Avant-propos
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Jouve baroque. Jouve et Donnadieu, documents inédits
- Auteur : Blot-Labarrère (Christiane)
- Pages : 11 à 12
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : Pierre Jean Jouve, n° 9
avant-propos
« J’écris ce livre pour des gens qui ne connaissent même pas mon nom. » (II, 1171). Mélancolie de l’aveu… Ils sont pourtant nombreux, des plus grands, Yves Bonnefoy, Jean Starobinski, aux plus modestes, aux plus ignorés, à s’être penchés sur l’œuvre de Pierre Jean Jouve. Négligeant les malentendus, les raideurs de cet écrivain dont, parfois, le cœur déborde d’amertume et l’esprit de sarcasmes ironiques, ils ont refusé la tentation de l’oubli. Pourrait-il d’ailleurs en aller autrement ? Nourris par la conviction que le passé ne doit être ni soupçonné ni dévalorisé, encore moins rejeté, ces “gens” censés l’ignorer, et toujours de nouvelles plumes, reviennent vers cette poésie, vers ces romans, vers ces essais. Sûrs de ne point se tromper, l’assurance chevillée au corps, ils poursuivent leur marche.
Dans ce volume, Muriel Pic se saisit du flambeau. Elle connaît bien le parcours de Pierre Jean Jouve, ce parcours irréversible qui tente de convertir les ténèbres en lumière, l’inquiétude en vibrante foi et la douleur de vivre en pensée sereine. Le ressassement du remords ou la plus sourde angoisse, le feu charnel et les noires jouissances s’y métamorphosent dans l’illumination de l’écriture et guident vers l’ineffable. Parcours métaphorique au sens où la métaphore autorise le glissement permanent du propre au figuré, parcours de la substitution qui prend fin, comme il avait commencé, dans le désir, c’est-à-dire dans l’absence, et se résout en retrouvant son origine, laissant place au seul langage.
Langage. Thématique. Il existe entre eux une appartenance complexe que le Baroque, l’Éros et la Guerre placent ici dans une perspective nouvelle. Thématique qui tente d’apprivoiser le Verbe, en un jeu souverain. Langage fait d’intelligence et de partages, de ruptures, agité de séismes, provocant, abrupt ou encore ailé. Il décourage les ornières conceptuelles et exige que l’on traque, sans trêve, le pouvoir obscur de son insolente liberté.
Dès lors, comment faire fi du jugement, du vœu d’André Pieyre de Mandiargues : « L’église de Pierre Jean Jouve est fondée à défier le temps, puisque son soutien, qui est l’élément radical de l’homme, ne saurait être ruiné que par la disparition de l’espèce. Vers cette église-là, je voudrais contribuer, autant qu’il me sera permis, à diriger les fidèles1 ! » ?
Christiane Blot-Labarrère
1 « Jouve » in Robert Kopp et Dominique de Roux (dir.), p. 76-78, Cahiers de l’Herne, no 19 : « Pierre Jean Jouve », Paris, L’Herne, 1972, p. 78.