 75-97, ici p. 75.
295 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 37-38.
296 L. Wood, « The Art of Clerkly Love : Drouart la Vache Translates Andreas Capellanus », Medievalia et Humanistica, no 40, 2015, p. 113-149, ici p. 119-120.
297 Ibid., p. 137.
298 A. Strubel, « L’apprentissage de la passion », op. cit., p. 172.
299 H. Kleber, « La théorie thomiste du bonheur et ses rapports avec le Roman de la Rose », dans L’idée de bonheur au Moyen Âge. Actes du colloque d’Amiens de mars 1984, dir. D. Buschinger, Göppingen, Kümmerle, 1990, p. 235-246, ici p. 242. Cette réflexion constitue un argument intéressant pour une meilleure considération des liens que Jean de Meun entretient avec les théories de Thomas d’Aquin, qui touchent ainsi autant aux enjeux émotionnels qu’à ceux liés à la tromperie et aux apparences.
300 Ibid., p. 240.
301 T. Adams, « Performing the medieval art of love : medieval theories of the emotions and the social logic of the Roman de la Rose of Guillaume de Lorris », Viator, no 38/2, 2007, p. 55-74, ici p. 60.
302 R. Schnell, « L’amour courtois en tant que discours courtois sur l’amour (I) », Romania, no 110/437-438, 1989, p. 72-126, ici p. 112.
303 Ibid., p. 96.
304 A. Strubel, « L’apprentissage de la passion », op. cit., p. 136.
305 P. L. Allen, The Art of Love, op. cit., p. 92.
306 T. Adams, « Performing the medieval art of love », op. cit., p. 55-58.
307 M. Grodet, « “Par bel mentir” », op. cit.
308 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 35.
309 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 1 957.
310 Ibid., v. 1 958-1 959.
311 Ibid., v. 2 404-2 408.
312 Ibid., v. 2 406-2 408.
313 Ibid., v. 2 547-2 554.
314 Ibid., v. 1 031-1 033.
315 Ibid., v. 1 034-1 038.
316 Ibid., v. 1 036-1 037.
317 Pour rappel : ibid., v. 1 836-1 877, cité p. 280-281.
318 Ibid., v. 1 035-1 039.
319 Ibid., v. 1 040-1 041.
320 Ibid., v. 3 509-3 518.
321 Ibid., v. 7 387-7 395.
322 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.
323 Pour rappel, une fois encore : ibid., v. 137, cité p. 248.
324 Ibid., v. 12 106.
325 Ibid., v. 12 106-12 107. L’humilité figurait aussi au premier rang des fausses apparences de Faux Semblant, en rapport direct avec la réflexion qu’il porte sur la querelle anti-fraternaliste. Cette scène d’arrivée, essentielle dans l’action de Faux Semblant, revient d’ailleurs sur ce débat, dans une nouvelle parenthèse critique des Jacobins. Voir ibid., v. 12 129-12 134.
326 Ibid., v. 12 108-12 128.
327 Ibid., v. 12 150.
328 Ibid., v. 12 149.
329 J.-C. Payen, op. cit., p. 104.
330 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 171 et v. 12 175.
331 Ibid., v. 12 183-12 187.
332 Ibid., v. 12 191-12 193.
333 Ibid., v. 12 195-12 211.
334 Ibid., v. 12 115 et v. 12 219-12 220.
335 Ibid., v. 12 221-12 222.
336 F. Pomel, op. cit., p. 304.
337 Ibid., p. 302.
338 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 329.
339 Ibid., v. 12 331-12 339.
340 Pour rappel : ibid., v. 12 219-12 220, cité p. 293.
341 F. Pomel, op. cit., p. 302.
342 Pour rappel, nous insistions surtout sur la conclusion de sa réflexion qui soulignait la subtilité nécessaire à détecter la duplicité : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 143-12 150, cité p. 192. C’est Fabienne Pomel qui a mis en lumière le rapport entre ces deux passages : F. Pomel, op. cit., p. 302.
343 Selon l’analyse de Marc-René Jung : M.-R. Jung, « Jean de Meun et l’allégorie », op. cit., p. 28-29.
344 Selon la conclusion éclairante de l’importance herméneutique de cette scène de Fabienne Pomel : F. Pomel, op. cit., p. 304.
345 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 328-13 330.
346 Ibid., v. 12 340-12 342.
347 Ibid., v. 12 340.
348 Ibid., v. 12 343-12 352.
349 Ibid., v. 12 345-12 346.
350 J. Batany, op. cit., p. 108.
351 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 365-12 384.
352 Voire même de la bestialité de Faux Semblant : J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 985.
353 F. Pomel, op. cit., p. 306.
354 Ibid.
355 S. Kay, The Romance of the Rose, op. cit., p. 30.
356 B. L. Callay, op. cit., p. 38.
357 F. Pomel, op. cit., p. 306.
358 Comme le rappelle par exemple Leslie C. Brook : L. C. Brook, « Malebouche dans le Roman de la Rose et le Champion des Dames », dans De la Rose, op. cit., p. 421-434, ici p. 427.
359 Selon un entremêlement d’objectifs poursuivis dans l’épisode de Malebouche que G. Ward Fenley met en lumière : G. W. Fenley, op. cit., p. 324.
360 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 932-10 955, cité p. 278-279.
361 T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », op. cit., p. 171.
362 S. Stakel, op. cit., p. 61.
363 Kevin Brownlee, comme nous l’avons déjà évoqué, s’est en particulier consacré à cette dynamique propre à l’épisode Faux Semblant : K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 256.
364 S. Stakel, op. cit., p. 61.
365 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 981-11 992.
366 Pour rappel : ibid., v. 10 480, cité p. 242.
367 Nous avons souligné l’importance de cette émotion révélatrice dans un article publié dans la revue Questes, no 35, 2017.
368 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 942, cité p. 279.
369 Pour rappel : ibid., v. 10 935, cité p. 278.
370 Ibid., v. 11 993-12 013.
371 Le verbe torchier propose un effet d’annonce intéressant à la figure de Fauvel inspirée de cette mise en lumière pleine d’ironie de la fausseté.
372 Pour rappel, voir le jeu sur cette rime déjà analysée : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 554-11 567, cité p. 267.
373 Ibid., v. 12 014-12 018.
374 Ibid., p. 643, note 1.
375 Nous avons noté le parallèle avec la propre posture de Malebouche à son égard, lui aussi à genoux en la place au moment de sa confession fatale. Il paraît assurer la continuité entre l’action de Faux Semblant envers le médisant et celle d’Amour qui intronise son nouveau baron. Pour rappel : ibid., v. 12 366, cité p. 298 et v. 12 340, cité p. 296.
376 Pour rappel : ibid., v. 10 945, cité p. 279.
377 Pour rappel : ibid., v. 11 127-11 136, cité p. 270, et v. 11 717-11 726, cité p. 271.
378 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 115.
379 K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 256.
380 F. Pomel, op. cit., p. 299.
381 C. McWebb, Le Roman de la Rose de Jean de Meunet le Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan : un palimpseste catoptrique, Londres, University of Western Ontario, 1998, p. 134.
382 Jean Batany a relevé l’intérêt de cette première association entre amour et ruse : J. Batany, op. cit., p. 102.
383 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 4 387-4 398.
384 Pour rappel : ibid., v. 2 401-2 408, cité p. 287.
385 Notons que tel semble aussi être le seul objectif de la quête de l’Amant, au vu de la conclusion que Jean de Meun y apporte.
386 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 335-7 356.
387 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 127.
388 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422.
389 Pour rappel : ibid., v. 11 909-11 910, cité p. 242, et v. 11 603-11 604, cité p. 270.
390 Ibid., v. 7 454-7 488.
391 Nous avons eu l’occasion de souligner cette particularité importante de la pratique dévotionnelle, en renvoyant notamment aux travaux de Piroska Nagy : Nagy, Piroska, Le Don des larmes au Moyen Âge. Un instrument spirituel en quête d’institution (ve-xiie siècle), Paris, Albin Michel, 2000.
392 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 2 267-2 274, cité p. 282-283.
393 Pour rappel : ibid., v. 4 388, cité p. 309.
394 Pour rappel : ibid., v. 4 387-4 388, cité p. 309.
395 Sarah Kay a souligné que la séduction se fonde dans cette seconde partie du Roman sur la tromperie : S. Kay, The Romance of the Rose, op. cit., p. 52-53.
396 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 798-7 799.
397 Ibid., v. 7 798. Chrétien de Troyes l’emploie par exemple dans Yvain pour qualifier l’amoureux déloyal qui abandonne son amie, comme le rappelle Jean Batany : J. Batany, op. cit., p. 102.
398 Ibid.
399 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 802-7 803.
400 Ibid., v. 7 804.
401 Ibid., v. 7 806-7 807.
402 Pour rappel : ibid., v. 11 173-11 182, cité p. 245.
403 Ibid., v. 7 823-7 838.
404 McWebb, Christine, op. cit., p. 316.
405 Une double comparaison s’impose ici : à l’art d’aimer de Drouart la Vache qui incitait ainsi, dans cette perspective amoureuse teintée de ruse réactivée ici avec une telle emphase, à tromper les dames pour anticiper et parer leurs propres tromperies ; mais aussi aux exemples révélateurs de la dynamique protectrice de tels jeux émotionnels, et de la possibilité de les justifier dans ce sens, mis sur pied par Guenièvre face à Mordred et par la reine de Sicile face à Maragot. Voir Drouart La Vache, Li Livres d’Amours, éd. R. Bossuat, Paris, Champion, 1926, v. 5 670-5 677, cité p. 177 ; La Mort le Roi Arthur,éd. et trad. D. F. Hult, Paris, Le Livre de Poche, 2009, § 148, l. 9-12, cité p. 204 et Floriant et Florete, éd. et trad. A. Combes et R. Trachsler, Paris, Champion, 2003, v. 451-453, cité p. 205.
406 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 565-12 581.
407 Ibid., v. 12 569-12 572.
408 Ibid., v. 12 581-12 586.
409 Ibid., v. 12 582-12 583.
410 Ibid., v. 12 580-12 581. Armand Strubel note d’ailleurs dans son édition qu’il s’agit là d’une parfaite synthèse des caractéristiques de la Vieille. Voir ibid., p. 671, note 1.
411 Ibid., v. 13 269. Pour rappel : ibid., v. 7 335-7 356, cité p. 311, et v. 7 454-7 488, cité p. 314.
412 Ibid., v. 13 270. Pour rappel : ibid., v. 10 942, cité p. 279, et v. 11 988, cité p. 277.
413 Ibid., v. 13 271-13 272.
414 J. Batany, op. cit., p. 101.
415 Comme Christine de Pizan le dénoncera d’ailleurs quelques siècles plus tard. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre dernier chapitre d’analyse consacré à l’œuvre de Christine de Pizan et au regard qu’elle porte, avec une influence certaine de l’œuvre de Jean de Meun d’ailleurs, sur les manipulations émotionnelles dans la sphère amoureuse et au-delà.
416 J.-M. Mandosio, op. cit., p. 160.
417 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 829. Il peut d’ailleurs être intéressant, sinon ironique, de constater que Christine de Pizan usera du même procédé pour revendiquer l’autorité de sa posture d’écrivaine. Nous reviendrons à l’ambiguïté de son rapport au Roman de la Rose dans le chapitre que nous lui dédierons.
418 Ibid., v. 12 830.
419 Ibid., v. 12 831 et v. 12 833.
420 Ibid., v. 12 832. Pour rappel : ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314.
421 Ibid., v. 12 833-12 834.
422 Ibid., v. 13 799-13 803.
423 Ibid., v. 13 827-13 828.
424 J.-C. Payen, op. cit., p. 106. Notons d’ailleurs encore le parallèle avec le conseil de Drouart la Vache : Drouart La Vache, op. cit., v. 5 670-5 677, cité p. 177.
425 Pour rappel, une fois encore : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 454-7 488, cité p. 314.
426 Ibid., v. 21 449-21 450.
427 Ibid., v. 21 454-21 457.
428 Pour rappel : ibid., v. 12 829-12 834, cité p. 321. Ici : « Quant plus ont esté deceües, / Plus tost se sont aperceües / Des bareteresses faveles », ibid., v. 21 465-21 466.
429 Pour rappel, une fois encore : ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314. Et ici, voir le vers cité ci-dessus : ibid., v. 21 466.
430 Ibid., v. 21 463-21 464 et v. 21 468-21 469.
431 Ibid., v. 21 474-21 524.
432 Ibid., v. 21 501. Comme le souligne Fabienne Pomel : F. Pomel, op. cit., p. 304.
433 Ibid., v. 21 502 et v. 21 503.
434 Ibid., v. 21 483-21 488.
435 Ibid., v. 21 505.
436 Ibid., v. 21 477.
437 Ibid., v. 13 587-13 588.
438 Ce portrait de louve n’est pas sans évoquer le loup en habit de mouton auquel Faux Semblant se comparait lui-même. Pour rappel : ibid., v. 11 127-11 136, cité p. 270.
439 J. Morton, The Roman de la Rose in its Philosophical Context, op. cit., p. 127.
440 C. Wood, « La Vieille, free love, and Boethius in the Roman de la Rose », Revue de littérature comparée, no 51, 1977, p. 336-342, ici p. 336.
441 C’est le point de vue de Franz Walter Müller, cité par Chauncey Wood : ibid., p. 337.
442 Comme le souligne John V. Fleming, cité par Chauncey Wood : ibid.
443 A. Farber, Ethical Reading and the Medieval Artes Amandi : the Rise of the Didactic in Andreas Capellanus, Jean de Meun, and John Gower, thèse de doctorat, Philadelphie, Université de Pennsylvannie, 2011, p. 159.
444 C. Wood, op. cit., p. 336.
445 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 309-14 310.
446 Ibid., v. 14 311.
447 Ibid., v. 14 310-14 311 et v. 14 314.
448 Ibid., v. 14 309, v. 14 310, v. 14 312.
449 A. Farber, op. cit., p. 194.
450 Voir, pour rappel, le panorama consacré à l’histoire des émotions médiévales en introduction.
451 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 493, cité p. 242.
452 Notre analyse répond ainsi à l’appel lancé par Damien Boquet et Didier Lett qui constataient, dans un article de 2018, le manque d’études consacrées à l’histoire des émotions qui envisagent la porosité des genres. Voir D. Boquet et D. Lett, « Les émotions à l’épreuve du genre », Clio, no 47, 2018, p. 7-22. Notons d’ailleurs l’intérêt à ce sujet de la responsabilité sexuelle ainsi placée du côté des femmes dans le discours de la Vieille, un point de vue qu’il serait, parmi de nombreux autres à intégrer dans cette perspective de genre, intéressant de développer. Les conclusions que nous avons pu tirer de la section amoureuse de la garde rejoignent également ces constats de genre que nous pouvons dresser d’une analyse de la maîtrise et de la manipulation émotionnelle.
453 Selon un autre conseil de l’Ami pour toucher Bel Accueil : « “De lui ensuivre vous penez : / S’il est liez, faites chiere lie, / S’il est courouciez, courroucie, / S’il rit, riez, plorez s’il pleure, / Ainsi vous tenez chascune heure” ».Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 730-7 734.
454 Pour rappel : ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314.
455 Le faux moine a même été qualifié d’attribut de l’Amant. Voir D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 36 et p. 110. Voir aussi W. W. Ryding, « Faux Semblant : Hero or Hypocrite ? », Romanic Review, no 60/3, 1969, p. 163-167, ici p. 164 ou S.-G. Heller, op. cit., p. 329.
456 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 105.
457 F. Pomel, op. cit., p. 310.
458 W. W. Ryding, op. cit., p. 164.
459 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 739-14 756.
460 Pour rappel : ibid., v. 11 173-11 182, cité p. 245.
461 Pour rappel : ibid., v. 11 717, cité p. 250.
462 Pour rappel : ibid., v. 10 942, cité p. 279, et v. 11 988, cité p. 277.
463 Voir les définitions successives du Dictionnaire de Godefroy et du Dictionnaire du Moyen Français, versions en ligne consultées en ligne le 1er septembre 2020.
464 Pour rappel, par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218, cité p. 246.
465 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 628.
466 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », Revue des langues romanes, 2008, p. 435-461, ici p. 445.
467 Tracy Adams la perçoit comme relevant même de la prise de conscience de l’Amant pour dépasser les impératifs contradictoires de la fin’amor. T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », op. cit., p. 173.
468 S. Huot, op. cit., p. 38.
469 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 500-12 504.
470 Ibid., v. 12 505.
471 Ibid., v. 12 516.
472 Ibid., v. 12 531-12 535.
473 Ibid., v. 12 537-12 543.
474 T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », op. cit., p. 182-183.
475 Comme tend à le révéler également Jean Froissart dans son Orloge amoureus. Pour rappel : Jean Froissart, L’orloge amoureus, éd. P. F. Dembowski, Genève, Droz, 1986, v. 340-346, cité p. 181.
476 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 2 401-2 408, cité p. 287.
477 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 36.
478 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 21 351-21 353. A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 456 ; R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 628.
479 Outre par le costume de pèlerin, le parallèle se trouve étayé par la reprise de la formule comme qui marquait de la même manière la distance perceptible entre les attitudes affichées et les émotions réelles des pseudo-pèlerins. Pour rappel : ibid., v. 12 037-12 047, cité p. 273, et v. 12 086-12 104, cité p. 274.
480 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 628.
481 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 21 350 et v. 21 315-21 323.
482 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 42.
483 S. Stakel, op. cit., p. 58.
484 R. Blumenfeld-Kosinski, « Overt and covert : amorous and interpretative strategies in the Roman de la Rose », Romania, no 111, 1990, p. 432-453, ici p. 448.
485 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 437.
486 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 913. Selon une très juste remarque de Fabienne Pomel : F. Pomel, op. cit., p. 299.
487 F. Bouchet, « Performativité et déceptivité du langage courtois dans Le Roman du châtelain de Coucy », dans Sens, Rhétorique et Musique. Études réunies en hommage à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, dir. S. Albert, M. Demaules, E. Doudet, S. Lefèvre, C. Lucken et A. Sultan, Paris, Champion, 2015, p. 367-379, ici p. 377.
488 S. Keck, op. cit., p. 265.
489 J.-C. Payen, op. cit., p. 41.
490 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 973-11 980.
491 Ibid., v. 11 975-11 976.
492 Pour rappel : ibid., v. 11 994, cité p. 305.
493 Pour rappel : ibid., v. 11 993, cité p. 305.
494 K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 262-263.
495 Nous pouvons bien sûr citer la seule réflexion de Raison autour du mot coilles qui atteste la volonté de penser le poids des mots et leur concordance avec la réalité qu’ils désignent.
496 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 436.
497 D. Poirion, op. cit., p. 15.
498 J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 977.
499 K. Brownlee, « Machaut’s Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 5.
500 S. Keck, op. cit., p. 264.
501 F. Pomel, op. cit., p. 307-308.
502 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 19 449-19 456.
503 Ibid., v. 19 346-19 349.
504 Ibid., v. 19 350-19 352.
505 Ibid., v. 19 353-19 354.
506 Ibid., v. 19 355-19 358.
507 Ibid., v. 19 360-19 365.
508 Ibid., v. 19 359-19 360.
509 Ibid., v. 19 350.
510 Ibid., v. 19 365-19 368.
511 Ibid., v. 19 369-19 372.
512 Ibid., p. 1005, note 1.
513 Comme le souligne d’ailleurs également Armand Strubel : A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 456.
514 S. Stakel, Susan, op. cit., p. 66.
515 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 631.
516 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 139.
517 D. Kelly, « Les visions du Paradis chez Jean de Meun et Alain de Lille : contraires choses ? », dans De la Rose, op. cit., p. 3-20, ici p. 9.
518 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 15 491-15 502, cité p. 284.
519 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 129.
520 A. Leupin, op. cit., p. 70.
521 D. Kelly, « Les visions du Paradis chez Jean de Meun et Alain de Lille », op. cit., p. 7.
522 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 901-11 910, cité p. 242.
523 S. Keck, op. cit., p. 264.
524 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 456.
525 K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 26.
526 F. Pomel, op. cit., p. 302.
527 J.-C. Payen, op. cit., p. 81-82.
528 T. L. Stinson, « Illumination and interpretation : the depiction and reception of Faux Semblantin Roman de la Rose manuscripts », Speculum, no 87/2, 2012, p. 469-498, ici p. 469.
529 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 15 250.
530 Ibid., v. 15 247-15 248 et v. 12 256.
531 Ibid., v. 15 257-15 258.
532 Ibid., v. 15 259-15 260.
533 Ibid., v. 1 678-1 695 et, ici, ibid., v. 15 261-15 263.
534 Ibid., v. 15 263-15 265 et, pour rappel : ibid., v. 1 836-1 877, cité p. 280-281.
535 Ibid., v. 15 266-15 267.
536 Pour rappel : ibid., v. 11 011-11 012, cité p. 260.
537 Ibid., v. 15 269.
538 Ibid., v. 15 271-15 276.
539 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 26.
540 N. Coilly et M.-H. Tesnière (dir.), L’art d’aimer au Moyen Âge. Le Roman de la rose, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2012, p. 57.
541 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 132.
542 F. Pomel, op. cit., p. 309.
543 D. Poirion, op. cit., p. 15.
544 Comme y fait allusion Yves Roguet en insistant sur la part traîtresse de toutes les mises en forme humaines face à la spontanéité naturelle : Y. Roguet, op. cit., p. 225.
545 Ibid., p. 225-226.
546 Ibid., p. 227.
547 S. Stakel, op. cit., p. 81.
548 J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 977.
549 Voir en particulier : D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 10-11.
550 E. Doudet, op. cit., p. 7.
551 Ibid.
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- ISBN: 978-2-406-15161-6
- EAN: 9782406151616
- ISSN: 2492-0150
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15161-6.p.0223
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-08-2023
- Language: French