Le grand entretien avec Emmanuël Souchier
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2016 – 1, n° 1. Le texte à venir - Pages : 189 à 212
- Revue : Études digitales
Le Grand entretien
avec Emmanuël Souchier
EmmanuëlSouchier est Professeur à la Sorbonne (Celsa-Gripic) en Sciences de l’information et de la communication. Éditeur des Œuvres de Raymond Queneau pour la « Bibliothèque de la Pléiade » notamment, il est rédacteur en chef de la revue Communication & langages. Il co-anime avec Anne Zali (BnF) le séminaire doctoral sur les Chemins d’écritures (Maison de la recherche, Université Paris-Sorbonne).
Ses travaux portent sur l’écriture, la sémiologie du texte et de l’image, sur le texte et les supports « numériques ». Auteur d’une théorie de « l’énonciation éditoriale », il est également à l’origine d’une théorie de « l’écrit d’écran » et des écrits de réseaux. Il s’intéresse aux pratiques de communication « infra-ordinaires » liées à la « mémoire de l’oubli » ainsi qu’aux rapports entre littérature et communication.
La rencontre a été organisée par Laurent Loty qui a participé à l’entretien avec Franck Cormerais et Jacques Athanase Gilbert. L’entretien enregistré a été transcrit et mis en forme par Daphné Vignon. Emmanuël Souchier a ensuite réécrit ses réponses.
Études digitales : Comment est né votre travail sur l’énonciation éditoriale ?
Emmanuël Souchier : La question de l’énonciation éditoriale est née d’une interrogation portée sur le statut de l’énonciation dans les textes illustrés. À l’époque, pour mon DEA, je m’étais demandé : Qui « parle » dans une édition illustrée ? Est-ce l’auteur, le typographe, l’éditeur ou bien encore l’illustrateur ? Je ne parvenais pas à formuler cette question de façon limpide dans le champ littéraire car elle n’entrait pas dans les cadres de cette discipline. C’est une des raisons pour lesquelles je me suis dirigé vers les Sciences de l’information et de la communication (SIC). Ma formation en sémiologie, les travaux que nous menions sur l’histoire 190de l’écriture au Centre d’étude de l’écriture avec Anne-Marie Christin (Paris 7)1, ma sensibilité aux métiers du livre et de l’imprimerie… m’ont permis de formuler un espace théorique attentif aux dimensions matérielles, sémiotiques ou sociales d’une énonciation qui s’avère être plurielle et qui s’exprime à travers des matériaux et des modalités d’expression hétérogènes, voire « composites2 ». Mais la question s’est rapidement affranchie de ses domaines d’origine, elle s’est émancipée du texte et du livre, de la littérature ou de l’édition.
En fait, la théorie de l’énonciation éditoriale a pour vocation d’interroger nos modalités d’expression et les dispositifs mobilisés par tous les phénomènes de communication. Elle questionne l’auctorialité et donne à voir les rapports de pouvoir inhérents à la production de tout message, quelle qu’en soit la nature. Bien qu’elle ait d’abord été élaborée dans l’espace de la littérature, cette théorie n’est pas limitée à l’analyse de la seule écriture. Elle permet d’appréhender une multiplicité d’objets aussi variés qu’Internet, les programmes télévisuels, les poètes latins du ier siècle ou les premiers ouvrages édités à l’époque de Gutenberg3 !
L’énonciation éditoriale articule son propos autour de trois notions essentielles qui se tissent entre elles. En premier lieu celle d’image du texte qui explore la matérialité de l’expression et des dispositifs de communication. Pour faire sens, l’écriture doit en premier lieu se donner à voir aux yeux du lecteur. Quels que soient les graphies ou les dispositifs d’écriture mobilisés, elle s’ancre toujours dans une matérialité dont la part visuelle s’exprime dans l’image du texte. Aucun système scriptural, y compris sur écran, ne peut faire l’économie de cette dimension visuelle qui la fait advenir à la perception de l’homme. L’image du texte donne forme à l’écriture et lui permet d’exister.
La deuxième notion mobilisée par la théorie de l’énonciation éditoriale est celle de polyphonie énonciative. Elle est centrale – d’ordinaire impensée –mais d’une grande simplicité à comprendre. Si on prend la couverture d’un livre, par exemple, la polyphonie énonciative s’y exprime à travers au moins trois sources d’énonciation distinctes : celle de l’éditeur, celle de la 191collection et celle de l’auteur. Je n’entre pas dans la nature composite de chacune de ces « voix4 », mais je voudrais souligner le fait que chacune d’entre elles recourt à ses propres marqueurs sémiotiques et visuels. Et si vous prenez une page Web, vous verrez qu’elles sont pléthore !
Je voudrais juste faire une incise pour préciser qu’à un autre niveau, plus fondamental, la polyphonie énonciative est au cœur même du processus d’écriture. En effet, le principe d’énonciation éditoriale est lui-même constitutif de l’écriture. L’individu qui écrit sur une page blanche n’est paradoxalement jamais seul ! Il est toujours déjà habité par l’« autre ». Il s’exprime au sein d’une langue dont il n’est pas propriétaire. Autrement dit, il s’exprime à travers « l’autre de la langue ». Mais lorsqu’il écrit, il passe également par les cadres instituants de l’écriture qu’il a intégrés au cours de ses apprentissages. Certes, son écriture est le lieu propre de son énonciation, mais ça n’est pas un lieu vierge ou neutre, ça n’est pas lui qui en a forgé la dimension scripturaire… il appartient à une communauté, s’ancre dans une histoire, une culture. Sur les deux plans distincts de la langue et de l’écriture au moins, son énonciation est doublée de la présence d’un « autre » de nature singulière. Pour l’écriture, on parlera d’une énonciation visuelle ou scripturaire qui s’articule à l’énonciation linguistique. Vous voyez alors que même si je crois être seul face à la page blanche, mon énonciation est toujours déjà multiple ! Le dispositif matériel (le papier, la page, ses formats) « dit » déjà quelque chose qui lui est propre, l’écriture à son tour en sa forme visuelle, puis la langue que j’emploierai… et mon expression singulière enfin… combien de strates énonciatives ainsi mises au service de ma « voix » ?
Lorsque j’écris – et cette remarque est valable pour toutes les pratiques d’écriture et de diffusion des textes –, lorsque j’écris donc, j’emprunte les cadres instituants (techniques, formels, historiques, culturels) de l’écriture et pense fatalement l’autre à qui je m’adresse. Ainsi, je ne suis jamais « seul » en écriture ! Écrire, c’est poser « l’autre soi-même » comme constitutif de sa propre énonciation, c’est ce que j’ai appelé le « stade de l’écriture » en clin d’œil à Lacan5.
192La troisième notion est forgée à partir d’une expression empruntée à Georges Perec : « l’infra-ordinaire » que je trouve très parlante6. Je l’ai mobilisée pour théoriser le processus vivant dont elle témoigne sous le terme d’infra-ordinarisation. Très brièvement, de quoi s’agit-il ? Depuis que nous sommes nés, nous sommes soumis à un flux permanent d’informations de toutes natures que nous enregistrons consciemment ou non et auquel nous ne prêtons pas nécessairement attention. Au cours de nos apprentissages en revanche, nous répétons nos gestes – intellectuels ou physiques – de façon à les intégrer. Nous les « ingérons ». Il y a un très beau champ métaphorique autour de l’ingestion ou de la digestion liées à l’apprentissage de la lecture et l’écriture à l’époque médiévale, par exemple. Une fois que nous avons acquis ces savoirs, nous n’avons plus besoin de les penser, ils font partie de nous. Mieux même, nous avons nécessité à les oublier à la conscience immédiate afin que nos gestes soient efficaces. Nous avons engrangé cette mémoire de vie d’une richesse inouïe, mais il nous faut l’oublier pour la vivre au quotidien. C’est ce que j’ai appelé la mémoire de l’oubli7.
Le processus d’infra-ordinarisation décrit les mécanismes d’acquisition de connaissances et d’éléments culturels auxquels les individus sont soumis. Pris à force d’itérations dans une dynamique d’intégration d’une formidable intensité, ils en perdent la conscience pour disposer d’un savoir présent, d’un savoir très souvent opératif. L’infra-ordinarisation – phénomène qui s’apparente à ce que Marcel Jousse qualifie « d’intussusception » d’un point de vue anthropologique8 –, l’infra-ordinarisation est donc une mémoire de l’oubli : une mémoire qui doit être nécessairement occultée dans le champ communicationnel, une mémoire qui n’en nourrit pas moins l’individu et qui, au besoin, peut être remobilisée… à l’instar de l’anamnèse proustienne. Dans le geste de lecture par exemple, j’oublie l’image du texte, le savoir que j’en ai et le fait même que j’oublie ce savoir dans mon action. Il faut aller plus loin en soulignant que j’oublie le savoir-faire de ce savoir. C’est-à-dire l’objet (infra-ordinarisé) et le processus (d’infra-ordinarisation). Merleau-Ponty a parfaitement décrit 193une part de ce phénomène d’effacement de l’écriture devant la lecture : « La merveille du langage, écrit-il, est qu’il se fait oublier : je suis des yeux des lignes sur le papier, à partir du moment où je suis pris par ce qu’elles signifient, je ne les vois plus. Le papier, les lettres sur le papier, mes yeux et mon corps ne sont là que comme le minimum de mise en scène nécessaire à quelque opération visible. L’expression s’efface devant l’exprimé, et c’est pourquoi son rôle médiateur peut passer inaperçu9 ». Et il a alors ce constat fort juste : « la signification dévore les signes10 ».
J’ai cet autre exemple pour mettre en évidence le jeu de ces trois notions au niveau de l’objet, celui des marques d’un roman. Elles révèlent le nom de l’auteur, de l’éditeur ou de l’imprimeur et annoncent ainsi le titre de la collection ou, via le code-barres, la présence du distributeur, soulignant qu’un tel objet relève à la fois de la littérature, de la communication et de l’industrie. Pris dans des flux économiques, le livre circule dans le corps social grâce à l’intervention de multiples professionnels qui ont laissé leur « marque ».
L’analyse d’énonciation éditoriale permet alors d’articuler les signes au rôle des acteurs à l’origine de ces signes et aux pratiques sociales configurant les modalités d’usage des objets produits. La réception des signes est hiérarchisée en fonction de l’intérêt de chacun : si le code-barres d’un livre n’est pas primordial pour le lecteur, il s’agit en revanche d’une information essentielle d’un point de vue logistique pour un distributeur ou un bibliothécaire. En ce sens, l’énonciation éditoriale se situe au point d’articulation des « voix » des acteurs et des usagers qui s’expriment à travers les formes, les signes et les objets constituant les médias.
Cette théorie a été forgée dans le champ du littéraire, elle use bien entendu de ses outils mais elle privilégie la sémiologie ainsi que la linguistique ou d’autres disciplines comme l’histoire du livre, des médias ou de la technique. Elle favorise avant tout la souplesse d’un « éclectisme méthodologique » adapté à ses questionnements.
Au fond, la théorie de l’énonciation éditoriale consiste à essayer de comprendre qui parle, comment et à travers quoi dans un processus de communication.
194É. D. : Et comment situez-vous le dispositif digital/numérique dans le cadre de l’énonciation éditoriale ?
E. S. : En tant que médias informatisés, les dispositifs « numériques », qu’il s’agisse d’une page Web, d’un smartphone ou d’un distributeur de billets, peuvent être soumis aux mêmes méthodes d’analyse. Parce qu’elle cherche à interroger les différentes sources d’énonciation, l’énonciation éditoriale est un outil théorique dédié à l’analyse des médias, de leur histoire ainsi que de l’ensemble des acteurs qui lui permettent, in fine, de porter une parole.
Prenons l’exemple de l’industrie cinématographique qui repose sur cette pluralité de « voix ». Pour promouvoir un film et lui garantir un succès commercial, l’industrie met en avant le nom d’un comédien, d’un réalisateur ou d’un producteur. Dès lors, la campagne de communication se fonde entièrement sur cette assimilation du film à sa « vedette ». Pourtant, le générique affiche l’étonnante diversité des corps de métiers et de professionnels ayant participé à sa réalisation et qui constituent autant de sources d’énonciation. De natures distinctes, ces sources d’énonciation élaborent une parole collective qui est perçue comme une parole « une » et pour ainsi dire homogène.
La théorie de l’énonciation éditoriale est pensée comme une théorie du complexe et du composite11. Elle permet de rendre compte des processus de communication comme des phénomènes de frottements générateurs de rapports de pouvoir. Or comme tout autre dispositif de communication, les dispositifs numériques sont soumis à ces phénomènes, même s’ils présentent des caractéristiques techniques et organisationnelles spécifiques.
É. D. : Comment analysez-vous les modifications de la lecture et de l’écriture que les outils digitaux apporteront dans le temps long de l’écriture ? Vous faisiez, dans les années 2000, la critique des défenseurs du basculement de l’avant vers l’après, au profit d’une défense d’une certaine continuité éditoriale. Quel regard rétrospectif jetez-vous sur ce débat, 20 ans après la publication des travaux portant sur les écrits d’écran ? L’appel au changement radical et à la conversion brutale est toujours d’actualité. Comment évaluez-vous cette tentation de la table rase portée par le discours technologique ?
195E. S. : Tout d’abord, il faut revenir sur le mythe sans cesse renouvelé du « changement radical ». Les publicités dédiées aux dispositifs médiatiques, produits numériques en tête, font fréquemment référence aux luttes sociales et au mythe de la révolution. Ces stratégies discursives procèdent d’une instrumentalisation des mouvements sociaux et sont pétries de sous-entendus réactionnaires que nous n’avons pas lieu d’analyser ici. Elles illustrent un basculement du politique vers la sphère marchande opéré via les médias informatisés devenus des objets fétiches de notre société. Schématiquement, le discours publicitaire a fait glisser la valeur « révolution » du champ historique, politique et social vers le champ de la technologie. Et il est étonnant de voir à quel point la terminologie « numérique » est ainsi devenue un des fleurons du discours mis au service de l’économie libérale en désactivant la terminologie historique et politique au profit des discours d’escorte accompagnant les dispositifs « high tech ». Il y a un déplacement de valeurs opéré par les publicistes.
Cette problématique est incontournable. Elle porte l’attention sur le « discours d’escorte » qui se présente comme le nécessaire accompagnement textuel et discursif de tout objet circulant dans le corps social. Dans l’analyse, il faut articuler les outils et les dispositifs aux langages, aux pratiques et aux usages12. Il faut cerner ce discours d’escorte car il n’y a pas de pratique ou de dispositif qui puisse fonctionner sans son accompagnement discursif et mythologique. La publicité a succédé à la mythologie. Sans être réductibles l’une à l’autre, elles révèlent néanmoins l’imaginaire d’une société à un moment particulier de son histoire. Le mythe de la « révolution numérique » déployé par la publicité marque notre époque.
Mais les consommateurs ne sont pas les seuls destinataires de ces représentations. Agissant comme des cadres de pensée et disposant d’une forte dimension idéologique, l’imaginaire véhiculé par les discours d’escorte influence de manière évidente le regard des designers, des producteurs ou des réalisateurs. Omniprésent dans l’espace social, décliné du mode d’emploi au discours politique en passant par le spot publicitaire, il s’avère également nécessaire à la circulation et à la compréhension des médias informatisés. Au-delà, il participe de la production du sens. Il 196investit jusqu’au débat politique. En ce sens, le discours d’escorte ne se limite pas à « l’accompagnement ». C’est un acteur du débat public à part entière. D’où la responsabilité politique de ces corps de métiers dans l’espace social qui est au mieux impensée, voire niée. Lorsque le discours d’escorte prône la « table rase » que vous évoquiez à l’instant, il interfère fatalement dans le débat scientifique.
Le discours publicitaire contemporain joue sur l’idée d’une permanente « révolution » et d’une dimension « immatérielle » des dispositifs « numériques » afin de motiver la vente d’objets on ne peut plus matériels. Mais il est nécessaire de dépasser ce premier constat et de voir ce que l’on vend : rêve d’une communication sans entraves, rêve d’immatérialité, de spiritualité… Les chercheurs et les citoyens doivent en retour œuvrer au sein de la langue et travailler à la compréhension et la dénomination des objets et des pratiques. Je prendrai juste un exemple. Il s’agit d’un terme médiéval – la lettrure – qui marque la continuité des pratiques de lecture et d’écriture, pratiques que l’on retrouve dans les dispositifs qui nous intéressent. Ce terme lettrure exprime à la fois la lecture et l’écriture. Or ce sont précisément les deux activités fondamentales requises par les médias informatisés13.
Le champ sémantique véhiculé par le terme lettrure donne à comprendre le fonctionnement des dispositifs de lecture et d’écriture que sont les médias informatisés, l’adjectif « numérique », en revanche, coupe court à l’intelligence du dispositif. Référé à la numération, il occulte la présence essentielle de la lecture et de l’écriture, créant un premier décalage entre le dispositif technique, son usage et sa compréhension. Si de surcroît on préfère un vocable d’origine anglo-saxonne, ce décalage initial se double d’un décalage culturel. La question soulevée est d’ordre politique.
À rebours de l’éloge perpétuel de la « révolution », du « basculement » ou autres « changements radicaux » prônés par la publicité, l’usage d’un terme comme lettrure par exemple, permet de rendre compte du fait que les médias informatisés s’inscrivent dans la très longue histoire des dispositifs de lecture et d’écriture ; d’insister sur leur filiation au niveau des usages, mais également d’aider à cerner les phénomènes que l’on cherche à comprendre.
197En revanche, la question de la rupture sémiotique renvoie à quelque chose de fondamentalement nouveau14. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’homme n’a plus directement accès à la mémoire de son écriture – et plus généralement à sa mémoire. Le rapport entre le support, la matière et la mémoire de l’écriture est désormais différé d’un point de vue phénoménologique aussi bien que du point de vue de l’usage15. La matière-mémoire de l’écriture (les supports de mémoire informatique) se trouve décorrélée des espaces de la lecture (les écrans) où se déploie l’écrit d’écran. Il y a donc une rupture technique et sémiotique, qui vient, en quelque sorte, dédoubler la rupture théorique du signe telle que la tradition linguistique l’a défini. L’informatique a créé une véritable schize dans le champ de l’écriture et plus généralement de la culture. Avec le « numérique », le corps et l’esprit de la culture sont scindés. Peu évoquées, les conséquences de ce phénomène nous sont encore largement méconnues.
É. D. : Au regard de cette dernière remarque, comment jugez-vous l’emploi du terme « digital » dans le titre de cette revue ? Vocable anglo-saxon trouvant son origine dans la langue latine, ne pensez-vous pas qu’il éloigne l’attention de la pensée de la seule dimension numérique des nouveaux dispositifs médiatiques ?
E. S. : Le terme « digital », issu du mot anglais, réinvestit étymologiquement du latin une des données de l’écriture, le geste qu’elle lie à l’image et au son. Loin d’évacuer le corps, les dispositifs digitaux requièrent sa présence au premier chef. Les utilisateurs doivent mobiliser leur perception visuelle et une forte activité manuelle. La préhension même de l’objet marque un premier temps kinésique et sémiotique. Des études récentes montrent que les gestes de lecture ont été modifiés par les dispositifs « numériques », intégrant en particulier le glissement ou le suivi du curseur avec le couple « œil-main ». Il nous revient d’inventer un vocabulaire adapté à ces transformations qui, pour effectives qu’elles soient, n’engagent qu’un changement de forme et non une modification de l’intention et de l’action. Autrefois, les larges marges en pied de page 198d’un in-folio réservaient au lecteur un espace « digital » pour tourner le feuillet. Les dispositifs numériques ont réinventé ce geste, ils l’ont redécouvert et adapté. D’autres gestes nouveaux viennent enrichir notre panoplie de lecteurs.
Le terme digital joue sur deux plans au moins, celui de la réception idéologique actuelle par son « anglicité » comme dirait Barthes et celui de son inscription dans une tradition culturelle latine qui renvoie au champ sémantique du doigt, du geste et de la trace. Il invite ainsi au geste d’écriture.
É. D. : Comment intégrez-vous la dimension techno-sémiotique au sein du processus d’énonciation ?
E. S. : Penser la dimension techno-sémiotique permet de mettre en évidence la part énonciative de la technique au sein des médias informatisés. Ce phénomène peut être déstabilisant dans le cadre des représentations que nous nous faisons de l’énonciation. Il n’est plus possible en effet de faire abstraction des procédures techniques qui se trouvent mises en œuvre au sein même de l’énonciation des textes à l’écran. Un logiciel – un architexte16 – engage une énonciation machinique. Autrement dit, la dimension technique du dispositif doit également être considérée du point de vue de l’énonciation. Dans le cadre de l’énonciation éditoriale, ça n’est pas pour nous étonner, voyez par exemple le format d’un ouvrage à une époque donnée, dans un contexte déterminé, qui nous « dit » quelque chose du contenu et de la réception de cet ouvrage. La nouveauté réside en revanche dans le fait que le dispositif peut générer sa propre énonciation. Le monde « digital » nous invite à une réflexivité à laquelle nous n’avions pas nécessairement songé. Nous devons ainsi reconsidérer 199les médiations mises en œuvre dans le processus d’énonciation, y compris celles que nous ne voyons pas. Quels processus l’homme met-il en place pour « dire le monde » ?
Par ailleurs, l’omniprésence des procédures techniques sanctionne l’entrée du monde industriel et marchand dans l’espace de l’écriture qui en était jusqu’à présent épargné. Elle se manifeste par l’encapsulement de l’écriture et par la production concomitante de « petites formes » éminemment combinatoires17 dont la multiplication interdit d’envisager une maîtrise réelle des textes du point de vue des scripteurs. On assiste à une fragmentation, à une industrialisation du processus d’écriture au sein d’un vaste mouvement de marchandisation. Les niveaux technique, sémiotique, économique et politique… sont intimement imbriqués complexifiant l’appréhension du processus lui-même. Mais il ne faut pas se leurrer, nous sommes avant tout placés dans une économie libérale des flux.
Loin de gagner en simplicité, la lecture d’un texte dit « numérique » présente une singulière complexité. Elle convoque un très grand nombre de savoirs textuels articulés entre eux. Il y a un aspect paradoxal : on nous parle de la facilité d’utilisation des outils « numériques », mais l’outil ne fait pas le texte ! En réalité, il n’y a jamais eu de textes plus complexes car ils sont notamment tissés de cultures distinctes (textuelle, audio-visuelle, informatique, etc.). Faire en sorte que les générations actuelles acquièrent une réelle agilité de lecture, une réelle « numératie », est un enjeu majeur pour le ministère de l’Éducation nationale. Se focaliser simplement sur le codage serait une erreur, il faut poser la question de ce qui est nécessaire pour avoir de bons lettrés « digitaux ». Il faut que les jeunes générations comprennent ce qui est convoqué, articulé, au sein de cette nouvelle « numératie » et qu’ils en discernent les niveaux de culture et d’énonciation. La demande d’une maîtrise du code est un réflexe de caste car le code informatique est une modalité d’écriture particulière, qui ne demeurera accessible qu’à une poignée de lettrés et il est fort peu probable qu’il se démocratise assez pour être un jour accessible à tous. Dans les sociétés à écritures, de Sumer à nos 200jours, les castes de scribes maîtrisant les codes de l’écriture ont toujours eu maille à partir avec le pouvoir.
É. D. : Quand Agamben lie la présence d’un dispositif à un processus de subjectivation, cela vous paraît-il pertinent en ce qui concerne les écritures d’écran ?
E. S. : Le processus de subjectivation émergeant avec ces nouvelles pratiques est confronté à la multiplication des voix qu’engage l’écriture sur écran et donc, en quelque sorte à une déprise de soi. Les modalités expressives étant en l’espèce de natures parfaitement distinctes, elles semblent créer, non plus une polyphonie, mais une hétérophonie. Ainsi, plutôt que de participer à un projet commun et construit, elles alimenteraient le composite que nous évoquions précédemment. D’un point de vue politique, la tension dialectique entre subjectivation et désubjectivation – pour reprendre les termes d’Agamben – me semble placée au cœur de la pratique des écrits d’écran. Mais je me demande si elle n’a pas toujours déjà été présente dans le processus d’écriture même.
É. D. : Vous évoquez ici les processus de communication médiatisés. Quelle est la place de la communication dans cette dialectique liant hétérophonie et polyphonie ?
E. S. : Il est sans doute prématuré d’opposer frontalement polyphonie et hétérophonie pour penser une polyphonie hétérogène. L’irruption de l’hétérogène est intrinsèquement liée au processus d’écriture : le sujet écrivant est toujours confronté à une histoire et à une langue préexistante. J’ai en tête l’image de ces manuscrits d’auteurs qui portaient, au sortir des ateliers typographiques, les marques d’une « langue » radicalement différente de celle de l’écrivain, la langue technique et singulière destinée à l’atelier de typo qui a pour fonction de « trans-former » – de changer de forme le manuscrit en page imprimée…
Il me semble que la place de la communication entre hétérophonie et polyphonie va se jouer à l’articulation des regards, des points de vue ou des usages. Prenons l’exemple d’un texte courant imprimé dans un ouvrage. Nous aurons alors un phénomène de polyphonie énonciative en ce sens que l’auteur et le typographe œuvrent de concert au service du texte. « L’expression s’efface devant l’exprimé » comme le disait 201Merleau-Ponty. Lorsqu’un auteur comme Mallarmé ou Queneau avec les Cent mille milliards de poèmes ou plus récemment comme Danielewski ou Jonathan Safran Foer18 font remonter la dimension matérielle de leur texte, partie constitutive de leur écriture, alors les rapports sont inversés. De même, lorsqu’un designer joue sur la dimension graphique d’une publicité, il met en évidence l’image du texte qui vient fatalement troubler la lecture habituelle du texte, nous pouvons alors parler d’hétérophonie dans le processus de communication mis en place. Car les deux niveaux d’énonciation du texte et de l’image du texte sont décalés à l’instar de l’hétérophonie musicale. En revanche, lorsque l’énonciation du texte est, d’auteur et de typographe liée, nous avons bien à faire à un phénomène de polyphonie.
Par ailleurs, les dispositifs « numériques » dont nous parlons doivent être considérés comme des médias informatisés en ce qu’ils ont pour fonction essentielle de communiquer. Plus que leur degré de sophistication technique, c’est cette fonction communicationnelle qui distingue un ordinateur d’un satellite ou d’une machine à laver. Le point de distinction essentiel est la fonction communicationnelle.
Ma réflexion s’inscrit dans le sillage du travail d’André Leroi-Gourhan notamment. Elle se nourrit de mon héritage littéraire hybride, forgé en particulier à partir de la notion de « lectures plurielles » qui se pratiquait à Paris 7 dans les années 1970-1980 et qui consistait à approcher un texte conjointement selon divers points de vue théoriques et méthodologiques : une des plus belles écoles de formation à la complexité en fait ! Ces multiples filiations m’ont amené à porter un regard ouvert sur l’écriture et à analyser très tôt l’introduction de l’informatique dans l’espace de l’écriture et du texte en considérant l’informatique comme une pratique écrivante à part entière19.
Une telle démarche permet l’émergence de nouvelles perspectives théoriques. Les analyses littéraires s’avérant insuffisantes pour saisir ces phénomènes, j’ai inscrit ma réflexion au sein des Sciences de l’information et de la communication tout en empruntant à d’autres disciplines. 202Certaines problématiques exigent des chercheurs qu’ils brisent les enfermements disciplinaires lorsque ceux-ci sont contre-productifs.
É. D. : Comment définissez-vous le concept d’information ?
E. S. : Le concept d’information donne lieu à des débats pléthoriques en fonction des disciplines, nous ne pourrons pas l’épuiser ici. Si vous êtes en traitement du signal ou en journalisme, vous ne parlez pas de la même chose. En SIC, les postures définitionnelles relèvent souvent de débats institutionnels et de rapports de pouvoir au sein de la discipline cherchant à placer des discours en appui aux intérêts stratégiques. Voyez la question entre les pôles journalisme et communication, par exemple. D’un point de vue théorique, comment concevoir un processus d’information qui ne soit pas lui-même médiatique et communicationnel ? Ce constat nous inscrit fatalement dans les sciences de la communication !
É. D. : Une telle réflexion s’inscrit pleinement dans votre analyse des enjeux de pouvoir. En effet, l’articulation entre information et communication peut rendre compte des stratégies académiques visant à orienter la définition de la discipline au bénéfice de l’informatique. Elle peut au contraire et plus fondamentalement permettre l’analyse de leurs modalités d’échange et de leurs éventuels rapports hiérarchiques.
E. S. : Effectivement. De telles problématiques sont investies d’enjeux organisationnels, politiques et institutionnels que nous n’aurons pas le temps d’approfondir ici. Pourtant, en toile de fond, je me demande si on peut réellement décorréler ce débat théorique de sa situation historique, institutionnelle, psychosociologique et des rapports de pouvoirs induits ? Les débats sur ces questions qui circulent dans l’espace public relèvent rarement de la recherche ou de l’échange scientifique. D’un point de vue théorique nous avons effectivement nécessité à interroger nos catégories lorsque nous engageons un travail interdisciplinaire et cela doit faire partie de la démarche pour ce que nous ne pensons pas en dehors de la langue20.
203É. D. : Quelle relation concevez-vous entre texte et architexte ? Dans l’article « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran »21 publié en 2005 vous écriviez : « Le texte, en effet, incarne une conception de la lecture et des activités intellectuelles, mais ces propositions, qui formulent “l’inconscient de la lecture ”, demandent toujours à être habitées par une culture particulière du lire : la forme du texte peut anticiper l’acte interprétatif mais elle ne peut en revanche le formater complètement. » Est-ce que vous pourriez revenir sur ces propos ? Et en particulier sur le fait que la forme du texte puisse anticiper l’acte interprétatif ?
E. S. : Au sein du processus de lecture, la forme du texte est un impensé radical qui relève de l’infra-ordinaire dont j’ai parlé précédemment. Elle n’est souvent prise en compte que par certains corps de métier tels que les typographes, les maquettistes ou les designers par exemple. Pour autant, il me semble essentiel de souligner que sens et forme sont interdépendants, ainsi qu’en rend compte la notion de « sens formel » forgée par Jacques Roubaud22 et que j’ai transposée dans le champ sémiotique à l’occasion de l’édition du Traité des vertus démocratiques de Queneau23. L’analyse génétique des documents m’a en effet permis d’expliquer comment l’auteur met en place le sens formel de son œuvre à travers la matérialité même des manuscrits, de l’écriture, du format du papier ainsi que de la forme fragmentaire de son texte. Queneau met alors le sens de son texte en harmonie de forme ou l’inverse, comme vous voulez !
Si forme et sens peuvent être séparés pour des raisons didactiques, ils se nourrissent l’un l’autre dans un rapport dynamique inextricable qu’on peut qualifier d’inter-dépendance. Il y a selon moi une influence réciproque de l’un sur l’autre. De la sorte, la forme ne peut être conçue comme un simple code : elle relève au contraire d’un apprentissage culturel éminemment mouvant. Une forme particulière n’est pas le signe d’un sens prédéterminé. Et lorsqu’à un autre niveau il s’agit de la codifier d’un point de vue informatique on est proprement abasourdi par le fait que la logistique et la technique écrasent des siècles d’usages, 204d’histoire et de culture sous prétexte du « faire » ! C’est en cela que j’ai parlé de barbarie de la technique.
La notion d’irréductibilité sémiotique24 me permet d’approfondir cette problématique. Elle stipule en effet que toute modalité d’expression – texte, image, son ou geste, par exemple –, dispose pour s’énoncer de modalités d’expression qui lui sont propres. Cette spécificité énonciative invite à reconsidérer l’idée selon laquelle la langue serait la source unique et légitime du sens. Malgré sa prédominance culturelle, elle ne parvient pas à l’épuiser : elle ne sait pas « dire » ce que le geste exprime, pas plus qu’elle ne sait rendre compte de la signification de la forme d’un texte sur écran. Au-delà de l’ekphrasis – le discours sur la peinture –, la langue ne parvient pas à épuiser le sens d’un tableau. Il faut aller avec le bout du doigt toucher le pigment, l’appréhender de l’œil dans sa matérialité. La forme, la couleur, la matière et sa vibration engendrent une œuvre polyphonique dont l’expression excède la parole. On notera alors que la pensée et son écriture sont contraintes par leurs propres conditions de possibilité étant elles-mêmes prises dans les rets instituants de la langue. Mais elles n’expriment pas pour autant un manque, une aporie, elles marquent plutôt l’indice d’une distinction, d’une différence.
É. D. : L’irréductibilité sémiotique n’est-elle pas résolue par l’avancée de l’algorithmique ? En effet, ces éléments qui échappent à la langue peuvent se trouver captés et mesurés puis interprétés par les algorithmes. Ils se trouveraient dès lors retranscrits et convertis au sein d’une écriture totalisante.
E. S. : Votre proposition répond à la définition d’un système d’écriture à proprement parler. J’aborderais cette question par le biais de la notion de « textualisation des pratiques sociales ». L’article « Les machines écrivantes ou l’écriture virtuelle », que nous avons publié avec Joanna Pomian en 1988 dans la revue Traverses postule que l’informatique doit être considérée comme une pratique d’écriture à part entière. De la sorte, nous l’incluions de facto dans le temps long de l’écriture. Ce postulat est constitutif de l’analyse des écrits d’écran et desécrits de 205réseaux développée dès 1996 dans Communication & langages25. Plus généralement, cela m’a amené à considérer que la transformation d’activités sociales par un processus informatique impliquait nécessairement une textualisation – une scénarisation par le biais de l’algorithme –, selon deux schèmes anthropologiques fondamentaux : la production de récits et leur visualisation, leur communication.
Ainsi, informatiser une activité musicale ou picturale implique de la mettre en « récit » sur la base d’un travail d’experts. Par le truchement du dispositif technique, elle acquiert une dimension textuelle et visuelle dont elle était jusqu’alors dépourvue. Le principe est assez simple même si sa mise en œuvre technique présente une certaine complexité. Pour qu’une opération soit réalisée par une machine elle doit faire l’objet d’un programme et s’inscrire dans une chaîne opératoire, Leroi-Gourhan avait clairement dessiné ce processus26. Elle subit alors l’ordre, la succession temporelle et l’articulation des séquences, autrement dit elle se « syntaxise » (étymologiquement elle est mise en ordre) et elle se « textualise ». Or comme l’informatique a investi la quasi-totalité des pratiques sociales d’élaboration, de création, de production, de circulation des biens ou activités matériels ou symboliques… c’est à une véritable textualisation de notre rapport au monde que nous assistons. La période contemporaine est marquée par une nouvelle modélisation de la pratique. Syntaxisées et traitées par l’algorithmique, les pratiques humaines entraînent une redéfinition des cadres de pensée.
Il est une conséquence, au moins, particulièrement importante de ce phénomène. En tant qu’instance énonciatrice de ce texte global, « les informaticiens » se sont en effet emparés du pouvoir qui consiste à dire le monde, à le mettre en ordre et à le rendre opératoire. Au prétexte de le rendre opératoire, ils prennent l’ordre du sens ! Nous assistons au même phénomène dans toutes les sociétés où l’écriture s’est mise en place.
Au regard de ce que nous disions tout à l’heure, on comprendra aisément que l’énonciation éditoriale appliquée aux médias informatisés puisse offrir un outil pertinent pour tenter de cerner les rapports de pouvoir établis entre les différentes instances d’énonciation qui bruissent au sein de notre civilisation « textualisante » !
206É. D. : Comment articulez-vous l’irréductibilité sémiotique à cette textualisation du monde ?
E. S. : Il s’agit de deux constats de natures distinctes. La textualisation des pratiques au sein des dispositifs « numériques » sanctionne la position de plus en plus hégémonique de l’écriture. Si l’on considère comme nous venons de le voir que l’informatique est une pratique écrivante et si nous constatons que la quasi-totalité des pratiques sociales passe sous les fourches caudines d’une textualisation informatique, alors il est logique de s’inquiéter d’une perte d’expressivité de nos activités. Si tout se retrouve sur un même écran alors il y a eu une perte sémiotique effective. Pour autant, il me semble que nous devons être prudents et considérer la spécificité des pratiques médiées par les dispositifs techniques afin d’être attentifs aux déplacements, aux métamorphoses ou aux créations entrant dans l’ordre de l’expression. Je ne pense pas que l’irréductibilité sémiotique ait dit son dernier mot !
É. D. : L’écriture est dès lors un équivalent universel, à la fois sémiotique et économique ?
E. S. : Nous constatons un phénomène anthropologique majeur : la montée en puissance de l’abstraction dans les rapports que l’homme entretient au monde. Ce constat nous pouvons le formuler à nouveau à partir de l’histoire des systèmes d’écriture. Il semblerait effectivement que nous assistions avec l’informatique à l’émergence d’une écriture qui a atteint un degré d’abstraction inégalé dans l’histoire de l’humanité. Au risque de la caricature, je note juste trois types de relations que l’homme entretient avec le monde par le truchement de ses systèmes d’écriture, relations qui mériteraient autrement d’attention et de finesse. Dans les écritures idéographiques tout d’abord, le lien que les signes entretiennent avec les realia, les objets du monde, est encore très prégnant. Même s’il ne signifie pas « scarabée » à proprement parler, le signe figurant un scarabée dans l’écriture égyptienne me renverra immanquablement à l’insecte qu’il représente. De la même manière, on reconnaît encore le profil du taureau dans le tracé de l’aleph à l’origine de l’alphabet protosinaïtique à l’origine de notre 207alphabet27. Il disparaîtra dans l’alphabet que nous connaissons. Mais la rupture entre le monde des realia et le code informatique est quant à elle radicale. Déréalisée, l’écriture informatique peut dès lors avoir prétention universalisante et servir toutes les transactions. C’est là le propre du code. La rupture est nette et définitive : le monde a été distancié par surcroît d’abstraction, au profit du flux d’information.
É. D. : Une telle abstraction se fait-elle au profit de la vie de l’esprit ou de celle des corps ?
E. S. : La question abstrait la médiation et les langages où se lient le corps et l’esprit. Sans doute l’abstraction se fait-elle au profit de l’esprit qui trouve dans les médias informatisés un autre type d’écriture et d’intelligence du corps. Néanmoins ces outils sont fatalement un prolongement de nos corps. Et si l’abstraction se fait au profit de l’esprit, c’est au retour du refoulé qu’il faut s’intéresser, c’est-à-dire à la présence et à la marque du corps dans les dispositifs.
Mais, dans tous les cas de figure, me semble-t-il, le phénomène d’abstraction éloigne l’homme de sa réalité et lorsqu’il est lié à la « numérisation », il le « désintègre », au sens où l’entend Edgard Morin28.
Dans le discours d’escorte, la promesse de la rencontre des corps via un outil numérique est une contradiction dans les termes. Au mieux, les voix seules peuvent se croiser. Ainsi la promesse de rencontre qui nous est vendue par la publicité des téléphones portables, par exemple, est au mieux une promesse imaginaire. Mais elle montre en creux l’impensé du corps pris dans les rets du discours d’escorte des médias informatisés.
É. D. : Votre analyse de l’abstraction grandissante rejoint l’argument critique de la calculabilité du monde qu’Heidegger formule à propos de l’œuvre de Leibniz.
E. S. : Peut-être, mais le système de Leibniz n’a jamais été industrialisé. Le langage universel qu’il a espéré comme tant d’autres – et qui a notamment été revisité par Queneau –, l’informatique l’a imposé au monde.
208É. D. : Les humanités numériques désignent, dans la plupart des cas, des programmes de numérisation de textes de grande envergure, excédant le seul corpus littéraire. Le terme d’humanités rappelle, dans cette perspective, les humanités classiques. Ces dernières ayant donné son étymologie à l’humanisme, est-il possible d’espérer par analogie un humanisme numérique ?
E. S. : Aurait-on imaginé au xixe siècle un « humanisme électrique » ? Il est vrai que le mythe de la « fée électricité » ne manquait pas de charme ! Mais la confrontation inattendue de ces deux termes nous donne à entendre la tension que contient la formule « humanisme numérique » qui nous renvoie à la technostructure. Des notions telles qu’humanisme et numérique sont suffisamment peu précises pour maintenir une indécision féconde : évacuant les débats destructeurs, elles permettent la poursuite d’un travail commun, voire l’obtention quasisystématique de crédits pour les programmes de recherche. De tels objets sémiotiques, investis d’une efficience pragmatique remarquable, réunissent ainsi les communautés les plus disparates. Mais cela se fait au détriment de la compréhension des processus que l’on prétend désigner. La formule sert l’industrie et la technostructure. Politiquement aberrante, elle est scientifiquement contre productive en ce qu’elle n’est pas réflexive et ne pense pas les processus mis en œuvre. Pour les littéraires et les technologues c’est une aubaine car ils y trouvent une légitimité croisée. En revanche, d’un point de vue théorique c’est un véritable retour en arrière. Alors que les études littéraires commencent à prendre en compte la question du livre, du support et des médiations, avec le « numérique », on assiste à un retour en force de l’essentialisme. Le texte ou l’œuvre sont à nouveau pensés en dehors de toute contingence matérielle, sociale, économique…
É. D. : L’humanisme a été favorisé, selon les commentateurs actuels, par l’essor de l’imprimerie et avec elle de la lecture et de la multiplicité des voix énonciatives. Les nouveaux dispositifs numériques mettent en jeu des dynamiques similaires : ils ont accru exponentiellement la vitesse des échanges ainsi que le nombre d’énonciations. Participeront-ils à l’essor d’un nouvel humanisme ?
E. S. : Les échanges entre individus, communautés, sociétés sont en pleine métamorphose. Une telle dynamique aura nécessairement des conséquences. 209Pour autant, faute d’un recul historique suffisant, il convient de faire preuve de prudence. Les vérités définitives en ce domaine se présentent comme autant de questions : peut-on en toute bonne foi prétendre que les « réseaux sociaux » sont à l’origine du printemps arabe ? Ces dispositifs auront joué un rôle, comme la radio a été déterminante lors des événements de Mai 68. Mais ils ne sont ni plus ni moins que des médias. Quid de la situation politique, économique, culturelle ? Est-ce que le raisonnement consistant à faire porter toute la responsabilité d’un mouvement social sur les réseaux dits « sociaux » n’est pas un leurre médiatique qui évite de poser les vraies questions ? Ce qui ne nous empêche pas, bien entendu, de chercher à comprendre les effets novateurs de ces dispositifs médiatiques.
L’avènement du numérique ne me semble pas comparable à la création de l’imprimerie. L’imprimerie a servi l’essor d’une pensée naissante, elle a déployé la capacité de lecture en multipliant les exemplaires des textes et en entraînant leur circulation. Là, nous sommes dans un processus d’une toute autre nature qui déconstruit l’écriture, le texte, l’œuvre… qui déplace les acteurs et les rôles, qui transforme les pratiques au profit de la circulation technique des flux cherchant à engendrer du profit. Ces dispositifs servent avant tout l’économie libérale, bien loin d’un quelconque « humanisme ». Pour autant, la machine est si complexe et déployée qu’elle permet toutes les innovations possibles. C’est du reste par là qu’elle est souvent « innocentée ».
É. D. : Vous employez la notion d’architexte différemment que ne le fait Genette. Ainsi, vous distinguez trois formes d’architextes.
E. S. : La notion d’« architexte » telle que nous l’avons définie avec Yves Jeanneret à la fin des années 199029 diffère de celle qu’utilise Genette et s’applique uniquement aux médias informatisés. Elle est décorrélée de la littérature combinatoire qui l’a pourtant vu naître. Cette notion ne s’applique pas au livre. L’architexte est compris comme un outil d’écriture inédit qui fonde l’une des spécificités des dispositifs numériques. Pour pouvoir écrire à l’écran, l’utilisateur a besoin d’un outil, un logiciel dédié que nous appelons architexte car il est étymologiquement 210à l’origine et au commandement de notre activité d’écriture à l’écran. Je parle plus généralement d’outils d’écriture écrits30 – car son élaboration par les informaticiens repose sur des pratiques d’écriture – afin de souligner que pour la première fois de son histoire, l’homme a inventé des outils d’écriture spécifique pour pratiquer son écriture et que ces outils informatiques sont, comme nous l’avons vu, des outils écrits.
É. D. : Vous marquez par là un changement d’interface.
E. S. : L’architexte n’est pas une interface, mais un logiciel. Pour accéder à une pratique d’écriture-lecture, pour accéder à la mémoire qu’il a déléguée à la machine, l’homme doit disposer d’un dispositif techno-sémiotique spécifique. Pour fonctionner, un média informatisé nécessite une source d’énergie extérieure, une machine dédiée et un architexte31. L’architexte se présente comme un outil d’écriture écrit qui permet d’écrire. Il nous pose de la sorte face à une mise en abyme inédite de l’écriture dans l’écriture qui n’est pas dénuée de beauté.
É. D. : Pourriez-vous qualifier cette spécificité des outils numériques de métatexte ?
E. S. : Non. L’outil dont il s’agit est opératoire en ce qu’il commande le texte et qu’il participe du processus d’écriture lui-même. Il prend part au texte, il ne lui est pas extérieur. Ça n’est pas un texte sur le texte comme le métatexte, mais un outil techno-sémiotique dynamique qui permet de produire du texte. La différence est essentielle.
É. D. : Vous illustrez cette réflexion par une analyse des menus déroulants du logiciel Word.
E. S. : L’architexte n’est pas réductible aux seuls menus déroulants. Il désigne l’ensemble du logiciel permettant d’avoir accès au texte ; il est 211ce qui préexiste au texte, qui le conditionne et l’informe dans sa réalisation. Une fois l’ordinateur allumé, l’utilisateur doit avoir un outil à sa disposition pour déployer son activité. Toutefois, cet outil n’est pas un outil d’écriture banal, c’est un outil configuré à travers une textualisation qui présente des modalités d’écrire et de penser. Il engage une dimension opératoire, donnant la possibilité d’élaborer, de produire et de reproduire un texte. Écrire avec son doigt dans le sable ou avec un stylo sur une feuille blanche est un geste d’un autre ordre. Définissant les conditions de possibilité32 de l’écriture, l’architexte mobilise à la fois une dimension technique et sémiotique et une dimension idéologique. À travers lui, l’écriture est industrialisée pour la première fois de l’histoire.
Les trois espaces constitutifs de l’écrit d’écran – la matière mémoire, l’écrit d’écran et l’écrit d’imprimante – mettent en évidence une rupture techno-sémiotique entre l’objet physique enregistré et sa réalisation sémiotique à l’écran ou sur une feuille de papier. Cette procédure inédite concourt à ce que j’analyse comme une théâtralisation du texte. Une telle métaphore heuristique rend compte de la disparition du texte lorsque l’outil s’éteint autant que de sa réapparition sur une autre scène (la feuille d’imprimante) où dans les coulisses d’un autre théâtre (le support d’une clé USB, par exemple).
La matière, le support, le « texte livresque33 », le chemin de fer sont autant d’éléments qui concourent à la mise en forme du texte. Situés entre la forme et l’intellectualité, ils sont traités algorithmiquement. Ainsi décomposé, le texte n’a plus d’homogénéité propre. Il n’est plus accessible à la compréhension physique de l’homme.
Une image du xve siècle donne à voir la circulation complète d’un texte à travers la représentation de Saint Grégoire qui reçoit « l’inspiration » de l’Esprit Saint34. Saint Grégoire dicte à un scribe la parole divine dont il se fait le médiateur (il est pontifex). Cette scène donnée par le copiste à son lecteur avec une rare intelligence illustre la métamorphose de l’oralité en écrit. Pour superbe et entière qu’elle soit, elle est devenue obsolète à l’ère du numérique. En effet, la recomposition de la chaîne 212du texte est désormais impossible pour l’usager, empêché au moins par les nécessités du droit d’auteur ou du droit industriel qui couvrent les logiciels notamment. La source du texte est ainsi cachée, y compris aux chercheurs et aux informaticiens. Cette occultation nous interdit désormais d’avoir une vision complète du processus d’écriture.
1 Le CEE, devenu CEEI – Centre d’étude de l’écriture et de l’image, Université Paris 7 Denis Diderot. http://www.ceei.univ-paris7.fr/00_presentation/index.html.
2 Joëlle Le Marec, Ce que le « terrain » fait aux concepts : vers une théorie des composites, HDR, Université Paris 7 Denis Diderot, 2002.
3 « L’énonciation éditoriale en question », sous la dir. de Emmanuël Souchier, Communication & langages, no 154, décembre 2007.
4 Le statut auctorial de l’auteur, le statut institutionnel de l’éditeur ou matériel de la collection.
5 Emmanuël Souchier, « L’écriture et la “mémoire de l’oubli” », Séminaire Chaos des écritures, Université Paris Denis Diderot, ENS LSH Lyon, GRIPIC Université Paris-Sorbonne, 7 mai 2010.
6 Georges Perec, L’infra-ordinaire, Petite bibliothèque du xxe siècle, Seuil, 1989, p. 9-13,
7 Emmanuël Souchier, « La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation. Pour une poétique de l’infra-ordinaire », Communication & langages, no 172, juin 2012, p. 3-19.
8 Marcel Jousse, L’Anthropologie du geste, coll. Tel, no 358, Gallimard, [1974-1975] 1978.
9 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, coll. Tel, no 4, [1945] 1978, p. 458 sq.
10 Ibid., p. 213.
11 Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Points, no 534, Seuil, 2005.
12 Emmanuël Souchier, « Mémoires – outils – langages. Vers une “société du texte” ? », Communication & langages, no 139, avril 2004, p. 41-52.
13 Emmanuël Souchier, « La lettrure à l’écran. Lire & écrire au regard des médias informatisés », Communication & langages, no 174, décembre 2012, p. 85-108.
14 Emmanuël Souchier, « De la lettrure à l’écran. Vers une lecture sans mémoire ? », Mnémotechnologies – texte et mémoire, Texte, no 25-26 (coord. par F. Schuerewegen), Trinity College, Université de Toronto, Canada, 2000, p. 47-68.
15 Emmanuël Souchier, « L’écrit d’écran, pratiques d’écriture et informatique », Communication & langages, no 107, 1-1996, p. 105-119.
16 « Les architextes (de archè, origine et commandement), sont les outils qui permettent l’existence de l’écrit à l’écran et qui, non contents de représenter la structure du texte, en commandent l’exécution et la réalisation. Le texte naît de l’architexte qui en balise l’écriture. Structure hybride héritée de l’informatique, de la logique et de la linguistique, l’architexte est un outil d’ingénierie textuelle qui jette un pont nécessaire entre la technique et la langue. Les architextes intègrent un imaginaire de la communication, ils sont la praxis des théories communicationnelles mises en œuvres, consciemment ou non, par leurs concepteurs ; lesquels, situés au commencement et au commandement de l’acte d’écrire, détiennent un pouvoir certain sur la production du texte, partant, sur celle du sens et de l’interprétation. » Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier, « Pour une poétique de l’écrit d’écran », Xoana, no 6, 1999, p. 97-107.
17 Étienne Candel, Valérie Jeanne-Perrier, Emmanuël Souchier, « Petites formes, grands desseins : d’une grammaire des énoncés éditoriaux à la standardisation des écritures », L’Économie des écritures sur le web, sous la dir. de J. Davallon, Hermes Lavoisier, 2012, p. 165-201.
18 Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Cosmopolis, 1897 ; Queneau, Cent mille milliards de poèmes, Gallimard, 1960 ; Danielewski, La maison des feuilles, Denoël, 2002 ; Jonathan Safran Foer, Tree of codes, Londres, Visual Éditions, 2010.
19 Joana Pomian, Emmanuël Souchier, « Informatique et pratiques écrivantes », Traverses, no 43, février 1988, p. 121-130 ; – « Les machines écrivantes ou l’écriture virtuelle », Traverses, no 44-45, sept. 1988, p. 108-119.
20 C’est précisément ce que nous avons fait dans le programme collectif de recherche réuni pour répondre à un programme lancé par la BPI et qui rassemblait ethnologues, sémiologues, informaticiens, etc. Travaux publiés dans Lire, écrire, récrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés, sous la dir. de Emmanuël Souchier, Yves Jeanneret, Joëlle Le Marec, BPI – Centre Pompidou, 2003.
21 Yves Jeanneret, Emmanuël Souchier, « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran », Communication & langages, no 145, septembre 2005, p. 3-15.
22 Jacques Roubaud, La fleur inverse : l’art des troubadours, Ramsay, 1986.
23 Raymond Queneau, Traité des vertus démocratiques, éd. de Emmanuël Souchier, coll. « Les Cahiers de la N. R. F. », Gallimard, 1993.
24 Emmanuël Souchier, « Le carnaval typographique de Balzac. Premiers éléments pour une théorie de l’irréductibilité sémiotique », Communication & langages, no 185, septembre 2015, p. 3-22.
25 Op. cit., notes 16 & 20.
26 André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, La mémoire et les ryhtmes, Albin Michel, 1965.
27 Marc-Alain Ouaknin, Les mystères de l’alphabet, Éditions Assouline, 1997, p. 101 sq.
28 « … la mathématisation et la formalisation ont désintégré les êtres et les existants pour ne considérer comme seules réalités que les formules et équations gouvernant les entités quantifiées. », Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, op. cit., p. 19.
29 Voir Yves Jeanneret et Emmanuël Souchier, « Pour une poétique de l’écrit d’écran », op. cit. et Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques, sous la dir. de D. Ablali et D. Ducard, Honoré Champion, 2009, p. 158-159.
30 Emmanuël Souchier, « Le livre au risque de l’écrit d’écran et des écrits de réseaux », in Anne Zali (dir.), La grande aventure du livre. De la tablette d’argile à la tablette numérique, BnF/Hatier, 2013, p. 176-183.
31 Emmanuël Souchier, « Lorsque les écrits de réseaux cristallisent la mémoire des outils, des médias et des pratiques », Les défis de la publication sur le Web : hyperlectures, cybertextes et méta-édition, (coord. par J.-M. Salaün et Ch. Vandendorpe), coll. « Références », Presses de l’Enssib, Lyon, 2004, p. 87-100.
32 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969.
33 Ivan Illich, Du lisible au visible. Sur l’Art de lire de Hugues de Saint-Victor, Cerf, 1991.
34 Grandes Heures de Jean de Berry, Paris. Enluminure de Maître de la Mazarine. Saint Grégoire inspiré par l’Esprit. Lettre historiée : saint Grégoire lisant. Manuscrit à peinture, 1409. BnF, Manuscrits occidentaux, Latin 919, folio 100. URL : http://expositions.bnf.fr/lecture/grand/125.htm.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-06193-9
- EAN : 9782406061939
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06193-9.p.0189
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 29/09/2016
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français