La volonté d’en finir avec la maladie comme symptôme anthropologique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2021 – 2, n° 19. varia - Auteur : Giocanti (Sylvia)
- Pages : 23 à 37
- Revue : Éthique, politique, religions
La volonté d’en finir avec la maladie, comme symptôme anthropologique
Je voudrais soutenir une thèse paradoxale : que la maladie de l’homme pour Montaigne est de ne pas s’accepter comme nécessairement malade, c’est-à-dire, dans le cadre d’une anthropologie où l’homme « n’a aucune communication avec l’être » (II, 12, 601A1), de ne pas s’accepter comme voué à l’instabilité, au déséquilibre, à un état de « défaillance à être » qui ne voue pas nécessairement à ce qu’on appelle d’ordinaire mal-être, ou malaise.
Ce en quoi cette question de la maladie de l’homme, en un sens large qui intègre son acception métaphysique, confronte au scepticisme philosophique de Montaigne : c’est dans une philosophie où l’on considère que l’homme n’a aucune consistance ontologique, aucune qualité substantielle, où par conséquent l’étalon de la santé, du bon état du corps et de l’esprit, n’est plus la plénitude de l’être, et où la maladie ne désigne plus le manque d’être, que la maladie peut s’apparenter au refus de la reconnaissance de soi comme définitivement vide, creux, et la santé à l’acceptation de l’agitation et de la jouissance de voluptés passagères. Le traitement sceptique de la maladie par Montaigne est indissociable d’une prise de position polémique caractéristique du scepticisme, qui se constitue contre l’orthodoxie dominante, c’est-à-dire ici contre les esprits « maladif[s], rabat-joie » (III, 13, 1106C) – dont le parangon est sans doute Augustin – qui, soutenant que seules la solidité et stabilité sont désirables2, fustigent toute forme de vagabondage et de versatilité, et ainsi empoisonnent l’esprit en inculquant le dégoût de soi.
24À cet égard, Montaigne nous invite à un renversement axiologique entre santé et maladie qui en fait un précurseur de Nietzsche, comme critique des « contempteurs du corps ». Montaigne est d’ailleurs salué par le philosophe allemand pour sa pétulance d’esprit et de corps3, qui tient moins à l’idiosyncrasie de l’essayiste, qu’à la mise en perspective de l’existence qu’il opère à partir d’un esprit et d’un corps vivants que l’on peut dire « sains », tant qu’ils épousent le mouvement des désirs et s’emploient à accompagner leurs variations, y compris dans la traversée des maladies.
Mais pour prendre la mesure de la fécondité de cette définition paradoxale de la santé qui n’exclut pas la maladie, mais la comprend en elle, il convient de revenir à l’expérience néo-pyrrhonienne de l’anomalia, telle qu’elle est transposée dans l’anthropologie des Essais et mise au service d’une éthique qui invite à ne jamais chercher le salut en-dehors de soi.
L’anomalia ou la généralisation de la maladie
comme condition de l’homme
L’anomalia ou irrégularité irréductible à l’unité d’une norme est au fondement du néo-pyrrhonisme4. Cette notion est capitale pour comprendre le scepticisme ancien de Sextus Empiricus et le scepticisme moderne de Montaigne, car elle inscrit ce qui échappe à la norme, et par conséquent l’anormal, l’anomalie, le pathologique, au cœur de l’expérience commune de soi et du monde. Ainsi, Montaigne décline en français ce qui correspond au concept grec d’anomalia en qualifiant le mouvement matériel et corporel propre à la vie – « action imparfaite de sa propre essence et déréglée » (III, 9, 988B) – d’« inégal, irrégulier et multiforme » (III, 3, 819B). Précisons que l’ensemble de ces termes privatifs ne renvoie pas à une aspiration à la règle, à l’unité et à l’identité de soi qui définiraient la santé, mais au contraire à ce qui, dans l’expérience ordinaire, 25se soustrait à un ordre qui n’existe que dans notre imagination, dans la représentation imaginaire d’une forme unifiée et unique qu’il ne faut pas chercher à introduire en nous, sous peine de nous gâter l’existence. Aussi Montaigne ajoute-t-il qu’il s’emploie « à servir la vie selon elle » (III, 9, 988B), c’est-à-dire dans son imperfection, sa difformité, son irrégularité, dans la différence à soi qu’introduit la variation par rapport à un état précédent. La condition de l’homme qui définit son cadre normal de vie intègre donc l’écart par rapport à la norme comme son ordinaire : ce qui est ordinaire est la transformation, le changement de forme qui introduit de la dissemblance à soi, un devenir autre dans le passage5, un perpétuel déséquilibre qui constitue une transition d’un état à un autre ne cadrant pas avec les normes, et qui pour cette raison est associé à la maladie.
En ce sens, on peut dire que, pour Montaigne, ce que nous appelons « maladie » et dont nous cherchons à nous guérir, correspond au contraire à un état normal et naturel : « Nous ne sommes jamais sans maladie ». (II, 12, 569B). Il convient de méditer cette déclaration. Certes, elle est extraite d’un texte qui développe les conséquences de l’altération de tout jugement dans la perception de la réalité, en ce qu’il se fonde sur l’impression, et de ce fait ne nous délivre jamais l’être de manière pure, non mélangée. Mais ce contexte est une confirmation de l’universalité de la maladie, de la confrontation première au dérèglement (ou débordement) par rapport à la règle, de ce qui va de travers par rapport à ce qui va droit. Par exemple, notre désir est tellement irrésolu et incertain, qu’il n’entre pas dans un rapport d’adéquation avec son objet, méconnu, si bien que sa prise est toujours « malade et déréglée » (I, 53, 309A). De même, la vertu, aussi « éminente et gaillarde » soit-elle, n’est jamais en nous sans quelque agitation et dérèglement (II, 12, 567A). Autre exemple : les actions des hommes n’obéissent pas à une règle de conduite. Elles ne font que traduire leur inconstance, si bien que, pour remédier à leur incohérence, les historiens doivent agencer artificiellement celles des grands hommes dont ils dressent le portrait hagiographique6. Quant 26à la raison elle-même, si son dérèglement est plus difficile à découvrir, c’est parce qu’« elle va toujours, et torte, et boiteuse, et déhanchée, et avec le mensonge comme avec la vérité » (II, 12, 565A). La raison est au cœur du dérèglement de notre esprit qui, à l’image de notre corps, et dans son sillage, se confronte sans cesse à quelque chose en lui qui « tire de travers », qui dévie par rapport à une règle imaginaire, rêvée plus qu’existante :
Si l’apoplexie assoupit et éteint tout à fait la vue de notre intelligence, il ne faut pas douter que le morfondement [rhume] ne l’éblouisse ; et, par conséquent, à peine se peut-il rencontrer une seule heure en la vie où notre jugement se trouve en sa due assiette, notre corps étant sujet à tant de continuelles mutations, et étoffé de tant de sortes de ressorts, que (j’en crois les médecins) combien il est malaisé qu’il n’y en ait toujours quelqu’un qui tire de travers (ibid.).
Ce n’est pas qu’il n’y ait aucune différence entre la norme et la déviation, la règle et le dérèglement, le normal et le pathologique. C’est plutôt que l’opposition que l’on veut exprimer ne renvoie pas toujours à une réalité existante (la santé comme vie dans les normes). Les différences éprouvées réellement renvoient surtout à des différences de degrés, à des écarts par rapport à un état antérieur, et non à un état de stabilité, d’équilibre, d’harmonie, de plénitude, qui définirait la santé. En d’autres termes, du point de vue de Montaigne, ce que l’Organisation Mondiale de la Santé définit aujourd’hui comme la santé, c’est-à-dire « un état de complet bien-être corporel, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité7 », relève d’un fantasme d’une vie selon des normes, dont nul homme n’a jamais fait l’expérience ordinaire. L’ordinaire de la vie humaine est bien plutôt le déséquilibre, l’inconstance, l’instabilité, termes qui qualifient notre état de manière irrémédiable.
Non pas que l’homme soit incurable, au sens où il serait un cas « désespéré ». Au contraire : dans la mesure où la condition humaine inscrit en elle le pathologique, il ne convient pas d’attendre de l’homme qu’il exprime par son mode de vie l’agencement harmonieux d’une nature qui ne se rencontre sous aucun de ses aspects possibles (physique, 27psychique, intellectuel), et qui nous est par conséquent étrangère. Il n’y a pas de désespoir du sceptique face au constat de l’incurable, mais une révision sceptique de la conception de la maladie dans le sens de la modération et de la relativisation. Lorsque « la maladie universelle est la santé particulière » (III, 9, 961B), la guérison ne se comprend plus comme réforme ou purification d’une nature corrompue, en référence à une nature première idéalisée qui servirait de norme, mais relativement à un état ordinaire de toute façon détraqué. Toute conception outrée de la maladie va de pair avec des thérapies qui s’autorisent à faire violence à l’homme pour le « remettre sur pied », après avoir tenté d’en extirper tous les maux. À l’inverse le scepticisme de Montaigne, qui considère que « naturellement rien ne tombe là où tout tombe » (ibid.), promeut une santé qui s’apprécie « dans le passage », et procède d’un aménagement de la maladie dans la douceur.
La thérapie sceptique comme acceptation
de la maladie ordinaire de l’homme
Montaigne ne nie pas l’existence de maladies qui perturbent notre train accoutumé et nous affectent un certain temps. Leur traitement consiste à ne pas y accorder trop d’importance, à adopter à leur égard une saine nonchalance, sans s’impatienter. C’est le sens de « on doit donner passage aux maladies » (III, 13, 1088B). Mais il ne faut pas s’y méprendre : ces maladies passent sans pour autant nous débarrasser de la maladie en général, comprise comme condition de l’homme. Montaigne écrit dans les mêmes pages que les maux sont consubstantiels à notre vie, mêlés aux biens, d’une manière qui apparente notre vie à une maladie, c’est-à-dire à un perpétuel déséquilibre, à un passage incessant d’un état à l’autre qui n’est pas ordonné par autre chose que le retour au non-être dont nous sommes issus : « nous sommes pour vieillir, pour affaiblir, pour être malades, en dépit de toute médecine » (III, 13, 1089B).
Mais il n’y a pas de quoi s’en dépiter, dans la mesure où il y a une manière de vivre cette condition maladive qui est pleine de vitalité, si on sait s’y appliquer de telle sorte qu’elle soit non seulement viable 28(compatible avec le désir de persévérer dans l’existence), mais aussi appréciable : « Les maux ont leur vie et leurs bornes, leurs maladies et leur santé ». (III ; 13, 1088B-C). Il y a une santé des maux, une manière d’en user sans s’y fixer qui permet précisément de passer à autre chose, et de ne pas avoir à en souffrir outre mesure. C’est à l’aune de l’importance du passage comme aptitude que Montaigne analyse la vieillesse comme « une puissante maladie, et qui se coule naturellement et imperceptiblement » en nous (III, 2, 817B). La vieillesse est trompeuse, car en raison de la rigidité qui la caractérise, elle donne l’apparence de la santé et de la vertu, du moins telle qu’elles sont définies par les philosophes dogmatiques. Mais en vérité, la vieillesse se caractérise plutôt par son incapacité à l’intempérance, et de manière plus générale son incapacité au débordement de la mesure, faute de puissance. Ce qui est redoutable en elle n’est pas le dérèglement, mais l’inaptitude à la variation par rapport au train accoutumé, inaptitude qui rigidifie le mouvement de la vie et conduit à la stupidité, sorte d’engourdissement généralisé du corps et de l’esprit (III, 5, 841). La vieillesse est une maladie naturelle qui met peu à peu dans l’incapacité à jouir du monde, et préfigure la mort, état où plus rien ne se passe pour nous ou en nous. « Notre vie n’est que mouvement », et comme Pascal lui-même le reconnaîtra plus tard, mais seulement au sujet de la seconde nature (déchue), « le repos entier est la mort8 ». Est pathogène ce qui nous empêche de nous tenir dans le passage, nous qui ne pouvons qu’aller de l’avant, et qui avons tout intérêt à chercher à passer « avec contentement9 », sans nous malmener.
Or, se malmener, après s’être appliqué à s’accuser de ses joies sous l’impulsion d’un esprit déréglé10, c’est chercher à guérir l’homme de son instabilité et inconstance, pour tenter de réaliser sa nature sous une forme idéalisée (le repos dans l’être) à l’aune de laquelle chacun est enclin à déprécier comme maladives toutes les manières d’« être à soi » dans le passage.
Il ne faut donc pas confondre la nonchalance sceptique par laquelle il convient de donner passage aux maladies qui atteignent l’homme, avec la thérapie qui consiste, pour guérir de l’homme, à « le prendre en grippe », 29à l’exhorter à nonchaloir de lui-même. Montaigne dénonce sans ambages, dans plusieurs passages des Essais, et tout particulièrement dans ceux qui concernent le traitement du corps, cette manière perverse de prendre soin de soi, alors même qu’« il n’y a pièce indigne de notre soin en ce présent que Dieu nous a fait, [que] nous en devons compte jusqu’à un poil » (III, 13, 1114B). À l’inverse du souci de soi qu’il se doit, l’homme trop souvent s’inflige un mauvais traitement symptomatique d’une dénaturation mentale par laquelle il évite une santé dont il est pourtant capable de jouir, s’il ne choisit pas de cultiver la haine de soi. Telle est notre maladie la plus sauvage : au lieu de s’accepter tel qu’on est, on fait passer le refus de l’humanité comme le signe d’une parfaite santé : « C’est une maladie particulière, et qui ne se voit en aucune autre créature, de se haïr et dédaigner. C’est de pareille vanité que nous désirons être autre chose que ce que nous sommes » (II, 3, 353A). « De [parmi] nos maladies, la plus sauvage, c’est mépriser notre être » (III, 13, 1110B). La source de cette maladie qui consiste à refuser la maladie ordinaire de l’homme est le refus par l’esprit de notre condition comme « merveilleusement corporelle11 ». Notre corps, pourtant marié avec l’esprit, et par conséquent pouvant s’attendre à être assisté par lui et à en être chéri, est malaimé et maltraité par son époux12. C’est pourquoi les exemples qui suivent la déclaration « nous estimons à vice notre être » (III, 5, 879C) se réfèrent tous à la honte qu’il y a à avoir une vie corporelle, à manger en public par exemple.
Mais l’exemple le plus éloquent pour Montaigne, comme l’illustre l’ensemble du chapitre iii, 5, est sans aucun doute tout ce qui relève du dégoût affiché pour la sexualité, par laquelle la nature, en captivant l’esprit au moyen du corps, a apparié « les fols et les sages, et nous et les bêtes » (III, 5, 877B).
Pour Montaigne, pourtant, l’homme n’est pas malade par la faute de son corps, de son exposition aux pathologies corporelles ou encore de la sensualité née du corps. Sa maladie est bien une maladie de l’esprit, et elle consiste à refuser l’appartenance de l’esprit à la vie corporelle, à l’animalité de l’homme, qui lui permet pourtant de se sentir dans un état de santé satisfaisant, à partir des joies qu’il éprouve dans sa chair. Cette maladie, qui consiste à prendre une perspective horrifiée 30sur l’humanité, relève même selon lui d’une pure vue de l’esprit. Qui d’autre que l’esprit, drapé dans sa dignité, peut ainsi mépriser le corps, en jugeant ses voluptés dégradantes, et se sentir souillé par son influence, au point de chercher par des pratiques ascétiques à s’en séparer ?
La critique sceptique de la présomption attachée à l’esprit vise aussi cette culture du mépris du corps qui, lorsqu’elle a contaminé l’homme dans son ensemble, empoisonne son existence. Elle se donne donc aussi pour but la réhabilitation du corps dans le rapport à soi et à autrui.
C’est à ce titre que dans Le déni de savoir, Stanley Cavell considère les déclarations montaniennes que l’on trouve dans le chapitre iii, 5 comme un remède à la maladie de l’inhumanité – ce qu’il appelle le refus de l’humain– dont est atteint Othello, l’époux jaloux qui tue sa femme qu’il croit infidèle. Et il se réfère explicitement à ce texte13 :
[…] toutes gens fanatiques qui pensent honorer leur nature en se dénaturant, qui se prisent de leur mépris et s’amendent de leur empirement. Quel monstrueux animal qui se fait horreur à soi-même, à qui ses plaisirs pèsent, qui se tient à malheur ! Il y en a […] qui évitent la santé et l’allégresse comme qualités ennemies et dommageables. […] Nous ne sommes ingénieux qu’à nous malmener : c’est le vrai gibier de la force de notre esprit, dangereux outil en dérèglement ! (III, 5, 879C-B)
Toutefois, le remariage entre l’esprit et le corps auquel exhorte Montaigne ne se donne pas directement pour but, comme le Nietzsche de la 3e dissertation de la Généalogie de la morale – auquel se réfère conjointement Cavell – de lutter contre un idéal ascétique. Il cherche plutôt à lutter contre la « maladie naturelle et originelle » (II, 12, 452A) de l’homme, enracinée dans son esprit : la présomption.
Or, la présomption n’est pas tout à fait l’orgueil, et encore moins, comme ce sera le cas chez Pascal, la représentation d’une grandeur perdue dont l’homme aurait la nostalgie légitime. La présomption naît de la conception de notre nature comme supérieure à celle des autres êtres naturels, conception à partir de laquelle l’homme « prend titre d’être » (II, 12, 526B), alors même que cette conviction de sa supériorité n’est 31conforme à aucune expérience de soi, puisqu’elle ne repose que sur le langage, et qu’elle conduit dans les faits, en-dehors des discours, non pas à la gloire, mais à la haine de soi.
Le scepticisme comme remédiation
à la maladie du dépassement de soi
Le scepticisme met en évidence ce qui passe inaperçu, tant il nous est devenu familier : un délire, autant entretenu par les philosophies antiques que les pratiques religieuses, qui abîme l’homme en le confortant dans une représentation de lui-même qui ne correspond à rien dans son existence et qui, du point de vue qui nous intéresse ici (la maladie), ne le conduit pas seulement à mépriser les autres êtres naturels comme étant de nature inférieure, mais également introduit un rapport vicié à soi qui empêche de se maintenir en santé, d’entretenir un rapport sain qui repose sur l’acceptation et non la dépréciation de sa condition. La présomption est pour l’homme une maladie qui le dispose à vouloir surmonter sa finitude en sortant de lui-même pour s’élever par ses propres moyens vers une perfection divine qui le rendrait invulnérable :
Ô la vile chose, dit-il [Plutarque], et abjecte que l’homme, s’il ne s’élève au-dessus de l’humanité ! Voilà un bon mot et utile désir, mais pareillement absurde. Car de faire la poignée plus grande que le poing, la brassée plus grande que le bras, et d’espérer enjamber plus que l’étendue de nos jambes, cela est impossible et monstrueux. Ni que l’homme se monte au-dessus de soi et de l’humanité : car il ne peut voir que de ses yeux, ni saisir que de ses prises (II, 12, 604).
Ce qui est « absurde », selon le terme du texte, est de vouloir chercher du sens en-dehors de soi, au-delà de ce que son corps peut saisir (par ses yeux, ses mains, ses jambes, ses bras). Le meilleur pour l’homme n’est pas de chercher à se dépasser lui-même, pour trouver du sens à son existence. On s’assainit au contraire en suivant les dispositions du corps, en contrant cette « maladie de la transcendance » qui consiste à s’employer sans relâche à s’échapper à soi-même, à calomnier la nature humaine, en tentant de se donner pour mesure la démesure, pour ensuite 32s’accuser d’avoir manqué à se hisser au-dessus de soi. La présomption n’est pas assimilable au délire des grandeurs propre à l’orgueil, en ce qu’elle conduit l’homme à « s’ordonn[er] à soi-même d’être nécessairement en faute » (III, 9, 990C), à se reprocher de manquer de grandeur, et par conséquent à souffrir de cette maladie des scrupules et de la culpabilité dont Montaigne (comme Descartes après lui, d’ailleurs) est ennemi14.
Or, loin d’apparaître comme une modalité de la fuite de soi, la présomption a été ennoblie par la tradition philosophique (jusqu’à Heidegger qui met au cœur de sa métaphysique la structure extatique du Dasein), à titre de sortie vénérable de soi, en termes de « transcendance », d’« extase », condition d’un arrachement libre à soi qui en garantirait l’authenticité. Rien de tel pour Montaigne, pour qui il s’agit toujours de vouloir échapper à sa condition et même à nos conditions – car la condition humaine se décline au pluriel, à partir des potentialités indéfinies d’usage de soi – en refusant tout usage de soi :
C’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. Nous cherchons d’autres conditions, pour n’entendre l’usage des nôtres, et sortons hors de nous, pour ne savoir quel il y fait. Si avons-nous beau monter sur des échasses, car sur des échasses encore faut-il marcher de nos jambes. Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes-nous assis que sur notre cul (III, 13, 1115B-C)15.
Une fois encore, être ramené à terre, c’est ne pas oublier sa corporéité, ni la quête d’un bon ou d’un mauvais usage de soi dans le passage. Vivre renvoie à une manière de se tenir selon les aptitudes de son corps à se maintenir en santé, mais aussi au consentement ou au refus des plaisirs et peines qu’il peut nous offrir, grâce à cette force qu’est aussi la sensibilité16. On trouve ici confirmation que la jouissance loyale de soi suppose d’accepter que l’être vivant que nous sommes est pris dans le sensible et voué à se contenter de plaisirs de cet ordre, aussi vains soient-ils. S’arc-bouter contre expose à l’inhumanité.
Ainsi, le refus de l’humanité par Othello, qui le conduit à la maladie mentale, repose en dernière instance, selon l’analyse de Stanley Cavell, 33sur le dégoût de la sensualité, qui serait incompatible avec sa grandeur. Ce personnage shakespearien s’offre pour cette raison comme une figure symptomatique de ce dérèglement de l’esprit analysé par Montaigne : l’homme s’applique à s’accuser de joies17 [dont le défaut de pérennité serait avilissant] par rapport à un besoin présumé d’une félicité éternelle, que seule la justification métaphysique de l’existence, elle-même liée à l’exhibition d’un fondement excédant l’humain, pourrait lui procurer. L’homme est malade en ce qu’il refuse d’essayer de se tenir dans un monde incertain, un monde proprement humain, où l’on s’en remet aux témoignages des sens, sous le contrôle de la raison, qui elle-même s’éclaire au moyen de conjectures, de vraisemblances. Puisque vivre, c’est user de soi dans le passage, passer d’un état à l’autre au gré de nos transformations successives, il y a une manière d’« aller bien » au sens aussi de « se laisser aller18 » ; et inversement une manière « d’aller mal », en se tenant mauvaise compagnie, en s’évertuant à se malmener et tourmenter. Le mal-être est inévitable pour celui qui se soumet à cette exigence irréalisable d’aller au-delà des apparences, qui ne se contente pas de ce qui s’offre à lui au hasard des rencontres, et exige de normer sa vie sur ce qui est immuable, ne passe pas, donne prise.
Le scepticisme de Montaigne, par cette prise de conscience qu’il rend possible, s’offre comme un remède à une maladie dont est atteinte l’humanité.
Scepticisme thérapeutique, scepticisme pathologique, de Montaigne à Descartes (augustinisé)
Mais certains philosophes, à l’inverse, associent le scepticisme à une maladie persistante, y compris après avoir lu Montaigne. Ainsi, Emerson, qui selon ses propres termes, a été « autrefois tellement ravi par Montaigne, qu’[il] ne croyai[t] plus avoir besoin d’aucun autre livre19 », a finalement 34été reconduit à l’inconsistance des choses du monde, non pas en un constat libérateur, mais dans le cadre d’une expérience insoutenable. Dans « De l’expérience », essai qui reprend le titre du dernier chapitre des Essais de Montaigne, il considère en se référant au texte de Plutarque cité par Montaigne à la fin de II, 12, texte selon lequel vouloir empoigner de l’être, c’est vouloir empoigner de l’eau, que « cette évanescence et ce caractère insaisissable de tous les objets, qui les laisse glisser entre nos doigts au moment où nous les agrippons le plus durement, est la partie la plus ignoble de notre condition20 ».
La maladie dont est atteint Emerson et que l’on peut diagnostiquer à partir de cette déclaration sur le caractère ignoble de notre condition, assimilable à une existence marquée par la chute21, est le symptôme d’une autre forme de scepticisme, un scepticisme non vitaliste (comme l’est celui de Montaigne), mais morbide. Ce scepticisme malheureux, et même désespéré, tel qu’il s’est constitué à partir de Descartes, après avoir été préfiguré par Augustin – qui introduit la notion de « crise » sceptique – s’apparente à une quête éperdue de certitude, qui conduit à chercher au-delà de ce monde la validation de sa propre existence.
Cette forme de scepticisme, que retiendra la philosophie contemporaine, est une maladie proprement philosophique, parce que, même si elle repose sur une aspiration à des formes de certitude qui excèdent notre condition, aspiration que l’on peut rencontrer en dehors de la philosophie, elle déploie un rapport (caractéristique de la philosophie) complètement intellectualisé au monde et à soi-même, par le biais d’une exigence de connaissance22. C’est donc une pathologie proprement philosophique, en ce qu’elle transforme en une prescription intellectuelle une angoisse métaphysique, qu’elle intègre la quête d’une justification que certains recherchent en Dieu, ou du moins dans des principes transcendants, dans une philosophie première. Montaigne écrivait au sujet de ces vains efforts métaphysiques : « Ces humeurs transcendantes m’effraient, comme les lieux hautains et inaccessibles, et rien ne m’est à digérer fâcheux en la vie de Socrate, que ses extases et démoneries » (III, 13, 1115C).
35De cette pulsion de l’humanité à remédier à ce qu’elle vit comme un manque d’être dans un mouvement de transcendance, Montaigne se défie toujours, car ce mouvement vise à enjamber l’humanité, en quête d’une « vacuité glacée du sublime23 » aussi élevée que rebutante – du moins pour ceux qui ne sont pas fâchés avec eux-mêmes – et qui est la plupart du temps source d’outrances comportementales qui autorisent à mépriser l’homme, à le tourmenter, le violenter, et à le détruire. Le scepticisme de Montaigne irait donc plutôt dans le sens d’une remédiation à tout ce qui en l’homme le pousserait à se transcender lui-même, en proposant de contrarier cette aspiration intellectuelle morbide vers l’insensibilité, qui en vérité abîme l’homme, par un mouvement de désublimation ou si l’on préfère de « détranscendance » qui rappelle à la vie du corps : « Moi, qui ne manie que terre à terre, hais cette inhumaine sapience qui nous veut rendre dédaigneux et ennemis de la culture du corps » (III, 13, 1106B).
La philosophie est donc concernée au premier chef lorsqu’il s’agit de se pencher sur les pathologies intellectuelles qui développent la tendance à la déshumanisation de l’homme, parce que cette tendance correspond non seulement à des mouvements dogmatiques qui tendent à spiritualiser l’existence, mais aussi à une forme de scepticisme outré, à laquelle Montaigne répond par anticipation, mais qui se développera ultérieurement, non pas tant pour être revendiquée pour elle-même, mais comme figure repoussoir qui hante l’histoire de la philosophie comme une menace, celle d’une crise du doute, qui se présente soit de l’extérieur, soit de l’intérieur, et qui s’apparente à une sorte de folie de l’esprit dans la perte de confiance en lui-même. Dans ce cas, il va de soi que le scepticisme n’apparaît pas comme une thérapie, comme c’était le cas de Sextus Empiricus24 à Montaigne, mais au contraire comme une pathologie.
D’Augustin25 à Stanley Cavell, en passant par Jean de Salisbury, Descartes, Pascal, Hume, Kant, Hegel, le psychologue Théodule 36Ribot26, Royer-Collard, Jouffroy, Charles de Rémusat, Auguste Comte, R. H. Popkin, et même Hans Blumenberg, la philosophie sceptique tout entière est abordée à partir de la maladie mentale, et les doutes sceptiques pensés à partir de la métaphore d’une contamination qui empêche le rétablissement de la santé.
Certes, ce n’est pas étonnant, puisque tirant les leçons de Sextus Empiricus, selon lequel la vie humaine confronte sans cesse à l’irrégularité, le sceptique moderne estime que « nous ne sommes jamais sans maladie ». Mais, pour Montaigne, l’équilibre se trouve non pas en dépassant l’anomalie, mais en son sein, par exemple en pensant le lien social à partir d’un agencement aléatoire et vicieux (III, 9, 956-957). Désormais, ce sont ceux qui estiment que l’on peut vivre dans la certitude et ne prennent pas la mesure de l’incertitude de notre condition, qui témoignent d’un dérangement mental : « L’impression de la certitude est un certain témoignage de folie et d’incertitude extrême » (II, 12, 541C). Comme le reformulera plus tard Nietzsche en analysant un autre grand personnage shakespearien, Hamlet, « ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou27 ». Or, une telle manière sceptique de voir les choses suppose de reconnaître la conduite humaine comme mettant, de manière ordinaire, à l’épreuve de l’instabilité, d’un état qui échappe à la norme, à l’organisation harmonieuse, et par conséquent expose d’une manière structurelle au malaise et à la maladie.
Ceux qui ne souscrivent pas à cette analyse sceptique ne supportent pas l’idée que tous les hommes soient plus ou moins malades, et encore moins l’idée que le plus grave soit de ne pas reconnaître la maladie inhérente à l’homme. Par réaction, ils reprochent au sceptique d’être le porte-parole d’une pensée morbide – d’une vision du monde comme incertain, branlant – susceptible de contaminer les esprits. Le sceptique n’est plus alors celui qui pense la maladie de l’homme normal, mais celui à qui on fait endosser la responsabilité d’une désintégration spirituelle 37et sociale portée par sa manière de voir les choses comme surgissant dans l’irrégularité, avant d’être soumises arbitrairement à des normes. Le scepticisme devient alors synonyme d’une pathologie intellectuelle qui, par son obstination à douter du caractère absolu de la normativité et par conséquent des valeurs, porte les germes de la dissolution de la pensée et du lien social. La consécration dogmatique du scepticisme fait de cette philosophie, selon les termes d’Auguste Comte, « une sorte de perturbation maladive, qui ne saurait se prolonger sans de graves dangers au-delà des limites naturelles de la crise correspondante28 ».
À cette figure morbide d’un scepticisme qui gangrène la philosophie, figure engendrée par la réception dogmatique du scepticisme, on peut donc opposer la figure thérapeutique du scepticisme de Montaigne qui, à partir de la reconnaissance de la précarité de tout état de l’esprit et du corps, admet la maladie non comme une figure maléfique qu’il faudrait vaincre, mais comme l’un des degrés de déséquilibre que traverse tout être humain, à partir du moment où il accepte de vivre dans le passage. L’homme se comprend mieux en effet si on représente sa santé particulière à partir de la maladie universelle (la branloire pérenne du monde) : l’homme est exposé à un perpétuel dérèglement qui tient au fait que le devenir dans lequel il est pris n’exprime pas des règles de la nature qui seraient connaissables et définiraient la normalité, mais seulement des fréquences plus ou moins grandes, et des possibilités de régulations, qu’il lui appartient en partie d’inventer, pour se maintenir dans le passage, en entretenant au mieux sa vitalité, cette pétulance (Muthwillen) du corps et de l’esprit, et cette sérénité (Heiterkeit) communicative propres à Montaigne, selon Nietzsche29.
Sylvia Giocanti
Université Paul Valery – Montpellier
1 Nous modernisons l’orthographe de l’édition Villey. Les italiques sont toujours de notre fait.
2 Augustin, Du libre-arbitre, Livre III, § 23, in Œuvres, I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1998, p. 509 : « Il désire d’être quiet, c’est-à-dire qu’il désire être davantage ». Cf. De la vie heureuse, § 8, p. 94 : « N’est rien tout ce qui s’écoule, se dissout, fond, et en somme, meurt sans cesse. »
3 Nietzsche, Ecce homo, « Pourquoi j’en sais si long », § 3, traduction A. Vialatte, Paris, éditions 10/18, 1988, p. 45.
4 Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, livre I, (4), 12. Cf. livre III, (24), 235, traduction P. Pellegrin, Paris, éditions du Seuil, 1997.
5 Voir Essais, II, 12, 601 où l’homme est englobé dans tout ce qui devient entre le naître et le mourir, et le célèbre passage de III, 2, 805, où Montaigne se propose de se peindre « dans le passage ».
6 Cette idée unifie l’ensemble du chapitre ii, 1 des Essais intitulé « De l’inconstance de nos actions ».
7 Voir le préambule à la Constitution de l’OMS (Actes officiels de l’Organisation Mondiale de la Santé, no. 2, p. 100), adopté par la Conférence internationale sur la Santé (New York, 19-22 juin 1946), signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États, et entré en vigueur le 7 avril 1948.
8 Voir respectivement Montaigne, Essais, III, 13, 1095 et Pascal, Pensées, frag. 641 (Lafuma) : « Notre nature est dans le mouvement, le repos entier est la mort ».
9 « Je ne cherche qu’à passer […] je dis passer avec contentement » (III, 9, 949B).
10 « O miseri ! quorum gaudia crimen habent ! » (Ô malheureux, qui de leurs plaisirs se font un crime !) (III, 5, 879B).
11 « C’est toujours à l’homme que nous avons affaire, duquel la condition est merveilleusement corporelle » (III, 8, 930B).
12 Voir le texte de II, 17, 639, qui file la métaphore maritale.
13 Le texte du Déni de savoir de Stanley Cavell se trouve aussi dans Les voix de la raison, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 704-705 : « Ce que l’on pourrait appeler la philosophie, ou la morale, de la pièce semble entièrement contenue dans cet essai de Montaigne intitulé ’Sur des vers de Virgile’, et tout particulièrement dans la remarque : ‘Quel animal dénaturé, qui se fait horreur à soi-même, à qui ses plaisirs pèsent, qui se tient à malheur ! ‘ »
14 Voir Montaigne, Essais, III, 2 (« Du repentir »).
15 Telle est la conclusion des Essais.
16 Voir Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, § 62, Paris, Vrin, 1988, traduction M. Foucault, p. 97 : « La sensibilité est une faculté et une force qui livrent accès à un état de plaisir comme de déplaisir ou qui en protègent l’esprit ».
17 Voir III, 5, 879.
18 « Je ne cherche qu’à m’anonchalir et avachir » (III, 9, 954C).
19 Voir Emerson, « De l’expérience », texte publié en annexe de S. Cavell, Qu’est-ce que la philosophie américaine ?, Paris, Gallimard, folio essais, 2009, p. 510.
20 Ibid., p. 507. C’est moi qui souligne.
21 Ibid., p. 522 : « Elle est très malheureuse, mais il est trop tard pour y rien changer, cette découverte que nous avons faite : que nous existons. Cette découverte s’appelle la Chute de l’homme ».
22 S. Cavell, Le déni de savoir dans six pièces de Shakespeare, introduction, éditions du Seuil, Paris, 1993, p. 16-17.
23 S. Cavell, « Décliner le déclin. Wittgenstein, philosophe de la culture », Qu’est-ce que la philosophie américaine ?, op. cit., p. 78.
24 Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, Livre III, 32 [280] : « Le sceptique, du fait qu’il aime l’humanité, veut guérir, autant qu’il le peut, par la puissance de l’argumentation, la présomption et la précipitation des dogmatiques ».
25 Voir Confessions, V, chap. xiv, où Augustin présente le scepticisme comme une crise qu’il traverse. Ce à quoi s’ajoute sa présentation des sceptiques de l’Académie comme des épileptiques (qui nient la lumière naturelle de la certitude rationnelle). Voir De la vie heureuse, Premier jour, § 16, Bibliothèque de la Pléiade, op. cit., p. 100.
26 Le philosophe et fondateur de la psychologie Théodule Ribot présente « la folie du doute » comme une forme pathologique d’un sentiment intellectuel : « C’est une maladie chronique de l’esprit, caractérisée par une inquiétude constante. […] C’est une interrogation sans trêve ni limites, accompagnée d’angoisse […] ». Voir La psychologie des sentiments, Partie II, chap. xi, Paris, F. Alcan, 1896, p. 366.
27 Nietzsche, Ecce homo, « Pourquoi j’en sais si long », § 4, op. cit., p. 47.
28 Auguste Comte, Cours de philosophie positive, 46e leçon, p. 48, cité par Frédéric Brahami dans La raison du peuple, Un héritage de la révolution française, 1789-1848, Paris, Les Belles-Lettres, 2016, p. 119. Voir aussi les p. 106-108 sur Jouffroy et Rémusat.
29 Nietzsche, Ecce homo, op. cit., § 3, p. 45, et Considérations inactuelles, III (« Schopenhauer éducateur »), § 2.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-12623-2
- EAN : 9782406126232
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12623-2.p.0023
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/12/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : scepticisme, anomalie, anthropologie, ordinaire, Stanley Cavell, Waldo Emerson