Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Histoires de chasse. Traces et traques dans la littérature du xixe siècle
- Pages : 281 à 285
- Collection : Rencontres, n° 515
- Série : Études dix-neuviémistes, n° 58
Résumés
Bertrand Marquer et Éléonore Reverzy, « Introduction »
Lorsque Carlo Ginzburg définit le célèbre « paradigme indiciaire », il part de l’histoire d’un chasseur examinant les traces laissées par l’animal qu’il poursuit dans la forêt. La pratique herméneutique (qu’elle soit le fait du personnage ou du lecteur) serait donc chasse. Une chasse, cependant, où le plaisir de la traque semble davantage compter que la capture d’une proie, la métaphore cynégétique ayant sans doute pour fonction essentielle d’exciter au pourchas du sens.
Denis Thouard, « L’herméneutique comme cynégétique. Ouverture »
Y a-t-il un lien entre l’effort d’interpréter un texte et les agissements du chasseur ? L’interprète peut-il s’appuyer sur les ruses et les techniques du chasseur ? Quel serait alors le gibier du lecteur ? La contribution propose de repasser sur quelques-uns des lieux qui ont marqué les rapports entre cynégétique et herméneutique depuis la pensée grecque jusqu’au « paradigme indiciaire » proposé par Carlo Ginzburg.
Fabienne Bercegol, « La chasse et ses drames sous la plume des romancières du début du xixe siècle »
L’article montre comment les romancières du début du xixe siècle se sont emparées de la tradition romanesque de l’accident de chasse ou ont su faire de la passion pour la chasse le révélateur des drames provoqués par les mariages arrangés. Il s’arrête sur l’œuvre de George Sand, qui a su mieux que tout autre écrivain exploiter l’intérêt ethnographique de la chasse ainsi que ses ressources narratives, pour confronter les personnages à leur brutalité archaïque et à la violence de leur désir.
282Isabelle Safa, « De la reconstitution du passé. La chasse comme métaphore de l’enquête dans quelques romans d’A. Dumas »
Le motif de la chasse est récurrent dans la fiction dumasienne, où il métaphorise une activité herméneutique : la mise en scène de personnages de chasseur, d’enquêteur et de médecin aux pratiques convergentes montre la chasse comme un régime de savoir, qui met en œuvre des compétences spécifiques en vue de débusquer la vérité par la reconstitution d’événements passés. Dumas rapproche ce travail d’enquête de celui de l’historien, légitimant ainsi sa prétention de romancier à faire de l’histoire.
Pierre Glaudes, « Torty à l’affût. Chasse et observation dans Le Bonheur dans le crime »
Dans Le Bonheur dans le crime, Barbey d’Aurevilly, qui considère les sciences expérimentales comme de dangereuses chimères, associe étroitement chasse, observation et recherche de la vérité, en confiant en grande partie la direction du récit à un matérialiste cynique, le docteur Torty. Cet article analyse les raisons de ce choix paradoxal, dans l’espoir de mettre en évidence la fonction du schème cognitif de la chasse dans le dispositif herméneutique de la plus déconcertante des Diaboliques.
Bernard Demont, « Chasses, traques et proies maupassantiennes »
Chez Maupassant, surtout dans le récit court, la chasse fonctionne comme opérateur d’identité dans diverses sphères sociales, des marginaux à l’aristocratie. Une identité toujours menacée par l’aliénation et la mort. La chasse s’inscrit aussi dans un schème de prédation reparaissant, de la séduction à la guerre, en des registres incluant le fantastique, l’angoisse, la culpabilité et la cocasserie. Traque et indices à interpréter nous ramènent aux prototypes de la narration et de la lecture.
Jean-Pierre Naugrette, « Sherlock Holmes cynégétique »
« The game is afoot ! » est une image de chasse qui annonce le plaisir d’une enquête au cours de laquelle Sherlock Holmes se métamorphose en limier à la recherche de signes, de traces et de pistes. La métaphore devient plus inquiétante lorsqu’il se mue en tigre dans la jungle de Londres ou se compare 283à un pêcheur tendant ses filets : la mètis traditionnelle du chasseur s’enlise dans le marais épistémologique, symptôme du malaise dans la civilisation victorienne, après Darwin et avant Freud.
Boris Lyon-Caen, « Balzac fabuliste. “Le tour de la loute” (1844) »
Une étrange scène de chasse occupe le chapitre ii des Paysans de Balzac, conduite par un « Diogène campagnard » et destinée à harponner un parisien de passage, le journaliste Blondet. Cet animal « qu’on appelle au féminin une loutre [sic] » en est la fuyante héroïne. Nous tenterons de montrer la portée symbolique de l’épisode, conçu comme noyau d’une réflexion sur l’avoir et sur les pouvoirs de la fiction.
Bertrand Marquer, « “Laisser courre”. Vagabondages cynégétiques »
Depuis le Moyen Âge, les histoires de chasse offrent aux poètes un réservoir d’images et une structure rhétorique régie par le trait. La métaphore cynégétique y est souvent conçue comme une figure du sens (un trope), et une image de sa structuration, sous la double modalité de la linéarité et de la traque rétrospective. Cet article s’attache aux jeux poétiques que ce schème cynégétique a pu nourrir, en prenant pour exemples le poème « Laisser-courre » (Corbière) et Les Nuits d’octobre (Nerval).
Henri Scepi, « De la littérature considérée comme exercice de “chasse spirituelle” »
La traque, la filature, la prédation : ces notions révèlent, dans les écrits de Baudelaire et de Hugo, entre 1859 et 1862, la prégnance du modèle cynégétique, instrument d’une recherche d’ordre spirituel qui atteste que ces deux itinéraires poétiques, en dépit des différences idéologiques qui les opposent, procèdent d’une expérience de l’exil vécue dans la conscience vive d’une déprise fondamentale, d’un dessaisissement à la fois politique et ontologique.
Cécile Roudeau, « L’éloquence du mocassin. De la démocratie cynégétique en Amérique »
Dans Les Pionniers et Le Dernier des Mohicans, la chasse est un exercice politique. Alors que la démocratie soulève la peur du chaos, que les crises 284monétaires jettent le discrédit sur les signes, J. F. Cooper déplace la question de la gouvernance démocratique sur la frontière, et en littérature. Il use de la chasse pour repenser l’articulation entre législation étatique et administration démocratique. Cet article analyse les audaces et l’actualité de cette démocratie cynégétique.
Victoire Feuillebois, « Engagement et désengagement du chasseur tourguéniévien »
Cet article revient, à partir d’une intuition de Boris Eikhenbaum, sur la lecture des Récits d’un chasseur comme pamphlet contre le servage. La chasse constitue en effet un dispositif ambivalent qui brouille tout message idéologique clair : d’un côté, les errances du chasseur servent à composer un tableau poignant de la vie des serfs ; de l’autre, elles dessinent une figure de noble chasseur qui ne fait jamais que recueillir des récits, sans jamais changer le destin de ceux qui les racontent.
Marie Parmentier, « La “ténébreuse affaire” de la chasse chez Balzac. Réflexion sur le modèle cynégétique de la lecture »
Une ténébreuse affaire mobilise à la fois une structure énigmatique, le paradigme indiciaire, et le thème de la chasse : il semble possible de lire le roman comme une réflexion sur le modèle cynégétique de la lecture. Nous montrons toutefois qu’il n’est pas sûr qu’Une ténébreuse affaire permette ce mode de lecture, ni même qu’elle le présente comme un modèle herméneutique souhaitable. Ce roman touffu met en question, avec une cohérence remarquable, la possibilité d’une lecture cynégétique.
Sylvain Ledda, « La traque et la curée. Imaginaire de la chasse et représentations romantiques de la guerre civile »
Au sein de la littérature romantique, la chasse constitue l’un des lieux communs métaphoriques les plus souvent employés pour décrire la guerre civile. La relative banalité de l’analogie invite à s’interroger sur la capacité du discours littéraire à distancer la stéréotypie d’une thématique qu’on rencontre dans bien des récits de guerre, notamment de guerre civile. Comment une image convenue ou attendue peut-elle être dépassée, magnifiée, pour construire une image violente de l’histoire ?
285Éléonore Reverzy, « “Ma première souche braconnier plus difficile à civiliser”. Pour une lecture braconnière des Rougon-Macquart »
Dans les dossiers préparatoires aux Rougon-Macquart, Zola définit le braconnier comme sa « première souche », inaugurant de la sorte une forme de dissémination de l’ensauvagement. En suivant la piste de Macquart dans l’ensemble du cycle, on peut engager une autre lecture du cycle et voir se reconfigurer le personnel romanesque dès lors partagé entre les proies et les porteurs de la mètis. C’est ainsi le double héritage de la violence et de la ruse qui se dégage.
Jean-Marie Seillan, « Le roman de chasse à l’époque de la conquête coloniale »
Dans les décennies précédant la guerre de 1914, l’exploration et la conquête militaire des parties inconnues du continent africain offrent à l’imagination des feuilletonistes un immense terrain de jeu, dont le scénario de la chasse exploite les riches potentialités narratives. À une époque où se diffuse l’idéologie colonialiste, ces fictions, souvent destinées aux jeunes lecteurs, présentent alors la conquête moins comme une extension de l’humanité que comme un objet de violence prédatrice.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11804-6
- EAN : 9782406118046
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11804-6.p.0281
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/09/2021
- Langue : Français