Avertissement
- Publication type: Book chapter
- Book: Journal de l’éducation des princes d’Orléans, décembre 1777-janvier 1782
- Pages: 133 to 134
- Collection: Correspondence and Memoirs, n° 42
Avertissement
On peut chercher l’histoire de ce gros livre dans ce gros livre même, si l’on en est curieux, et on l’y trouvera. Il a été écrit jour par jour depuis le 1er 7[septem]bre 1779 ; ce qui précède cette époque a été rédigé pendant l’été de cette même année 1779, en grande partie sur les lettres par moi écrites à Mme la duchesse de Chartres, qu’elle voulait bien, disait-elle, me confier, pour écrire l’histoire de ce qu’elle aimait le mieux, et celle par conséquent qu’elle aimerait le mieux à lire.
Dans la grande entreprise dont j’étais chargé, rien n’était plus utile pour moi que ce journal… J’y lisais le passé, le présent, l’avenir… Rien ne me fut plus agréable que l’idée que j’en conçus, si ce n’est son exécution. Je ne puis exprimer combien j’ai eu de plaisir à l’écrire, combien j’en avais à le lire… J’ose croire que j’en aurai encore à le relire… Je m’y verrai toujours homme de bien, toujours occupé de ce qui devait m’occuper sans cesse… En le relisant, mon cœur ne me reprochera rien. Je me dirai : on pouvait y apporter plus de talent, mais non pas plus de zèle, de courage, plus de suite, plus de douceur, plus de patience, plus d’envie de bien faire, plus de conscience, plus de vérité… J’ai tout dit, jusqu’aux torts que je puis avoir eus ; … C’est mon âme, c’est mon esprit ; c’est l’âme et l’esprit de mes élèves ; c’est notre histoire à tous. Cette histoire est petite ; mais elle peut, elle doit intéresser les pères, les mères, les instituteurs, les bons cœurs, les bons esprits… Ce journal, tel qu’il est, ne fait pas un bon livre ; il ne peut pas même faire un livre ; mais, je dis de bonne foi que ce sont d’excellents matériaux pour faire un excellent ouvrage… Ah ! s’il eût été continué comme il devait l’être, si au lieu de trois, il renfermait dix années… quinze années… de cette volumineuse collection, de ces gros manuscrits in folio, que j’aurais fait deux jolis, deux bons, deux charmants petits volumes in-12 !
J’ai eu un regret, un grand regret en écrivant chaque jour cette histoire de chaque jour ; c’est de l’avoir toujours soigneusement cachée à mes dignes coopérateurs, à cet excellent abbé Guyot, à ce bon M. Prieur, à 134MM. de Rochemont et de Broval, honnêtes gens qui m’étaient si chers, que j’honorais et que j’aimais également… Mais je ne pouvais pas la leur montrer. C’est le secret qui fait la liberté ; j’aurais peut-être été moins franc sans le vouloir ; je l’aurais craint du moins… La moindre gêne m’eût ôté mon plaisir et m’eût même privé de l’utilité de mon entreprise… Je comptais la leur montrer un jour, à la fin de notre carrière commune… La mienne a fini trop tôt… Aujourd’hui, la lecture de mon manuscrit leur serait inutile ; elle renouvellerait nos regrets à tous, et mouillerait peut-être nos yeux de ces mêmes larmes, de ces larmes de tendresse et de douleur que fit couler1 notre séparation.
1 Première écriture barrée : « nous arracha ».