Justice et multiculturalisme libéral Ambiguïté et écueil du modèle de la tolérance religieuse
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2017 – 2, n° 11. Le juste et le bien. Normativité éthique, modèles politiques et démocratie - Auteur : Guérard de Latour (Sophie)
- Pages : 35 à 51
- Revue : Éthique, politique, religions
Justice
et multiculturalisme libéral
Ambiguïté et écueil du modèle
de la tolérance religieuse
Dans la philosophie politique contemporaine, c’est au sein de la tradition libérale que la distinction du juste et du bien a reçu une nouvelle consécration. John Rawls en a fait la base du caractère strictement « politique » du libéralisme contractuel qu’il défend. Des guerres de religion, il a retenu la leçon du pluralisme et en a déduit, à la suite de John Locke, un principe de stricte séparation entre les sphères privée et publique : à partir du moment où l’on admet le caractère irréductible de la diversité des conceptions de la vie bonne et qu’on renonce à employer la puissance coercitive de l’État pour fonder l’ordre social sur une base métaphysique, il convient de s’en tenir à une justification politique des principes de justice, c’est-à-dire de les fonder sur des raisons suffisamment neutres pour être acceptées par des personnes aux croyances divergentes, voire contradictoires1. Dans ce chapitre, il s’agira d’examiner dans quelle mesure la perspective de la tolérance libérale, héritée de l’expérience des conflits politico-religieux, a pesé sur la formulation théorique des débats sur le multiculturalisme. Ces débats ont en effet déplacé l’attention de la diversité des croyances vers la diversité des cultures et ont posé la question de savoir s’il convenait de traiter la seconde sur le modèle de la première. À première vue, l’approche libérale semble devoir accorder la même valeur à ces deux formes de diversité : s’il est juste de tolérer la diversité des croyances religieuses, la même conclusion paraît s’imposer lorsque ces croyances se déclinent sous la forme de pratiques culturelles. Cultures et religions en effet se recoupent largement, puisqu’on peut d’un côté définir la culture d’un groupe comme un ensemble de représentations et de valeurs auxquelles 36ses membres accordent une certaine vérité, et qu’on peut de l’autre observer à quel point les religions ont contribué à forger des traditions culturelles. À ce titre, diversité culturelle et diversité religieuse ne seraient que deux variantes du « fait du pluralisme » que Rawls considère comme « le résultat naturel de l’activité de la raison humaine quand elle se déroule dans le contexte durable d’institutions libres2 » Toutefois, les cultures engagent une dimension collective et pratique qui déborde la sphère du for intérieur et la réalité de la conviction intime. À ce titre, on ne peut pas appliquer aussi aisément aux différences culturelles qu’aux différences religieuses l’intuition normative qui s’était imposée aux libéraux à propos des secondes, à savoir que l’État doit tolérer la diversité des croyances parce qu’il ne peut tout simplement pas forcer les consciences. La question se pose donc de savoir si le modèle de la tolérance religieuse est le plus adapté pour penser le multiculturalisme.
Il convient de préciser ici que les débats philosophiques sur le multiculturalisme ne portent pas tant sur un fait social, à savoir la diversité ethnoculturelle qu’on peut observer dans la plupart des démocraties modernes, que sur son traitement politique3. Cela explique que ces débats se soient surtout développés dans des pays de tradition libérale, où la protection des cultures minoritaires a été envisagée comme une nouvelle forme de garantie contre la « tyrannie de la majorité ». La réflexion philosophique sur le multiculturalisme porte donc avant tout sur ces « nouvelles expériences politiques en matière de reconnaissance et d’accommodement de la diversité ethnique4 », dans lesquelles le Canada au premier chef, mais aussi l’Australie, la Grande-Bretagne, les États-Unis et d’autres démocraties se sont engagées à partir des années 1970 et que d’autres, comme la France, la Grèce et la Turquie, ont officiellement refusé de suivre5. Bien que les politiques multiculturelles soient extrêmement diverses6, 37elles ont en commun de remettre en cause le principe de l’assimilation culturelle sur lequel s’était bâtie la citoyenneté démocratique moderne, ce qui réactive l’analogie entre tolérance religieuse et tolérance culturelle : de même que les premiers libéraux ont critiqué au xviie le principe « cujus regio, ejus religio » prôné par les partisans de l’absolutisme, au xxe siècle les libéraux multiculturalistes refusent de faire dépendre l’intégration civique de l’homogénéisation culturelle de la communauté politique. Or si l’analogie s’impose avec une certaine évidence dans la tradition libérale, il importe malgré tout de l’analyser de plus près. C’est ce que nous nous proposons de faire à partir de la position contrastée de deux philosophes libéraux, Will Kymlicka et Chandran Kukathas. Le premier, auteur de La Citoyenneté multiculturelle. Une défense libérale des droits des minorités, est l’un des principaux théoriciens du multiculturalisme qu’il défend sur la base d’une argumentation rawlsienne, présentant l’appartenance culturelle comme un bien premier indispensable à l’exercice de l’autonomie individuelle. Le second, auteur du livre The Liberal Archipelago. A Theory of Freedom and of Diversity, a pris le contre-pied de Kymlicka en contestant la légitimité des droits culturels défendus par le premier, au nom d’une interprétation alternative des principes libéraux. Si leur désaccord nous semble mériter l’attention, c’est qu’il s’ancre précisément dans une réflexion sur la pertinence du modèle de la tolérance religieuse pour penser l’égalité démocratique dans des sociétés marquées par la diversité culturelle. Il présente ainsi l’intérêt de mettre en évidence les limites de ce modèle, ce que nous établirons en procédant de la manière suivante : nous commencerons par examiner le rôle ambigu que joue la tolérance religieuse dans la théorie de Kymlicka, puisqu’il la juge inadaptée à la diversité culturelle tout en préservant l’intuition normative qui la fonde. Nous montrerons ensuite comment Chandran Kukathas exploite cette ambiguïté pour élaborer une version maximale de la tolérance multiculturelle qui rejette le principe des droits culturels au profit d’un laisser-faire quasi-intégral en matière de gestion des groupes culturels. La position extrême de Kukathas nous donnera ainsi l’occasion d’analyser, dans un dernier moment, les erreurs de perspective sur la diversité culturelle qui procède de ce modèle fondateur pour les libéraux contemporains.
38De la tolérance religieuse à la tolérance multiculturelle, rupture et continuité
D’après Kymlicka, une théorie libérale des droits culturels est requise précisément parce que le modèle de la tolérance religieuse ne permet pas, à première vue, de résoudre les injustices subies par les minorités ethnoculturelles. À ses yeux, l’analogie entre diversité religieuse et diversité culturelle serait en effet « inopérante » :
Il est tout à fait possible pour un État de ne pas reconnaître une Église officielle, mais il ne peut pas, en revanche, éviter d’institutionnaliser au moins partiellement une culture lorsqu’il décide quelle sera la langue utilisée dans les écoles et les services publics. L’État peut (et doit) remplacer les serments religieux par des serments laïques, mais il est obligé de choisir une langue dans laquelle se dérouleront les procès7.
Le modèle de tolérance religieuse suggère à tort que les identités culturelles sont, tout comme les croyances religieuses, des affaires privées qui ne regardent pas le pouvoir politique, alors que, dans les faits, la sphère publique ne peut pas être neutre d’un point de vue ethnoculturel comme elle peut l’être d’un point de vue confessionnel. L’absence de « neutralité » renvoie ici au caractère publiquement institutionnalisé de certains traits identitaires à caractère ethnique (lié à un héritage linguistique, religieux ou coutumier) qu’on observe dans la (ou les) langue(s) officielle(s), les symboles nationaux (hymnes, drapeaux) ou les jours fériés à caractère religieux. Mais l’absence de neutralité renvoie surtout au fait que le pouvoir politique agit comme une force active de promotion d’une culture nationale particulière. À ce titre, l’imposition d’une langue officielle n’est pas comparable, par exemple, au statut de chef de l’Église anglicane que possède la reine d’Angleterre : alors que ce statut ne remet pas en cause la liberté religieuse des citoyens britanniques non-Anglicans, l’institutionnalisation d’une langue officielle compromet inévitablement la pérennité des langues minoritaires.
39Lorsque Kymlicka critique l’analogie qui est faite entre diversité religieuse et diversité culturelle, son objectif n’est pas de contester la valeur du concept de « tolérance » mais de montrer que sa traduction juridique ne peut pas être la même dans les deux cas. L’erreur des libéraux classiques réside, d’après lui, dans la conviction que les libertés individuelles (de conscience, d’expression, d’association) suffisent pour protéger la pluralité des croyances, des cultes et, par extension, celle des pratiques culturelles. Les libéraux négligent ainsi le fait que la culture d’un groupe minoritaire est inévitablement marginalisée et folklorisée dans une société où les principales institutions (politiques, juridiques, éducatives et médiatiques) opèrent dans la culture nationale majoritaire. Il suffit d’observer l’histoire des démocraties modernes pour constater que les droits individuels, loin de protéger les minorités nationales ou les peuples autochtones ont pu servir de caution aux processus d’assimilation culturelle qu’ils ont subis : ainsi, le droit à la libre circulation sur un territoire national a permis de justifier la colonisation des territoires ancestraux de certains groupes culturels ; le droit à l’éducation s’est traduit par l’imposition de la langue majoritaire8. Il est important de souligner que la culture ne désigne pas ici un ensemble vague de références culturelles, mais une « culture sociétale », à savoir un ensemble relativement intégré et viable d’institutions sociales9. La tolérance libérale dans sa forme classique, fondée sur le respect des libertés individuelles, n’est donc pas suffisamment protectrice pour les cultures sociétales minoritaires, en ce qu’elle ne leur donne pas les moyens de résister aux pressions assimilationnistes de l’État central. Elle autorise seulement des formes résiduelles de survie, et prend dès lors la forme d’une « tolérance optionnelle » (« permissive toleration10 ») qui consiste à accepter l’existence de la culture minoritaire tant que celle-ci ne remet pas en cause la situation de monopole institutionnel dont jouit la culture officielle.
40Or, cette tolérance optionnelle manque la portée du libéralisme rawlsien dont Kymlicka se réclame et qui repose sur l’égal respect dû aux citoyens. De même que les sociétaires, placés sous le voile d’ignorance, excluraient des principes de justice qui autorisent l’intolérance religieuse, ils écarteraient ceux qui autorisent une politique d’intégration assimilationniste. C’est donc pour rétablir l’égalité entre les membres des cultures sociétales minoritaires et ceux de la culture sociétale majoritaire que, d’après Kymlicka, des droits culturels sont requis. Ces droits culturels dépassent le cadre libéral classique, dans la mesure où ils sont attribués aux individus en tant qu’ils sont membres du groupe culturel minoritaire (group-differentiated rights). Dans le cas des minorités nationales et des peuples autochtones, les droits culturels vont jusqu’à prendre la forme de « droits à l’autogouvernement » qui ouvrent la voie d’un fédéralisme à base ethnoculturelle. La tolérance culturelle se présente ainsi comme une nouvelle étape de la tolérance libérale, qui prend acte de l’absence de neutralité culturelle de la sphère publique et se propose de la rétablir non pas par la privatisation des différences culturelles mais par la reconnaissance publique de ces différences, au nom du principe d’égalité.
Reste toutefois à comprendre plus précisément ce que recouvre l’absence de neutralité dans le cas de ces minorités. À partir du moment où Kymlicka l’analyse dans la perspective de la tolérance religieuse, il tend à établir une équivalence, au niveau étatique, entre le prosélytisme religieux et l’assimilation culturelle, en les présenter comme deux façons illégitimes d’imposer une certaine conception du bien à des citoyens dont les croyances ou les références culturelles diffèrent. Or, une telle équivalence entre intolérance religieuse et intolérance culturelle est contestable. En effet, autant on voit bien ce qu’il y a de déraisonnable à imposer aux citoyens une religion officielle qui va à l’encontre de leurs croyances personnelles, autant l’exigence d’intégration des citoyens au sein d’une culture commune semble raisonnable, à partir du moment où elle vise à donner une réalité sociologique à leur égalité civique et un ancrage culturel à leur solidarité politique. L’imposition politique d’une culture nationale s’apparenterait à une forme de théocratie seulement si elle présentait cette culture comme un bien intrinsèque (ce qu’on observe par exemple chez les nationalistes réactionnaires qui sacralisent l’identité nationale) ; elle s’en distingue toutefois à partir du moment 41où elle n’accorde à cette culture qu’une valeur instrumentale, comme moyen d’intégration civique (ce qui permet notamment, contrairement au nationalisme réactionnaire, d’envisager l’identité nationale sous une forme dynamique et inclusive).
Kymlicka, même s’il admet la pertinence de cet argument propre aux « nationalistes libéraux » comme Yael Tamir ou David Miller11, maintient que l’assimilation culturelle reste une politique déraisonnable dans un État multinational : considérant la culture sociétale d’origine d’une personne comme le « contexte de choix » privilégié à partir duquel elle exerce son autonomie, il défend le droit de tout citoyen à disposer d’un tel contexte de choix. Bien qu’il soit toujours possible pour une personne de quitter sa culture sociétale d’origine afin de vivre dans une autre, cette possibilité ne justifie nullement qu’on l’impose aux citoyens contre leur gré, en s’appuyant sur la puissance coercitive de l’État12.
On voit donc que la défense des droits culturels reste ici libérale, puisque le principe qui les justifie est celui de la liberté individuelle. Kymlicka n’accorde qu’une valeur instrumentale à l’appartenance culturelle, qu’il s’agisse de la culture majoritaire ou des cultures minoritaires. Les cultures n’ont pas de valeur en elles-mêmes, en tant qu’elles offriraient un mode de vie authentique auquel tous leurs membres devraient adhérer ; elles ne valent que comme contextes de choix au sein duquel la pluralité des options culturelles disponibles rend possible une grande variété de projets de vie ; aussi Kymlicka n’irait-il pas jusqu’à 42dire que l’assimilation à une culture nationale démocratique équivaut au prosélytisme religieux. Toutefois, même si le fait d’assimiler tous les citoyens à une même culture nationale ne revient pas à leur imposer une même conception du bien, cela consiste malgré tout à leur imposer un contexte de choix particulier qui prive les membres des minorités nationales et des peuples autochtones de l’accès à celui qui leur est propre. Autrement dit, comme tous les contextes de choix ne se valent pas du point de vue des individus, un traitement équitable exige que les membres des minorités nationales et des peuples autochtones puissent préserver le leur, afin d’exercer leur liberté dans les mêmes conditions que les membres de la majorité.
L’intolérance culturelle que génèrent les versions assimilationnistes de la citoyenneté moderne diffère en ce sens de l’intolérance religieuse : son illégitimité ne procède pas de l’imposition d’une conception du bien dans la sphère publique, mais de son incapacité à assurer aux citoyens des États multinationaux un égal accès aux conditions culturelles d’exercice de leur autonomie. La théorie de la citoyenneté multiculturelle, élaborée par Kymlicka, se présente donc comme une reformulation de la tolérance libérale adaptée à la déclinaison culturelle du pluralisme. Une telle reformulation, comme on l’a vu, est exigée d’après le philosophe canadien par la discontinuité qui existe entre les croyances religieuses et les identités culturelles et par l’impossible privatisation des secondes ; c’est cette impossibilité qui requiert de principes de justice interculturelle censés compléter ceux qui régulaient jusqu’ici le traitement équitable des groupes religieux.
La radicalisation du modèle
de la tolérance religieuse
Ce qui précède souligne la façon ambiguë dont Kymlicka pense la tolérance multiculturelle dans le sillage du modèle de la tolérance religieuse. D’un côté, il souligne l’inadéquation du modèle, en rappelant qu’on ne peut pas privatiser les identités culturelles comme on privatise les croyances religieuses. De l’autre, il maintient l’idée centrale de ce 43modèle, en suggérant que la sphère publique devrait faire preuve de la même égalité de traitement à l’égard des cultures qu’à l’égard des religions, dans la mesure où celle-ci n’a pas à juger de leur valeur. Autrement dit, il ne remet pas en cause le fondement normatif de la tolérance religieuse, i.e. la neutralité axiologique, mais ses modalités d’application, en affirmant que la tolérance multiculturelle exige simplement de nouveaux droits. Dans cette section, nous mobiliserons la position du philosophe Chandran Kukathas pour mettre en évidence la difficulté majeure que cette ambiguïté soulève13. Les critiques que ce dernier a adressées aux droits culturels, et notamment à la défense libérale qu’en propose Kymlicka, sont révélatrices des conséquences de l’idée selon laquelle il faudrait penser le respect qui est dû aux identités culturelles dans le prolongement de celui qui est dû aux croyances religieuses. On verra dans ce qui suit qu’elle justifie tout autant une radicalisation du modèle de la tolérance religieuse dans sa version originelle, que son dépassement sous la forme d’un égalitarisme libéral amendé pour les besoins de la justice interculturelle.
La critique de Kukathas consiste à reprocher à la « citoyenneté multiculturelle » d’instaurer un faux régime de tolérance qui octroie les droits culturels de façon extrêmement sélective et ne protège efficacement que les groupes culturels déjà libéralisés. Ces droits, comme on l’a vu, sont justifiés en raison de la valeur instrumentale de l’appartenance culturelle et du rôle crucial que la culture joue dans l’exercice de l’autonomie individuelle. Pour reprendre les termes de Kymlicka, ils ne sont légitimes que dans la mesure où ils offrent des « protections externes » aux cultures minoritaires contre les pressions assimilationnistes de la majorité. En revanche, la valeur de la culture ne doit jamais servir de justification aux « restrictions internes », à savoir à la suppression de libertés fondamentales (telles que la liberté de conscience, d’expression, d’association), souvent réclamée par certaines élites conservatrices au sein des minorités14. La citoyenneté multiculturelle établit donc clairement que les droits culturels ne doivent pas être invoqués pour justifier par exemple l’interdiction du blasphème ou de l’apophasie, ni pour autoriser les mariages forcés ou les mutilations rituelles.
44Or, pour Kukathas, l’inégalité de traitement entre les minorités libérales et les minorités illibérales qui en découle sera inévitablement interprétée par les secondes comme une nouvelle forme d’intolérance, à partir du moment où elle les empêchera de préserver des coutumes et des pratiques auxquelles elles peuvent être profondément attachées. La fausse tolérance qu’instaurent les droits culturels procède plus largement, d’après Kukathas, du projet des libéraux post-rawlsiens d’instaurer un « ordre politique libéral » au nom du principe de justice, un projet qui reconduit selon lui une forme de dogmatisme moral.
Tous ces auteurs libéraux présupposent ainsi l’existence d’un ordre politique libéral, c’est-à-dire d’un ordre dans lequel la valeur d’autonomie, incarnée dans les principes de justice, fait autorité dans la sphère publique. Pour le dire autrement, tous présupposent qu’il existe un point de vue commun et établi sur la moralité. La tolérance advient lorsqu’une discussion émerge entre des valeurs implicitement contenues dans ce point de vue commun ; mais la tolérance n’est pas possible si les valeurs de la minorité contredisent ce point de vue établi. […] Ce qui pose problème dans cette approche, c’est qu’elle ne garantit pas assez de tolérance aux communautés minoritaires. En définitive, elle manifeste surtout la priorité accordée à la reproduction d’un ordre social libéral, mais risque de verser dans l’intolérance et le dogmatisme moral15.
Envisagée de la sorte, la citoyenneté multiculturelle se présente donc comme un prosélytisme libéral qui favorise officiellement les groupes culturels modernisés et oblige les cultures traditionnelles et illibérales à se conformer à la conception dominante de l’ordre légitime. Pour neutraliser ce libéralisme dogmatique et abolir le traitement privilégié que les libéraux réservent aux minorités culturelles qui leur ressemblent, Kukathas ne réclame pas, par souci d’égalité, que les minorités illibérales disposent des mêmes « droits culturels » que les minorités libérales. Il conteste au contraire le principe même des droits culturels et l’argument selon lequel il faudrait garantir juridiquement à certains groupes culturels l’égal accès à leur « contexte de choix ». Cet argument présuppose à tort que les « cultures sociétales » sont des données anthropologiques qu’il serait légitime de protéger en tant que telles, parce qu’elles constitueraient le cadre de vie naturel dans lesquels les humains s’épanouissent. Un tel présupposé conduit à essentialiser la diversité culturelle, à y voir un fait nécessaire de la nature humaine 45avec lequel la politique doit compter, alors que la diversité culturelle est un phénomène contingent qui découle de la combinaison toujours variable et dynamique entre des motivations individuelles et un contexte socio-politique donné16.
Kukathas conteste donc l’ontologie holiste et culturaliste qui inspire la Citoyenneté multiculturelle pour lui substituer une conception individualiste et politique de la formation des groupes culturels. Ce changement de perspective ontologique le conduit à rétablir la continuité du culturel et du religieux que Kymlicka avait remise en cause. D’après Kukathas, la valeur que représente une culture pour ses membres ne diffère pas en nature de la valeur que possède une religion pour ses fidèles. L’une comme l’autre procède du fait anthropologique qu’il juge fondamental et qui réside dans la puissance motivationnelle de la conscience morale individuelle. Les groupes culturels sont donc, comme les groupes religieux, des réalités sociales créées par les convictions des individus et par les diverses formes d’associations qui en résultent. Kukathas en conclut que, puisque culture et religion tirent leur origine de la même source normative, il s’avère inutile de compléter le modèle de la tolérance religieuse par l’instauration de droits spécifiques17. Plutôt que de fixer et d’essentialiser les cultures minoritaires dans les cadres rigides de droits collectifs, il suffit de s’en remettre aux droits individuels qui fondent la tolérance religieuse, et plus particulièrement à la liberté de conscience et à la liberté d’association.
On notera ici que cette réhabilitation du modèle de la tolérance religieuse, motivée par la critique des droits culturels, conduit Kukathas à lui donner une portée bien plus radicale que la plupart des libéraux contemporains ne le font et à se ranger ainsi du côté des partisans d’un libéralisme de la Réforme contre les tenants d’un libéralisme des Lumières18. En remontant aux origines historiques du libéralisme, Kukathas soutient en effet que le « cœur du libéralisme » réside « l’appréciation du caractère sacré du désaccord19 » qui s’est imposée à la suite de l’expérience des guerres de religion. Face à l’impossibilité 46manifeste d’imposer aux hérétiques la conception orthodoxe du salut et devant les dégâts politiques causés par l’intolérance religieuse, le pouvoir politique a fini par reconnaître à chaque individu le droit de vivre selon les convictions de son for intérieur. Pour garantir un tel droit, insiste Kukathas, le libéralisme peut et doit s’en remettre intégralement aux libertés de conscience et d’association. La première consacre la non-interférence de l’État dans les convictions de chacun et la seconde accorde toute liberté aux groupes pour s’organiser selon les valeurs que partagent leurs membres et toute liberté aux individus qui souhaitent quitter le(s) groupe(s) dont ils n’acceptent plus l’autorité.
Appliquée aux sociétés multiculturelles, cette tolérance originelle préconise une politique diamétralement opposée à celle défendue dans La Citoyenneté multiculturelle. Considérant que les « droits culturels » reposent inévitablement sur des critères normatifs controversés (i.e. l’autonomie individuelle) et qu’ils réactivent ainsi le risque de l’intolérance, Kukathas les écarte résolument pour affirmer que, face à la multiplication des demandes de reconnaissance, le mieux que l’État libéral puisse faire est précisément de « ne rien faire20 ». L’État doit éviter d’intervenir dans les rapports de force qui traversent inévitablement les groupes culturels, car en leur distribuant inégalement des droits et des pouvoirs, il ne ferait qu’attiser leurs rivalités, renforcer les demandes de privilèges et accentuer la division sociale. Il doit donc se garder de politiser les questions culturelles comme il le fait déjà pour les questions religieuses, afin de ne pas rejouer le scénario des guerres de religion sur la scène du choc des civilisations. À la « politique de la différence21 », il doit préférer une « politique de l’indifférence » qui fonde la tolérance multiculturelle non pas sur plus d’égalité entre les groupes culturels mais sur davantage de libertés pour leurs membres. Il en résulte un laissez-faire radical qui, d’une part, interdit de chercher à protéger les cultures menacées de disparition et, d’autre part, autorise l’existence de communautés très traditionnelles et la perpétuation en leur sein de pratiques contraires aux libertés individuelles.
47Conclusion
La moralisation des identités culturelles,
écueil du modèle de la tolérance religieuse
Si l’on revient sur la distinction du juste et du bien, on observe que, dans une telle perspective, cette distinction est en quelque sorte abolie. Alors que Kymlicka reprend le concept de tolérance pour dégager les principes d’une « justice ethnoculturelle », Kukathas le mobilise pour souligner le caractère incommensurable des valeurs morales, relatives à la sphère du bien, et en déduire qu’il n’existe pas de raisons communes pour s’accorder sur des principes de justice. En érigeant la conscience individuelle en seule source légitime de valeurs, il vide en quelque sorte la sphère publique de toute substance morale. Étant donné le caractère indépassable des désaccords moraux, l’État libéral doit se contenter d’instaurer un modus vivendi et renoncer par là-même à la prétention de fonder un modus credendi en matière de justice. L’action politique se réduit ainsi à un type de régulation essentiellement négative qui repose sur la non-interférence de l’État dans les affaires des communautés culturelles22. La valeur de la tolérance prime donc, pour Kukathas, sur celle de la justice et l’erreur des libéraux rawlsiens est précisément d’avoir voulu fonder la tolérance sur la justice, rétablissant de la sorte une forme d’orthodoxie morale. La tolérance, rapportée à son sens originel, n’a besoin des principes de justice ni pour être justifiée, ni pour se voir fixer des limites. C’est une vertu politique qui se suffit à elle-même et qui s’avère bien moins exigeante que les libéraux rawlsiens ne le suggèrent23.
La tolérance maximale que prône Kukathas a évidemment suscité beaucoup d’indignation chez les libéraux en raison des pratiques illibérales qu’elle autorise et des formes extrêmes de conservatisme social 48qu’elle cautionne24. Sans nier ces difficultés, nous voudrions insister sur un autre problème et montrer que cette justification de la tolérance est aussi éminemment problématique en ce que sa manière de penser le pluralisme culturel empêche de trouver une solution au problème de la domination culturelle qui s’exerce dans la sphère publique.
En envisageant la diversité culturelle à travers le prisme de la diversité religieuse, Kukathas adopte une vision extrêmement réductrice de la première qui invalide le projet d’une justice interculturelle. Ce prisme le conduit en effet à interpréter les conflits culturels comme autant de désaccords moraux qui s’ancrent dans les convictions profondes des individus. Or une telle approche cautionne inévitablement les objections les plus couramment adressées à la politisation des identités collectives (notamment culturelles), en particulier celles de l’incommensurabilité et de l’authenticité25. L’objection de l’incommensurabilité met en avant le fait que les revendications identitaires se fondent sur des principes normatifs entre lesquels il est en définitive impossible de trancher, à partir du moment où ceux qui les défendent y sont attachés pour des raisons morales qu’ils jugent fondamentales. Comment décider par exemple s’il faut privilégier l’autonomie culturelle des peuples autochtones ou les droits des femmes lorsque les revendications de ces deux groupes entrent en conflit ? Quant à l’objection de l’authenticité, elle soutient que la valeur des identités procède d’une estimation éminemment subjective qui échappe aux critères objectifs d’un examen public. L’identité, parce qu’elle touche à l’intime et à l’intégrité personnelle, se présente généralement comme une valeur non négociable qui s’avère incompatible avec les exigences du compromis politique.
Le principal défaut d’une conception de la tolérance qui se fonde sur la sacralisation de la liberté de conscience réside donc dans le fait que la tolérance y perd toute portée démocratique. En effet, parce que Kukathas exclut qu’un consensus sur le juste puisse émerger des convictions personnelles des citoyens, il sape ab initio le principe de justification qui est au cœur du libéralisme contemporain et qui fonde le lien essentiel 49entre la tolérance et l’égal respect dû aux citoyens. Rappelons que pour Rawls la tolérance est indissociable du fait d’être « raisonnable », une faculté morale qui se définit elle-même par la capacité à proposer des principes de justice acceptables par tous26. Le principe de justification reflète ainsi la dimension égalitaire que contient « l’idée fondamentale » sur laquelle Rawls construit le libéralisme politique : dans des sociétés où plus personne ne s’accorde sur un principe divin ou naturel pour justifier l’ordre politique, les personnes n’ont pas d’autre choix que de déduire les principes de justice de l’idée de société comme « système de coopération équitable entre personnes libres et égales ». Cela les oblige à n’admettre que les principes fondés sur des raisons que tous peuvent accepter. La tolérance libérale, ainsi conçue, ne peut donc pas prendre la tournure solipsiste que lui confère la position de Kukathas, en enfermant chaque personne et chaque groupe dans la vérité des ses convictions. Le statut de citoyen oblige au contraire les individus à envisager les termes de leur cohabitation culturelle d’après des principes de justice qui expriment leur égalité, c’est-à-dire leur droit égal à une justification acceptable.
Dès lors, pour éviter de sacrifier le principe de justification à la tolérance comme le fait Kukathas, il convient de remettre en cause la conception moralisée des conflits culturels qui grève son analyse du multiculturalisme. Comme le souligne Avigail Eisenberg, ces conflits sont souvent moins profonds que les débats publics ne le suggèrent. Alors que ces débats véhiculent l’image de positions tranchées et irréductibles entre ceux qui, d’un côté, adhèrent aux valeurs de la modernité démocratique contre ceux qui, de l’autre s’accrochent à leurs traditions, « les conflits naissent souvent non de la contradiction qui oppose une pratique minoritaire à ‘‘la logique libérale des droits individuels’’, mais plutôt de la divergence qui existe entre cette pratique minoritaire et l’interprétation dominante de ce que la liberté autorise ou exige dans un cas particulier27 ». La moralisation des conflits culturels induit en erreur dans la mesure où elle radicalise en opposition de principes ce qui n’est 50généralement qu’un conflit d’interprétations de principes proches, voire similaires : lorsque des citoyens revendiquent la tolérance de certaines coutumes ou pratiques religieuses, ils ne prônent pas nécessairement la soumission du croyant à sa communauté, mais contestent bien souvent les biais culturels qui grèvent l’application des principes généraux de la citoyenneté démocratique. Ces principes fondateurs de liberté et d’égalité portent en effet, dans leur traduction effective, la trace de l’histoire qui a conduit à leur institutionnalisation et au travers de laquelle les interprétations et les priorités de certains groupes sociaux, culturels ou religieux ont prévalu.
Les interprétations collectives qui biaisent la façon dont les grandes institutions d’une société appliquent les principes de liberté et d’égalité posent problème à partir du moment où elles lèsent les personnes qui, pour des raisons culturelles, les interprètent différemment. Or le principe d’égal respect des citoyens exige que les pouvoirs publics puissent rendre compte de leur action en des termes qui soient aussi acceptables par ces personnes en situation minoritaire. Cela suppose de la part de l’État et des administrations qu’ils fassent preuve d’« humilité institutionnelle28 », à savoir qu’ils prennent acte des revendications identitaires de ces citoyens et tirent profit de celles-ci pour détecter et corriger les biais culturels des institutions. Cet objectif suppose qu’on cesse de brandir le caractère non négociable des revendications identitaires en vue de les congédier de la sphère publique et qu’on s’engage au contraire dans l’examen sérieux et la discussion collective des raisons qui les fondent. Ne pas le faire, en arguant que ce genre de revendications ne se prête par nature ni aux exigences de la délibération publique ni aux conditions du compromis politique revient à encourager le statu quo qui entérine les privilèges dont jouissent les membres de la culture majoritaire. Refuser de considérer les revendications identitaires des minoritaires, en effet, ne fait pas disparaître les biais culturels mais laisse ces derniers peser sur les choix politiques et les décisions judiciaires de façon généralement implicite.
Pour conclure, il n’est pas certain que le modèle de la tolérance religieuse soit le plus pertinent pour poser les fondements d’une justice ethnoculturelle. Ce modèle encourage deux tendances contestables, la première qui consiste à interpréter la différence culturelle comme un désaccord moral et la seconde qui incite à réduire la neutralité de l’État 51à la non-intervention. Ce sont ces écueils que met en évidence la position de Kukathas, laquelle radicalise précisément la logique normative de la tolérance religieuse pour prôner l’abolition des droits culturels et l’adoption du laissez-faire en matière de gestion des rapports entre groupes culturels. Il nous semble plus prometteur au contraire de miser sur la dimension démocratique du libéralisme rawlsien. C’est un point que Kymlicka ne fait que suggérer quand il justifie la formulation des droits culturels en vertu du principe d’égalité, mais dans la mesure où il n’articule pas clairement ce principe d’égalité aux exigences du devoir de justification, sa position quant au bon usage qu’il convient de faire du modèle de la tolérance religieuse demeure ambiguë et lourde de dérives indésirables.
Sophie Guérard de Latour
Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
1 John Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1993.
2 Ibid., p. 13.
3 Patrick Savidan, Le Multiculturalisme, Paris, PUF, « Que-sais-je ? », Crowder, George, Theories of Multiculturalism, Polity Press, Cambridge, 2013.
4 Will Kymlicka, « La critique essentialiste du multiculturalisme : théorie, politique et ethos », in S. Guérard de Latour (dir.), Le Multiculturalisme a-t-il un avenir ?, Paris, Hermann, 2013, p. 29.
5 Pour une analyse comparative des politiques multiculturelles dans les différents pays, se reporter au « Multicultural Policy Index » de Queen’s University.
6 Les politiques multiculturelles ont pris des formes diverses, en fonction de la situation et des demandes des groupes ethnoculturels, telles que l’octroi de droits fonciers et de droits d’autogouvernement aux peuples autochtones, le renforcement de l’autonomie régionale et du statut officiel des langues minoritaires dans le cas des groupes nationaux sub-étatiques ou l’adoption de politiques d’accommodement en faveur des groupes issus de l’immigration.
7 Will Kymlicka, La Citoyenneté multiculturelle. Une défense libérale des droits des minorités, Paris, La Découverte, 2001, p. 163.
8 Will, Kymlicka, « Human rights and Intercultural Justice » in Politics in the Vernacular. Nationalism, Multiculturalism and Citizenship, Oxford University Press, 2001, p. 69-90.
9 « … une culture qui offre à ses membres des modes de vie, porteurs de sens, qui modulent l’ensemble des activités humaines, au niveau de la société, de l’éducation, de la religion, des loisirs et de la vie économique, dans les sphères publique et privée. » (Will Kymlicka, La Citoyenneté multiculturelle, Op. cit., p. 115).
10 Rainer Forst, « A Critical Theory of Multicultural Toleration », in Owen and Simon (dir.) Multiculturalism and Political Theory, Cambridge University Press, 2007, p. 292-311.
11 Yael Tamir, Liberal Nationalism, Princeton, Princeton University Press, 1990 ; David Miller, On Nationality, New York, Oxford University Press, 1995.
12 Le fait que chez Kymlicka la culture renvoie à la « culture sociétale » tend à réduire la portée normative de sa théorie des droits culturels aux cas des minorités nationales et des peuples autochtones (quand ceux-ci disposent encore d’un mode de vie propre, ce qui n’est pas toujours le cas). Elle s’avère en effet mal adaptée à la situation des minorités issues de l’immigration, dans la mesure où les immigrés, quand ils ont choisi de changer de pays, autrement dit quand ils ne sont pas des réfugiés, ont d’après Kymlicka renoncé au droit de vivre dans leur culture sociétale d’origine. Bien que ce dernier conteste la légitimité de l’assimilationnisme aussi dans les cas des immigrés, il leur accorde des droits bien moins substantiels que les « droits d’autogouvernement » dont devraient jouir les groupes nationaux (notamment parce que les droits accordés aux immigrés, dits « polyethniques », ne donnent aucun pouvoir au groupe culturel en tant que tel). Surtout, Kymlicka ne fournit pas d’argument précis pour justifier les droits polyethnniques. Sur ce point, on peut donc suivre Daniel Weinstock quand il affirme que le multiculturalisme de Kymlicka est avant tout « un multinationalisme libéral » (Daniel Weinstock, « Le paradoxe du multiculturalisme libéral », in S. Guérard de Latour (dir.), Le Multicuturalisme a-t-il un avenir ?, Op. cit.).
13 Chandran Kukathas, The Liberal Archipelago. A Theory of Diversity and Freedom, Oxford, Oxford University Press, 2007.
14 Will Kymlicka, La Citoyenneté multiculturelle, Op. cit., p. 69.
15 Chandran Kukathas, The Liberal Archipelago. Op. cit., p. 125. Notre traduction.
16 Ibid., p. 49-50.
17 Chandran Kukathas, « Are there any Cultural Rights ? », Political Theory, vol. 20, no 1, 1992, p. 105-139.
18 William Galston, « Two Concepts of Liberalism », Ethics, vol. 105, no 3, avril 1995, p. 516-534.
19 Chandran Kukathas, The Liberal Archipelago. Op. cit., p. 99.
20 Chandran Kukathas, « Liberalism and Multiculturalism : The Politics of Indifference », Political Theory, vol. 26, no 5, oct. 1998, p. 687.
21 Cette expression renvoie à l’une des premières défenses des politiques multiculturelles, Iris Marion Young, Justice and the Politics of Difference, Princeton, Princeton University Press, 1990.
22 La seule interférence légitime consiste dans la garantie des droits de sortie, mais elle ne compromet pas la neutralité axiologique de l’État puisque c’est toujours la liberté de conscience et non la liberté de choix qu’il s’agit de protéger (un individu peut exercer son droit de sortie pour quitter un groupe libéral afin de rejoindre une communauté extrêmement traditionnelle et conservatrice). Les motivations qui conduisent à exercer les droits de sortie (valorisation de l’autonomie ou de la tradition) restent à la discrétion de la conscience individuelle.
23 C. Kukathas, The Liberal Archipelago, Op. cit., p. 23.
24 Voir la réponse de Will Kymlicka (« The Rights of Minority Cultures : Reply to Kukathas », Political Theory, vol. 20, no 1, 1992, p. 140-146) ou la critique de la féministe libérale Susan Moller Okin (« Mistresses of the Own Destiny : Group Rights, Gender and Realistic Rights of Exit », Ethics, vol. 112, no 2, 2002, p. 205-230).
25 Avigail Eisenberg, Reasons of Identity. A Normative Guide to the Political and Legal Assessment of Identity Claims, Oxford, Oxford University Press, 2009, chap. 4 et 5.
26 Les personnes raisonnables « désirent comme une fin en soi un monde social dans lequel elles-mêmes, en tant qu’agents libres et égaux, peuvent coopérer avec les autres dans des termes que tous peuvent accepter » (John Rawls, Libéralisme politique, Op. cit., p. 78). Être raisonnable implique d’« être prêts à élaborer le cadre du monde social public » (Ibid., p. 82).
27 Avigail Eisenberg, Reasons of Identity. Op. cit. p. 7.
28 Avigail Eisenberg, Reasons of Identity, Op. cit., p. 11.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-07765-7
- EAN : 9782406077657
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07765-7.p.0035
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/02/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Tolérance, multiculturalisme libéral, minorités, théorie de la justice, Will Kymlicka, Chandran Kukathas