[Introduction de la deuxième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Joan Bodon . Contes populaires et autofictions
- Pages : 247 à 249
- Collection : Études et textes occitans, n° 7
De nombreux personnages dans l’œuvre de Jean Boudou partagent ce point commun d’être sensibles à la manifestation des « signes », en particulier ceux qui indiquent où est la vérité ou qui permettent de prévoir et de comprendre la destinée d’un homme, qu’ils émanent des morts, qu’ils soient d’origine divine ou qu’ils s’inscrivent dans les croyances et les superstitions les plus anciennes. Tel est le cas d’Ardoïn qui sollicite de son père défunt un signe lui indiquant où est la vérité1, de Bernardon qui, dès sa naissance, est marqué du « signe du sang2 » ou encore de Tòni qui boit dans le même gobelet que sa cavalière : « Aquò siaguèt lo primièr signe3… » [Ce fut le premier signe].
Dans un même esprit, Catòia se dit que le destin est un signe, un Signe écrit avec une majuscule car envoyé par Dieu et qui fait de l’épreuve imposée un mérite4. Le signe de la croix, au-delà de l’auto-signation effectuée sur le corps, est aussi une marque de Dieu qui atteint l’âme : ainsi, devant la cathédrale de Rodez, le jour de sa confirmation, Catòia en fait expressément la demande : « Senhor, marcatz-me del signe de la crotz5 » [Seigneur, marquez-moi du signe de la croix].
Comme « Lo Signe del sang » est le titre d’un conte des Balssàs, « Lo Signe de la crotz » est celui d’un chapitre du Libre de Catòia, et « Lo Signe » est le titre du chapitre 2 du roman inédit La Crotz de Tolosa. Là, le signe est précisément cette croix de Toulouse que le narrateur découvre sur le mur de l’église en ruine d’un village aveyronnais et en laquelle il reconnaît cette croix dite du Saint-Esprit que portait sa grand-mère depuis son mariage, conformément à la tradition. Signe de la croix ou signe du sang, religion ou superstition, marquent et prédéterminent finalement de la même façon celui qui y croit.
Dans ce foisonnement de signes qui témoigne de l’intérêt que Boudou porte aux diverses acceptions du terme, il y en a un dernier qui marque 248de manière ostensible toute son œuvre littéraire et qu’il est convenu d’appeler ici le « signe du conte ».
Ce signe se manifeste de différentes façons. La plus apparente relève certainement de la principale caractéristique formelle du conte. Celui-ci est par essence une forme courte à laquelle il est en effet aisé d’avoir recours en l’intégrant dans un récit principal, telle une narration seconde dont la puissance d’élaboration dégagée peut bien souvent dépasser son objectif premier d’explicitation ou d’illustration de la narration première. Nous avons ainsi recherché la présence de contes dans l’ensemble de l’œuvre, y compris là où elle peut sembler la plus improbable et où elle n’est pas identifiée explicitement. Nous avons étendu cette recherche à tous les textes courts, plus ou moins autonomes, enchâssés ou successifs. Sur la base des constats effectués, nous avons tenté de déterminer quelles incidences, notamment en termes de structuration et de mode d’énonciation, le recours aux formes courtes pouvait avoir sur les différentes œuvres de Jean Boudou.
Ce signe se manifeste également par la présence de traits caractéristiques d’une poétique du conte qui vont marquer, chacun à sa manière, la production littéraire de l’écrivain. Parmi ces traits, ceux de nature stylistique sont les plus apparents et ont été par conséquent les premiers recherchés. Surtout, nous avons tenté d’analyser comment certains de ces traits touchant à l’expression, empruntés pour certains à la tradition orale (les chansons, la répétition,…), pouvaient se combiner et donner naissance, dans l’œuvre romanesque, à cette infiltration de la parole dans le texte, à la fois singulière et caractéristique de l’écriture boudounienne.
Enfin, une dernière manifestation du signe du conte est l’utilisation transgénérique faite Boudou de certains marqueurs traditionnels du genre. Ainsi, parmi les éléments qui caractérisent la figure type du héros de conte, nous avons recherché ceux qui vont être repris et devenir des constantes, conduisant à la mise en place d’un même profil récurrent du héros boudounien. De même, nous avons recherché dans quelle mesure le merveilleux et le fantastique de Boudou s’installaient dans un même environnement quotidien, marqué par l’instabilité du réel ou la relativité du vrai, et se manifestaient de la même façon, par exemple par des voies supranaturelles, de nature divine ou au contraire maléfique.
En même temps, force est d’admettre que Boudou va s’émanciper de son modèle en le rendant malléable et en lui faisant subir les métamorphoses 249que d’ordinaire le conte impose lui-même à ses propres sujets. Après avoir analysé ces évolutions et transformations du conte, il conviendra d’en comprendre les objectifs, en particulier en termes de mise en œuvre par Boudou de sa propre stratégie d’écriture.
Mais le « signe du conte », comme tous les signes annonciateurs ou révélateurs de destinées, de personnalités, d’identités, n’est pas visible ni compris par tous : il faut être un peu « sorcier » pour le discerner et le comprendre. Il faut en tout cas rechercher ce qui se dissimule sous le texte, ce que l’auteur a tenté de dire de façon détournée et ce qu’il a tenté de ne pas dire au lecteur tout en se le disant à soi-même. Boudou reconnaît que ses « contes » ne sont ni pour les enfants, ni pour les grandes personnes. Alors pour qui sont-ils, si ce n’est pour lui-même ?
- Thème CLIL : 4029 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Langues régionales
- ISBN : 978-2-406-09947-5
- EAN : 9782406099475
- ISSN : 2430-8269
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09947-5.p.0247
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/04/2020
- Langue : Français