Pourquoi la mémoire ? De l’âme de la nation à la psychologie collective, 14-18 comme objet épistémologique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
2016 – 2, n° 9. I. Limites et extension - Auteur : Grangé (Ninon)
- Pages : 113 à 137
- Revue : Éthique, politique, religions
Pourquoi la mémoire ?
De l’âme de la nation à la psychologie collective,
14-18 comme objet épistémologique
Plutôt que de tenter de renforcer l’idée, à mon sens encore hypothétique, que 14-18 mènerait à une transformation de la définition de la guerre ou du concept de guerre, au-delà donc d’une conjonction supposée entre événementialité et essentialité, je voudrais explorer le lien entre une énigme épistémologique et un problème politique. À partir d’un tableau qui fait graviter les sciences, les philosophies, autour de la mémoire révélant le problème du collectif comme somme (ou non-somme) des individus, je proposerai de concevoir le dialogue entre les sciences comme une manière de parler de ce qui est refoulé : le politique conflictuel et plus précisément l’exception politique, que manifeste la Première Guerre mondiale.
Différentes sciences pour un objet,
contre-point du silence sur la guerre de 14-18
Au départ, un étonnement. Plusieurs auteurs, acteurs de la Première Guerre mondiale, ne font pas mention de la guerre qu’ils vivent ou viennent de vivre dans leurs travaux : Maurice Halbwachs1, Norbert Elias2 se distinguent de Bloch, Freud, Bergson ou Benjamin, même si 114ces derniers ne théorisent pas pour autant la guerre ; c’est le constat historico-biographique. Ce qui semble réunir ces auteurs, brossé à grands traits, est la question de la conscience telle qu’elle apparaît avec la mémoire. Indépendamment de leur vie et de leur biographie scientifique et au-delà des différences méthodologiques, ils réfléchissent à la pratique de « leur » science : psychanalyse, sociologie, psychologie, histoire, philosophie, droit. La question de la conscience est revisitée grâce à un renouveau méthodologique et scientifique. Tout se passe comme si 14-18 poussait à ce questionnement disciplinaire et épistémologique, et ruinait, dans une compréhension française au moins, la place tutélaire du cartésianisme3. On va voir que la conscience, issue de la question de l’union de l’âme et du corps, est recouverte par une question plus politique, celle de la mémoire appréhendée sous le rapport de l’individu et du collectif. Le constat en histoire de la philosophie se prolonge peut-être en philosophie de l’histoire.
Je signale simplement que cette focalisation sur le moment de 14-18, moment de bouleversements, de modifications collectives, de crise, éclaire un autre aspect qui n’est pas très visible dans l’immédiat après-Grande Guerre : l’émergence de la question du témoin, qui s’est trouvée occultée par l’abondance et la visibilité des travaux sur le témoignage pour la Seconde Guerre mondiale, donc dans une historiographie beaucoup plus récente. Halbwachs par exemple a pu être décrit comme souffrant du « complexe du faux survivant4 », lui qui n’avait pu s’engager en 1914. De manière semi-scientifique, il endosse un rôle de témoin à chaud : enseignant près du front de l’Est, il va au plus près des champs de bataille récemment délaissés et prend des photos selon un protocole quasi méthodique. De même sa correspondance montre une capacité descriptive qui emprunte aux lois de la sociologie. Je signale ces à-côtés de la science par des scientifiques (correspondance, photographies5, 115cours…), alors même que la guerre n’est pas le cœur de leur pratique, parce qu’au même moment la littérature n’a pas les mêmes réticences et pointe tout de suite l’obligation et l’impossibilité de parler pour ceux qui revenaient du front : Barbusse, Remarque… Le constat, qui déborde sur les années vingt et trente, affecte l’histoire des sciences sociales.
Ces trois constats, sans lien entre eux, tournent autour de la question de la mémoire, prise en trois sens différents : a) matière d’un vécu qui serait soit passée sous silence soit carrément refoulée ; b) marque et problème de la conscience ; c) capacité à restituer, ou à construire, quelque chose du passé et à le transmettre. Cela nous évite des simplifications : celle qui oppose la mémoire et l’inconscient, celle qui prend comme point de départ de la réflexion les travaux de Bergson, et ne comprendrait la mémoire que dans cette postérité. Mon fil rouge, Halbwachs, n’est pas un hasard : il a suivi les cours de Bergson avec admiration et s’oppose à lui dans la définition même de la mémoire ; bien plus il lui arrive de reprendre la méthode bergsonienne pour répondre à d’autres détracteurs, comme ses amis les historiens des Annales.
Dans une conception élargie de la notion de psychologie, non inscrite dans des méthodologies préexistantes, je voudrais montrer l’absence de cloisonnement qui, en cette matière, est fondamentale. La question disciplinaire est seulement conséquente, il n’y a pas plusieurs objets « mémoire », mais une vraie discussion sur ce qu’elle est. On peut penser que la question de la mémoire ainsi posée n’est pas encore résolue : en témoigne la référence topique à Halbwachs sur la mémoire collective alors que ses livres ne sont pas massivement lus, la référence obligée étant une manière de faire fi de l’embarras. Du coup, on mécomprend la mémoire collective comme mémoire nationale, constitution identitaire, accords mémoriels. Halbwachs s’oppose radicalement à cet usage. Ce malentendu mérite qu’on en revienne à ce moment fondateur, dans lequel j’aurais dû inclure Marcel Proust, car dans La Recherche, ce qui déclenche le temps retrouvé, c’est la réalité accélératrice de la guerre. On pourrait résumer autrement le cheminement historico-philosophique en parlant d’un dépassement politique et psychanalytique de Descartes et d’une reprise psychologique du problème soulevé de l’opposition entre la somme des individus et la volonté générale de Rousseau. Halbwachs a fait une édition commentée du Contrat social, et l’un des derniers textes de Durkheim, mort en 1917, porte sur Le contrat social de Rousseau 116(posthume 1918). Halbwachs, chargé de faire son éloge mortuaire, ne parle pas – silence, déni, refus ? – des trois textes qui ont occupé Durkheim à la fin et qui portaient sur la guerre6.
La psychologie s’exerce sur des sujets nouveaux au moment de la guerre : les combattants, l’arrière, les civils, les états-majors, la foule, la nation, etc. Cet événement, dont on se demandera s’il est simplement une circonstance pour les développements sur la mémoire, repose autrement la question des individus et de la communauté politique, de l’universalisme et de l’individualisme, finalement la question de l’âme individuelle et d’une possible âme collective. Halbwachs comme fil directeur, mais Kelsen comme point de départ, qui souligne les implications de la question psychologique abordée depuis différentes sciences. Dans un article essentiel, Kelsen se place d’emblée dans une discussion pluridisciplinaire qui, à partir d’un même objet, met en question, éclaire, réfute, approfondit la question de la psychologie collective et son ancrage social et politique. En 1922 Kelsen, à l’invitation de Freud pour la revue Imago, écrit un compte rendu de la théorie freudienne des foules : « La notion d’État et la psychologie sociale. À propos de la théorie freudienne des foules7 ». Kelsen commente « Psychologie sociale et analyse du moi » (1921) de Freud8. Il remonte aux origines de la notion de moi collectif et passe en revue de manière critique les auteurs majeurs de la psychologie collective et de la sociologie. Balibar a bien montré en quoi l’article de Kelsen a pu être pris en compte par un Freud qui voulait envisager les objections à ses thèses et qu’il a finalement intégrées dans sa théorie ultérieure du Surmoi, dans Le Moi et le Ça (1923)9. Le propos de Kelsen aurait induit « une inflexion, voire un tournant théorique » 117chez Freud10. Je retiens l’horizon de rencontre disciplinaire qui fait naître un problème : le politique, qui n’est pas substantiellement partie de la théorie juridique de Kelsen ni de la théorie psychanalytique de Freud, est confronté à la question de l’unité sociale ; est reposée la question du peuple, du « double rapport de tous à chacun et de chacun à tous11 ». L’âme collective est sérieusement logiquement remise en cause. Kelsen passe en revue plusieurs sociologies, la psychologie et la psychanalyse, pour révoquer la métaphore qu’est pour lui l’âme collective pensée sur le modèle analogique de l’individualisme, qui donne lieu à une hypostase fautive et à une metabasis eis to allo genos12. Cela non pas pour dire qu’il n’y a de psychologie qu’individuelle – en cela il est proche de Freud – mais pour pointer un « faux problème », ce que Bergson aurait formulé comme un problème mal posé, de cet ordre : « [Q]uel est donc le contenu spécifique de cette volonté, de ce sentiment ou de cette pensée, dont l’expérience vécue parallèle dans une multiplicité d’individus fait précisément la communauté étatique ? », Kelsen répond que « l’État n’est en fin de compte que le contenu spécifique d’une conscience, dont l’agrégation massive dans les psychologies réelles reste de prime abord problématique13. » Comment alors envisager ce lien social, une « âme des foules14 » qui ne soit pas pensée comme un psychisme individuel ? « L’État est-il, lui aussi, une foule psychologique15 ? » Quel est le biais méthodologique pour parler de ce lien sans que ce soit sous la forme du saut de l’individuel au collectif, saut qu’effectue allègrement, selon Kelsen, la « sociologie psychologique16 » ?
À l’opposé de toute discrétion scientifique, lorsque la guerre est explicitement mentionnée et abordée, c’est sous la forme de discours 118publics patriotiques. Bergson participe à l’engouement pour ce type de discours vantant les valeurs de la France face à une Allemagne dénigrée. Il ne s’agit pas de laisser de côté ce qui pourrait éclairer autrement une œuvre, mais simplement de constater un retrait politique et idéologique qui contraste fortement avec l’originalité des développements philosophiques ou psychologiques. On ne peut nier cependant le sentiment de déception17 qui ne manque pas de saisir le lecteur de Bergson devant ses discours18. Frédéric Worms l’analyse dans la forme du caractère national ainsi manifesté par un Bergson s’intéressant au « sentiment patriotique comme une émotion morale fondamentale19 ». Ce qui est évoqué alors, dans ces textes de circonstances, c’est « l’âme de la nation », une facilité rhétorique (celle que l’on retrouve avec notre récente « identité nationale » qui ne semble plus faire problème, quelle que soit la couleur politique), et une manière de lisser tout problème émanant de la somme des individus formant quelque chose comme une masse, une foule, une communauté, une société. Mais surtout une utilisation de concepts obsolètes, bien peu en harmonie avec l’originalité des textes philosophiques. Bergson et d’autres parlent de la nation dans la langue d’Ernest Renan. De cette récupération conceptuelle appliquée au monde de 14-18, la question de la mémoire, par le même Bergson, s’en trouve provisoirement modifiée. Dans la recherche d’un lien qui serait non abstrait entre les individus et la collectivité, Bergson ne fait pas autre chose que prolonger « sa propre conception de l’individualité psychologique » en « opposant deux théories de la nation. Selon la première, la sienne, une nation est une “personne” dotée d’une “âme”, à laquelle les traditions et les lois fournissent une “mémoire” », selon l’autre c’est la force qui est la mesure d’une nation (Hegel relu par Bismarck)20. L’âme de la nation, pour Bergson, n’entre pas en contradiction avec sa conception individualiste de la psychologie, elle en est même un 119prolongement, comme si la nation était une incarnation des individus pris en bloc. Les lois, de manière très cohérente, constituent ce passé dans lequel la pratique vient puiser, le droit est un instrument utile aux nations. Mais ce passage des individus à la nation, tout comme le Léviathan, tout comme la société commencée, reste un problème à part entière puisqu’il est résolu avant d’être posé. Au mieux, c’est une fiction : la nation incarne les individus comme si elle était UN individu.
À partir du trauma de la « guerre totale », qu’on le prenne du point de vue de la théorie de l’État, de la question sociale ou de la psychologie, l’énigme irrésolue est la suivante : qu’est-ce qu’une foule qui ne soit pas ramenée à une juxtaposition d’individus forclos dans leur conscience, ni à une « âme collective » introuvable ? Que se passe-t-il au front et comment se fait-il que les anciennes catégories ne soient pas efficientes ? À propos de l’âme, Kelsen parle en 1922 d’un « pseudo-problème », d’une « faute de raisonnement21 » qui hypostasie l’âme collective sous l’âme individuelle. Mais son but est autre : il veut définir « l’unité sociale, autrement dit le lien d’une multiplicité d’individus ramenés à l’unité22 » ce qui l’amène à définir l’État comme une « idée directrice23 » pour les foules et à considérer que l’ordre est celui de la contrainte, ce qui le rapproche encore une fois de Freud. À mon sens, ce faux problème, qui consiste à comprendre une métaphore comme un contenu littéral, ou, comme Bergson, à opérer une analogie qui est en fait un passage à la limite, en laisse émerger un vrai : celui d’un temps politique, peut-être politico-juridique, spécifique de l’après-14-18, qui prend en compte ce moment d’exception – que je définis comme un espace clos et un temps dilaté – à partir de la question au départ individuelle de la mémoire. Ce n’est donc pas tant à la transformation du concept de guerre que nous conduit l’enquête 14-18, qu’à la découverte d’un temps politique ainsi révélé. Ce que j’ai pu aborder à partir de la notion juridico-philosophique de l’exception, se saisit à partir de la mémoire.
12014-18, un laboratoire ?
Des hypothèses
Il y a donc quantité d’éléments de brouillage concernant le rapport entre individus et collectivité : la massification, le « total » qui vient qualifier la guerre, l’État, la mobilisation, le brassage des classes sociales dans les tranchées, le lexique politique peu adapté et recouvert par la phraséologie belliqueuse habituelle… Pourtant il me semble que c’est aussi l’occasion pour certains d’approfondir des thèses. 14-18 a pu être un laboratoire, et pas seulement celui de la tuerie en masse.
Sur le terrain, pendant la durée de la guerre, la psychanalyse (Freud, Ferenczi, Abraham) bénéficie de l’arrivée de nombreux blessés de guerre aux traumatismes variés, alimentant l’exploration sur les névroses. Notons tout de suite que la spécificité des névroses dites de guerre est récusée sur le moment, et que la bataille pour les psychanalystes continue alors d’être la reconnaissance du traumatisme en général comme un mal psychique et non pas nécessairement neurologique. La guerre en ce sens fournit seulement une opportunité. En revanche, il y a bien une reconnaissance de la notion de groupe. Dans son article « Psychologie collective et analyse du moi » (1921), qui part essentiellement de sa lecture de Gustave Le Bon (La psychologie des foules) pour le dépasser, Freud répète que l’individu est considéré par la psychanalyse comme appartenant à plusieurs groupes24. Mais c’est d’abord pour faire admettre, après le facteur d’organisation d’une foule, que Éros est la force qui fait que la foule « garde sa consistance25 » et que les liens libidinaux relient l’individu au chef d’une part, et « à tous les autres individus composant la foule26 » d’autre part. La tension entre plusieurs individus d’une foule ainsi reliés, où amour et pulsion de mort27 coexistent, est comparable au conflit entre le Moi et l’idéal du moi : « chaque individu participe ainsi de plusieurs âmes collectives (an vielen Massenseelen), de celles de sa race, de sa classe, de sa communauté 121confessionnelle, de son État, etc.28 ». Il n’y a pas de spécificité de la guerre pour Freud, l’armée est seulement un exemple, dans cet article, de même rang que l’Église. C’est évidemment Totem et tabou (1913) – le texte « d’avant » 1914, alors que Psychologie collective et analyse du moi date de 1921 – qui est le plus commenté en relation avec la brutalité de la guerre passée, et l’idée qu’elle rejoint une violence primitive. Donc de ce point de vue la guerre est bien un laboratoire, mais un laboratoire qui, finalement, ne sort pas de l’ordinaire. On y voit mieux les différentes « âmes collectives », la complexité du rapport entre groupes. La question demeure : pluralité des consciences ou conscience collective ? Allégorie, métaphore, analogie ou saut illogique ?
La guerre de 14 est aussi un laboratoire pour des historiens : Marc Bloch, Lucien Febvre intègrent la guerre de 14 comme un laboratoire annalistique – ce n’est pas le lieu d’y revenir en détail. Témoin, narrateur, historien, Bloch fait de ses propres traces de la guerre (des deux guerres en fait) un usage archivistique pour penser le présent. Il serait trop long d’étudier les différences, voire les différends, entre Marc Bloch et Maurice Halbwachs, cependant collègues et amis. Contentons-nous de noter que Bloch reprochait à Halbwachs de ne plus tenir compte d’une construction individuelle de la mémoire, notamment à partir de sa transmission. À son tour Halbwachs fait un reproche voilé aux historiens des Annales : le « questionnement actuel » de l’historien devant être intégré à son travail, sa recherche devient « occurrence de son objet29 ».
L’expérience de la guerre, vécue comme un changement total (de proportion, de dimensions, social, économique, politique, etc.), renverse les méthodes d’avant-guerre : plutôt que de tirer les leçons du passé et d’en faire usage, notamment dans une fonctionnalité juridique pour le présent (les juridictions d’exception fleurissent en Europe dès le début de la guerre), l’inverse est fait (cela est vrai pour les historiens des Annales, pour la sociologie durkheimienne, pour Bergson) : c’est-à-dire qu’on part de l’expérience pour aller vers une compréhension de l’exception, révélée par la guerre. L’hapax ne peut être saisi que par l’expérience. La Première 122Guerre mondiale est vécue sur le moment comme sortant de l’ordinaire – les juristes, les historiens s’en sont émus dès avant le déclenchement des hostilités, de même que Freud ou Bergson. Et pourtant, le vocable de la guerre totale n’est pas récurrent chez les auteurs que je cite, c’est plutôt la perte de la morale, de la vertu, le fait que les États s’emparent d’une violence transgressive, qui sont soulignés. Il y a bien exception, mais elle est immédiatement conduite dans le langage de la science qui n’est pas envisagée comme science de la guerre. Le conflit entre disciplines reste périphérique, comme si la science devait se tenir au-dessus des conflits des hommes. Alors que Bergson est réfuté d’un côté par Freud sur le partage entre la conscience et l’inconscient, de l’autre par Halbwachs sur l’existence même d’une mémoire individuelle, cela ne donne pas lieu à des passes d’armes théoriques. Alimentant à mon sens ce consensus des esprits scientifiques décidés à ne pas faire la guerre, la relative banalité de leurs discours pour peu qu’ils s’abandonnent aux discours politiques : Freud dans la Considération actuelle sur la guerre et la mort, Bergson on l’a vu, Durkheim dans ses trois textes de guerre, et même Halbwachs dans son action à la Ligue des Droits de l’homme et sa participation au cabinet d’Albert Thomas, repensent la nation dans le langage de Renan et n’apportent pas de nouveauté conceptuelle qui ne lierait pas le sentiment patriotique avec des valeurs morales plutôt normatives, une fois acquise l’opposition entre « une nature biologique » et « celle d’une intention historique partagée30 ». Or c’est dans ce contexte conformiste qu’émerge l’idée de groupe et de mémoire collective. J’opposerais volontiers cette cécité un peu poussiéreuse à la lucidité immédiate de la littérature qui saisit la nouveauté de cette guerre, autant pour l’individu que pour les groupes. Si je résume : le sentiment du moi subit une remise en cause collective au moment où la science causale est en plein développement. Mais précisément le refoulé fait retour.
Mon hypothèse : ce que ces auteurs, redevables à une pensée politique dépassée, ne parviennent pas à faire du côté de la politique, ils le font avec la science. Freud est explicite : il n’y a pas de différence d’essence, mais d’échelle seulement, entre cette guerre et celles qui l’ont précédée31. 123La nouveauté est déplacée ailleurs, vers la collectivité redécouverte, ou découverte autrement, notamment avec la prise en compte des groupes comme conscience à part entière qu’il faut explorer. Le déplacement opéré va de la guerre totale indicible pour l’expérience collective à la psychologie collective découverte dans un pluralisme épistémologique. La nécessité d’une mise en science des rapports entre individus et groupes se fait jour, 14-18 en est le soubassement. C’est l’indice d’un temps politique de l’exception qui ne doit pas être reconnu comme tel, sous peine, politiquement et juridiquement, de saper la normalisation de l’extraordinaire. La question du temps est en embuscade dans cette intégration scientifique : les auteurs qui se focalisent sur la mémoire et la mémoire collective traitent, en second, de la question du temps. Ce qui ne peut se dire dans le vocabulaire et les concepts de la nation est abordé par un autre chemin, éloigné seulement en apparence de l’expérience de 14-18.
Un signe de ce mouvement est la reprise, chez beaucoup de ces auteurs, de l’organicisme : hérité de la tradition hobbesienne, il est transposé à la science, d’où il provient sans doute, et détaché de la question de l’État. Les groupes sont décrits comme un grand organisme vivant, cohérent, organisé, dont le tout est constitué par les individus. L’expérience de 14, comme guerre de masse industrielle, où le nombre de soldats a connu une augmentation sans précédent, les mouvements tactiques une ampleur considérable, l’armement une évolution technique fondamentale, fournit un modèle soumis à une forte révision au moins catégorielle, sans doute conceptuelle. Les foules, les masses, les individus, la « chair à canon », ne peuvent être compris à partir du modèle de Léviathan. On trouve cette description chez Jünger : les troupes de choc sont présentées comme un grand organisme aux parties solidaires qui agissent en harmonie sans passer par l’ordre donné ou la réflexion32. Ferenczi note, pour réfuter toute possibilité de blessure neurologique, qu’il a accueilli dans son hôpital douze soldats d’un même régiment, tous frappés de la même paralysie, déclenchée au même moment, sur le même champ de bataille33. Ce que 14-18 apporte aux évolutions de certaines sciences, au 124premier rang desquelles la sociologie, c’est la découverte de la collectivité et l’interaction avec et entre les individus. Halbwachs reprend et dépasse l’image de Durkheim pour qui « [l]a cellule vivante ne contient rien que des particules minérales, comme la société ne contient rien en dehors des individus. […] Ce ne sont pas les particules non vivantes de la cellule qui se nourrissent, se reproduisent, en un mot, qui vivent : c’est la cellule elle-même et elle seule34. » Halbwachs intègre cette image dans sa correspondance. Au tout début de la guerre, il décrit dans une lettre cette forme empirique d’organicisme et parle de protozoaire pour décrire l’activité solidaire de plusieurs individus en préparation à l’arrière. La notion de « groupe » envahit son texte. Halbwachs passe une visite d’incorporation au ministère de la Guerre, il côtoie ainsi des incorporés qui vont aller au front :
Environ 5 ou 700 civils, avec quelques capotes bleues, quelques sergents, lieutenants, s’immobilisent ou opèrent des déplacements de masse, comme des courants de substance à l’intérieur d’un protozoaire. On reçoit des ordres contradictoires, on ne sait ni pourquoi ni pour combien de temps on est là. Autour de soi, ronchonnements, impatiences, piétinements, ou résignations mornes. On échange quelques mots au hasard des juxtapositions, avec des types de classes sociales variées. Je cause un peu plus longuement avec un instituteur parisien qui a dépassé la quarantaine et a un œil de travers. […] Derrière moi, un type qui a l’air d’un demi-prolo avec sa casquette en cuir bouilli. […] Ils parlent embusqués […]. On nous parque en attendant la visite. C’est alors que Jules Romains aurait pu continuer ses études unanimistes. Le groupe tend tout de suite à se défaire, mais est retenu vers un point par la préoccupation de passer la visite, par les chefs qui de temps en temps ramènent et refoulent ses expansions, et par le soleil. […] Un lambeau de groupe traîne tout là-bas sur un banc ; bien loin. Il paraît avoir renoncé à se rattacher jamais au groupe à qui il tient par un fil si ténu. Cependant le groupe diminue, sans bien savoir comment. Des tranches successives s’en séparent. Le reste se tasse, anxieux comme les passagers d’un navire en train de couler, et qu’on transborde, et qui attendent que les barques reviennent. […] De fait on ne sort plus de là tels qu’on y était entrés. On était une masse indifférenciée. Maintenant on est classé en quatre catégories : réformés, aptes, Val-de-Grâce, maintenus. On a été regardé tout nu par des gens qui vous ont sélectionné, passé au crible, et comme attaché des étiquettes. On a été inscrit en tant que relevant de rubriques. Maintenant on forme déjà presque un corps organisé. Le groupe repart avec une certaine joie, faite du sentiment 125qu’il s’est maintenant rattaché à des groupes d’une unité plus haute, avec l’espoir de nouvelles différenciations35.
Le pronom « on » est tantôt indéterminé tantôt substitut du « nous », reflétant ainsi les mutations du protozoaire, qui peut aussi bien se rassembler que se diviser. Halbwachs décrit un retour à une forme de primitivité et en même temps une organisation solidaire du tout et des parties. La psychologie collective se comprend en un double sens : elle est une émanation des différents groupes toujours en mutations, constitutions, désagrégations et reformations, mais elle est aussi une action rapportée à plusieurs acteurs mais à un seul agent. Les groupes sont en constante recomposition, dans un organisme multicellulaire et métamorphique. Kelsen se fait l’écho de ce vocabulaire qui rend compte du collectif et de sa conceptualité :
On peut admettre certes le point suivant – hypothèse au demeurant d’une nécessité absolue pour constituer l’unité sociale sur la base d’une interaction psychologique – : une multiplicité d’hommes constitue une unité réelle empirique uniquement dès lors que et dans la mesure où les interactions qui les relient les uns aux autres sont plus fortes, plus intenses que celles qui les relient à d’autres, de même que les organes d’un corps vivant sont – pour parler comme Simmel – « dans un échange mutuel des énergies plus étroit qu’avec n’importe quel autre organisme ». Car qui pourrait sérieusement mettre en doute qu’une communauté de nationalité, par exemple, entre les membres d’États différents, tisse ou du moins puisse tisser un lien infiniment plus étroit que l’appartenance juridique à un seul État ? La théorie sociologique de l’interaction psychologique est-elle décidée à tirer pour l’État les conclusions de sa doctrine ? Si l’on voulait fonder sur elle ce dernier, il s’engloutirait à coup sûr dans les abîmes sans fond des oppositions économiques, religieuses, nationales36…
La question du passage de la somme des individus à la collectivité dont on ne connaît pas le nom précis (société, foule, État, nation…) emprunte des cheminements explicatifs différents. L’organisme vivant et solidaire de Jünger, la cellule comme instrument de la sociologie pour Durkheim, la description groupale métamorphique de Halbwachs, enfin l’analyse critique de Kelsen dénonçant un abus de langage et donc un 126faux raisonnement, tout cela n’est pas sur le même plan. Kelsen inclut cette reprise indue de la métaphore de l’organisme vivant dans un mouvement général des sciences humaines, représentées par la psychologie et la sociologie, comme hypostasiant le collectif sous l’individuel. Il reconnaît à Le Bon de maintenir la métaphore dans son statut de métaphore, comme figure de style qui ne saurait être considérée comme explication. La foule, pour Le Bon, est un « être provisoire, composé d’éléments hétérogènes pour un instant soudés, absolument comme les cellules d’un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune des cellules possède37 ». Le Bon lu par Kelsen maintient la métaphore dans son statut de comparaison et non de substitution ; il a le mérite, finalement, de ne pas chercher à éclairer la liaison entre « âme collective » et « organisme ». Kelsen pointe exactement le faux problème : considérer la métaphore comme littérale, littéraliser la métaphore, donc passer d’une rationalité à une autre sans rigueur logique. Freud, selon lui, « déchir[e] le voile de “l’âme collective” hypostasiée » et « fait du problème de la “foule” le problème de l’unité sociale du lien social en général38 ».
La question de l’unité du lien social reprend-elle la vieille question de l’union de l’âme et du corps ? Y a-t-il transposition de la question vers les sciences en passant par l’organicisme retourné qui revient aux sciences après avoir inventé le corps politique et le Léviathan ? Il y a un tournant, inauguré par les sciences sociales, qui revisite l’unité – forme volontaire de l’union – des individus et de la collectivité. Il me semble que la question de la mémoire s’insère alors de manière tout à fait originale dans cette question insoluble du politique comme l’ensemble des individus et de la société. Mais elle le fait de manière paradoxale parce que la mémoire est conçue comme objet de science et non comme instrument pour comprendre les relations entre les individus et les groupes. Comme si se manifestait là une sorte d’inconscient du scientifique. Dit autrement : la mémoire est un biais possible pour parvenir à une solution de la société comme somme (ou non-somme) des individus. Cette question ouvre un large champ de recherche, je me contenterai d’explorer une hypothèse et de persévérer dans l’inscription politique de la question de la mémoire.
127Comparaison entre le trauma
et l’exception révélée par 14-18
La polémique sur la spécificité ou non des névroses de guerre a quelque peu focalisé le débat. D’ailleurs aujourd’hui la solution n’est pas la même qu’en 1918. Il semble que le traumatisme de guerre soit reconnu comme une pathologie spécifique, à moins que lui soient donnés de nombreux noms à tendance dilatoire : stress post-traumatique, troubles du comportement, syndrome (de la guerre du Vietnam, de la guerre du Golfe…)39. Ce qui est certain c’est que la reconnaissance d’une pathologie de la guerre naît au moment de la Première Guerre mondiale (shell-shock ou « obusite »), mais tout le travail des psychanalystes consiste à dénier toute spécificité aux troubles hystériques rencontrés chez les soldats (les symptômes n’ont pas une cause exclusivement organique) et en même temps à les faire reconnaître comme une pathologie (les hystériques ne sont pas des simulateurs). Le combat est difficile, mené contre des états-majors peu enclins à l’étude du psychisme et tendus vers le risque de défaitisme, mais aussi parce que finalement la guerre n’apporte que des exemples seulement un peu plus visibles que dans la vie ordinaire. En ce sens le laboratoire est décevant40. Donc les psychanalystes parlent de la guerre, ils y ont participé pour beaucoup comme médecins et rapportent leur expérience, notamment lors du Ve Congrès international de psychanalyse à Budapest en 1918, mais c’est pour noter une non contradiction et une non spécificité des névroses de guerre par rapport à la névrose en général.
Ce qui m’intéresse dans cette reconnaissance que la psychanalyse obtient à la faveur de la Première Guerre mondiale, ce n’est pas le débat sur les névroses de guerre, mais la démonstration que les symptômes sont une répétition du trauma, une remémoration inconsciente de l’expérience traumatisante, et que nous ne la saisissons que par une 128expérience collective. L’argument majeur de Ferenczi pour démontrer que les hystériques ne sont pas des simulateurs ou que la souffrance constatée ne provient pas d’une lésion organique interne, consiste à rapporter que tous les soldats « d’un même régiment », « le même jour », « dans la même circonstance » sont touchés par cette maladie avec les mêmes symptômes ; on retrouve le modèle de l’organicisme41. Donc la question des groupes et de la souffrance est abordée à partir de la mémoire individuelle, objet qui est de moins en moins évident et difficilement transposable tel quel aux groupes ; individus et groupes sont ici clairement « pris ensemble ». Revivre un événement sans le savoir, réexpérimenter au présent une expérience passée : le syndrome de répétition traumatique est lié à la violence de guerre sans en être essentialisé. Mais la mémoire individuelle s’explique par l’événement et le traumatisme communs à plusieurs. Le problème est que cet aspect-là des névroses – la remémoration inconsciente qui se traduit par des symptômes somatiques communs – n’est pas développé pour lui-même … L’expérience de la mémoire n’apparaît qu’en creux, comme un indice de la liaison entre individus et groupes.
Ici, j’amorcerai mon hypothèse d’une combinaison des différents registres scientifiques, épistémologiques et philosophiques. Il y a quelque chose de l’ordre de l’exceptionnel dans la guerre, comme au moins ce qui sort de l’ordinaire. Et l’état d’exception politique est, dans la majorité des situations, occulté, dissimulé, refoulé. Ce que je veux dire, c’est que le mutisme de certains intellectuels comme Halbwachs sur l’expérience de guerre (et je mets sur le même plan les discours virils des intellectuels qui s’en font l’écho) est peut-être une conséquence de l’état d’exception qui, par définition, ne peut pas être reconnu. Tout au plus reconnaît-on l’impossible banalisation de cette exception-là. En ce sens 14-18 marque l’impossible banalisation de l’état d’exception. Beaucoup d’auteurs font de 14-18 une deuxième origine de l’état d’exception après le décret de 181142. Le décret et la loi de Poincaré sont vécus comme un arrêt du temps ordinaire, d’où un choc non reconnu pour la société, ce qui expliquerait peut-être le mutisme des intellectuels sur ce parallèle. Je 129ne prétends pas produire une explication pseudo-psychanalytique des avancées scientifiques en temps de guerre, je prétends qu’un problème politique – celui de la somme des individus – apparaît sous différentes formes, dans des registres différents (sociologique, psychologique, politique …) à la faveur d’une temporalité exceptionnelle révélée par la guerre de 14-18. L’hypothèse est que, comme l’on ne peut pas parler de l’état d’exception pour lui-même, on parle d’une autre manière de concevoir le temps : la mémoire.
Au moment même où est découvert le lien entre l’individuel et le collectif, l’appartenance multiple est problématique simultanément à l’insertion dans un temps ordinaire. À défaut de la guerre, c’est le temps qui est pensé. La guerre serait un écueil épistémologique qui joue comme embrayeur. À ce point de la réflexion, Halbwachs dévoile des éléments de compréhension. La découverte d’une mémoire collective, dans un premier temps voisinant avec la mémoire individuelle puis se substituant à elle – cela correspond au passage des Cadres sociaux de la mémoire à La mémoire collective – est révélatrice. Halbwachs cherche à comprendre le lien entre les individus et les groupes à partir de la mémoire : contre l’idée d’un flux de pensée qui s’étendrait dans un temps qui s’écoule (au contraire le temps « dure, il subsiste »), chaque individu, membre de plusieurs groupes, « plonge dans différents temps collectifs », « la durée intérieure se décompose en plusieurs courants qui ont leur source dans les groupes eux-mêmes ». Il n’y a pas de succession de nos états de conscience comme le laissent penser les expressions de Bergson ou de William James « stream of thought », « flux psychologique ». La mémoire stoppe ce flux de conscience, elle n’en est pas partie prenante. Ainsi « la pensée se déplace et se meut dans le temps ». Autrement dit, la conscience est condition d’apparition de la mémoire en en étant temporellement dissociée. La conscience donne accès aux impressions ; la pensée « des groupes divers auxquels nous nous rattachons » nous permet de penser, ce qui nous donne accès à la mémoire43. Halbwachs s’oppose explicitement aux psychologues et aux philosophes susmentionnés. Il reste que l’immobilisation du temps qui subsiste n’est pas totalement compatible avec l’idée de durée que Halbwachs reprend à 130son compte. C’est le propre d’une « illusion » sociale que de s’appuyer pratiquement sur l’idée que le temps changeant connaît « stabilité » et « équilibre », relatifs toutefois, seulement orientés vers et par la vie sociale. La guerre de 14-18 joue son rôle dans les modifications groupales et dans leur prise en compte. Elle introduit de l’exception dans le temps, pas seulement dans la vie juridico-politique. Les horizons spatial et temporel des expériences collectives sont découverts. Halbwachs va même, me semble-t-il, plus loin en faisant du déplacement spatial et de la topographie des modalités des voyages dans le temps quand il écrit La Topographie légendaire des Évangiles en Terre Sainte ; étude de mémoire collective (1941).
(Halbwachs ne se réfère pas qu’à Bergson, il se nourrit, parfois sans le citer, de la lecture de Proust. Il faudrait à cet égard reconsidérer ce qui passe pour différentes expériences de remémoration individuelle chez Proust. Là où une lecture rapide nous laisserait croire à une exploration de la mémoire individuelle, il ne cesse de mettre la réminiscence au centre de scènes sociales : les cadres sociaux de la mémoire sont bien là, dans leur déploiement mondain, familial et amoureux, mais aussi dans une expérience du temps qui n’est pas celle du temps mesuré (« mathématique » dit Halbwachs) et commun. Les différentes réminiscences sont aussi des répétitions, dont on pourrait se demander si elles sont traumatiques, mais que l’on peut aussi comprendre en termes de choc. Et encore une fois, c’est dans l’atmosphère de guerre que le Narrateur fait enfin correspondre, dans son livre, son expérience mondaine, ses souvenirs et le temps ainsi retrouvé.)
Halbwachs en 1925 (Les Cadres sociaux de la mémoire) recueille une expérience en bloc, avec ses refoulés et ses difficultés, qu’il travaillera à résoudre avec ses textes posthumes dans La Mémoire collective44, avec ses silences aussi (il ne mentionne véritablement la guerre de 14-18 que dans son ouvrage Les Causes du suicide en 1930). Les cadres sociaux de la mémoire démontrent que la mémoire pure n’existe pas et que nous nous rappelons – c’est-à-dire que nous reconstruisons le passé – toujours grâce à la mémoire des différents groupes auxquels nous appartenons (famille, religion, classe, etc.). C’est le groupe par rapport à l’individu qui est la découverte fondamentale de ce livre, davantage s’il est possible que la 131description des mécanismes de la mémoire. Ce que fait Halbwachs est remarquable : il passe directement de la question de la mémoire à celle de la collectivité, des collectivités devrait-on dire.
Ainsi la spécificité exceptionnelle révélée par la guerre peut être saisie par une épistémologie qui interroge la relation entre les individus et les groupes. La mémoire est promue objet de recherche presque instantané, sans passage par une longue filtration mémorielle. D’abord la mémoire individuelle dont l’efficacité, chez Bergson, est au présent, qui recueille ce qui lui est utile dans le passé ; ensuite la mémoire collective, chez Halbwachs, comme typique des interactions entre les individus d’une société où le passé est construit par le présent. Au départ, ce qui caractérise le groupe dans Les Cadres sociaux de la mémoire, c’est son mouvement changeant.
Le cadre dont nous avons parlé jusqu’ici, outre ses transformations perpétuelles qui tiennent à ce que le présent se déplace, doit donc s’adapter de façon durable à ces cadres plus étroits mais plus allongés, de même que dans la communauté très large et très changeante que constituent autour de nous tous ceux que nous rencontrons ou pouvons rencontrer sont engagés des groupes plus restreints et plus stables, amis, compagnons de travail, hommes de même croyance, membres d’une même classe, habitants d’un même village, famille large, famille étroite, sans oublier la société originale que chaque individu forme en quelque sorte avec lui-même45.
Ces mouvements changeants, ces différentes appartenances se vérifient dans les processus de la mémoire qui se déploient au sein de cadres sociaux fixes. Dans La Mémoire collective, les cadres du temps et de l’espace jouent comme des conditions de l’apparition de la mémoire, la mémoire individuelle étant celle du groupe.
La rencontre se fait avec le politique sur la question du temps, ainsi plusieurs fois dédoublé : temps de la conscience individuelle, des groupes, de l’histoire, du politique. 14-18 inaugure, avec l’évolution scientifique (conjonction entre les sciences humaines et la théorie physique de la relativité), une conception politique du temps, passée sous silence dans la mesure où tous ces textes ne sont pas des textes politiques, et parce que les discours proprement dits reposent sur une conceptualisation d’avant 14. Pour Halbwachs le temps n’est pas abordé par l’histoire 132mais par la mémoire. Cette nouvelle trame pourrait s’appuyer sur une démonstration biographique à partir des relations entre Halbwachs, s’émancipant du durkheimisme, et les Annales (Febvre, Bloch, Mauss). Cette explication s’attarderait, outre les éléments biographiques, sur la critique des Cadres sociaux de la mémoire que Marc Bloch a donnée à la Revue de synthèse, et sur la réponse différée de Halbwachs avec La mémoire collective. Bloch reproche à Halbwachs un certain finalisme, le défaut durkheimien d’attribuer au collectif le vocabulaire de l’individualité (« représentation », « conscience »), enfin la confusion possible entre les faits de la mémoire collective et simplement les « faits de communication entre individus ». Notons qu’il n’échappe pas à Bloch qu’Halbwachs néglige la « mémoire juridique », la « coutume ». Selon lui il n’y a pas d’antinomie entre les « traditions qui constituent la matière propre de la mémoire collective et [les] idées ou […] conventions qui résultent de la connaissance de présent46 ». En réponse, Halbwachs fait mine de parler, maladroitement, d’une « mémoire historique » mais il parle en fait de l’histoire et de son appréhension du temps47.
Pour aller vite, Halbwachs estime que les Annales maintiennent l’idée d’un temps universel. La solution ne peut venir des historiens. D’abord Halbwachs radicalise le rapport entre mémoire individuelle et mémoire collective : c’est la seconde qui est une donnée immédiate et non la première. Ensuite les différentes mémoires collectives interagissent et c’est là une grande part du mécanisme de la mémoire individuelle, par exemple l’unification des mémoires dans une même mémoire patriotique. À cet égard, Halbwachs reprend une manière bergsonienne puisqu’il distingue deux temps, et met en lumière une « double nature du temps48 ». Là où Bergson s’appuyait sur la distinction entre la durée et le temps, Halbwachs distingue le temps social et un temps collectif, le dernier étant celui du groupe. Ce qui est fondamental n’est pas la reprise d’une forme bergsonienne là où les Cadres sociaux s’en étaient éloignés, mais bien l’identification entre conscience collective et conscience individuelle. D’un côté le groupe et ses individus, de l’autre la société 133et ses mesures communes qui permettent la communication utile. En ce sens, l’histoire ne saurait être identifiée à une mémoire collective. L’histoire comme science est non pas une succession chronologique – cela, il ne le retire pas à ses collègues de Strasbourg – mais « tout ce qui fait qu’une période se distingue des autres, et dont les livres et les récits ne nous présentent en général qu’un tableau bien schématique et incomplet49 ». Mémoire historique devient alors quasi synonyme de mémoire nationale et s’oppose à la mémoire collective : « Mais ce qui est vraiment le passé pour [l’histoire], c’est ce qui n’est plus compris dans le domaine où s’étend encore la pensée des groupes actuels50. » Halbwachs résout à sa manière la question de la succession temporelle et des rapports individuels-sociaux en recourant à la philosophie de Leibniz et à l’entre-expression des monades entre elles51. La monade dilue toute exceptionnalité possible, ce que la Première Guerre mondiale a fait entrevoir avec horreur : autre bénéfice du déni.
La révision de l’union de l’âme et du corps passe soit par la thématique cartésienne reprise politiquement sous la forme de la société comme somme ou non-somme des individus, soit par la question de Rousseau revue de plusieurs manières dont celle d’une lecture leibnizienne du lien social. C’est-à-dire une reprise dans la conceptualité politique d’une question métaphysique à partir du temps.
Sans modifier substantiellement le concept de guerre, 14-18 marque un tournant dans l’appréhension du temps politique et les conceptions de la mémoire, ce qui engage l’idée d’un temps politique qui, à côté du temps créé par le droit, se nourrit de la notion d’exception. Ainsi j’ai montré ailleurs que le droit et le politique sont d’ordinaire exprimés en termes spatiaux et non temporels, alors même que l’état d’exception révèle une temporalité propre du politique. Au mieux l’aspect temporel est considéré sous l’angle historique ou sous les conditions sociales de l’émergence de l’exception, ou encore plus concrètement par le délai et 134le terme de l’état d’urgence à inclure ou non dans la loi. Mais ce que le détour par la notion de mémoire en 14-18 et suivantes nous montre, c’est que certaines sciences prennent en charge le temps du politique sans le dire. On assiste ainsi à la périphérisation du noyau central – politique – et au recouvrement de la question politique par une science de la psychologie. Cela induit des déplacements, que formule par exemple Kelsen qui reproche aux sociologues de s’approprier en le dénaturant un problème de psychologie (alors même que cela sert sa théorie … de l’État).
Finissons grâce à un saut formel, qui n’est pas un amalgame ni une analogie conceptuels : l’ambivalence que tisse et manifeste l’état d’exception entre guerre intérieure et guerre extérieure, essentielle à la définition de l’état d’exception, trouve un écho en psychologie que l’on croyait individuel et qui est en fait collectif. L’état d’exception se réduit à la formulation suivante : faire à l’intérieur comme si nous étions en guerre à l’extérieur. Or la Première Guerre mondiale est une guerre extérieure manifeste. La cause et l’effet, entre législation d’exception à l’intérieur et situation de guerre à l’extérieur, prennent un sens littéral brutal : on a le même mouvement concret de littéralisation de la métaphore que Kelsen pointait. Plus besoin de faire naître l’état d’exception sous la forme du « comme si nous étions en guerre extérieure ». Autrement dit, le rapport hypothétique, entre intérieur et extérieur, devient un rapport causal, et la seule solution est de l’exprimer, de le mettre en loi, sous la forme de l’état d’exception. Dans le rapport entre conscience individuelle et mémoire collective, je vois le reflet de l’impossibilité de séparer l’intérieur et l’extérieur et la nécessité de convertir les relations spatiales en relations temporelles. C’est pourquoi la mémoire reste pensée dans les termes de la conscience. Dans l’actualité de 14-18, jusqu’aux années 1930, c’est moins un rapport au passé qu’un rapport au temps que les sciences sociales dévoilent à la science politique.
La conclusion concerne donc les sciences humaines sociales prises de manière très large, en ce sens que la rupture épistémologique concernant la mémoire est le signe, le symptôme ou la condition de possibilité, d’une continuité dans les concepts politiques. Cette continuité est le masquage de l’état d’exception en tant qu’il est un changement de temporalité ; il fait voir qu’il y a plusieurs temps politiques. On est bien obligé alors de considérer l’objet de la mémoire comme non hasardeux puisque non seulement il remet en question le rapport de la conscience au temps, 135mais il considère pour elle-même la liaison entre les individus et les groupes. Je n’entends pas ici faire un diagnostic historique mais bien philosophique, qui laisse soupçonner que les structures de l’esprit, les structures sociales, les structures politiques doivent être pensées dans les mêmes termes.
Ninon Grangé
Université Paris 8
136Bibliographie
Agamben, Giorgio, État d’exception, trad. fr. J. Gayraud, Paris, Seuil, 2003.
Audoin-Rouzeau, Stéphane, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (xixe-xxie siècles), Paris, Seuil, 2008.
Azouvi, François, « Descartes », in Nora, Pierre, (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, (Quarto), 1997, p. 4475-4519.
Balibar, Étienne, « Freud et Kelsen, 1922. L’invention du Surmoi », in Incidence 3, Le Surmoi, genèse politique. Autour de le rencontre entre Sigmund Freud et Hans Kelsen en 1922, Automne 2007, Paris, Le Félin-Kiron, 2009, (Michel de Maule, 2007), p. 21-72.
Beaupré, Nicolas, « La guerre comme expérience du temps et le temps comme expérience de guerre », Vingtième Siècle, 2013/1, no 117.
Becker, Annette, Maurice Halbwachs. Un intellectuel en guerres mondiales 1914-1945, Paris, Agnès Viénot, 2003.
Bergson, Henri, Discours du 4 novembre 1914, réédité sous le titre La signification de la guerre, Paris, Bloud et Gay, 1915 ; Mélanges, Paris, PUF, 1972.
Bergson, Henri, Discours du 2 mai 1916, Mélanges, Paris, PUF, 1972.
Bloch, Marc, « Mémoire collective, tradition et coutume. À propos d’un livre récent », Revue de Synthèse, t. XL, décembre 1925, p. 73-83, repris dans Bloch, Marc, L’Histoire, la Guerre, la Résistance, Paris, Gallimard (Quarto), 2006, p. 340-344.
Cru, Jean Norton, Témoins : essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929.
Durkheim, Émile, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, Alcan, 1895.
Ferenczi, Sándor, « Deux types de névrose de guerre (hystérie) », conférence de 1916, dans Sur les névroses de guerre, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2010.
Freud, Sigmund, Totem et Tabou, [1913], trad. fr. S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1992.
Freud, Sigmund, Malaise dans la civilisation, [1915], trad. fr. Ch. et J. Odier, Paris, PUF, 1992.
Freud, Sigmund, Au-delà du principe de plaisir, [1920], in Freud, Sigmund, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1968.
Freud, Sigmund, « Psychologie collective et analyse du moi », in Freud, Sigmund, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1968.
Freud, Sigmund, Massenpsychologie und Ich-Analyse, Leipzig-Wien-Zürich, Internationaler Psychoanalytischer Verlag G.M.B.H., 1921.
Freud, Sigmund, Considération actuelle sur la guerre et la mort, dans Anthropologie de la guerre, éd. bilingue, Paris, Fayard, 2010.
137Grangé, Ninon, « Carl Schmitt, Ernst Jünger et le spectre de la guerre civile. L’individu, le “soldat”, l’État », in Grangé, Ninon, (dir.), Carl Schmitt. Nomos, droit et conflit dans les relations internationales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
Halbwachs, Maurice, « La doctrine d’Émile Durkheim », Revue philosophique, LXXXV, 1918, p. 353-411.
Halbwachs, Maurice, Psychologie collective, Paris, Flammarion, (Champs Classiques), 2015.
Halbwachs, Maurice, La Mémoire collective, éd. G. Namer, Paris, Albin Michel, 1997.
Jaisson, Marie, « Temps et espace chez Maurice Halbwachs (1925-1945) », Revue d’Histoire des Sciences humaines, 1999/1 (no 1).
Kelsen, Hans, « La notion d’État et la psychologie sociale. À propos de la théorie freudienne des foules », trad. fr. J.-L. Schlegel, Hermès, 1988, no 2, [Imago, Revue de psychanalyse appliquée aux sciences humaines, éditée par Sigmund Freud, 1922, vol. VIII.2].
Worms, Frédéric, « Au-delà de l’histoire et du caractère : l’idée de philosophie française, la Première Guerre mondiale et le moment 1900 », Revue de métaphysique et de morale, 2001/3.
1 Cf. Becker, Annette, Maurice Halbwachs. Un intellectuel en guerres mondiales 1914-1945, Paris, Agnès Viénot, 2003 ; Worms, Frédéric, « Au-delà de l’histoire et du caractère : l’idée de philosophie française, la Première Guerre mondiale et le moment 1900 », Revue de métaphysique et de morale, 2001/3, p. 345-363.
2 Cf. Audoin-Rouzeau, Stéphane, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (xixe-xxie siècles), Paris, Seuil, 2008, p. 50.
3 François Azouvi a montré l’évolution de la référence à Descartes sur une longue période, références qui ne se limitent pas à un support idéologique ou à une mode dans les manières de penser un objet, mais bien à un « lieu » fondateur d’une mémoire sociale, cf. Azouvi, François, « Descartes », in Nora, Pierre, (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, (Quarto), 1997, p. 4475-4519.
4 Becker, Anette, Maurice Halbwachs. Un intellectuel en guerres mondiales 1914-1945, Op. cit., p. 152. L’expression qualifie Halbwachs dans la période 14-18, elle est un peu maladroite vu les circonstances de la mort de Halbwachs en 1945.
5 Marc Bloch aussi prend de nombreuses photographies du front, sans montrer les images les plus dures.
6 Halbwachs, Maurice, « La doctrine d’Émile Durkheim », Revue philosophique, LXXXV, 1918, p. 353-411.
7 Kelsen, Hans, « La notion d’État et la psychologie sociale. À propos de la théorie freudienne des foules », trad. fr. J.-L. Schlegel, Hermès, 1988, no 2, [Imago, Revue de psychanalyse appliquée aux sciences humaines, éditée par Sigmund Freud, 1922, vol. VIII.2]. Il se trouve aussi, dans la même traduction mais annotée, dans Incidence 3, Le Surmoi, genèse politique. Autour de le rencontre entre Sigmund Freud et Hans Kelsen en 1922, Automne 2007, Paris, Le Félin-Kiron, 2009, (Michel de Maule, 2007). L’article est issu de son intervention devant la Société Psychanalytique de Vienne.
8 Et aussi Totem et Tabou (1913), Malaise dans la civilisation (1915), Au-delà du principe de plaisir (1920).
9 Balibar, Étienne, « Freud et Kelsen, 1922. L’invention du Surmoi », Revue Incidence, no 3, « Le Surmoi, genèse politique », Op. cit., p. 21-72. La rencontre ne fut pas qu’intellectuelle, Balibar signale des « vacances communes » en 1921.
10 Balibar, Étienne, « Freud et Kelsen, 1922. L’invention du Surmoi », Op. cit., p. 22. D’autre part, Balibar estime que « Massenpsychologie appartient à l’histoire de la philosophie politique, et marque même un de ses tournants, à situer dans une série qui commence à La République de Platon et qui va jusqu’aux Origines du totalitarisme d’Arendt, en passant par Le Prince, le Léviathan, le Contrat social, La Philosophie du droit de Hegel, Le Capital, Le concept du politique de Schmitt, etc. Cela n’empêche pas qu’il s’agisse d’un ouvrage de psychanalyse », p. 26.
11 Ibid., p. 29.
12 Kelsen, Hans, « La notion d’État et la psychologie sociale. À propos de la théorie freudienne des foules », Op. cit., p. 153.
13 Ibid., p. 141.
14 Ibid., p. 144. Il reprend Freud.
15 Ibid., p. 148.
16 Kelsen évoque ce « saut hors de la psychologie, typique de la sociologie psychologique », ibid., p. 152.
17 Déception signalée mais dépassée pour Laurent Mucchielli. Voir Mucchielli, Laurent « L’étude de la mémoire collective chez le sociologue français Maurice Halbwachs (1877-1945) », http://www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/mucchielli.htm.
18 Voir le discours du 4 novembre 1914, réédité ensuite sous le titre La signification de la guerre, ou celui du 2 mai 1916 à Madrid.
19 Worms, Frédéric, « Au-delà de l’histoire et du caractère : l’idée de philosophie française, la Première Guerre mondiale et le moment 1900 », Op. cit., p. 356. Dans ce même article Frédéric Worms souligne aussi « le peu d’articles philosophiques explicites sur la guerre, tout au long du conflit », note 24, p. 356.
20 Ibid., p. 354.
21 Kelsen, Hans « La notion d’État et la psychologie sociale. À propos de la théorie freudienne des foules », Op. cit., p. 161.
22 Ibid., p. 161.
23 Ibid., p. 151.
24 Freud, Sigmund, « Psychologie collective et analyse du moi », in Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1968, p. 84 et 100. Il reprend l’idée de McDougall de group mind.
25 Ibid., p. 111.
26 Ibid., p. 115.
27 Qu’il trouve en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir.
28 Freud, Sigmund, « Psychologie collective et analyse du moi », Op. cit., p. 157. Version allemande : Freud, Sigmund, Massenpsychologie und Ich-Analyse, Leipzig-Wien-Zürich, Internationaler Psychoanalytischer Verlag G.M.B.H., 1921, p. 112.
29 Jaisson, Marie, « Temps et espace chez Maurice Halbwachs (1925-1945) », Revue d’Histoire des Sciences humaines, no 1, 1999/1.
30 Worms, Frédéric, « Au-delà de l’histoire et du caractère : l’idée de philosophie française, la Première Guerre mondiale et le moment 1900 », Op. cit., p. 357.
31 Cf. Freud, Sigmund, Considération actuelle sur la guerre et la mort, dans Anthropologie de la guerre, éd. bilingue, Paris, Fayard, 2010, p. 263.
32 Cf. Grangé, Ninon, « Carl Schmitt, Ernst Jünger et le spectre de la guerre civile. L’individu, le “soldat”, l’État », in Grangé, Ninon (dir.), Carl Schmitt. Nomos, droit et conflit dans les relations internationales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 39-60.
33 Ferenczi, Sándor, « Deux types de névrose de guerre (hystérie) », conférence de 1916, dans S. Freud, S. Ferenczi, K. Abraham, Sur les névroses de guerre, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2010, p. 79.
34 Durkheim, Émile, Les règles de la méthode sociologique, p. 81-82, cité dans Maurice Halbwachs, Psychologie collective, Paris, Flammarion, (Champs Classiques), 2015, leçon 5, p. 105-106.
35 IMEC, 2 mai 1915, cité par Becker, Annette, Maurice Halbwachs. Un intellectuel en guerres mondiales 1914-1945, Op. cit., p. 49-51.
36 Kelsen, Hans, « La notion d’État et la psychologie sociale », Op. cit., p. 137-138.
37 Ibid., p. 143.
38 Ibid., p. 145.
39 En fait, la spécificité n’est pas maintenue, c’est le Trouble de Stress Post-Traumatique qui englobe les traumatismes de guerre dans un ensemble plus vaste de troubles violents (mort, viol, accident grave, attentat…) = TSPT.
40 Le film de John Huston sur les traumatisés de la Deuxième Guerre mondiale (Que la lumière soit, 56 min, 1946) montre que l’explication n’a pas évolué, seule l’acceptation sociale et médicale s’est faite : les États-Unis ont intégré les notions freudiennes.
41 Cf. Ferenczi, Sándor, « Deux types de névrose de guerre (hystérie) », in S. Freud, S. Ferenczi, K. Abraham, Sur les névroses de guerre, Op. cit., p. 79.
42 Voir par exemple Agamben, Giorgio, État d’exception, trad. fr. J. Gayraud, Paris, Seuil, 2003.
43 La pensée individuelle est « une série de points de vue successifs sur les pensées de ces groupes ». Tout ce paragraphe est une paraphrase citationnelle des pages 189-192 de La Mémoire collective, Op. cit., chapitre « La mémoire collective et le temps ».
44 Cet ouvrage aurait pu/dû s’appeler Mémoire individuelle et mémoire collective.
45 Halbwachs, Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Op. cit., p. 138-139. Je souligne.
46 Bloch, Marc, « Mémoire collective, tradition et coutume. À propos d’un livre récent », Revue de Synthèse, t. XL, décembre 1925, p. 73-83, repris dans Bloch, Marc, L’Histoire, la Guerre, la Résistance, Paris, Gallimard, (Quarto), 2006, p. 340-344.
47 Cf. Halbwachs, Maurice, La Mémoire collective, éd. G. Namer, Paris, Albin Michel, 1997, p. 130.
48 Cf. Jaisson, Marie, « Temps et espace chez Maurice Halbwachs (1925-1945) », Op. cit.
49 Halbwachs, Maurice, La Mémoire collective, Op. cit., p. 105. Halbwachs, dans ces pages, refait une bataille de Waterloo stendhalienne en montrant que le même épisode de soldats dans une gare ne sera pas perçu et remémoré de la même manière par un enfant et un adulte.
50 Ibid., p. 129. et p. 166. Démonstration en trois étapes en fait, avec, au milieu, la mémoire historique telle qu’elle vient d’être distinguée de la mémoire collective. Ibid., p. 157-177.
51 Son premier ouvrage porte sur Leibniz. Voir Halbwachs, Maurice, Leibniz, Paris, Delaplane, 1907 / Mellotté, 1928.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-06763-4
- EAN : 9782406067634
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06763-4.p.0113
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/01/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Mémoire collective, névrose de guerre, psychologie sociale, psychologie collective, Maurice Halbwachs, Hans Kelsen