![La Coquette. Naissance et fortune d’un type sociolittéraire (XVIIe-XVIIIe siècles) - Introduction à la deuxième partie](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/LszMS01b.png)
Introduction à la deuxième partie
- Publication type: Book chapter
- Book: La Coquette. Naissance et fortune d’un type sociolittéraire (xviie-xviiie siècles)
- Pages: 213 to 216
- Collection: Enlightenment Europe, n° 90
Introduction
à la deuxième partie
En ce début du dix-huitième siècle, le type de la coquette connaît une fortune grandissante, à la ville comme à la scène, à l’opéra et au théâtre, dans le roman et dans le conte, en poésie et en peinture. Personnage en perpétuelle représentation, la coquette a pour domaine de prédilection le théâtre. La comédie lui va comme un gant. Ainsi est-elle très présente sur les planches de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, les plateaux de la Comédie à la Française, et sur les tréteaux de la Comédie à l’italienne et du Théâtre de foire. Dans le sillage des comédies de Dancourt et Regnard, La Coquette de village (1715) de Charles Dufresny inaugure le siècle. Le type de la coquette au théâtre fleurit et s’épanouit avec le personnage gracieux de Julie, héritière piquante de Célimène dans La Coquette corrigée (1756) de Jean-Baptiste Sauvé de la Noue. Au fil de ses reprises et influencé par l’évolution des mœurs et mentalités, le personnage de la coquette se dilue et s’efface à l’heure de la comédie larmoyante et du drame bourgeois : le type est nié en son essence même dans La Coquette généreuse (1793) de Jean-Baptiste Belat Bonneille.
Avant que Marivaux ne fasse de la coquette une affaire quasi personnelle et une métaphore obsédante de sa poétique, nombre de ses contemporains, inspirés par les représentations du siècle précédent, se sont approprié une figure souveraine, reine à la ville comme à la scène. La coquette est dans l’air du temps, dans tous les esprits, sous toutes les plumes, le plus souvent masculines. Elle rayonne, au faîte de son éclat, fêtée mais aussi critiquée, applaudie mais aussi satirisée. La coquette est sur toutes les lèvres. Elle est fredonnée en chansons, épinglée en sonnets, chorégraphiée en entrées et sorties de ballets. La muse coquette inspire des vers au registre faussement épidictique qui ne sont véritablement ni éloge, ni blâme de la coquetterie. Ce sont des poèmes de circonstance sur un topos à la mode : l’inconstance et la cruauté des coquettes. 214L’abbé de Lattaignant dédie ainsi ses « Maximes de coquetterie1 » à Mademoiselle de Navarre. L’éloge paradoxal de la coquetterie semble encourager la destinataire à user de coquetterie. Mais l’ironie pointe le bout de son nez et l’éloge de la liberté de la coquette pivote en un blâme de la coquetterie. Le regard porté sur la coquette est donc ambivalent à l’aune de l’ambiguïté des représentations du féminin. Si les personnages féminins se limitent aux fonctions esthétique, mondaine et ludique de la coquetterie, le public masculin sera leur plus fervent admirateur et encouragera la coquetterie des femmes surtout si elle leur est destinée. Mais si cette coquetterie fait souffler un vent de liberté, d’émancipation et de misandrie, rien ne va plus et la coquette est discréditée, punie voire corrigée. Il est préférable pour l’ordre social et pour la tranquillité des amants que les coquettes s’inspirent du portrait de la jeune fille naturelle représentée par Jean-Joseph Vadé dans la chanson « Le Goût de bien des gens2 ». L’auteur dénigre d’abord la femme sage et la coquette dont les appas artificiels ne masquent pas l’érosion de l’âge. Vadé s’attaque ensuite à la petite-maîtresse, figure de la première moitié du siècle qui hésite entre coquetterie et galanterie. Le portrait d’Iris n’est guère flatteur : il campe une poupée vide aux yeux inexpressifs. Le refrain revient à l’idéal féminin de « bien des gens », la jeune fille « gentille ». La ronde des types féminins caricaturés s’inscrit dans l’air du temps. La femme est un reflet3 dans un œil d’homme. Le sonnet « Sur une coquette4 » de Benserade rappelle les reproches des jaloux de La Défense de la jalousie de René Barry. L’amant en titre revendique son unicité et son exclusivité aux dépens de la multiplicité des rivaux. La pointe finale promet une vengeance à proportion de l’art de coqueter de la belle et à la mesure de la souffrance éprouvée par le jaloux meurtri.
Thomas Barthe, d’origine marseillaise, est l’auteur d’un grand roman méconnu sur la coquetterie, La Jolie femme ou la femme du jour (1769). Il a aussi écrit des comédies et des épîtres5, traversées par la figure de la 215coquette et imprégnées d’un ton galant et mondain. Barthe, comme Marivaux, a pu être qualifié d’« auteur coquet6 ». Dans l’épître sur les « Mœurs de Paris », il saisit le « bel air », cet « art profond de tout effleurer » dont les « oracles » sont rendus par les Belles, « Reines des esprits et des cœurs7 ». Salons et Cours sont régentés par des coquettes influentes8. Dans l’épître « Sur l’enjouement », le sujet poétique se plaint d’une coquette à la « barbare indifférence9 » ou bien cherche des yeux une certaine Delphyre, « Triste coquette à quarante ans10 ». Dans « Sur le malheur d’aimer une femme gaie11 », il se désespère de la gaieté de sa maîtresse, une « gaîté vive et légère », qui sans cesse « rit et sourit », fait « étinceler l’esprit » et électrise les âmes. Rappelant Alceste se plaignant de l’urbanité de Célimène, il la préfèrerait moins adorable et plus sensible. Il la peint, papillonnant à sa toilette dans « son négligé plein de grâce12 », cherchant un ruban, consultant son miroir, s’appliquant du rouge. L’humeur du jaloux redouble, il fuit Paris, s’exile à sa façon dans son désert. Mais il revient plus amoureux que jamais… ! Le papillon des coquettes n’ose imaginer une société où la fidélité aurait banni la coquetterie. Si la femme se corrige, si elle se contente d’un seul amant, quelle tristesse et quelle désolation : « Adieu nos cercles, nos soupers, / Dont elle était l’âme et la vie13 ». « Coquetterie » rime avec « vie ». La coquetterie est aussi un stimulus industriel et économique. Sans elle, « moins de bijoux / Moins de parure et d’élégance », les arts « tombent en décadence », l’or ne circule plus et l’« État n’est plus14 ».
La coquette inspire aussi des contes grivois en vers tel l’anonyme « Caleçon des coquettes du jour15 ». Son propos leste dévoile les dessous de deux coquettes, l’une jeune et l’autre mûre. Ces deux dames revenant du Cours la Reine, en « beaux atours », prennent un berlingot de 216parade. Elles font arrêter le cocher au pont des Tuileries. Elles sortent précipitamment pour leur plus grand malheur. Chacune tombe « et montre à nu son derrière16 ». La coquetterie de parure se niche même sous les jupons des coquettes et orne leurs fessiers ! L’auteur ne vantera jamais assez la nécessité du caleçon pour éviter ce genre de déconvenue qui valut aux deux coquettes détroussées, de nombreux quolibets.
1 Gabriel Charles, Abbé de Lattaignant, dans « Maximes de coquetterie », Anthologie de la poésie française du xviiie siècle, éd. Michel Delon, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1997, p. 86-87.
2 Jean-Joseph Vadé, « Le goût de bien des gens », Anthologie de la poésie française du xviiie siècle, éd. citée, p. 173.
3 Nancy Huston, Reflets dans un œil d’homme, Paris, Babel, 2013.
4 Benserade, « Sur une coquette », La Guerre des sexes, Paris,Chêne, coll. « Esprit xviiie », 2012, p. 144.
5 Thomas Barthe, Épitres sur divers sujets, Paris, Lesclapart le jeune, quai de Gêvres, 1762.
6 L’auteur de la « notice sur la vie et les ouvrages de Barthe », convient que son style « a toute la grâce et l’abandon d’une beauté qui s’ignore elle-même ». Son esprit « a souvent la recherche et l’affectation d’une coquette, qui craindrait de se montrer en négligé. Barthe, Œuvres choisies, Paris, Firmin Didot, 1811, p. 6.
7 Ibid., p. 3.
8 Ibid., p. 10.
9 Ibid., p. 33.
10 Ibid., p. 31.
11 Barthe, Théâtre complet et Œuvres diverses, Paris, veuve Duchesne, 1761, p. 62.
12 Ibid., p. 65.
13 Ibid., p. 42.
14 Idem.
15 Le Caleçon des coquettes du jour, La Haye, 1763.
16 Le haut et le bas s’inversent selon le principe carnavalesque défini par M. Bakhtine. Le deuxième fessier « À peau jaunâtre, et mal tourné / Était comiquement orné / Comme faces de Scaramouche / De fard, de vermillon, de mouches », Ibid., p. 4.
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- ISBN: 978-2-406-16749-5
- EAN: 9782406167495
- ISSN: 2258-1464
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16749-5.p.0213
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-10-2024
- Language: French