Photologie, linéarité et modernité politique Du geste philosophique derridien
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2018 – 1, n° 12. Politiques de Derrida - Auteur : Petteni (Oriane)
- Pages : 73 à 89
- Revue : Éthique, politique, religions
Photologie, linéarité
et modernité politique
Du geste philosophique derridien
La philosophie derridienne est traversée par des lignes. Celles-ci peuvent être tortueuses et fragmentées, comme dans le dialogue architectural avec Daniel Libeskind1, tracées aveuglément comme dans la conférence d’Orta sur le dessin2 ou encore faufilées3 comme dans le montage du documentaire D’ailleurs Derrida4. Qu’importe, sa philosophie travaille sourdement le motif linéaire et ses multiples avatars. Ce motif, soulignons-le d’emblée, ne peut être réduit à un problème uniquement esthétique ou épistémologique, mais doit également être considéré dans ses dimensions anthropologiques et politiques. La rectilinéarité a en effet représenté pour la génération postmoderne l’« icône virtuelle5 » de la modernité, scansion temporelle qu’elle s’est mis en devoir d’ausculter d’un œil et d’une oreille soupçonneux.se. L’anthropologue britannique Tim Ingold montre ainsi dans Une brève histoire des lignes6 de quelle manière la ligne droite, à l’époque moderne, s’est progressivement différenciée de l’ensemble des types de lignes et de textures striant le monde, traçant une ligne de partage avec ces dernières aussi inflexible que celles – spectrales mais bien effectives – qui séparent homme/animal, nature/culture etc. L’argument s’appuie sur une citation de l’un des pères de l’anthropologie sociale du xxe siècle, Edmund Leach. Ce dernier affirme en effet que :
74La nature visible et sauvage est un fouillis de courbes aléatoires ; elle ne contient aucune ligne droite et peu de formes géométriques régulières. En revanche, le monde de la Culture, domestiqué et fabriqué par les hommes, est rempli de lignes droites, de rectangles, de triangles, de cercles et ainsi de suite7.
Dans cette mesure, il est déjà possible d’imaginer l’enjeu considérable que représente un travail sur ce motif pour qui souhaite interroger les strictes lignes de partage dualiste organisant les textes de la tradition. D’un point de vue méthodologique, notons que chez Derrida un motif récurrent, symptomatique d’un corpus particulier de textes ou d’une scansion temporelle spécifique de l’histoire de la philosophie, ne peut jamais être compris de manière isolée mais doit bien plutôt être réintroduit dans l’ensemble de la chaine conceptuelle qu’il charrie avec lui. Dans le cas du motif linéaire, il se décline non seulement dans un très grand nombre de domaines (la ligne graphique, la ligne mélodique, la lignée biologique, la droite géométrique, la ligne optique pour ne citer que les principales) mais revêt également des formes multiples (ligne droite, courbe, pointillée, circulaire etc.). Par conséquent, suivre les tracés de ces différentes lignes implique nécessairement de parcourir transversalement plusieurs champs de connaissance, sans qu’il soit possible de tracer une frontière ferme entre eux, tant la pensée derridienne s’oppose au protectionnisme disciplinaire. En ce sens, les effets produits par la déconstruction dans divers champs, et notamment dans le champ politique, seront inséparables du type de geste qu’elle inaugure en philosophie et qui se répercutera sur l’ensemble des domaines dans lesquels elle opère. Ce geste, comme nous le montrerons, s’attaque à un certain type de linéarité et passe dans un premier temps par une réflexion sur la facture de sa propre textualité. Les textes derridiens, dont on ne peut que constater la forte rupture stylistique d’avec un certain standard philosophique, sont en effet organisés de manière à résister à la tentation d’une interprétation unique et surplombante qui détiendrait une « clef » de lecture, n’en déplaise à l’inspecteur Dupin d’un certain Lacan8, ou une signification originaire, arche phallique et verticale autour de laquelle s’articulerait la gerbe des signifiants pour reprendre l’image convoquée dans Glas9. Cet ouvrage, pièce maitresse de la confrontation 75derridienne à la philosophie hégélienne, inaugure les expérimentations textuelles des années suivantes, comme par exemple le célèbre Chora L work10 réalisé en collaboration avec l’architecte Peter Eisenman ou encore les définitions produites à l’occasion de l’exposition de Lyotard, « Les Immatériaux11 ». Or, tout l’enjeu de ces expérimentations graphiques, phoniques et textuelles consiste bien à composer12 (au sens musical du terme) un texte imprenable à l’aide – dans le cas du premier ouvrage – d’un dispositif en colonne qui tout à la fois linéarise les deux commentaires disposés parallèlement sur la page (à gauche celui sur Hegel, à droite celui sur Genêt), mais délinéarise13 également l’effet produit par chaque colonne de texte par le biais de l’espacement entre les deux, forçant le regard à un perpétuel jeu de va-et-vient chiasmatique. C’est donc tout d’abord dans le champ herméneutique et dans la pratique textuelle que la question de la linéarité (celle de la ligne graphique d’écriture) se pose chez Derrida. Ceci explique sa confrontation, dans L’Écriture et la Différence, avec la critique littéraire qui lui était contemporaine et sur laquelle nous reviendrons plus bas.
Les textes derridiens, nous venons de l’esquisser, cherchent donc, en travaillant sur la linéarité, à faire barrage à toute tentative d’appropriation – et ce terme doit être ici apprécié dans toutes ses connotations : herméneutique, politiques, économiques, coloniales ou encore psychanalytiques. La littérature secondaire14 a déjà largement analysé les enjeux d’une philosophie de la différence, qui cherche à échapper à la dialectique {d’une certaine lecture} hégélienne, envisagée comme un mouvement circulaire 76allant du même à l’autre, pour revenir au même, dans un mouvement caractéristique de digestion15 de l’altérité. Par conséquent, la réflexion sur le motif linéaire doit être pensée dans le cadre plus large du rapport ambigu à l’hégélianisme16 de la génération philosophique de la seconde moitié du xxe siècle. Dans le cas de Derrida, la réception de l’hégélianisme passe bien entendu par Hyppolite et Kojève, mais également par la médiation de Jean Wahl17, dont Derrida fut l’assistant. Le tissage en patchwork qui caractérise la facture du texte wahlien, de même que sa tendance à l’éclectisme dans l’élaboration de la trame d’un projet philosophique, ne sont sans doute pas étrangers aux traces d’une tendance similaire chez Derrida, qu’il convient de respecter afin de faire justice, non seulement au « contenu » de ses thèses, mais à la facture textuelle dans laquelle elles s’expriment. Enfin, un travail sur le motif linéaire chez Derrida, profondément lié à la métaphore optique et lumineuse, doit également être replacé dans le contexte de l’anti-oculocentrisme caractéristique de la philosophie française du xxe siècle, si l’on suit la thèse principale de l’ouvrage désormais classique de Martin Jay, Downcast Eyes, The Denigration of Vision in Twentieth-Century French Thought18.
Le motif linéaire et ses avatars
La ligne droite, nous l’avons dit en introduction, charrie avec elle tout un maillage conceptuel finement entrelacé qui la différencie et la valorise par rapport aux autres types de lignes et de textures. Dans son étude sur la philosophie cartésienne19, Jean Wahl met ainsi en correspondance 77l’objet géométrique avec la trajectoire lumineuse, alors pensée sur le mode de l’instantanéité, et garante de ce fait du Cogito. Selon l’analyse wahlienne de la physique cartésienne :
Tous les mouvements se continuent en ligne droite, puisque Dieu conserve le mouvement tel qu’il est dans l’instant présent […] les particules s’efforceront de continuer leur mouvement en ligne droite ; et la nature, suivant infailliblement la voie la plus courte, leur mouvement en ligne droite s’accomplira le plus rapidement possible. L’idée de lumière est liée étroitement par Descartes, est fondue avec l’idée de ligne droite : c’est ce seul poussement en ligne droite qui se nomme lumière20.
La ligne droite, « icone virtuelle de la modernité », est ici liée à un principe de conservation et d’économie (manière la plus courte de joindre un point à un autre) garantie par la figure paternelle divine. Bruce Baugh, dans un ouvrage relativement récent21, a mis en évidence la dette derridienne à l’égard de l’étude wahlienne dans la polémique qu’il mènera contre Foucault dans « Cogito et histoire de la folie22 » et, il s’agit ici de mon hypothèse, dans sa réflexion sur le rôle phare de la métaphore lumineuse dans l’histoire de la métaphysique. En effet, si la déconstruction derridienne travaille à luxer le mouvement rectiligne, si celui-ci informe tout un ensemble de représentations de « la pensée rationnelle et intentionnelle sur les vicissitudes du monde naturel23 » et qu’il est intimement lié à la trajectoire lumineuse, alors on comprend le rôle exorbitant que Derrida donne à cette métaphore dans L’Écriture et la Différence lorsqu’il affirme que « l’histoire de notre philosophie est une photologie, nom donné à l’histoire ou au traité de la lumière24 ». Dans le cas de sa critique de la présence pleine, celle-ci passe alors nécessairement aussi par le biais photologique dans la mesure où la conceptualisation de la conscience présente à soi hérite de son identification cartésienne à la simultanéité de la lumière. Cependant, au maillage conceptuel 78enchainant la ligne droite à la trajectoire lumineuse, il faut également ajouter la ligne optique qui conduit l’œil vers l’objet, la ligne dessinée qui délimite des surfaces sur la page blanche, ou encore la ligne généalogico-biologique (la lignée25). Nous soulignerons en effet plus bas les relations entretenues entre l’embryogenèse et une certaine idéologie politique progressiste et impérialiste liée à la trajectoire rectiligne.
Concernant la question du rapport entre lignes, lumière et visibilité, la publication relativement récente d’une anthologie26 des textes de Derrida consacrés aux arts du visible (peinture, architecture, dessin, cinéma) a permis de mettre en valeur l’importance jouée par ce domaine dans son projet philosophique. La vision offre en effet un point de vue, une perspective sur la réalité, qui, parce qu’elle est orientée selon un certain angle, sélectionne et hiérarchise nécessairement ce qui s’offre au regard, en rejetant dans l’ombre d’autres d’éléments du champ visuel. Pour voir, il faut nécessairement négliger un certain nombre de zones, qui deviennent alors des points aveugles par rapport à la surface éclairée. Pour voir, il faut également reconnaitre une forme, délimitée par des traits qui la différencient de l’espace dans lequel elle s’inscrit, ce qui en suppose une pré-connaissance. Celle-ci risque, par le processus même de reconnaissance, de plaquer un schéma prédéfini sur ce vers quoi le regard va à la rencontre. Pour voir, il faut donc pré-voir, anticiper, voir venir27. La dialectique de l’ombre et de la lumière, du clair-obscur, du vu/non-vu permet donc à Derrida de moduler ses réflexions – politiques dans d’autres pans de son œuvre comme par exemple Politiques de l’amitié28 – autour de l’inclusion/exclusion. Le grand problème de la philosophie française à l’époque, on le voit également avec Lyotard par exemple qui s’est longuement penché sur les arts visuels29, est en effet la question de la représentation politique et du rejet dans l’ombre d’un certain corpus d’individus (subalternes, 79colonisés, femmes, prolétaires) qui ne peuvent accéder à une existence publique, véritable scène éclairée de la reconnaissance. C’est dans ce cadre de réflexion politico-esthétique sur la représentation et la participation à la scène publique qu’il faut par exemple replacer la référence à Delacroix en exergue de la seconde partie de « Force et signification30 ». Le peintre romantique est en effet connu pour sa prise de position en faveur du coloris, contre le néo-classique Ingres qui défendait pour sa part la ligne dessinée31, assimilée au logos et à la droiture morale. C’est également le système représentatif innovant de Rembrandt (entre clair-obscur et matérialité des chairs) qui sous-tend la référence à Genêt dans Glas. C’est en effet au sulfureux écrivain français que Derrida consacre la colonne de droite – dont la fonction est de parasiter le commentaire du système hégélien à gauche – de l’ouvrage expérimental. La bande textuelle s’ouvre ainsi sur le texte auquel Derrida emprunte son dispositif, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, dont l’incipit met en jeu un croisement de regard avec un étranger croisé dans un train. Cet échange optique signe l’effondrement du sujet genétien qui se reconnait une identité avec l’ignoble inconnu. Le processus de reconnaissance menace ici l’intégrité de la singularité de l’observateur. Son écœurement face à cet effacement de ce qui le constitue en propre est alors décrit de manière très picturale comme une perte de « couleurs32 », comme une chute dans une monotonie monochrome empreinte de mélancolie, dans la vision paranoïaque d’une répétition formelle « à l’identique » des individus, annulant toute qualité propre.
80La critique de l’imposition d’un schéma monochrome et répétitif à la réalité, qui l’enserre dans une forme préfabriquée est reprise à un illustre prédécesseur, Hegel lui-même et sa célèbre attaque de la philosophie schellingienne dans la préface de la Phénoménologie de l’esprit33. Plus largement, la critique de l’homogénéisation de la réalité par son atomisation en des points identiques les uns aux autres ou bien par sa réduction à des rapports quantitatifs ou géométriques constitue un topos de la philosophie romantique allemande et de la critique de la philosophie d’entendement hégélienne34. Cet article n’est pas le lieu pour différencier les diverses stratégies employées par les principales figures du mouvement allemand en réaction à une épistémologie mécaniste, principalement calquée sur la physique newtonienne. Qu’on nous permette seulement d’indiquer qu’elles se dirigent en général vers une valorisation du dynamisme organique et des forces de formation à l’œuvre dans le processus vital, par opposition à la staticité glaciale du géométrisme ou du mécanisme. Derrida n’agit pas autrement lorsque dans « Force et signification », il stigmatise les représentants de l’ultrastructuralisme qui importent une épistémologie privilégiant les « modèles spatiaux », les « fonctions mathématiques35 », et une vision « préformiste36 » de l’œuvre dans leur pratique herméneutique. Le dernier terme renvoie aux polémiques embryologiques qui traversent tous le xviiie siècle européen et s’achèvent au milieu du xixe siècle. Celles-ci mettent aux prises les partisans d’une vision déterministe et téléologique de la structure de l’organisme avec les partisans de l’épigénèse, qui envisagent la formation des organes de manière dynamique et en relation dialectique avec leur environnement37. Pour Derrida, c’est bien la forme qui fascine les critiques littéraires ultrastructuralistes38 aux dépends de la force {orga81nique} à l’œuvre dans la création textuelle. Or, soulignons-le, la forme est également formulée en terme de ligne graphique puisque « le relief et le dessin des structures apparaissent mieux quand le contenu, qui est l’énergie vivante du sens, est neutralisé39 ». C’est donc parce que, selon le philosophe, jamais une structure linéaire ou géométrique ne rendra compte de la complexité organique d’un texte, qu’il faut opérer une transition herméneutique vers une pratique attentive aux forces vitales textuelles. D’où l’importance, comme nous le verrons un peu plus bas, de l’image du virus et du parasite dans la pensée derridienne, qui coïncide avec un intérêt accru pour les innovations épistémologiques dans le domaine physico-biologique.
Dans « Force et signification » Derrida se met alors en quête d’une « énergétique » du sens à substituer à la ligne structurale, sur laquelle je reviendrai plus bas. Notons simplement ici que le concept d’énergie40 prend également ses racines dans la philosophie de la Nature romantique allemande, par opposition à l’épistémologie atomistique et mécaniste. Nous verrons cependant plus bas que si Derrida reprend une partie des motifs de la philosophie de la nature allemande, contre le rêve structuraliste d’une « mathématique de l’homme41 », il inclut progressivement les apports d’une épistémologie plus contemporaine, issue de la révolution thermodynamique.
Transition énergétique
Le célèbre texte de George Canguilhem La Décadence de l’idée de progrès peut nous aider à comprendre les enjeux politiques et colonialistes liés au motif de la ligne droite, afin de nous frayer un chemin vers la « nouvelle énergétique » du sens que Derrida appelle de ses vœux. L’épistémologue français montre ainsi de manière convaincante de quelle 82manière la vision rectiligne de la trajectoire lumineuse a constitué une métaphore complice des idéaux progressistes du mouvement des Lumières au xviiie siècle, conservant les progrès accumulés par les siècles en vue d’un perfectionnement infini des capacités humaines. Canguilhem appuie son propos d’une citation de Victor Hugo, chantre de la troisième République française, qui ne laisse pas de doute quant au rôle joué par la trajectoire rectiligne de la lumière dans les velléités impérialistes françaises :
S’il y a quelque chose de plus poignant qu’un corps agonisant, c’est une âme qui meurt de la faim de la lumière42 […] et l’on peut s’attendre à tout de la part de cette mystérieuse puissance de progrès {comprise comme la trajectoire lumineuse} qui un jour confronte l’Orient et l’Occident au fond d’un sépulcre et fait dialoguer les imams avec Bonaparte43.
De fait, c’est également à Victor Hugo que Derrida se réfèrera dans Politiques de l’amitié44, en diagnostiquant cette fois, mais dans une même veine argumentative, une complicité entre la métaphore embryologique et les idéaux impérialistes français :
Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire […], elle sera mieux que civilisation, elle sera famille […], il y a dans l’embryogénie des peuples, comme dans celle des êtres, une heure sublime de transparence […]. L’Europe une, y germe. Un peuple, qui sera la France sublimée, est en train d’éclore. L’ovaire profond du progrès fécondé porte dès à présent l’avenir […], le fœtus des nations se comporte comme le fœtus de l’homme, et la mystérieuse construction de l’embryon, à la fois végétation et vie, commence toujours par la tête45.
Les deux citations s’articulent toutes deux autour d’une ligne de progrès qui prend soit la forme de la trajectoire rectiligne de la lumière, soit la forme de la croissance vitale. Dans les deux cas, un certain type de ligne, optique ou embryologique, devient complice d’une vision colonialiste de l’histoire mondiale. On comprend alors l’apport que la déconstruction derridienne a pu constituer pour les postcolonial studies lorsqu’elle 83soutient que « la métaphore de l’ombre et la lumière est fondatrice de la philosophie occidentale comme métaphysique46 ». Le ou la subalterne, si l’on suit Spivak, première traductrice américaine de Jacques Derrida et pionnière des postcolonial studies47, est en effet celui qui se dit en creux, définit par le manque et le silence par rapport au signifiant majeur. Il est l’autre de la ligne langagière articulée, il ne se dit que par catachrèse (vers le bas), des profondeurs étouffées du monde chtonien d’où parle la Perséphone de Tympan48. En ce sens, on pourrait dire qu’au lieu du fameux titre que Foucault voulait donner à « Qu’est-ce que la critique ? », à savoir « Qu’est-ce que les Lumières ? », Derrida décale le curseur et se demande, qu’est-ce que la lumière ? Quelle politique, quelle économie et quel rapport à l’autre la photologie49 instaure-t-elle ? D’un point de vue épistémologique, Derrida rejette aussi bien la photologie cartésienne que l’optique newtonienne. Cette dernière a en effet soutenu l’idéologie progressiste des Lumières50 selon laquelle l’évolution historique ne serait jamais rétrograde tant que les lois de cette terre seront immuables. Cependant, comme le montre Canguilhem dans le texte précédemment cité, si la lumière était le moteur de l’histoire au xviiie siècle, le xixe en revanche, opère un tournant épistémologique. C’est désormais la chaleur, puis l’énergie51 qui occupent la place iconique de la trajectoire lumineuse. La production de chaleur dépend de combustibles terrestres, souterrains, chtoniens, non-renouvelables et épuisables, dont l’énergie thermique est convertie par une organisation machinique en mouvement mécanique. Les Réflexions sur la puissance motrice du feu52 de Sadi Carnot montrent en effet que dans un système clos, le changement peut être identifié à une dégradation énergétique. Derrida, nous l’avons dit, est justement à la recherche d’une « économie » et d’une « énergétique » qui échapperaient 84à la ligne d’opposition métaphysique ombre/lumière et qui pourrait, de l’intérieur du champ métaphysique, « retourner contre lui ses propres stratagèmes, produire une force de dislocation se propageant à travers tout le système, le fissurant dans tous les sens et le délimitant de part en part53 ». Cette force de dislocation, comme nous allons le montrer dans la section suivante, c’est l’entropie, principe énergétique qui alimente l’essai de Derrida sur George Bataille.
De l’économie restreinte à l’économie générale :
À la recherche d’une énergie
sémantique renouvelable
Le célèbre chapitre de L’Écriture et la Différence intitulé « De l’économie restreinte à l’économie générale54 » présente la variation derridienne, moment de bravoure quasi-obligé pour la génération post-kojévienne, autour de la célèbre dialectique hégélienne du maitre et de l’esclave. Derrida compose son commentaire, cela est connu, en empruntant à la lecture bataillienne l’idée de dépense. L’argument de l’essayiste est le suivant : l’exposition à la mort requise par la lutte pour la reconnaissance est un jeu de dupe, pipé depuis le début. Le maitre souhaite en effet, en sous-main, conserver la vie qu’il expose à la mort. S’il affronte le moment de la négativité, décrit comme un « ébranlement55 » 85dans la préface de la Phénoménologie de l’esprit, c’est-à-dire une menace pour la forme précédemment acquise et stabilisée au stade inférieur de la dialectique, c’est parce qu’il a confiance dans le mouvement de relève (Aufhebung) hégélienne, à l’instar d’un Abraham auquel serait garantie par avance la survie de son fils. Ce mouvement de relève, comme l’a montré Catherine Malabou dans L’Avenir de Hegel56 (tiré de sa thèse dirigée par Jacques Derrida) est décrit en termes de libération d’énergie et d’explosion vitale permettant de passer au niveau dialectique supérieur :
Médiation et explosion impliquent nécessairement le changement et la conservation du changement. Que la répétition du changement produise une différence dans le sujet qui l’éprouve fait que le changement venu de l’extérieur de l’organisme se mue en un changement venu de l’intérieur même57.
La « secousse » qui fait exploser la forme du niveau inférieur et la menace d’une dissolution (dissémination) radicale est atténuée par un mouvement de concentration qui permet à la fois de conserver ce qui a été dispersé et de passer au niveau supérieur. En revanche, la dépense bataillienne correspondrait à ce moment d’explosion de la forme, pour lequel il n’y aurait pas de relève. La perte, ici en l’occurrence sémantique, serait alors absolue. Quel serait alors l’équivalent épistémologique de cette perte du sens ? Derrida convoque ici, comme nombres de ses contemporains, l’imagerie du second principe de la thermodynamique : l’entropie. Celle-ci correspond à la tendance de la matière, lorsqu’elle est laissée à elle-même, à atteindre un désordre maximal. Elle est décrite par le biologiste cellulaire Henri Atlan58 en ces termes :
Elle est cette quantité de chaleur perdue, non récupérable, provoquée par les frottements non-désirés de la machine (qui ne peut produire des mouvements parfaits, sans frottements) qu’elle ne peut convertir en travail […] la matière ne se laisse contraindre, dominer, que jusqu’à un certain point. Les transformations imposées par les machines impliquent […] un ordonnancement de la matière, qui livrée à elle-même, ignore cet ordre 86imposé par le constructeur de machine et a une tendance à la répartition aléatoire maximale59.
Cette définition rencontre en tout point l’imaginaire bataillien de la dépense :
L’économie générale met en évidence en premier lieu que des excédents d’énergie se produisent qui, par définition, ne peuvent être utilisés. L’énergie excédante ne peut être que perdue sans le moindre but, en conséquence, sans aucun sens. C’est cette perte inutile, insensée, qu’est la souveraineté60.
La machine dialectique hégélienne utilise selon la lecture bataillienne la chaleur (« l’échauffement » en termes derridiens) pour « digérer, assimiler, intérioriser, idéaliser61 ». Elle transforme cette source énergétique en travail, activité cherchant à imprimer une forme et un ordre au mouvement aléatoire des particules. Cependant, physiquement, cette mise au travail ne va pas sans une déperdition : une certaine part de désordre moléculaire existera toujours, qui se traduira par une chaleur « non utilisable62 ». C’est cette « part maudite » qu’on retrouve dans l’œuvre marxienne sous forme de Lumpenproletariat ou encore chez Arendt63, lue par Judith Butler, dans la figure de l’apatride sécrétée par les États-Nations modernes. En ce sens on peut considérer que ces travaux prennent en charge les marges du système hégélien et cet inassimilable « improductif » qu’il ne parvient pas à intégrer, incapable de se confronter réellement au risque d’une dissolution pure, ce qui signifierait une dépense totale des ressources sémantiques. Celle-ci se manifestera dans les excroissances64 du travail sémantique, par exemple dans le rire bataillien, réponse pulsionnelle à l’angoisse de cette répartition aléatoire de la matière qui ne s’ordonne pas encore en sens. Pour le dire plus clairement, si le système hégélien est conçu, c’est la thèse de Catherine Malabou, sur le modèle auto-organisationnel de l’organisme vivant, la 87lecture derridéo-bataillienne transfère ce modèle épistémologique au tissu textuel, envisagé comme un organisme hautement complexe. Or, si l’on suit l’article Vie de Canguilhem écrit pour l’Encyclopaedia universalis65, le dernier tournant épistémologique dans la conception du vivant consiste, par le biais de la théorie de l’information de Claude Shannon, à rapprocher l’organisme vivant du domaine informatique et cybernétique. Dans ce nouveau cadre conceptuel, la dépense, perte sémantique absolue, correspond au bruit66(noise). Celui-ci précède en effet l’ordonnancement en langage articulé permettant de transmettre une information de manière parfaitement limpide et sans brouillage. L’économie restreinte correspond donc à une vision du sens comme marchandise mise en circulation67 de la même manière que l’information à travers les ondes. Celle-ci, pour rester limpide, doit être répétée à l’identique et éviter les phénomènes de brouillage sonore dans le processus de transmission. À l’inverse, dans le cas de l’« économie générale », il s’agit d’envisager une organisation qui prendrait en compte cette part de brouillage dans l’économie textuelle globale. C’est donc toujours en rapport avec les potentielles forces de dislocation, de fissure et, à terme, d’obsolescence du système, qu’un texte compose.
Voilà la critique radicale, bataillienne mais également derridienne, faite à un certain genre de révolution : menée dans le régime et l’espace (territorial) du sens, elle restera asservie à l’économie restreinte. Cependant, la lutte contre la machine sémantique ne peut pas être menée de l’extérieur du système, d’un non-lieu utopique, transcendant et introuvable qui serait encore désir de la position divine. Il s’agit donc au contraire de ruser de l’intérieur du système, de luxer le logos de manière oblique (ni linéaire, ni circulaire) en prenant en compte l’ensemble des éléments qui forment le tissu textuel, y compris les micro-organismes, les virus et autres parasites qui incitent l’organisme textuel à la plasticité et à une perpétuelle réorganisation dynamique. Son geste philosophique, 88affirme ainsi Derrida dans « Les arts de l’espace68 », fut hanté par une « parasitologie » et une « virologie », c’est-à-dire l’étude d’entité à la frontière du vivant et du non-vivant, qui font dérailler les mécanismes communicationnels. Dans cette mesure, on peut alors penser qu’en cherchant à comprendre le mouvement immanent du sens et de sa perpétuelle « rétroactivité » – ou ce qu’Henri Atlan appelle en important en biologie un concept des sciences de l’information, « les boucles de rétroaction » – Derrida s’inspire des innovations dans le domaine de l’épigénétique qui lui était contemporaines pour forger une nouvelle pratique herméneutique. Le mode de fonctionnement rétroactif de cette dernière sur le code écrit de l’ADN s’oppose à la rigidité cristalline du « tout génétique » qui réduit le corps et ses mécanismes à un code originaire, proche parent de la monotonie herméneutique ultrastructuraliste que Derrida dénonçait dans « Force et signification ». En cherchant à comprendre le mode de fonctionnement de l’énergétique sémantique, en investiguant à quel forage sous-terrain celui-ci s’abreuve, Derrida pose la question d’un possible épuisement des ressources qui composent les concepts hérités de la métaphysique et partant, affirme la nécessité de penser une « transition énergétique » de la sémantique et de l’herméneutique philosophique69 traditionnelle.
Conclusion
Dans cet article nous avons cherché à montrer comment le motif linéaire, et plus précisément la trajectoire rectiligne, était profondément lié, dans l’histoire de la modernité, à tout un maillage conceptuel anthropologique, politique et économique qui la rend virtuellement 89omniprésente dans l’ensemble des champs sociaux. Nous avons également cherché à montrer les rapports contigus qu’entretient le geste philosophique derridien avec la délinéarisation du mode de production et d’appréhension herméneutique d’un texte. C’est par le biais de ce geste que la déconstruction « fait » quelque chose au corpus philosophique traditionnel, en lui appliquant le programme d’une nouvelle économie sémantique, conçue pour inquiéter les couples d’oppositions dualistes de la métaphysique traditionnelle responsables de l’organisation politique du monde moderne. Le geste philosophique derridien agit donc au niveau de strates bien plus souterraines que celle du sujet apparent du texte, ce qui explique que, par une ruse qui lui est propre, sa politique ne se situe pas toujours là où on l’attend.
Oriane Petteni
Université de Liège (Ulg)
1 Jacques Derrida, « Réponse à Daniel Libeskind » et « Jacques Derrida et Daniel Libeskind : Discussion » in Les arts de l’espace. Écrits et interventions sur l’architecture, Paris, Éditions de la Différence, 2015, p. 148-159 et p. 160-170.
2 J. Derrida, Penser à ne pas voir, Écrits sur les arts du visible 1979-2004, Paris, Éditions de la Différence, 2013, p. 56-78.
3 Ibid., p. 88.
4 Safaa Fathy, D’ailleurs Derrida, Éditions Montparnasse, 2008.
5 Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Bruxelles, Zones Sensibles, 2011-2013, p. 197.
6 Ibid.
7 Ibid., p. 199.
8 À ce sujet voir J. Derrida, « Facteur de la vérité » in La carte postale : de Socrate à Freud et au-delà, Paris, Flammarion, 2004.
9 J. Derrida, Glas, Paris, Éditions Galilée, 1974, p. 50.
10 Jacques Derrida, et Pierre Eisenman, Chora L Works, New York, Monacelli Press, 1997.
11 J. Derrida, « Épreuves d’écriture. Fragments extraits de Les Immatériaux » in Les arts de l’espace, op. cit., p. 21-24.
12 Pour des raisons principalement kierkegaardiennes et heideggériennes, l’écoute et l’oreille sont des thèmes centraux dans l’œuvre de Derrida, intimement liés à l’attention à une certaine musicalité dans la composition d’un texte philosophique. Voir par exemple « L’oreille de Heidegger » in Jacques Derrida, Politiques de l’amitié, Paris, Éditions Galilée, 1994 et « Tympan » in Jacques Derrida, Marges de la philosophie, Paris, Les éditions de Minuit, 1972). Par ailleurs, le rapport de Derrida au jazz et à son mode d’improvisation est moins connu, mais bien présent dans l’interview qu’il a consacré à Ornette Coleman, précurseur majeur du free jazz. À ce propos, voir l’interview : http://www.ubu.com/papers/Derrida-Interviews-Coleman_1997.pdf
13 Jacques Derrida l’affirme explicitement dans De la Grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, 1967, p. 130 : « Depuis plus d’un siècle on peut percevoir cette inquiétude de la philosophie, de la science, de la littérature dont toutes les révolutions doivent être interprétées comme des secousses détruisant peu à peu le modèle linéaire ».
14 Voir par exemple Vincent Descombes, Le Même et l’autre, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
15 Voir G.W.F Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Garnier Flammarion, 2012, p. 651 : « Ce devenir présente un mouvement paresseux et une indolente succession d’esprits, une galerie d’images dont chacune est pourvue de la richesse complète de l’esprit et ne se meut précisément de si indolente façon que parce que le Soi-même doit pénétrer et digérer toute cette richesse de sa substance ».
16 À ce sujet, voir Andrea Bellantone, Hegel en France, t. II, Paris, Hermann, 2011.
17 Et plus particulièrement par le biais de l’ouvrage, pionnier de la renaissance des études hégéliennes en France, Le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, Paris, PUF, 1929.
18 Martin Jay, Downcast Eye, Berkeley, University of California Press, 1994.
19 Les travaux de Martin Jay ont montré l’importance de la référence cartésienne pour l’ensemble du paysage philosophique français des années 60 et la formulation du paradigme qui semble dominant à l’époque, celui du rejet du rôle hégémonique de la vision dans la tradition métaphysique, de Platon à Descartes jusqu’à la crise de l’idéalisme allemand (Ibid., p. 63-74).
20 Jean Wahl, Du rôle de l’idée de l’instant dans la philosophie de Descartes, Paris, Descartes & Cie, 1994, p. 39.
21 Bruce Baugh, French Hegel, From Surrealism to Postmodernism, Routledge, 2014.
22 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 51-97.
23 Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, op. cit., p. 197.
24 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 45.
25 À ce sujet voir « La lignée » dans T. Ungold, Une brève histoire des lignes, op. cit., p. 137-155. L’anthropologue revient sur l’importance du motif linéaire tout à la fois dans l’histoire de l’anthropologie, pour conceptualiser les systèmes de parentés et les relations généalogiques, mais également dans l’histoire de la biologie, et plus précisément dans le darwinisme, pour schématiser de manière diagrammatique le processus d’évolution vitale.
26 J. Derrida, Penser à ne pas voir, G. Michaud, M.J. et J. Bassas (éd.), Paris, Éditions de la Différence, 2013.
27 Ibid., p. 60.
28 J. Derrida, Politiques de l’amitié, Paris, Éditions Galilée, 1994.
29 Au sujet des rapports entretenus par la philosophie politique française contemporaine avec la thématique de la représentation et de la visibilité, voir Jean-Louis Deotte, « La falsification par les disparus », in La mort dissoute : Disparition et spectralité, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 215-241.
30 « Il y a des lignes qui sont des monstres…Une ligne toute seule n’a pas de signification ; il en faut une seconde pour lui donner de l’expression. Grande loi. (Delacroix) » (J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 27). Notons qu’en réalité les choses sont plus compliquées : Delacroix n’oppose pas unilatéralement la couleur au dessin mais cherche à repenser le rapport entretenu par la ligne et la couleur de manière dynamique, notamment en luttant contre la pratique académique du ton local pour indiquer les ombres.
31 À ce sujet voir Jacques Le Rider, « Ligne et couleur : histoire d’un différend » in Revue Germanique internationale, 10, 1998, p. 173-184 et Jacqueline Lichtenstein, La couleur éloquente, Rhétorique et peinture à l’âge classique, Flammarion, 2013. Les deux textes mettent en évidence les accointances entre argumentation rationnelle et dessin/éloquence, decorum avec la couleur, suspecte pour la tradition dans ses rapports contigus avec la matérialité et partant, avec la contingence phénoménale.
32 Jean Genêt, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, Paris, Éditions les Chemins de fer, 2013, p. 21.
33 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad. J.P. Lefebvre, Paris, Garnier Flammarion, 2012, p. 67.
34 À ce sujet, voir « La théorie romantique de la connaissance et de la science », in A. Stanguennec, La philosophie romantique allemande, Paris, Vrin, 2013, p. 23-103. Pour une étude détaillée des rapports de Derrida au premier romantisme allemand et à sa philosophie de la nature, voir Kennedy, Clare, Paradox, Aphorism and Desire in Novalis and Derrida, MHRA Texts and Dissertations, 2008.
35 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 29.
36 Ibid., p. 36.
37 À ce sujet voir Andrea Gambarotto, Vital Forces, Teleology and Organisation, Springer International Publishing, 2018.
38 Pour une étude détaillée de la fascination du structuralisme pour la prégnance de la forme par opposition au fond, voir Rosalind Krauss, L’Inconscient optique, Paris, Éditions Au Même Titre, 1993 (2002 pour la traduction française).
39 Ibid., p. 13.
40 À ce sujet voir A. Stanguennec, La philosophie romantique allemande, op. cit. et Carl Horn, Goethe als Energetiker, Kessinger Publishing, 2010.
41 Édouard Delruelle, Le structuralisme de Levi-Strauss et le rêve d’une mathématique de l’homme, Science et Esprit, Vol. XXXIX, 1987, p. 93-105.
42 George Canguilhem, « La décadence de l’idée de progrès », Revue de Métaphysique et de Morale, no 4, 1987, p. 437-454.
43 Ibid., p. 437.
44 J. Derrida, Politiques de l’amitié, op. cit., p. 296.
45 Ibid.
46 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 45.
47 Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.
48 J. Derrida, « Tympan », Marges de la philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 1972.
49 « Noms donnés aux traités sur la lumière » selon la définition derridienne dans L’écriture et la différence, op. cit., p. 45.
50 Sur les rapports entretenus entre Newton et les lumières voir Norbert Waszek, The Scottish Enlightenment and Hegel’s Account of « Civil Society », Springer Netherlands, 1988 et Voltaire, Éléments de la philosophie de Newton, FB Éditions, 2015.
51 À ce sujet, voir Bruce Clarke et Linda Henderson (ed.), From Energy to Information, Stanford University Press, 2002.
52 Sadi Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance, Bachelier Libraire, 1824.
53 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 34.
54 Ibid., p. 370.
55 Riccardo Martinelli, dans son article « Tremore e sensazione. Il suono nell’estetica musicale di Hegel », Intersezioni, 1999, observe ainsi qu’il existe une suggestive analogie entre le processus de constitution du son et une figure particulière de la Phénoménologie de l’esprit, celle de la conscience servile dans le cadre de la célèbre dialectique du maitre et de l’esclave. Ce qui caractérise le corps individuel en effet, selon le paragraphe 244 de la Philosophie de la nature (partie physique), c’est la fermeture sur lui-même face à d’autre corps (c’est ainsi qu’il se détermine dans le continuum spatial) avec lesquels il est engagé dans un processus d’opposition mécanique. Sa déterminité individuelle (sa qualité propre : fragilité, dureté, mollesse etc.) se constitue ainsi en résistance (donc en opposition) à la puissance d’une force extérieure. Le fait que le corps se conserve malgré le choc de la rencontre avec un objet extérieur, malgré l’ébranlement qu’il subit momentanément dans sa cohésion, est preuve de sa cohésion totale, ce que Hegel nomme son idéalité individuelle pure. Le son est la réaction spécifique de chaque corps envers l’ébranlement subi.
56 Catherine Malabou, L’avenir de Hegel, Paris, Vrin, 2015.
57 Idem, p. 90.
58 Il est à noter qu’Henri Atlan et Jacques Derrida ont tous deux participés à plusieurs des « Colloques d’intellectuels juifs de langue française » qui se sont tenus après la guerre. Par conséquent il n’est pas impossible de penser que le second connaissait l’œuvre du premier, qui présenta ses recherches à plusieurs reprises dans ce cadre.
59 Henri Atlan, Entre le cristal et la fumée, Essai sur l’organisation du vivant, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 29.
60 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, op. cit., p. 397.
61 J. Derrida, Glas, op. cit., p. 262.
62 Henri Atlan, Entre le cristal et la fumée…, op. cit., p. 29.
63 Judith Butler et Gayatri Chakravorty Spivak, L’État global, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2007.
64 Sur la tendance néobaroque du poststructuralisme, voir Severo Sarduy, Barroco, Paris, Éditions du Seuil, 1975.
65 George Canguilhem, « Vie », Encyclopaedia Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/vie/
66 Notons qu’à l’inverse, Henri Atlan – que Bataille ne pouvait pas avoir lu – tend à revaloriser la phase de brouillage comme « anti-entropique » et créatrice d’ordre. Voir par exemple H. Atlan, La fin du « tout génétique » ?, Paris, Inra, 1999.
67 C’est aussi selon le modèle d’une circulation de marchandise que Walter Benjamin décrit, dans « La tâche du traducteur » (in Œuvres I, Paris, Éditions Gallimard, 2000) la conception « utilitariste » de la traduction. Derrida analysera ce texte dans Force de loi, Paris, Éditions Galilée, 1994-2000.
68 J. Derrida, Penser à ne pas voir, op. cit., p. 21.
69 À ce sujet, voir la contribution de Pascal Fautrier, « La politique de Georges Bataille. Pour une politique qui assume les limites de la croissance » in C. Limousin, et J. Poirier, La part maudite de Georges Bataille. La dépense et l’excès, Paris, Classiques Garnier, 2015, qui souligne tout à la fois l’importance de l’imaginaire biologique bataillien dans ses conceptions politiques et qui replace son concept de dépense dans les débats économiques de l’époque, entre Plan Marshall, marxisme et libéralisme. En ce sens l’économie générale se fonde bien sur une certaine vision « écologique » et anthropologique qui prétend bouleverser les modes d’organisation du xxe siècle.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-08298-9
- EAN : 9782406082989
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08298-9.p.0073
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/07/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Deconstruction, post-structuralisme, photologie, cybernétique, philosophie politique, études post-coloniales