Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Et si tu regardes longtemps au fond d’un abîme, l’abîme aussi regarde au fond de toi.
Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, Paris, GF Flammarion, 2000, p. 132.
Après avoir vu comment Machiavel fut combattu, critiqué et discuté, il nous reste à voir comment son œuvre et ses idées pénétrèrent en Espagne, et comment elles furent assimilées. Pour ce faire, il faudra nous pencher sur trois questions.
Nous étudierons d’abord la diffusion matérielle des traités machiavéliens dans l’aire ibérique, en examinant les traductions imprimées ou manuscrites qui en furent faites en espagnol au cours de la période qui nous intéresse.
Il faudra de même traiter de la question du tacitisme, et tâcher de suivre la réception de Tacite parallèlement à celle de Machiavel : Tacite offre-t-il aux auteurs espagnols la grille de lecture politique qu’ils n’ont pu reprendre à Machiavel le proscrit ?
Enfin, viendra le temps de mettre au jour l’existence du machiavélisme espagnol, selon plusieurs axes. Après avoir montré que les Espagnols ne firent guère de manières, dans la pratique directe du pouvoir, pour user de méthodes tout à fait machiavéliennes, nous tracerons les contours dans la pensée espagnole d’un machiavélisme de la nécessité : nombreux sont ceux qui conviennent en Espagne qu’il faut parfois se plier à la nécessité lorsque le salut de l’État est en jeu, sans être trop scrupuleux sur les moyens, s’accordant ainsi avec l’essence même du machiavélisme. Et enfin, nous verrons comment Machiavel fut assimilé dans la littérature politique espagnole, via trois modalités : la citation, l’adaptation et le plagiat. La proportion massive de ce phénomène nous permettra de conclure qu’un authentique machiavélisme espagnol a bien existé, s’incarnant en particulier dans un réel intérêt pour le volet militaire de la pensée machiavélienne.