Tribute to Alan J. Clayton
- Publication type: Journal article
- Journal: Giono et le récit bref
2023 – 12. Les Récits de la demi-brigade et autres nouvelles - Author: Labouret (Denis)
- Pages: 19 to 24
- Journal: Journal of Modern Literature
- Series: Jean Giono, n° 12
POUR SALUER ALAN J. CLAYTON
Aux côtés de Robert Ricatte, Pierre Citron et Jacques Chabot, Alan J. Clayton (1932-2020) appartenait à la génération fondatrice qui donna aux études gioniennes leur élan initial et leurs orientations décisives dans les années 1970-1980. Il s’est éteint en juillet 2020. Il s’était depuis longtemps éloigné des recherches sur Giono, d’abord pour se tourner vers d’autres grandes figures de la littérature française, comme Nathalie Sarraute1, ou vers des écrivains européens d’autres cultures, comme l’Allemand Hans Magnus Enzensberger2, ensuite et surtout en raison d’un état de santé qui l’avait contraint à réduire considérablement ses activités. Mais la vitalité intellectuelle qu’il a insufflée aux recherches gioniennes et l’œuvre critique majeure qu’il leur a consacrée ne sauraient s’oublier.
Professeur de langues romanes à Tufts University (Medford, Massachusetts), il avait pour la littérature française un goût sûr et une curiosité vive. Il a travaillé sur Camus avant de venir à Giono, et il saura identifier chez Giono, par exemple dans Fragments d’un paradis, les traces intertextuelles de Baudelaire ou de Rimbaud. Ses premiers travaux sur l’auteur de Colline suivent de près la disparition de ce dernier en 1970. Ils sont contemporains de l’édition des Œuvres romanesques dans la Pléiade qui débute en 1971. Alors que ce vaste chantier éditorial ne fait que commencer, il fonde la Série Jean Giono de La Revue des lettres modernes aux Lettres modernes Minard, autre œuvre pionnière. Une entreprise promise à un bel avenir comme en témoigne, quarante ans plus tard, la poursuite de cette aventure avec la présente livraison. La force d’une revue est de fédérer les énergies au moment où, en ce début des années soixante-dix, « [l]es signes sont désormais 20manifestes d’un regain d’intérêt pour l’œuvre de Jean Giono » (JG1, 3). Aux premiers numéros collaborent des critiques venus d’horizons divers, tels Jean Onimus, Jacques Viard ou Roland Bourneuf, dont les noms côtoient ceux de Walter D. Redfern3, Marcel Neveux, Jacques Chabot et Robert Ricatte, spécialistes de Giono déjà reconnus alors. Le projet est ouvert « aux méthodes d’investigation les plus diverses, qu’elles soient traditionnelles ou expérimentales ». Nul dogmatisme critique, donc – ce qui n’allait pas de soi en un temps où le « démon de la théorie » était loin d’avoir dit son dernier mot. L’important est de « stimuler les recherches originales en provoquant l’application aux textes gioniens de toute approche critique susceptible d’élargir notre compréhension de l’univers imaginaire de l’écrivain ». Les quatre numéros dirigés par Alan J. Clayton, avant que Laurent Fourcaut ne reprenne le flambeau dans le même esprit, remplissent à l’évidence ce programme. Ils restent aujourd’hui encore des références. Elle paraît bien éloignée de nous, cette époque où un universitaire américain pouvait créer une revue de littérature française qui traitait vraiment de littérature et n’utilisait que la langue française…
Les contributions que livre Alan J. Clayton à la revue qu’il dirige sont elles-mêmes exemplaires de cette ouverture méthodologique et de cette fécondité critique : « Paysage et psyché », « l’attirance de l’abîme »… – articles qui font écho à d’autres études sur la « tentation de la mort » ou la fascinante « négation » dans Le Hussard sur le toit4. Car Alan J. Clayton explore volontiers la face obscure de l’œuvre, celles qu’auraient pu dissimuler le soleil trompeur de la Provence ou les apparences angéliques d’un héros romanesque « positif » comme Angelo. Il s’intéresse de près à cette postulation essentielle de l’imaginaire gionien à laquelle Robert Ricatte de son côté a donné le nom de « tentation de la perte ». Sa méthode à lui, parente à l’occasion de la « méthode des bâtons rompus » revendiquée par le capitaine de L’Indien dans Fragments d’un paradis (III, 913)5, consiste à combiner une parfaite maîtrise de l’analyse du récit, dans la lignée de la narratologie genettienne, et un dévoilement des thèmes obsédants et des images structurantes qui se réfère volontiers à Bachelard. L’imaginaire et l’écriture, en somme : c’est sous ce « double 21signe6 » qu’il propose d’organiser en 1984 le deuxième grand colloque « Jean Giono », à la suite de celui qui s’était tenu à l’initiative de Jacques Chabot à Aix-en-Provence en 1981. Cette fois, le lieu est le Centre européen de Tufts University, au Prieuré de Talloires, sur les rives du lac d’Annecy. Parmi les participants, les meilleurs spécialistes dont Alan J. Clayton est toujours proche : Robert Ricatte, Pierre Citron, Jacques Chabot, Marcel Neveux, auxquels se joignent des gionistes plus occasionnels mais inspirés – grâce à la contagion bénéfique de l’organisateur –, comme Jean Pierrot, Suzanne Roth et Jean Decottignies, ainsi que de plus jeunes chercheurs qui préfigurent une nouvelle génération, parmi lesquels Mireille Sacotte, Laurent Fourcaut et l’auteur de ces lignes, accueillis et encouragés avec une fervente générosité. Peut-être Alan J. Clayton n’a-t-il pas assez longtemps travaillé, pas assez produit sur Giono à nos yeux, mais il a su jouer de la sorte un rôle éminent de passeur, si bien que ses traces sont toujours présentes dans la production critique actuelle, bien au-delà des textes signés de son nom.
Les fils directeurs de ses propres recherches se rejoignent dans son intérêt pour le « portrait de l’artiste par lui-même7 » que Giono livre d’œuvre en œuvre, qu’il s’agisse de la représentation de la parole poétique et démiurgique dans le récit ou des descriptions qui renvoient au regard déformant du sujet, à une négation des formes existantes par la conscience imageante. La première voie est suivie dans l’ouvrage Pour une poétique de la parole (1978), où se succèdent quatre chapitres magistraux : « Colline, ou la terreur de la parole », « Jean le Bleu et la postulation icarienne », « À quoi sert une fleur de carotte ? » (sur Que ma joie demeure), « Melville et la parole orphique ». La seconde aboutit aux études sur la « table rase annonciatrice » (1982), modalité récurrente d’un effacement nécessaire des formes, ou encore sur ce « curieux volume informe » (1985) dont parle Noé (III, 723) et qui se manifeste aussi bien dans la danse du hêtre d’Un roi sans divertissement que dans les noces du calmar et des oiseaux dans Fragments d’un paradis. Un même schéma descriptif « génésiaque8 » reconduit en effet d’un texte à l’autre « le portrait d’un voir qui est alternativement abolition et genèse des formes9 ».
22Il est donc impossible aujourd’hui d’ignorer une lecture de Giono aussi sensible, aussi juste et aussi fructueuse. La Série Jean Giono de La Revue des lettres modernes, en rendant hommage à son fondateur, se fait par là même le porte-parole, à n’en pas douter, de toutes celles et de tous ceux qui continuent de lire Giono à la lumière de ses interprétations si pénétrantes. Alan J. Clayton marche toujours à nos côtés sur les grands chemins de l’œuvre de Giono – comme le héros de Moby Dick « marchait avec [Giono] sur les chemins » au début de Pour saluer Melville (III, 4). Pour un professeur d’université qui vivait à Winchester, près de Boston, non loin de l’île de Nantucket où tout commence dans le roman de son compatriote Melville, c’est une aventure qui mérite assurément d’être saluée.
Denis Labouret
23bibliographie des écrits d’alan j. clayton
sur l’œuvre de jean giono (1971-1986)
ouvrage
Pour une poétique de la parole chez Giono, Paris, Lettres modernes Minard, « Situation », 1978, 148 p.
articles de revues
« Sur une filiation littéraire : Giono et Camus », La Revue des lettres modernes, Série Albert Camus, 4 : « Sources et influences », Paris, Lettres modernes Minard, 1971, p. 87-96.
« Giono’s Colline : Pantheism or Humanism ? », Forum for Modern Languages studies, University of St Andrews (Scotland), Scottish Academic Press, vol. vii, no 2, april 1971, p. 109-120.
« Angelo, Pauline et la tentation de la mort (à propos du Hussard sur le toit) », Australian Journal of French Studies, vol. viii, no 3, Melbourne, 1971, p. 297-313.
« À propos de Giono et Camus » [entretien avec Guy Turbet-Delof], La Revue des lettres modernes, Série Albert Camus, 5 : « Journalisme et politique – l’entrée dans l’histoire (1938-1940) », Paris, Lettres modernes Minard, 1973, p. 279-281.
« Un regain » [Avant-propos], JG1, « De Naissance de l’Odyssée au Contadour », 1974, p. 3-8.
« Paysage et psyché dans quelques récits de Giono », JG1, 1974, p. 145-168.
« Avant-propos », JG2, « L’imagination de la mort », 1976, p. 3-5.
« Giono et l’attirance de l’abîme », JG2, 1976, p. 57-98.
« Avant-propos », JG3, « Approches des chroniques romanesques » (1), 1981, p. 3-7.
« Giono à Lille », compte rendu du numéro « Giono » de la Revue des sciences humaines (no 169, 1978), JG3, 1981, p. 170-183.
« Prophylaxie de la négation dans Le Hussard sur le toit », Bull. 15 (1981).
« Sur un procédé descriptif : la table rase annonciatrice », Études littéraires, Québec, Presses de l’Université Laval, vol. 15, no 3 : « Giono : lecture plurielle », 1982, p. 313-329.
« Avant-propos », JG4, « Approches des chroniques romanesques » (2), 1985, p. 4-6.
« Saveur de l’indécis », L’Arc, Le Revest-Saint-Martin, Éditions Le Jas, no 100, « Jean Giono », 1986, p. 58-64.
24contributions à des ouvrages collectifs
« Pluralité du choléra. Remarques sur le chapitre xiii du Hussard », Giono aujourd’hui, Actes du colloque international « Jean Giono » d’Aix-en-Provence (1981), Aix-en-Provence, Édisud, 1982, p. 226-241.
« Avant-propos », Jean Giono. Imaginaire et écriture, Actes du colloque international « Jean Giono » de Talloires (1984), Aix-en-Provence, Édisud, 1985, p. 5.
« Un curieux volume informe », Giono. Imaginaire et écriture, 1985, p. 235-253.
1 Voir notamment son livre Nathalie Sarraute ou le tremblement de l’écriture, Paris, Lettres modernes Minard, « Archives des lettres modernes », 1989.
2 Voir notamment l’ouvrage qu’il a consacré à un grand écrivain allemand contemporain : Wrighting with the Words of Others. Essays on The Poetry of Hans Magnus Enzensberger, Wurzburg, Königshansen & Neumann, 2010.
3 Walter D. Redfern avait publié du vivant de Giono son ouvrage The Private World of Jean Giono (Oxford, Basil Blackwell, 1967).
4 Pour le détail des références, on se reportera à la bibliographie qui suit cette notice.
5 Pour une poétique de la parole chez Giono, p. 11.
6 « Avant-propos », Jean Giono. Imaginaire et écriture, p. 5.
7 Selon la formule que Giono emploie notamment dans sa « Préface » de 1962 aux Chroniques romanesques (III, 1278).
8 « Un curieux volume informe », Jean Giono. Imaginaire et écriture, p. 239.
9 Id., p. 241.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-15958-2
- EAN: 9782406159582
- ISSN: 0035-2136
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15958-2.p.0019
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-27-2023
- Periodicity: Monthly
- Language: French