![La Reine de Saba. Des traditions au mythe littéraire - [Introduction à la première partie]](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/AheMS01.png)
[Introduction à la première partie]
- Prix Anna-Balakian 2013 de l'Association internationale de littérature comparée
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Reine de Saba. Des traditions au mythe littéraire
- Pages : 29 à 30
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 16
Comment lire la Bible ? La question de l’unité biblique est problématique : si, de la Genèse à l’Apocalypse, la Bible (biblia, les « livres sacrés ») raconte une histoire du monde, sa rédaction s’étend sur plusieurs siècles. L’unité biblique est donc à chercher plus dans sa lecture que dans son écriture. Or, on peut déceler plusieurs strates, et des répétitions : entre les Évangiles, par exemple, ou entre le Livre des Rois et celui des Chroniques, dans lesquels apparaît la reine de Saba. La Bible offre néanmoins une grande stabilité : elle présente une permanence depuis tant de siècles qu’elle est une écriture de référence, l’Écriture par excellence, l’hypotexte de bien d’autres textes. On peut se demander ce qu’il reste de son inspiration sacrée lorsque l’imaginaire s’en empare.
Comme bien d’autres personnages bibliques, la reine de Saba va connaître un destin extra-livresque : en s’échappant du Livre, elle entre dans l’imaginaire, et renaît ailleurs, dans d’autres livres, d’autres cultures, d’autres imaginaires. L’oralité rivalise avec le caractère sacré de l’Écriture, mais l’Ancien, le Nouveau Testament et le Coran fonctionnent comme des jalons, des repères, à l’origine des variantes légendaires.
La question de l’historicité de la reine de Saba est très importante, et il faut commencer par l’envisager, au moins en termes de vraisemblance car cette question intéresse les écrivains aussi bien que les historiens. De plus, le rapport entre Bible et Histoire est essentiel pour comprendre la perspective de l’Écriture :
Dans ces conditions, dire que la Bible est foncièrement historienne, ce n’est pas seulement établir un constat d’ordre littéraire, ou lui donner, plus ou moins apologétiquement, une valeur qu’elle n’aurait que partiellement ou insuffisamment. Dire que la Bible est foncièrement historienne, c’est avant tout ressaisir une intention, une intentionnalité qui, à partir d’un certain moment, la fonde, la justifie, la fait.
Autrement dit, ce projet historien global, totalisant, est le fruit d’une conception religieuse, théologique, consciente et précise, si précise et si consciente qu’elle va à la fois unifier et conserver la Bible1.
L’élaboration du Coran se situe dans une tout autre perspective.
Cependant, qu’elle soit ou non un personnage historique, la reine de Saba joue un rôle dans l’Histoire car elle est devenue un modèle 30auquel on se réfère. Son histoire se prête particulièrement bien à la réécriture : d’abord parce qu’elle n’apparaît qu’une seule fois dans l’Ancien Testament, apparition à laquelle il est fait référence dans le Nouveau Testament, et une seule fois aussi dans le Coran : l’épisode est donc circonscrit. De plus, il est bref et a une forte structure narrative, ce qui lui permet d’être extrait de ses hypotextes, de faire l’objet d’un récit à part entière, indépendant du point de vue narratif. Il comporte les éléments schématiques traditionnels d’un récit : une héroïne, une situation initiale, des péripéties et un dénouement. On a pu s’étonner qu’un épisode biblique aussi simple ait connu une postérité aussi faste. Albert de Pury émet un sévère jugement sur ce passage :
À première vue, le récit de la reine de Saba en 1 Rois 10 se présente à nous comme un récit d’une indicible platitude […] C’est un récit dans lequel il semble ne rien se passer : pas de conflit, pas de suspens, pas d’enjeu réel. Une reine vient du bout du monde avec sa suite. Elle admire, elle est admirée, elle prononce son compliment, on échange de riches cadeaux, puis elle repart. Le tout fait l’effet d’une vision féerique, d’un mirage qui n’a guère plus de conséquence dans la vie réelle qu’il n’en a sur le plan strictement imaginaire et littéraire. Que faire d’un récit pareil2 ?
Le réécrire, par exemple : si cette « vision féerique » produit toujours son effet et hante bien des écrivains, c’est que le texte biblique s’offre à la réécriture et que le personnage de la reine de Saba a une potentialité littéraire très forte.
Notons tout de suite qu’il est rare que les réécritures littéraires mettant en scène la reine de Saba s’inspirent seulement du récit vétérotestamentaire : les Traditions juives, chrétiennes et islamiques constituent en grande partie le fonds de ces reprises. Même dans le récit poétique que Jean Grosjean consacre à la reine de Saba et qui est une réécriture très chrétienne du mythe, le poète fait plusieurs fois référence à d’autres textes que celui de la Bible, comme si la reine de Saba ne pouvait s’affranchir du rôle que lui ont prêté l’ensemble des Traditions.
Le mythe de la reine de Saba est donc l’histoire d’une amplification, d’un prolongement dans l’imaginaire.
1 P. Gibert, « Mythe et réalisme historien : les enjeux d’une tension », La Bible, images, mythes et traditions, Albin Michel, coll. « Cahiers de l’hermétisme », 1995, p. 18.
2 « Salomon et la reine de Saba. L’analyse narrative peut-elle se dispenser de poser la question du contexte historique ? », dans La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur, éd. D. Marguerat, Colloque international d’analyse narrative des textes de la Bible (Lausanne, mars 2002), Genève, Le Monde de la Bible, coll. « Labor et Fides », no 48, 2003, p. 215.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-8124-3933-9
- EAN : 9782812439339
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-8124-3933-9.p.0029
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/06/2012
- Langue : Français