Résumés
- Type de publication : Article de revue
- Revue : La Revue des lettres modernes
2018 – 7. Samuel Beckett, Textes pour rien / Texts for Nothing. Annotations - Pages : 221 à 228
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : Samuel Beckett, n° 5
Résumés/Abstracts1
Rémy Bertaux d’Orgeville, « Textes pour rien de Samuel Beckett. Une lecture christique »
On s’est plu à imaginer que Beckett a pu faire de la personne du Christ une figure centrale de Textes pour rien, puisque nul doute qu’il ne fut toute sa vie tourmenté par cet homme nommé Jésus, tout à la fois Dieu et homme, Dieu fait homme, au point de ne peut-être plus savoir lui-même s’il fut davantage l’un ou l’autre, si l’un savait qui était l’autre. Beckett imagine. Beckett s’interroge.
We considered it interesting to imagine that Beckett may have made the person of Christ a central figure of Texts for Nothing, since he was assuredly tormented all his life by this man named Jesus, who was both God and man, God made man, maybe to the point of not knowing himself if he were more one than the other, if he knew who the other was. Beckett imagines. Beckett questions himself.
Edward Bizub, « The Letters of Samuel Beckett (1957-1965). La griffe de Beckett : cloué à jamais, toujours entre… »
Un bref aperçu du quotidien de l’auteur tel que les lettres choisies le présentent conduit à un examen du va-et-vient qui reproduit le schéma de base de l’œuvre : les écrits qui se croisent créent une position entre. Ensuite, cette position se métamorphose, pour se lier à un espace symbolisé par les clous. Au début de la carrière de l’écrivain, cet espace avait pu représenter celui d’une jouissance secrète mais, au fur et à mesure, il se transforme en un lieu de torture, en un véritable calvaire.
A brief glance at the author’s everyday life, as the selected letters present it, leads to a study of the come-and-go movement that reproduces the basic pattern of his work: as they cross each other, the writings create a between position. This is then transformed, 222as it is linked to a space symbolised by nails. At the beginning of Beckett’s career as a writer, this space represented that of a secret enjoyment but, progressively, it is transformed into a place of torment, into a veritable ordeal.
Llewellyn Brown, « Textes pour rien de Samuel Beckett. Place au sein de l’œuvre et enjeux »
Souvent associé à la notion d’impasse, Textes pour rien recèle de grandes richesses, que l’on esquisse dans cette synthèse des travaux critiques précédents. On remarque les multiples significations du titre, le mouvement cyclique des chapitres scandé par des ruptures structurants. Moment de renouvellement, ce recueil ouvre à la suite de l’œuvre. La place centrale accordée au langage conduira à une brèche brisant la linéarité de la prose.
Often associated with the notion of an impasse, Texts for Nothing reveals great riches, which are outlined in this synthesis of preceding critical works. We note the multiple meanings of the title, the cyclic movement of the chapters marked by structuring breaks. Representing a moment of renewal, this corpus opens up to the works that follow. The central place given to language leads to a breach that interrupts the linearity of prose.
Llewellyn Brown, « Textes pour rien / Texts for Nothing de Samuel Beckett. Musicalité et structure »
La structure syntaxique sinueuse de Textes pour rien exprime un dégoût mélancolique, où le mouvement protase/apodose produit une impression de stase. Des pseudo-dialogues fonctionnent comme une suppléance, inscrivant le narrateur aux côtés de ses doubles. La musicalité du langage – avec la dimension symbolique incarnée par des ruptures – vient donner une substance au locuteur. Sans doute la vraie brèche se situe-t-elle entre les deux langues : l’intraduisible offre à Beckett un inébranlable point d’appui.
Sinuous syntactic structures in Texts for Nothing express a melancholic loathing, where the protasis/apodosis movement produces an impression of immobility. Pseudo-dialogues function as a substitute, inscribing the narrator in the company of his doubles. The musicality of language–with the symbolic dimension embodied by ruptures–gives the narrator substance. The true breach can doubtless be situated between the two languages: the untranslatable offers Beckett an unshakeable foundation.
223Suzanne Dow, « Lacan avec Beckett »
Cette étude explore la rencontre (minimale) de Jacques Lacan avec Samuel Beckett. Avant de situer Beckett comme un « partenaire muet » de Lacan, un aperçu plus général est donné de la place occupée par la littérature dans l’enseignement de Lacan et, en particulier, le rôle joué par les écrits de James Joyce. Les réflexions de Lacan sur le jeu de mots joycien, dans Finnegans Wake, sur les mots litter/letter dessinent le contexte qui explique la perspective adoptée par le psychanalyste à l’égard de l’œuvre beckettienne.
This article explores Jacques Lacan’s (minimal) engagements with Samuel Beckett. Before positing Beckett as a “silent partner” of Lacan, the article offers a broader account of the place of literature in Lacan’s teaching and in particular the role played by the writings of James Joyce. Lacan’s reflections on the Joycean punning on “litter”/ “letter”, in Finnegans Wake, provide a context for understanding the psychoanalyst’s perspective on Beckett’s work.
Johan Faerber, « La quête poétique du récit dans Textes pour rien de Samuel Beckett. “Avoir voix au chapitre” »
Textes pour rien de Beckett insiste dans le langage pour trouver une voix toujours en déshérence. Chacun des Textes porte en soi une fable sourde et obscure : les textes ont toujours déjà commencé une longue bande bavarde de langue qui montre que le langage a commencé bien avant les hommes. Le destin beckettien est de faire taire le langage en soi afin d’y trouver son corps car chez Beckett, le désir le plus intime est de trouver une histoire et d’habiter le récit. Il désire avant tout retrouver le récit, être enfin l’homme de la narration unanime.
Beckett’s Texts for Nothing insist, in language, on attempting to find a voice that is forever abandoned. Each Text is bearer of a fable that is muted and obscure: the texts have always already begun a long talkative horde which shows the extent to which language started before men. Beckettian destiny is thus to silence the language within in order to find one’s body since, for Beckett, the most intimate desire is to find a story and to inhabit the narrative. He above all desires to regain the narrative, to at last be the man of a unanimous narration.
224Bruno Geneste, « Rien et dire chez Samuel Beckett à partir d’une notation de Jacques Lacan. Peut-être rien… rien peut-être ? »
Quel est ce Rien au principe de l’écriture beckettienne ? Ce travail propose une articulation de Textes pour rien à la référence démocritéenne « Rien n’est plus réel que rien » et au labour qu’en a fait Lacan. Une fois cette référence extraite, il s’avère capital de considérer que cette guise du Rien n’est pas à verser au compte des négativités de structure qui donnent un accent mélancolique à l’existence. Elle porte une positivité de jouissance que trois termes indexent : dire, écrire, rire. Ils sont parmi les termes beckettiens de la jouissance.
What is this Nothing that underpins Beckett’s writing? This study proposes an articulation of Texts for Nothing with the reference to Democritus’ “Nothing is more real than nothing”, and Lacan’s elaboration on this question. Once this reference is isolated, it is crucial to consider that this form of Nothing should not be credited to the structural negativities that give a melancholy tone to existence. They enclose the positivity of the jouissance indexed by three terms: saying, writing, laughing. They are some of the Beckettian terms for the jouissance.
Guillaume Gesvret, « Le repentir dans Textes pour rien de Samuel Beckett. Un geste entre écriture et peinture, ou comment se reprendre »
L’écriture de Beckett dans Textes pour rien met en jeu un mouvement de correction perpétuelle, qui appelle une comparaison avec les arts plastiques et graphiques. Dans son dialogue à distance avec les œuvres de Bram van Velde ou de Giacometti, le geste du repentir permet en effet de réinterroger les thèmes de la confusion et de la maladresse au principe de la création beckettienne, le rapport entre répétition, subjectivité et mémoire, et l’expérimentation littéraire d’une gestualité pour rien (presque) sans œuvre ni support.
Beckett’s writing in Texts for nothing involves a movement of perpetual correction which elicits a comparison with the plastic and graphic arts. In its remote dialogue with the works of Bram van Velde or Giacometti, the gesture of reworking (pentimento) indeed allows us to question anew certain principles of Beckettien creation. For example, confusion and clumsiness, as well as the relationship between repetition, subjectivity and memory, and the literary experiment of a gesturality for nothing (or almost) without artwork nor medium.
225Mariko Hori Tanaka, « Une lecture post-apocalyptique du silence dans Textes pour rien de Samuel Beckett »
Dans Textes pour rien, Beckett cherche à découvrir un nouveau langage pour exprimer son silence post-apocalyptique en littérature. Le narrateur des récits entend des voix, en silence. Ce silence est rempli de murmures, de chuchotements, de cris, de hurlements et de halètements. Cependant, ces voix n’ont pas de subjectivité, comme si elles étaient des objets traumatiques rejetés par le monde. Ce sont les voix des mots qui cherchent désespérément à exprimer leur agonie et leur douleur et, ainsi, à laisser leur « trace ».
In Texts for Nothing, Beckett attempts to discover a new language to express his post-apocalyptic silence in literature. The narrator of the stories hears voices in silence. This silence is filled with murmurs, whispers, cries, screams and breathing. These voices, however, do not display subjectivity, as if they were traumatic objects denied by the world. They are the voices of the dead who are desperately trying to express their agony and pain, and to thus leave their “trace”.
Sjef Houppermans, « Va-et-vient et inscription de l’unheimlich dans Textes pour rien de Samuel Beckett. Trop près, trop loin, c’est trois fois rien »
Cet article propose une lecture psychanalytique qui circonscrit ce qui, après L’Innommable, resterait à (dé)dire. Le cheminement de lecture suivra les va-et-vient, les prises de distances et les rapprochements que le texte esquisse. La notion de l’unheimlich, telle que Freud l’a définie et illustrée, aidera à préciser comment mort et vie, naissance et décès, le sujet et son autre s’attirent et s’excluent par voie de fascination tout au long de ce parcours où alternent le « point de vue de Sirius » et la foudroyante intimité.
This paper offers a psychoanalytical reading that circumscribes what remains, after The Unnamable, to (un)say. The unfolding of our study will first of all follow the coming and going, the distancing and approaches outlined by the text. The notion of the unheimlich, as Freud defined and illustrated it will enable to define how death and life, birth and dying, the subject and his other attract and exclude each other in a form of fascination throughout this unfolding where the “point of view of Sirius” and violent intimacy alternate.
226David Lloyd, « Avigdor Arikha illustre Textes pour rien de Samuel Beckett. “Dessins pour rien” »
Cette étude examine la place des dessins d’Avigdor Arikha pour Textes pour rien, dans la trajectoire de l’œuvre de l’artiste en comparaison avec le rôle transitionnel joué par Textes pour rien dans l’œuvre de Beckett. De même que les Textes de Beckett marquent l’épuisement d’un mode d’écriture pratiqué au cours de la Trilogie, les dessins d’Arikha anticipent son propre abandon de l’abstraction, et son choix de dessiner d’après nature dans des manières qui, comme chez Beckett, commencent à interroger les termes de l’image et de la représentation.
This essay examines the place of Avigdor Arikha’s drawings for Beckett’s Textes pour rien in the trajectory of the artist’s work in comparison with the transitional role played by the Textes in Beckett’s own œuvre. Much as Beckett’s Textes mark the exhaustion of a mode of writing practiced in the Trilogy, Arikha’s drawings anticipate his own abandonment of abstraction and turn to drawing from life in ways that, like Beckett, begin to question the terms of the image and representation.
Nadia Louar, « La question du bilinguisme dans Textes pour rien / Texts for Nothing »
Textes pour rien – composé des « derniers petits textes » dont Beckett dira qu’ils « ont achevé de [lui] fermer le bec » – donne paradoxalement ses véritables voix à l’œuvre bilingue. Loin de signifier la fin d’une veine créative inégalée et marquer une pause dans le parcours de l’auteur, ces Textes figurent une esthétique du recommencement liée de façon organique à la structure fondamentale de l’écriture bilingue.
Texts for Nothing – comprising the “last little texts” which Beckett said “have finally managed to shut [him] up” – paradoxically give his bilingual œuvre its true voices. Rather than signifying the end of an unequalled creative vein and signalling an impasse in his career as a writer, these Texts exemplify an aesthetics of recommencement that is organically linked to the fundamental structure of bilingual composition.
Albert Nguyên, « Incidence de la voix dans Textes pour rien de Samuel Beckett. Un pas rien d’insolitude »
Textes pour rien, de Beckett, est lieu de la voix, lieu pour la voix qui signe l’insolitude, l’impossible de la solitude, l’impossible de la complète extinction. 227C’est dans la langue elle-même que Beckett joue la partie, l’épurant, la faisant suinter jusqu’à lui arracher des mots inventés, les mots qui marquent le « cap au pire ». Ce faisant, c’est la transmission qui est sur la sellette, selon une formule qui pourrait se dire : non pas « tel père tel fils », mais « telle main tel père-fils ».
Beckett’s Texts for Nothing is the place of the voice; a place for the voice that is the mark of unsolitude, the impossible at the heart of solitude, the impossibility of complete extinction. It is in language itself that Beckett plays the game: purifying it, making it ooze to the point of tearing invented words from it, words that point “worstward”. In doing so, it is transmission that it questioned, according to a formulation that would not be “like father like son”, but “like hand like father-son”.
Mark Nixon, « Samuel Beckett. La traduction en anglais de Textes pour rien »
Cette étude trace la lutte de Beckett pour traduire Textes pour rien en anglais. L’histoire de cette traduction est marquée par des hésitations et des difficultés. Ayant commencé la traduction du premier Texte en 1958, Beckett allait passer les huit années qui suivaient dans un travail laborieux pour achever cette tâche. Cette discussion trace l’histoire génétique de la traduction, et commente les diverses étapes composant ce processus.
This essay charts Beckett’s struggle to translate Textes pour rien into English. The translation history of these texts is marked by hesitations and difficulties. Having begun the translation of the first Text in 1958, Beckett would over the next eight years struggle to complete the task. The discussion maps the genetic history of the translation, and comments on the various stages in the process.
Stéphanie Ravez, « Les Églogues “pour rien” de Samuel Beckett. Et in Arcadia ego »
L’écriture de Textes pour rien peut s’interpréter, voire s’élucider, à l’aune du mode pastoral. En effet, l’esthétique de la faiblesse est proche de celle qu’on trouve déjà chez Théocrite et Virgile. La rupture apparente avec l’univers idyllique dès Texte III ne signifie pas nécessairement le rejet de la pastorale, mais sa continuation sur un mode moins élégiaque, comme le démontre l’article en s’appuyant sur les études que Erwin Panofsky et Louis Marin ont faites d’un célèbre tableau peint par Poussin : Les Bergers d’Arcadie.
Texts for Nothing can be read and elucidated in the light of the pastoral mode. In fact, the aesthetics of vulnerability are not dissimilar from those found in Theocritus 228and Virgil. Moreover, the apparent break with the idyllic world from Text 3 does not necessarily signify a rejection of pastoral but its continuation on a less elegiac mode. This article demonstrates by focusing, especially, on Erwin Panofsky’s and Louis Marin’s studies of a famous pastoral painting by Poussin: Et in Arcadia Ego.
Anthony Uhlmann, « Dénaturer la connaissance dans Textes pour rien de Samuel Beckett »
Cette étude examine la manière dont Textes pour rien utilise le lieu, le récit, la mémoire, l’état d’existence, l’idée d’un départ, et l’idée du scribe comme autant de stratégies pour « continuer ». Elle étudie comment chacune de ces stratégies suppose un refus ou le choix de dénaturer les idées de la signification et du savoir, avant que les situations explorées dans L’Innommable reviennent dans la seconde moitié de cette œuvre.
This paper looks at the way in which Texts for Nothing makes use of the place, the story, the memory, the state of being, the idea of departure, and the idea of the scribe as strategies for “going on”. It considers how each of these strategies involves a refusal or denaturing of the ideas of meaning and knowledge, before situations explored in The Unnamable return, in the second half of this work.
Éric Wessler, « Présence et absence de l’astre solaire dans Textes pour rien. Quoi de neuf sans le soleil ? »
Dans Textes pour rien, le soleil perd son statut de repère cosmographique : le narrateur s’en affranchit pour se situer en un point obscur qui abolit les distinctions logiques et métaphysiques traditionnelles. S’ensuit alors une disparition des personnages individuels, rejetés comme illusions de l’esprit apollonien. Finalement, malgré l’invasion de la boue, un élément aérien remplace le soleil comme principe de fécondité littéraire, dans un mouvement d’empathie pré-individuelle opposée au logos solaire.
In Texts for Nothing, the sun loses its status as a cosmographical reference point: the narrator frees himself from it in order to situate himself in an obscure point which abolishes traditional logical and metaphysical distinctions. Thus ensues the disappearance of individual characters, who are rejected as illusions created in the Apollonian mode. Finally, in spite of the invasion of mud, an aerial element replaces the sun as a principle of literary fecundity, in a movement of pre-individual empathy opposed to the solar logos.
1 “Textes pour rien” / “Texts for Nothing” de Samuel Beckett : le corps de la voix impossible, L. Brown (dir.), Paris, Lettres modernes Minard, La Revue des Lettres modernes, Série « Samuel Beckett – 6 », 2018.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-07042-9
- EAN : 9782406070429
- ISSN : 0035-2136
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07042-9.p.0221
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/11/2018
- Périodicité : Mensuelle
- Langue : Français