Chapitre 6 Comment j’ai quitté Malte pour aller en Espagne, où je deviens enseigne
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Histoire de ma vie
- Pages : 79 à 79
- Collection : Géographies du monde, n° 37
Chapitre 6
Comment j’ai quitté Malte pour aller en Espagne,
où je deviens enseigne
J’ai été accueilli à Malte comme on peut l’imaginer : la nouvelle a rassuré tout le monde, ils ont cessé de faire venir des troupes d’infanterie italienne de Naples et de Rome – dans ce genre de circonstances, l’infanterie espagnole vient de Sicile.
Les choses ont plus mal fini pour mon pilote : moins de quatre mois après, ils l’ont pris alors qu’il faisait la course sur une tartane, l’ont écorché vif, ont bourré sa peau de paille, et aujourd’hui son pantin est à Rhodes, au-dessus de la porte de la ville1. Il était grec, il venait de cette ville, c’était le meilleur pilote de cette région.
À cette époque, alors que je dilapidais ces richesses qui me coûtaient si cher à rafler, j’ai trouvé la quiraza enfermée avec un camarade à moi. Elle, à qui je faisais tant de bien… Lui, je lui ai mis deux estocades qui ont failli le tuer. Quand il s’est rétabli, il a quitté Malte de peur que je le tue. La quiraza s’est enfuie. On m’a envoyé mille solliciteurs et solliciteuses, mais je ne me suis jamais remis avec elle. Il y avait le choix et le cas a été vite réglé, d’autant plus qu’on lorgnait sur moi comme sur une charge très lucrative.
Je suis resté sans bouger à Malte bien des jours, et même des mois, un vrai miracle, jusqu’à ce qu’on m’envoie en Barbarie sur une frégate d’où je suis revenu neuf jours plus tard avec quatorze esclaves et une gabarre chargée de toile, de quoi remplir tout un magasin. Une prise profitable pour moi. Peu après, un galion catalan en provenance d’Alexandrie est entré au port avec une riche cargaison pour l’Espagne. Je me suis souvenu de mon pays, de ma mère à qui je n’avais jamais écrit et qui ne savait rien de moi. Je me suis décidé à demander au Grand Maître l’autorisation de partir. Il me l’a donnée à contrecœur. Son visage s’est approché du mien au moment du départ.
1 Ce type d’effigie a déjà été pratiqué. En 1571, le pantin empaillé d’un des suppliciés de Famagouste a été promené tout le long de la côte de Syrie (Jacques Heers, Les Barbaresques, Paris, Perrin, 2008, p. 204).