![La Reine de Saba. Des traditions au mythe littéraire - [Introduction à la quatrième partie]](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/AheMS01.png)
[Introduction à la quatrième partie]
- Prix Anna-Balakian 2013 de l'Association internationale de littérature comparée
- Publication type: Book chapter
- Book: La Reine de Saba. Des traditions au mythe littéraire
- Pages: 367 to 369
- Collection: Comparative Perspectives, n° 16
(No es improbable que llevemos en nosotros, ocultas, enterradas, ciertas metáforas primordiales y que toda busca en la vida entrañe la finalidad de ilustrarlas con fragmentos de realidad – o la de substituirles la realidad originaria… Si así es, quizá toda palabra meditada no quiera sino descifrar aquellas amágenes primigenias, agujeros en la insondable oscuridad, astros muertos de nuestras íntimas cosmogonías cuya ilusoria luz no es sino el recuerdo confuso de la luz – de otra luz 1 ).
La référence à une figure mythique est un lieu commun de toute littérature. Elle permet d’inscrire ce qui l’entoure dans un contexte plus large et aussi d’identifier, de réduire ce contexte à un certain type de situations, d’attitudes connues, référencées. C’est ainsi que Denis de Rougemont définit le mythe :
Un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un nombre infini de situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’un coup d’œil certains types de relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences quotidiennes2.
Or, la « structure permanente » du mythe est toujours disponible. Claude Lévi-Strauss l’explique de manière très imagée :
Les images signifiantes du mythe, les matériaux du bricoleur, sont des éléments définissables par un double critère : ils ont servi, comme mots d’un discours 368que la réflexion mythique « démonte », à la façon du bricoleur soignant les pignons d’un vieux réveil démonté ; et ils peuvent encore servir au même usage, ou à un usage différent pour peu qu’on les détourne de leur première fonction3.
Le mythe de la reine de Saba va ainsi être réinvesti et subir des orientations nouvelles sans perdre de son identité, à condition d’en conserver les mythèmes fondamentaux. Le récit d’un voyage initiatique aboutissant à une conversion ne fera pas forcément référence à la reine de Saba, mais en revanche ce qui lui appartient en propre – car si l’on a pu faire du personnage un type, son histoire reste particulière –, par exemple le motif du sol dallé de cristal, ne peut qu’y faire allusion et c’est alors toute son histoire qui « émerge4 », comme si son nom était apposé, à la manière d’un sceau, sur ces motifs essentiels : une « reine de Saba » ne saurait se défaire de la « résistance de l’élément mythique » une fois identifié, malgré sa « souplesse d’adaptation5 ».
On a vu que la reine de Saba apparaissait dans des textes qui faisaient allusion à elle pour éclairer un aspect ; il arrive qu’un tableau soit convoqué comme source d’inpiration, ou encore qu’un texte, lui-même issu de représentations, devienne un support, un point de départ, une référence. Il faut à présent procéder à une autre approche, complémentaire, interrogeant le réinvestissement du scénario mythique et l’élaboration d’un modèle idéal. En particulier, il est nécessaire d’analyser le rapport du mythe à la vérité : la reine de Saba serait une clé d’accès à des vérités historiques, religieuses, métaphysiques ou personnelles. En effet, ce personnage de légende entretient avec la réalité un rapport complexe : d’une part, en raison de la question de son historicité ; d’autre part, en raison du rapport entre religion, mythe et Histoire. C’est souvent l’aspect légendaire de l’histoire de la reine de Saba qui l’emporte, dans le genre romanesque en particulier : le royaume de Saba fait toujours rêver. Par ailleurs, ce rêve trouve une expression poétique qui exalte la dimension géographique du mythe de la reine de Saba : elle représente l’Orient chez les poètes du xixe siècle, qui en font le modèle idéal de la femme orientale et lui prêtent certains attributs. Elle est le symbole l’Afrique chez Senghor. Enfin, parce que, dans son rapport complexe à la réalité, la reine de Saba est devenue un symbole, on l’a chargée de représenter des vérités supérieures, auxquelles seuls les initiés pourraient 369parvenir et donner un autre sens à l’histoire. C’est souvent à travers la fiction que l’écrivain exprime une vérité religieuse, en mettant l’Histoire sur un autre plan, en retrouvant le temps religieux, en particulier le temps chrétien.
1 H. Bianciotti, La Busca del jardin, Barcelona, Tusquets Editor, 1978, p. 14. / « (Il n’est pas impossible que nous portions en nous, occultes, enterrées, certaines métaphores primordiales, et que toute quête dans la vie soit de les illustrer avec des fragments de réalité – ou leur subsituer la réalité originelle… S’il en est ainsi, peut-être que toute méditation verbale conduit à déchiffrer ces images primitives, brèches dans l’insondable obscurité, astres morts de nos cosmogonies intimes dont la lumière illusoire n’est rien que le souvenir confus de la lumière – d’une autre lumière) », Le Traité des saisons (je traduis).
2 L ’ Amour et l ’ Occident, Plon, coll., « 10/18 », 1972, p. 19.
3 C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 48-49.
4 Voir P. Brunel, Mythocritique, op. cit., p. 72 sqq.
5 Ibid.
- CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN: 978-2-8124-3933-9
- EAN: 9782812439339
- ISSN: 2261-5709
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-8124-3933-9.p.0367
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-11-2012
- Language: French