[Introduction à la deuxième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: L’Influence de Machiavel dans la littérature politique du Siècle d’or espagnol (1535-1700)
- Pages: 211 to 212
- Collection: Constitution of Modernity, n° 41
Et mentir, vous savez mentir ? À la cour c’est très utile.
Don Salluste à Blaze, dans La Folie des grandeurs de Gérard Oury.
Machiavel, et ses « delirios1 » sont donc condamnés sans relâche, de la façon la plus manifeste et la plus apparente possible, pour des chefs d’accusation sans cesse ressassés et amplifiés, ses propos dénaturés et détournés par des auteurs avides de trouver en l’auteur du Prince un parfait épouvantail conceptuel a contrario duquel on dispose de la latitude nécessaire pour construire sa propre raison d’État.
Si Machiavel, sur le plan rhétorique, est dérouté et battu en brèche pour son athéisme et son cynisme supposés et commodément répétés aux cours des xvie et xviie siècles en Europe et plus encore en Espagne, dont le catholicisme est une arme de guerre idéologique, il n’en reste pas moins que ses thèses sont discutées, étoffées, méditées, qu’on le nomme ou non, que l’on reconnaisse la dette que l’on a envers lui ou non. On pense contre, « mais tout contre2 » Machiavel, au point qu’il devient fréquemment un interlocuteur3, voire une référence discrète, mais omniprésente.
C’est à cette discussion, ce dialogue entre Machiavel et les penseurs espagnols qu’est consacrée la deuxième partie de ce travail. Nous y verrons comment différents débats d’origine ou de nature machiavéliennes sont repris dans la littérature du Siècle d’or, et les réponses qui y sont proposées : les vertus princières et leur économie propre ; le respect, indexé sur les circonstances, de la parole donnée ; la querelle capitale de la simulation et de la dissimulation ; la levée de boucliers face aux 212remarques de Machiavel sur les effets émollients d’une certaine interprétation du christianisme ; et enfin, la question de la valeur politique de la religion.
1 San Juan, Raphael de, op. cit., p. 57.
2 Boucheron, Patrick, Un été avec Machiavel, Équateurs France Inter, 2017, p. 12. Patrick Boucheron applique cette heureuse formule à Giovanni Botero, mais je la crois tout aussi pertinente pour parler de nos auteurs de la Contre-Réforme espagnole.
3 Julio Juan Ruiz écrit que « los escritores del barroco […]tuvieron a Nicolás Maquiavelo como interlocutor privilegiado », Ruiz, Julio Juan, op. cit., p. 781.