Principes d'édition
- Publication type: Book chapter
- Book: L’Œuvre de Balzac en préfaces des romans de jeunesse au théâtre
- Pages: 9 to 17
- Collection: Studies in Romanticism and the Nineteenth Century, n° 47
- Series: Balzac, n° 2
PRINCIPES D’ÉDITION
Pour former le texte que nous proposons à l’attention d’un public lettré, savant, ou simplement curieux de l’œuvre de Balzac, nous avons réuni sans y rien ajouter les préfaces des volumes des éditions Rencontre (Œuvres complètes de Balzac), mettant en lumière, de ce fait-même, la continuité de la composition élaborée par le tout jeune chercheur qu’était alors Roland Chollet.
Notre intervention a été volontairement des plus limitées. Une seule ingérence majeure : situer en début d’ouvrage les textes concernant les œuvres du jeune Balzac. Nous donnons donc à lire un ensemble dont la première partie est relative aux romans de jeunesse (reprenant les préfaces des tomes XXIX à XXXVII), la deuxième aux ouvrages constituant La Comédie humaine (tomes I à XXIV). Les troisième et quatrième parties sont consacrées aux Contes drolatiques (tomes XXV-XXVI) et au Théâtre (tomes XXVI-XXVIII) de Balzac qui sont traités séparément1.
La question de l’annotation était délicate. Fallait-il conserver les références (nécessairement toutes antérieures à 1970) ou en proposer une adaptation modernisée ? Après beaucoup d’hésitations, nous avons décidé de conserver les notes telles qu’elles se présentaient dans l’édition des Œuvres complètes de Balzac du club Rencontre. Nous avons craint de les rendre illisibles en les remaniant. Il nous a semblé, de surcroît, que la puissance d’actualisation du texte de Roland Chollet était mise en valeur par cette cohabitation avec des références parfois vieillies.
On se contentera donc d’indiquer ici même les éditions de référence ayant actuellement cours et auquel notre lecteur peut se reporter :
–pour La Comédie humaine, édition dirigée par Pierre-Georges Castex, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 12 volumes, 1976-1981.
–pour les romans de jeunesse : Premiers romans. Édition établie par André Lorant, Robert Laffont, collection « Bouquins », 2 volumes, 1999 (L’Héritière de Birague, Jean Louis, Clotilde de Lusignan, Le Centenaire pour le tome I, La Dernière Fée, Le Vicaire des Ardennes, Annette et le Criminel, Wann-Chlore pour le tome II).
–pour les œuvres diverses et les Contes drolatiques : Œuvres diverses, sous la direction de Pierre-Georges Castex, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 2 volumes parus, 1990 et 1996. Préparé par Roland Chollet, René Guise et Nicole Mozet, le tome I contient Les Cent Contes drolatiques et les Premiers essais. 1818-1823. Préparé par Roland Chollet, Christiane et René Guise, le tome II contient les Œuvres diverses (1824-1834). [Un tome III contenant les Œuvres diverses (1836-1848) est à paraître].
–pour le théâtre de Balzac : Théâtre, dans Œuvres complètes illustrées, édition établie et annotée par René Guise, Les Bibliophiles de l’Originale, 1969, tomes XXI, XXII et XXIII ; Essais dramatiques dans Œuvres diverses, tome I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », édition – déjà citée au paragraphe précédent – publiée sous la direction de Pierre-Georges Castex avec la collaboration de Roland Chollet, René Guise et Nicole Mozet, 1990.
En ce qui concerne la correspondance, nous avons remplacé les références – antérieures à 1836 – à la Correspondance de Balzac (textes réunis, classés et annotés par Roger Pierrot, Garnier, 5 volumes, 1960-1969) par des renvois à l’édition de la correspondance de Balzac parue chez Gallimard, dans la collection « Bibliothèque de la Pléiade », 2 volumes parus : tome I (1809-1835) 2006 ; tome II (1836-1841) 2011, et due aux soins de Roger Pierrot et Hervé Yon. Nous indiquons les renvois à cette nouvelle édition entre crochets.
En ce qui concerne les lettres que Balzac adresse à Ève Hanska, les références – qui se limitaient, la plupart du temps, à l’indication de la date – sont nécessairement demeurées les mêmes. La mention « Mme Hanska » a, cependant, remplacé celle d’« Étrangère ».
Lorsque Roland Chollet, dans une « Préface » du club Rencontre, fait allusion à une autre « Préface » de cette même édition, nous avons modifié l’indication de « Préface » en lui substituant un renvoi au « texte » ou aux « lignes » destinées à tel ou tel ouvrage au sein de cette édition.
première partie
AVANT LA COMÉDIE HUMAINE
Les romans de jeunesse
Balzac ni Paris ne se sont faits en un jour. L’activité souterraine qui prélude aux Chouans, premier chef-d’œuvre avoué et signé, intrigue depuis longtemps les chercheurs, et son intérêt n’avait pas échappé, dès le siècle passé, au vicomte de Lovenjoul, qui fut le prophète des études balzaciennes, avant d’en être le patron. En 1924, L.-J. Arrigon consacrait tout un livre aux Débuts littéraires d’Honoré de Balzac. Ces quelques jalons posés le long de dix années obscures, Albert Prioult reprenait l’exploration de la même période, mais d’un point de vue moins strictement biographique2. Peut-être n’a-t-on pas rendu assez justice à ce critique courageux, qui s’aventura à ses risques et périls dans le marécage de l’inédit de jeunesse, de l’anonyme, du pseudonyme, de la littérature à tant la ligne, domaine interdit, dont on s’avisa bientôt qu’il recelait maint secret de La Comédie humaine. Dans Balzac romancier, qui constitue encore le pivot de toute enquête sur la création balzacienne, Maurice Bardèche sut mettre en lumière les étapes de l’apprentissage du romancier, restituant leur signification, partant leur dignité, à des productions exécutées en quelques mots par Sainte-Beuve dans un article célèbre.
Grâce à la publication de la Correspondance et des Années balzaciennes, aux mises au point de plus en plus exactes de Guyon, Tolley, Barbéris et de quelques autres, l’énigme des débuts balzaciens s’éclaire peu à peu. Preuve en soit le brillant essai de synthèse de Pierre Barbéris3, auquel nous sommes largement redevables. Balzac avant Balzac, certes… Mais il faut entendre désormais qu’il n’y eut jamais qu’un seul Balzac, dont il s’agit de retrouver l’unité, la continuité et la permanence.
Autant dire que le premier Balzac, du moins le Balzac imprimé, imprimé de son vivant, ne peut plus être le privilège des spécialistes. Il est donc naturel d’ouvrir cette chasse longtemps gardée à nos lecteurs. Une question se pose d’emblée, celle des limites de l’œuvre de jeunesse. Sans revenir sur l’historique d’un débat provisoirement clos par Barbéris, rappelons qu’on est convenu d’attribuer huit romans à Balzac,
lequel n’en revendiqua jamais d’autres. Les deux premiers, L’Héritière de Birague et Jean Louis, parus en 1822 et signés Viellerglé et Lord R’hoone, sont, mais dans une faible mesure, le fruit d’une collaboration avec Lepoitevin Saint-Alme. Honoré de Balzac, alias Horace de Saint-Aubin, écrivit seul les six autres : Clotilde de Lusignan, Le Vicaire des Ardennes, Le Centenaire, La Dernière Fée, Annette et le Criminel et Wann-Chlore. Que Saint-Aubin ait trempé dans d’autres entreprises de « littérature marchande », cela ne fait aucun doute. Le dénouement de L’Anonyme ou ni Père ni mère de Viellerglé (1823) est si fort de sa façon, qu’on est tenté d’en retrouver une variante dans celui d’Adieu. Plusieurs chapitres du Tartare (1822) et de Michel et Christine (1823), de Viellerglé toujours, ont pour épigraphes de mystérieuses citations de… Lord R’hoone ; encore que ces romans ne soient pas d’une couleur très balzacienne, il serait téméraire, on le voit, d’exclure à priori que Balzac y ait mis la plume. À la suite du Tartare, était imprimé Le Pacte, une nouvelle qui présente pour le moins de surprenantes analogies d’inspiration (Maturin) avec Le Centenaire de Saint-Aubin ou même Melmoth réconcilié. En 1824, Le Nègre4 refait surface dans Le Mulâtre d’Aurore Cloteaux, prête-nom de Lepoitevin. À en croire Lacroix, Balzac aurait rédigé le premier volume du Corrupteur (1827), de l’inépuisable Saint-Alme. Enfin, dans Une blonde, publiée par Raisson en 1833, de nombreux critiques ont reconnu Balzac et Balzac seul. Quant à sa collaboration à Charles Pointel ou mon Cousin de la main gauche (1821), de Viellerglé encore, les présomptions sont à notre avis plus faibles.
Force nous est donc de renoncer à tant de littérature pseudo ou crypto-balzacienne. De tous ces ouvrages, le plus balzacien est sans conteste Une blonde ; il nous aurait posé un cas de conscience s’il n’était demeuré si longtemps entre les mains du douteux Raisson ; un habile faussaire a pu tisser un peu de Balzac sur les canevas de Saint-Aubin, et les affinités de ce roman avec les premières œuvres de la maturité paraissent souvent suspectes. Et puis, Une blonde n’est jamais mentionnée dans la Correspondance ; pas trace d’une réaction de Balzac lors de la publication ; aucun vestige de manuscrit, mais une protestation indignée de la veuve de l’écrivain dans une lettre à Dutacq. Aux huit romans traditionnels, nous avons tenu à ajouter en revanche l’étude de
L’Excommunié. Si Balzac le fit terminer par Grammont en 1836, des notes manuscrites prouvent qu’il en avait médité le plan dès 1824, et un témoignage écrit de Grammont confirme qu’il en avait bel et bien rédigé la première partie.
À ces romans ne se réduit pas toute la production du jeune Balzac. De nombreux inédits ont vu le jour grâce aux recherches érudites ; les plus importants sont antérieurs à la première œuvre imprimée. Dès le collège, à Vendôme, le démon de la littérature aurait tourmenté l’auteur de Louis Lambert ; le Traité de la volonté auquel il est fait allusion dans cette œuvre et dans La Peau de chagrin connut peut-être un commencement d’exécution. Dès 1818 au moins, le futur écrivain se plongea dans des lectures d’où procèdent les Notes philosophiques5, l’ébauche des grands thèmes de sa pensée. Nous avons raconté la naissance laborieuse de Cromwell6, rue Lesdiguières, en 1819. Mais tandis qu’Honoré ratait sa tragédie, il découvrait la littérature moderne. Pierre Castex a dégagé dans son analyse de Falthurne7 l’influence déterminante d’Ivanhoé, traduit en 1820 par Defauconpret. Balzac voulut-il rattraper le temps gâché à la traîne des classiques ? Il appela Byron à la rescousse, et Mme de Staël, et Chateaubriand. Mieux, il mêla des traits de polémique libérale à un scénario bâti comme un sommaire de l’Arioste…
Pourtant ce monumental échec est riche de promesses. Tout d’abord, comme l’a montré P. Castex, l’écrivain s’est efforcé de faire entrer son incohérent tableau dans un cadre historique assez strict. C’est, ici encore, la leçon de Walter Scott. Outre cet antidote aux intempérances de l’imagination, il emprunte à l’Écossais l’idée du commentaire humoristique qui lui permettra d’engager, de note en digression, une conversation désinvolte avec son lecteur. Car l’œuvre est censée être la traduction d’un manuscrit italien dû à la plume du grand Savonati ; hélas ! le traducteur n’est que M. Matricante, instituteur primaire, et les gloses de ce Scaliger de la Brie révèlent un Balzac conscient de l’imperfection de son œuvre. N’est-il pas le premier à en sourire ? Cette distance à l’égard de lui-même, il la prend du même coup à l’égard de ses maîtres. Dans l’innocuité de ce jeu où la vie n’est pas intéressée, tout en les imitant,
il commence à s’en libérer en même temps qu’il perce à jour les secrets de leur technique.
De quand date Falthurne ? La chronologie de ces balbutiements reste assez vague en dépit des constants progrès de la critique. Les deux premiers chapitres au moins pourraient avoir été écrits rue Lesdiguières, vers juillet 1820 ; la suite, que certains jugent d’un autre cru, quelques mois plus tard, après le retour de l’enfant prodigue à Villeparisis. Dans l’intervalle (fin 1820 ?) aurait eu lieu la rencontre avec Lepoitevin de L’Égreville, de qui l’auteur de Falthurne aurait appris à trousser à la va-vite et sans vergogne un roman pour cabinets de lecture. Disons qu’à partir du chapitre iv (le iii n’existe pas) le comique, jusque-là contenu dans les notes ironiques du prétendu traducteur, fait irruption dans le récit lui-même sous les traits du pétulant « ex-moine » Bongarus. Dans l’ignorance à peu près totale où l’on est des débuts de Lepoitevin, ne nous risquons pas à spéculer davantage.
Il est une œuvre secrètement caressée par Balzac, et sur laquelle le nouvel arrivé n’a exercé aucune influence ; doit-on dater Sténie ou les Erreurs philosophiques de 1819 (Prioult), 1820 (Bardèche), 1821 (Guyon), 1822 (Mme d’Alsö)8 ? Un séjour en Touraine, en septembre 1821, a-t-il fourni le décor du roman, et ravivé chez Balzac le souvenir de son enfance ? Barbéris croit à la vertu de ce retour aux sources ; en l’absence du document décisif, rien n’interdirait d’adopter son hypothèse, n’était que Sténie est une œuvre pensée, grave, à coup sûr de longue haleine, qui fait appel à des lectures et à des méditations dont les Notes philosophiques portent déjà la marque. Dans la hâte désordonnée des derniers mois de 1821 où s’achève L’Héritière, il ne semble pas y avoir place pour ce long roman confidentiel où un adolescent disert et sentimental s’est épanché.
Ici, pas trace de parodie. Le genre épistolaire se prête aux morceaux d’éloquence ; des dissertations scolaires, dans lesquelles s’unissent une philosophie voltairienne et un mysticisme éclectique, mettent l’amour en coupe réglée. Rousseau, Richardson et le Goethe de Werther inspirent cette élégie raisonneuse, parfois d’une agréable mélancolie, où des passions livresques agitent deux amants compliqués, un mari importun et un ami fidèle. Ces personnages faux évoluent dans un paysage vrai, celui de la Touraine, si chère à Honoré. L’intonation unie et poétique, la naïveté des
convictions, la chaleur de l’imagination qui supplée tant bien que mal la connaissance du cœur, la réussite parfois habile du pastiche donnent quelque charme à cette ébauche romanesque. Le lecteur de La Comédie humaine pressent même au passage plus d’une page des Mémoires de deux jeunes mariées, de Louis Lambert ou de Séraphîta. Mais en 1820 ou 1821, Sténie semble une œuvre sans lendemain ; sa forme archaïque, son sujet artificiel dressent entre le jeune écrivain et le monde qu’il ne connaît pas encore une infranchissable muraille. « Imiter La Nouvelle Héloïse en 1820, écrit Maurice Bardèche, est aussi paradoxal que d’écrire une tragédie. » Ça l’est même beaucoup plus, et l’éditeur à qui fut proposé le manuscrit n’aura pas motivé autrement son refus.
Le calibrage exact du texte à la fin du premier volume9 révèle en clair, en effet, que Balzac eut l’intention de publier Sténie. Ah ! s’il avait pu sauver les œuvres proches de son cœur avant de se ruer dans la carrière de la littérature alimentaire ! Sténie refusée le convainquit une fois pour toutes qu’il fallait d’abord rompre avec ses rêves. Il en prit bravement son parti.
1 Le tome XXVI contient le théâtre inédit ainsi que le début des Contes drolatiques.
2 Dans Balzac avant La Comédie humaine, Courville, 1936.
3 Aux Sources de Balzac, Les Bibliophiles de l’Originale, 1965.
4 Voir nos lignes consacrées à cet ouvrage dramatique (Théâtre, dans notre troisième partie).
5 Elles ont été partiellement publiées par Maurice Bardèche dans son édition des Œuvres de Balzac (t. XXV), Club de l’Honnête Homme, 1962.
6 Voir nos lignes consacrées à Cromwell (Théâtre, dans notre troisième partie).
7 Édition critique, chez Corti, 1950.
8 Maurice Bardèche fait le point de la question dans la Préface de Sténie au tome XXV de son édition. Sténie a été éditée pour la première fois par Albert Prioult, Courville, 1936.
9 P. 95 de l’édition Prioult.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-8124-3136-4
- EAN: 9782812431364
- ISSN: 2258-4943
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3136-4.p.0009
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-23-2014
- Language: French