Résumés des contributions
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : L’Unique change de scène. Écritures spirituelles et discours amoureux (xiie-xviie siècle)
- Pages : 467 à 473
- Collection : Rencontres, n° 161
- Série : Le Siècle classique, n° 4
Résumés des contributions
Anita Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caro dans la littérature courtoise. Une perspective historique »
L’émergence de l’écriture des langues vernaculaires traduit une réorganisation des rapports entre l’Église et l’aristocratie laïque dans le champ culturel. Les œuvres les plus spécifiques de la production courtoise et les thèmes qui la définissent, expriment une vision du monde et de la société qui est structurée par le système de représentation propre au christianisme médiéval, mais qui traite des rapports avec l’institution ecclésiastique et de l’organisation des relations sociales au sein de l’aristocratie.
Michel Adroher, « Et Dieu créa la femme à son image ou la religion du troubadour Guillem de Cabestany »
Le troubadour roussillonnais Guillem de Cabestany exprime sa vision sacralisée de la dame comme créature divine à travers des mots et des images d’une hardiesse remarquable. Tranchant sur le caractère convenu des formules de louange propres à la lyrique amoureuse occitane, ne va-t-il pas, pour « dire l’Unique », jusqu’à proposer une lecture peu orthodoxe de la Genèse et poser les rudiments d’une dévotion nouvelle ?
Christopher Lucken, « Figures du loin. Lanquan li jorn son lonc en mai de Jaufré Rudel »
L’amor de lonh, expression emblématique de la poésie de Jaufré Rudel, a fait l’objet de plusieurs interprétations qui estiment qu’elle exprime un amour spirituel se rapportant à la Terre sainte. Même lorsqu’elle est appliquée à la dame, elle souligne le caractère spirituel du sentiment qu’elle désigne. Après avoir souligné les analogies que la poésie de Jaufré Rudel établit entre l’amour de lonh et l’amour divin, cet article rapproche cette expression de l’amour fantasmatique incarné par Narcisse.
Dominique Demartini, « Ivres de Dieu et d’amour. Alexis et Tristan »
Alexis et Tristan, le saint et l’amant, sont des figures que tout oppose. Pourtant, une même ivresse les anime. L’ivresse sacrée du saint, telle que la peint sa Vie au xie siècle, fournit un modèle à l’amour tristanien : une figure de l’amour qui passe par une mort au monde et à soi, ainsi que par une exhibition paradoxale d’un corps marqué par la passion. À travers ces motifs et images empruntés à l’amour de Dieu, la matière tristanienne reformule et repense l’amour humain.
Joanna Gorecka-Kalita, « “Purifier la mémoire”. La déconstruction du discours amoureux dans la Queste del Saint Graal »
La Quête du Saint Graal ne prend son sens qu’en fonction du projet cyclique dans lequel elle s’inscrit. Le motif de la contrition de Lancelot permet à son auteur de réécrire l’histoire des amants, en procédant ainsi à une déconstruction de l’univers courtois. La structure de la conversion répond au modèle décrit par saint Bernard dans le De conversione, en insistant sur la purification de la mémoire du pécheur, ce qui équivaut pour l’auteur de la Queste à agir sur la mémoire du lecteur.
Marie-Pascale Halary, « Quand l’Unique change de langue. Littérature spirituelle et “langue courtoise” chez Marguerite d’Oingt »
Comme Marguerite Porete, sa contemporaine plus illustre, Marguerite d’Oingt tente de rendre compte, en langue romane, d’une rencontre personnelle avec le divin. Mais le choix de la langue dite courtoise ne s’accompagne pas, ici, de la conversion du modèle littéraire de la fin’amor. Le choix du francoprovençal s’inscrit plutôt dans une stratégie linguistique et éthique complexe qui vise à légitimer et encadrer la parole spirituelle féminine.
Maria Maślanka-Soro, « Les femmes du Paradis Terrestre de Dante. La spiritualisation du mythique et la mythification du spirituel »
Il s’agit d’examiner le dialogue intertextuel que Dante entreprend avec l’auteur des Métamorphoses. Le discours dantesque se présente comme imitatio et aemulatio et se réalise aussi bien aux niveaux textuel et métatextuel. La mémoire littéraire empêche Dante-personnage de comprendre la nature spirituelle de
l’amour incarné par la mystérieuse Matelde, rencontrée au Paradis terrestre. Son imagination la transforme en Proserpine et en Vénus, tandis que Dante-auteur dévoile la fausseté de cette vision.
Clotilde Dauphant, « Qui est la Dame ? L’abandon de la spiritualisation du sentiment dans la lyrique “amoureuse” de la fin du xive siècle »
Chez Guillaume de Machaut, Jean Froissart et Eustache Deschamps, le poète ne chante plus exclusivement son désir extrême pour l’Autre. Il devient un écrivain expert, témoin ou philosophe. La spiritualisation de la lyrique amoureuse profane perd donc une partie de son sens. Et la lyrique sacrée, cantonnée aux serventois des Puys calqués sur les amoureuses et à quelques lais ou ballades, est plus théologique que sentimentale. La Vierge n’est plus la Dame du poète.
Isabelle Fabre, « Un cas de polysémie dans l’allégorie tardo-médiévale ? Lectures spirituelle et courtoise de la ballade de “la belle tour” (ms. de Turin, BNU J.II.9) »
L’article examine un cas de polysémie courtoise et spirituelle à partir d’une ballade allégorique du xve siècle tirée du manuscrit de Turin, BNU J.II.9, et construite sur le motif de la « belle tour ». On montrera que discours amoureux et écriture mariale n’y sont pas en concurrence, mais qu’ils sont mis au service de la composition du recueil et concourent à l’expression d’un art poético-musical qui les englobe et les dépasse.
Sabrina Stroppa, « Amour charnel et amour spirituel dans les Rerum vulgarium fragmenta de Pétrarque »
L’article s’interroge sur le rapport entre amour charnel et amour spirituel chez Pétrarque. Il précise la nature de l’amour dans les Rimes et revisite ensuite des interprétations trop hâtives : l’amour charnel ne procède pas forcément de l’influence de la poésie classique de même que l’amour spirituel n’est pas intrinsèquement lié aux sources chrétiennes. Il étudie enfin les images relatives au pouvoir du corps de la femme, et le rapport complexe avec le spiritus qui l’habite.
Michèle Clément, « Scève, Dante et la valeur féminine dans Délie »
La valorisation de la femme dans Délie est affirmée dès le titre du recueil : Délie objet de plus haute vertu. C’est à la compréhension de cette valeur que cet article s’attache, sachant que ni sa formulation d’inspiration néoplatonicienne, ni le pétrarquisme de ce premier canzoniere en français ne rendent compte de cette valeur exceptionnelle. Il faut donc chercher une troisième voie, du côté de Dante, pour restituer les raisons d’une valorisation du féminin.
Alain Génetiot, « Merveilleuse et mystérieuse : la femme dans la poésie concettiste française »
Dans les années 1630 la poésie française exacerbe le code néo-pétrarquiste de divinisation de la dame en accord avec l’esthétique ingénieuse du conceptisme européen. En célébrant la femme comme une divinité merveilleuse dont il célèbre l’éclat surprenant, la poésie donne à l’amour profane des accents mystiques. Mais dans ce jeu galant la sublimation rencontre le sublime via une poétique de l’oxymore qui fait signe vers un je ne sais quoi mystérieux où l’on pressent le divin en l’amour humain.
Bruno Petey-Girard, « L’amour profanateur. En relisant Artemis d’Amadis Jamyn »
Amadis Jamyn mêle, dans son œuvre amoureuse, langue profane et langue sacrée. Sans doute l’écriture amoureuse se prête-t-elle au franchissement d’une frontière tacite entre profane et sacré, mais Jamyn se permet, plus que tout autre poète de son temps, des infractions qui semblent nier le caractère sacré de l’espace religieux et de la parole biblique ; il ne parvient néanmoins pas à faire de ces essais aussi audacieux que profanateurs une composante structurelle de ses recueils.
Dariusz Krawczyk, « Antéros évangélique. Esthétique du discours érotique de François Habert »
Dans sa poésie allégorique, François Habert utilise tout un éventail de procédés antérotiques qui discréditent Éros. Les figures allégoriques de nouvelle Vénus ou de nouveau Cupidon s’érigent contre les anciens modèles et les remplacent, ne laissant aucun doute sur leur caractère moralement condamnable.
Ce travail de moralisateur conduit le poète à mettre en cause certains éléments du discours allégorique amoureux. Le plaisir esthétique de ses lecteurs en pâtit, mais ils peuvent distinguer aisément la vérité du mensonge.
Maja Pawłowska, « Le discours amoureux dans la Palombe de Jean-Pierre Camus »
Palombe est un des rares romans dévots où Jean-Pierre Camus ne dirige pas ses lecteurs vers le mépris du monde, mais leur propose un modèle d’amour modéré, basé sur une conciliation des valeurs chrétiennes et des idées néoplatoniciennes. L’amour-philia doit être une synthèse harmonieuse entre le désir physique, le sentiment et la raison, ce qu’il exprime par le biais des aventures sentimentales du couple des protagonistes.
Davide Dalmas, « Rimes spirituelles et discours amoureux en Italie au xvie siècle »
L’article se propose d’articuler certains problèmes relatifs à l’interprétation de la poésie italienne du xvie siècle, qui fait débat en raison du bouleversement du cadre théologique de la chrétienté occidentale opéré par la Réforme protestante. Il s’intéressera plus précisément aux réécritures spirituelles du chansonnier amoureux de Pétrarque dans le contexte ambigu des réformes en Italie.
Jean Vignes, « Chansons spirituelles, pratique du contrafactum et mise en recueil. Les paradoxes de la Pieuse alouette avec son tirelire »
On propose, dans le cadre d’une réflexion sur les transferts entre littérature amoureuse profane et littérature sacrée, une présentation globale de la pratique poétique du contrafactum d’inspiration spirituelle et de la mise en recueil de ce type de production. Elle est illustrée par l’exemple d’un recueil jésuite aussi curieux que copieux, sans doute le plus volumineux des recueils imprimés de contrafacta : La Pieuse Alouette avec son tirelire attribué au père La Cauchie (Valenciennes, 1619-1621).
Isabelle Garnier, « “Aymer en Dieu par amour amoureuse”. L’abandon au “seul aymé” dans la poésie spirituelle de Marguerite de Navarre, du Dialogue au Miroir »
Le Dialogue en forme de vision nocturne et le Miroir de l’âme pécheresse de Marguerite de Navarre (1533) se lisent comme la dramaturgie en deux actes de l’abandon à l’Unique : au trajet extérieur du cœur sortant de son orgueil pour embrasser le seul aymé et, par lui, l’Autre, succède le périple de l’âme vers l’Unique en vue de fusionner avec Lui. Les deux poèmes, dont les métaphores de l’amour charnel font pressentir l’union mystique, se rejoignent dans l’incroyable apologie d’une mort par Amour.
Josiane Rieu, « La scénographie de l’âme dans la poésie de Pierre de Croix »
Aux xvie-xviie siècles, l’imaginaire de l’intériorité évolue vers une théâtralisation, où le sujet est projeté comme sur une scène. Or, chez Pierre de Croix la représentation de l’âme correspond à une scénographie qui s’appuie sur un mouvement inverse, celui d’une intériorisation et d’une perception interne de sensations en surgissement. L’âme y est un organe sensible où s’opère l’unification du corporel au spirituel, de l’humain au divin, dans une dynamique mystérieuse d’approfondissement de l’être.
Dominique Millet-Gérard, « Le prosimètre au service du Cantique des cantiques chez Claude Hopil »
Les Douces Extases de l’âme spirituelle de Claude Hopil [1627] est un recueil de méditations sur le Cantique des cantiques, suivi de quatorze Cantiques en vers. Cet article se demande si le terme de « prosimètre » est pertinent pour qualifier cette œuvre aux thèmes pastoraux, mettant en scène l’ambivalence d’un discours amoureux à la fois galant et divin, et pratiquant une interférence entre vers et prose, non point entrelacés, mais juxtaposés.
Marie-Christine Gomez-Géraud, « Le Bouquet sacré des fleurs de la Terre sainte (1614) de Jean Boucher. Une nouvelle actualisation du Cantique des cantiques »
Le succès du Bouquet sacré (1614) de Jean Boucher tient pour beaucoup à l’expression des feux d’un amour sacré dans une langue capable d’assumer des aspects profanes. Dans les jeux de la « seconde main », le discours amoureux,
appuyé surtout sur le Cantique des cantiques est repris pour servir l’exposé spirituel. La plasticité herméneutique et la dynamique spécifique du poème biblique permettent la réécriture novatrice du pèlerinage, ici tendu entre désir, contemplation et insatisfaction.
Elwira Buszewicz, « Pudici ignes. Fièvre amoureuse et allégories mystiques dans quelques épigrammes latines de Maciej Sarbiewski »
Dans les odes et épigrammes latines de Sarbievius le discours des passions ferventes est adapté à l’expression des sentiments pieux. L’article analyse trois épigrammes consacrées à Marie Madeleine, en mettant en relief aussi bien les topoï de l’amour profane que des allégories mystiques auxquelles les poèmes se réfèrent. Le discours amoureux introduit dans la poésie religieuse suscite l’inquiétude et permet d’entrevoir des tensions secrètes, cachées sous l’applicatio sensuum ignatienne.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-05738-3
- EAN : 9782406057383
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05738-3.p.0467
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/06/2016
- Langue : Français