Introduction
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: La Traduction du texte juridique. Prudence et imprudence du traducteur
- Authors: Khalfallah (Nejmeddine), Moucannas (Hoda)
- Pages: 7 to 9
- Collection: Encounters, n° 613
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Introduction
La production et la traduction des textes formels, en particulier ceux qui relèvent de la sphère politique et juridique, exigent la mise en place d’une stratégie prudente dans les deux phases concernées. Cette prudence requise est d’autant plus nécessaire que l’émergence et la restitution du sens deviennent, dans les domaines politiques et juridiques concernés, un acte cognitif et linguistique périlleux. Dans ces catégories de discours, les enjeux inhérents aux notions abordées pourraient engager la responsabilité scientifique, voire civile, des néologues et des traducteurs. Ceux-là se trouvent face à un dilemme insoluble : agir avec imprudence ou prendre des précautions excessives pour ne pas commettre l’irréparable. Prudence et imprudence sont donc les deux chaînes entre lesquelles énonciateur/traducteur se situent lorsqu’ils agissent sur et à travers des textes formels.
Cependant, la série de précautions à prendre, lors du processus néologique ou traductologique, dépasse largement le cadre purement linguistique, car elle s’apparente aux enjeux de pouvoir, à la diversité des représentations culturelles, mais aussi aux décisions et praxis politiques et judiciaires d’une aire culturelle bien déterminée.
Faut-il prendre ces précautions pour réaliser une création néologique / traduction prudente qui tiendra compte de toutes les spécificités et contraintes des textes et notions ? Ou baisser la garde, car trop de prudence prise pourrait conduire à la manipulation de la réalité de l’autre et à en déformer l’essence ?
Qu’il s’agisse d’un simple lecteur profane, d’un expert de traduction ou même d’un usager spontané, les compétences requises pour diagnostiquer les imprudences dans les choix opérés, ou à l’inverse les précautions excessives ne sont pas toujours au rendez-vous. Pour cela, il ne faudrait pas confondre le couple binaire (prudence/imprudence) avec celui de (précision/imprécision) qui agit davantage sur la qualité des néologismes/traduction, leur fidélité et élégance. Ces deux notions 8touchent davantage le processus néologique/traductologique dans sa totalité et englobent l’intégralité des choix opérés.
En néologie tout comme en traduction, l’imprudence pourrait témoigner d’une certaine audace, d’une réelle liberté créative nécessaire à chaque aventure de restitution du sens. Elle pourrait s’assimiler cependant à des bévues, étourderies, hardiesse et imprévoyance. Bref, à la témérité, ou simplement à la négligence et aux sottises. D’où la nécessité d’établir une taxinomie rigoureuse des types d’imprudence pour démontrer les champs dont elle relèverait.
De même, et comme dit Jules Renard : « Avec de la prudence, on peut faire toute espèce d’imprudences ». Dans la néologie tout comme dans la traduction, exagérer les précautions conduirait à une sorte de déformation qui altère le sens et entrave la clarté du message ; les précautions excessives pourraient s’avérer alors dangereuses, fâcheuses, regrettables.
C’est ainsi que nombre de questionnements surgissent lorsque l’on aborde cette problématique de prudence/imprudence dans la production et traduction des textes formels, tels que : Quels sont les contextes et contraintes qui génèrent cette prudence et en font une vertu de néologisme/traduction ? Est-ce la nature même des textes ou l’environnement culturel de leur réception ? Quand la prudence légitime devient-elle une entrave, ou bien quand l’imprudence créatrice devient-elle dévastatrice ? Comment certaines fautes involontaires, dues à un manque de prévoyance ou de précaution, pourraient engager la responsabilité civile ou parfois même pénale des traducteurs ?… Ainsi que nombre d’autres questionnements auxquels les auteurs et auteures des différents chapitres ont essayé d’apporter leur réponse.
Bien que l’on ne puisse séparer qu’artificiellement les concepts traductologiques de la praxis, qui a de loin précédé la conceptualisation, il a fallu quand même adopter un certain ordre. Ainsi, cet ouvrage se présente en deux grandes parties : celle qui aborde les raisons pour lesquelles le concept de prudence/imprudence a tout à fait sa place parmi les concepts traductologiques, aux côtés de ceux de l’erreur et de la faute ; la seconde partie, quant à elle, constitue un ensemble d’études de cas illustrant le concept de prudence/imprudence, mais pas seulement.
Plusieurs chapitres font acte de la nécessité d’user d’une approche juritraductologique à trois phases (sémasiologique, droit comparé, onomasiologique) dans le domaine de la traduction et de la terminologie 9juridique. Les études de cas concernant les doublons juridiques, le délit d’association mafieuse et le dialogue entre juges de cultures différentes en constituent des illustrations pertinentes.
Les langues de travail auxquelles il est fait appel dans les différents chapitres sont au nombre de cinq : anglais, arabe, espagnol, français, italien et portugais. Ce sont autant d’aires culturelles qui nous portent vers les éternels problèmes de restitution non seulement du sens mais aussi de la culture source en traduction aussi bien qu’en terminologie. Ainsi, la traduction du droit de la garde en Tunisie, de la Mudawwana du Maroc mais aussi et entre autres, des termes du cyberdroit et ceux en usage lors de la traduction dans le domaine diplomatique représentent autant de situations où l’exercice de la prudence s’avère vital.
Certains chapitres ont voulu mettre l’accent sur l’importance capitale que revêt la prudence dans la traduction de termes spécifiques, tels que celle de « dénonciation » et « plainte » entre français et italien, et aussi sur le tiraillement effectué par les cultures source et cible sur des termes appartenant au droit islamique tels que : fāḥiša, charia, fatwa, dawla, umma…
La traduction étant interdisciplinaire par nature et par vocation, la stratégie traduisante au sein des domaines aussi variés où sont énoncés des textes formels (juridique, diplomatique, religieux, politique…) ne peut se révéler valide que si elle prend en compte tous les paramètres requis (linguistique, culturel, terminologique, historique…) afin que la traduction réalise les objectifs pour lesquels elle a été créée. Les textes étant formels, les objectifs seraient donc pragmatiques, d’où l’importance qui a été accordée dans tous les travaux qui constituent cet ouvrage à l’exercice de la prudence raisonnée, non étriquée, lors de toute opération traduisante, bannissant de la sorte toute imprudence source de malentendus sinon de crises ou de catastrophes.
Hoda Moucannas
et Nejmeddine Khalfallah
Juin 2023
- CLIL theme: 3146 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage
- ISBN: 978-2-406-16130-1
- EAN: 9782406161301
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16130-1.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 03-20-2024
- Language: French
- Keyword: Traduction juridique, prudence, traduction politique, terminologie juridique, juritraductologie