[Introduction de la troisième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Exil et création de soi. Canetti, Gombrowicz, Joyce, Lessing, Mann, Nabokov et Saïd
- Pages : 203 à 203
- Collection : Littérature, histoire, politique, n° 51
Il faut à présent s’interroger sur la question de l’écriture, en se demandant quelles ressources littéraires les écrivains peuvent mobiliser pour rendre compte de leur expérience de l’exil en lien avec leur projet de création de soi. Sur un plan formel, il apparaît d’emblée que l’écriture de tendance autobiographique fournit le cadre le plus approprié qui permet à un écrivain de montrer comment il s’est inventé par la littérature et a pu tirer de l’exil, revendiqué ou contraint, une énergie créatrice. Ce n’est certainement pas un hasard si, à l’exception de Joyce, les auteurs qui composent notre corpus ont œuvré dans le genre de l’autobiographie pour rendre compte de l’exil. L’autobiographie constitue à cet égard un élément central de leurs œuvres respectives : elle tient une place particulièrement importante dans l’œuvre d’Elias Canetti (trois importants volumes)1 et dans celle de Doris Lessing (deux volumes très denses) mais aussi dans les œuvres respectives de Vladimir Nabokov, Klaus Mann et Edward Saïd, bien que ce ne soit pas pour le versant autobiographique de son travail que ce dernier soit le plus connu. Les Souvenirs de Pologne de Gombrowicz n’auront été publiés qu’à titre posthume mais ils constituent malgré tout, bien qu’ils n’aient pas forcément participé à la gloire littéraire de celui-ci, un témoignage sur la vie que pouvait mener, dans la Pologne des années 1920, un jeune homme désireux de faire naître des possibilités neuves d’action et de création. Seul James Joyce n’a pas écrit d’autobiographie ; pour autant, sa correspondance comporte un nombre important de lettres où il revient sur son proche passé et évoque sa rupture avec l’Irlande, en insistant sur sa volonté de devenir écrivain coûte que coûte. L’écriture de soi, qu’elle ressorte au genre autobiographique identifié comme tel, qu’elle s’exprime plus indirectement sous une forme romanesque, ou encore de manière moins élaborée sur le mode épistolaire, constitue une forme d’expression, qui non seulement confère une structure à des parcours de vie fragmentés, mais donne à comprendre le sens d’une existence toute entière consacrée à la tâche de devenir écrivain.
1 Importance qu’il faut considérer en proportion du nombre relativement limité d’ouvrages que Canetti a publié de son vivant (un roman, Auto-da-fé, un essai théorique, Masse et puissance, des recueils d’aphorismes et de textes brefs, en particulier Le Territoire de l’homme, un récit de voyage, Les Voix de Marrakech, et deux pièces de théâtre).