Recensions d'ouvrages
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2023 – 1, n° 13. varia - Auteurs : Pérez (Roland), Méric (Jérôme)
- Pages : 271 à 280
- Revue : Entreprise & Société
Pierre-Yves Gomez (2022), Le capitalisme, collection Que sais-je ?, Paris, Humensis, 128 p.
Recension par Roland Pérez
Depuis sa création, il y a plus de quatre-vingts ans par Paul Angoulvent aux Presses Universitaires de France, la collection « Que-sais-je ? » est devenue un vecteur emblématique du monde de l’édition, avec des milliers de titres publiés et des tirages cumulés se chiffrant en centaines de millions. Le secret de cette réussite exceptionnelle tient à la volonté d’offrir des ouvrages de petite taille – dits « livres de poche » – à prix modestes, avec cependant des contenus de qualité, faisant appel aux meilleurs spécialistes du sujet traité. Les responsables éditoriaux n’hésitent pas, lorsqu’un thème qui a été traité est récurent et que l’auteur du QSJ concerné n’est plus disponible, de demander à un autre spécialiste d’assurer une nouvelle édition. C’est ce qui s’est passé, avec le nouveau QSJ sur « Le capitalisme » qui vient d’être publié par la maison d’édition Humensis (née en 2016 de la fusion entre les PUF et Belin). L’auteur choisi, Pierre-Yves Gomez, est le quatrième à traiter ce sujet, prenant la suite des éditions successivement assurées par François Perroux (1948), Alain Cotta (1977) et Claude Jessua (2001). La seule énumération de ces auteurs de premier plan illustre la ligne éditoriale rappelée ci-dessus, à savoir rendre accessible à tous des sujets parfois complexes.
Pierre-Yves Gomez qui avait déjà publié dans cette collection QSJ, sur un sujet dans son domaine professionnel de référence1, a relevé ce défi de prendre place dans cette lignée prestigieuse, lui apportant ses qualités reconnues de chercheur et d’essayiste2 . La structure de l’ouvrage et son contenu en témoignent :
272Le chapitre premier (pp 3-16), intitulé « Insaisissable capitalisme », correspond à une introduction permettant à l’auteur de situer son objet de recherche et la méthode proposée pour l’étudier. Dans le cas présent, Pierre-Yves Gomez adopte la posture de l’enquêteur : « nous formulons une question qui nous servira de guide : qu’est-ce qui nous permet de croire que ce qu’on appelle le ‘capitalisme’ forme un système cohérent ? » (p 12).
Le chapitre 2 (pp 17-37), constitue la première étape de cette enquête sur le capitalisme : sa « gestation historique », tant il est vrai que « le capitalisme n’existe pas en soi et n’apparait pas ex nihilo » (p 17). L’auteur, s’appuyant sur les travaux menés sur la genèse des civilisations (K-F. Wittfogel, C. Schmitt, M. Weber, N. Elias, …), rappelle le fractionnement de l’Europe médiévale – hors la tutelle de l’Eglise – puis l’émergence d’une « économie du crédit » (p 32) et « l’apparition des entrepreneurs » (p. 34) comme l’a bien montré H. Vérin3
Le chapitre 3 (pp 38-59), intitulé « structuration : classes, fonctions, conduites », permet à Pierre-Yves Gomez de poursuivre son enquête en passant de la trilogie médiévale sur « le Chevalier, le Prêtre et le Paysan » (G. Duby) à une typologie plus nouvelle, avec « cinq agents-types : le Capitaliste, l’Entrepreneur, le Travailleur, le Consommateur et le Technocrate » (p 39 & s.) – ce dernier agent-type pouvant représenter « le Fonctionnaire » (secteur public) ou « le Gestionnaire » (secteur privé). Une « nouvelle configuration politico-économique » apparait ainsi possible (p 50), sous l’égide d’une norme commune, en l’occurrence le profit qui constitue un « fait social total » (p 53), à la fois « principe commun de justification » et fondement d’une « nouvelle civilisation » (p 56), étudiée notamment par W. Sombart.
Avec le chapitre 4 (pp 60-79), nous sommes au cœur de l’enquête sur « le capitalisme comme système ». L’auteur rappelle la complémentarité entre « l’Entreprise, nœud de contrats » comme l’ont définie les économistes (M. Jensen & Meckling, R.H. Coase, O. Williamson) et « la société commerciale », personne morale créée par les codes juridiques (ainsi l’article 1832 du Code Civil pour la France). Pour Pierre-Yves Gomez, « combinées, ces deux institutions forment une institution tierce : l’entreprise capitaliste », reliant les cinq agents-types précédemment rappelés et formant « un système à la fois politique et économique » (p. 76), 273système qu’il convient de prendre en compte globalement, malgré les contradictions et tensions inévitables pouvant affecter ses composantes.
Le chapitre 5 (pp 80-102), intitulé « Régulations et expansion du capitalisme », permet à l’auteur d’élargir le champ de l’enquête, d’une part en présentant les « déséquilibres et les mécanismes d’autorégulation », d’autre part en s’interrogeant sur l’absence de limites inhérente à un système pour lequel « la justification par le profit motive une recherche constante de profit » (p 85) ; en conséquence, « l’accumulation des richesses est inévitable » (p 86), sans se soucier des effets tant sociétaux qu’environnementaux. En bref, « le capitalisme est structurellement sans limites » (p 89), s’étant progressivement répandu ; mondialisation qui a pu prendre des formes variées selon les pays concernés (cf les typologies proposées par plusieurs chercheurs4 )
Enfin, le chapitre 6 (pp 103-123) « Critiques et perspectives » est l’occasion, pour l’enquêteur, de prendre du recul par rapport à son sujet d’enquête. Dans un premier temps, s’appuyant sur Fernand Braudel, il distingue « les trois étages qui composent la société capitaliste : (i) la vie matérielle, (ii) la structure capitaliste (iii) le religio » – ce dernier terme correspondant à « la culture, l’esprit, l’idéologie capitalisme » (p. 105). À cette occasion, Pierre-Yves Gomez adresse une critique au monde académique, celui de « l’économie-comme-science », considérant « le récit économique au service du religio » (p. 106). Pour lui, « en se réalisant, le capitalisme a façonné des esprits et des mœurs » (p. 109).
Dans un second temps, il élève encore un peu plus le débat et rappelle les différentes critiques qui ont été formulées à la civilisation capitaliste : « limites matérielles », « inefficacité interne », « risques systémiques pour l’humanité », « inachèvement moral » ; critiques qui paradoxalement ne lui ont pas nuit ; au contraire, « le système a continué à prospérer », exprimant une résilience en « se nourrissant de ses critiques » (cf L. Boltanski et Eve Chiapello5).
L’auteur conclut son essai en évoquant plusieurs scénarios possibles pour l’avenir du capitalisme actuel : (i) « post-capitalisme autoritaire », à l’image de la Chine actuelle ; (ii) « post-capitalisme transnational » via des grands groupes comme les GAFAM : (iii) « post-capitalisme nomadisé » 274engendré par des mouvements migratoires massifs, déclenchés par les crises mondiales actuelles, notamment climatiques.
L’ouvrage est complété par une sélection bibliographique de qualité, à laquelle il convient d’ajouter nombre de références, citées dans le corps du texte ou en notes de bas de pages. En revanche, l’ouvrage comporte peu d’exemples chiffrés et pas de tableaux statistiques qui auraient pu illustrer son propos, l’auteur ayant délibérément choisi de se situer son « enquête » au niveau du débat conceptuel, voire ontologique, concernant le capitalisme comme système. Les limites imposées par le format des QSJ justifient ce choix qui, en revanche, demandera au lecteur un effort de lecture, voire de relecture ; mais in fine c’est mieux ainsi car cela le fera progresser, ce qui est cohérent avec la devise de Montaigne qui a inspiré le nom de cette collection « Que Sais-Je ? »
Ainsi, comme nous avons tenté de le montrer dans la présentation ci-dessus, cette nouvelle édition d’un « Que-sais-je ? » consacré au « Capitalisme » renouvelle largement l’analyse de ce sujet majeur ; Pierre-Yves Gomez a bien relevé le défi que représentait une quatrième édition, après les trois précédentes produites par des auteurs de premier plan. Au-delà des conceptions scientifiques des différents auteurs concernés et de leurs Weltanschauungs respectifs, de leurs personnalités et de leurs styles d’écriture, les différences sensibles entre les différentes éditions de ce QSJ sur le capitalisme reflètent aussi les fortes évolutions de ce système politico-économique sur les trois-quarts de siècle écoulés depuis la première d’entre elles (1948). Certaines d’entre-elles ont été abordées dans le présent ouvrage (exemples : « expansion planétaire », « mutation de l’anthropocène », « consommation comme mode de vie » pp 90-04) ; il serait utile de procéder à une analyse comparée des différentes éditions pour en faire ressortir les enseignements respectifs à tirer. Mais d’ores et déjà la présente édition – last but not least – devrait faire l’objet d’une ample diffusion.
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Yvon Pesqueux (2022), Réfléchir. De l’importance de la tâche réflexive en sciences de gestion, Collection les Grands auteurs francophones, Caen, éditions EMS, 336 p.
Recension par Jérôme Méric
Pour Yvon Pesqueux, la réflexion relève, dans le champ du management, d’un impératif catégorique, le seul chemin pour faire face à l’omniscience des hommes et femmes d’organisation, à la caricature de l’usage du verbe dans la légitimation de l’inacceptable et à l’oubli du seul légitime.
N’attendons pas la moindre complaisance de la part d’Yvon Pesqueux. Ce que nous enseignons produit le pire : chaînes de valeur aux externalités hasardeuses et à la pérennité aléatoire, optimisation financière socialement et environnementalement désastreuse, scandales financiers et fiscaux, impact catastrophique du New Public Management, notamment sur le système de santé.
Mais, Yvon Pesqueux l’affirme, tout est fait pour nous amener à préparer les esprits à cette course à l’abîme : recherche normalisée à outrance, quantification des carrières, « sciencesdurisation » de la gestion, repli sur soi disciplinaire.
Et Yvon Pesqueux de nous prendre par la main, comme il l’a toujours fait – parfois au risque de nous perdre – afin de rappeler l’importance des concepts, le besoin de définir pour réfléchir. Qui sait isoler clairement la pluridisciplinarité (regards autonomes de sciences distinctes sur un objet), de l’interdisciplinarité (complémentarité, circulation de concepts-frontières et d’objets-frontières) et de la transdisciplinarité (existence d’objets qui traversent différents champs disciplinaires) ?
L’ouvrage se présente comme une exposition rétrospective où les tableaux sont les productions intellectuelles majeures d’Yvon Pesqueux (et de ses nombreux co-auteurs), et où l’intéressé, en muséographe averti, a constitué de grandes salles, intitulées, successivement, philosophie des sciences de gestion, gouvernance, institutionnalisation de l’organisation 276et son intrusion dans la définition du bien commun, éthique des affaires responsabilité sociale, l’entreprise, organisation, modèle et représentation, épistémologie des sciences de gestion, le contrat psychologique, organisation et gouvernance du développement durable, les sciences de gestion, les preuves, de ce qui se passe en Afrique subsaharienne, de l’importance majeure des théories des organisations. La muséographie à l’œuvre conduit le lecteur de salle en salle de sujets plus généraux, en thématiques plus personnelles, mais où la ligne directrice demeure une esthétique à proprement parler baroque.
Première salle : philosophie et sciences de gestion
Le recours à la philosophie relève à la fois du leurre gestionnaire et d’une certaine forme de légitimité. Le leurre repose dans la substitution qui s’opère, avec l’esprit du capitalisme, entre les humanités et la pensée gestionnaire. Yvon Pesqueux fait l’hypothèse que cette évacuation progressive laisse la gestion dans un vide conceptuel et méthodologique que le recours à la philosophie peut contribuer à combler. La référence à Aristote ou Kant, par exemple, autorise à catégoriser, à une nuance près : nous serions « moins les enfants des philosophes qu’ils ne sont nos pères ». La méthode philosophique est aussi susceptible d’imprégner la pensée gestionnaire. C’est le cas de l’herméneutique. Yvon Pesqueux développe l’exemple de Hans Jonas. La responsabilité relève de la nécessité d’action inspirée par la peur. Une peur qui ne tétanise pas, mais qui invite à la mise en œuvre d’une heuristique propre à trouver des moyens d’anticiper et d’influencer, autant que faire se peut, le devenir humain. S’adjoint à cette réflexion le rappel du problème démocratique à reconnaitre des droits à la nature.
Deuxième salle : gouvernance, institutionnalisation
de l ’ organisation et son intrusion
dans la définition du bien commun
À la sortie des années 1980, le gouvernement d’entreprise est devenu l’opérateur conceptuel et langagier d’une articulation entre le financier et le politique. L’irruption de la gouvernance légitime l’association que l’on aurait pu jusque à présent juger audacieuse de l’efficience et de la justice. La gouvernance s’inscrit dans l’idéologie du « moment libéral ». Ce dernier renvoie l’individu à un quasi-état de nature pré-hobbesien, 277où tous les moyens sont bons pour maximiser sa propre utilité, où la technique supplante la technologie, où la réussite devient un critère de vérité dans un monde globalisé.
Troisième salle : éthique des affaires
et responsabilité sociale de l ’ entreprise
Partons d’une fausse évidence : la théorie des parties prenantes, qui constitue l’ancrage majeur de la RSE aujourd’hui, est à la fois le fruit et le ver-dans-le-fruit. Elle se pare de la neutralité de la description pour mieux normer, elle catégorise pour mieux neutraliser les tiers à l’entreprise (en entretenant l’illusion d’une possible intégration contractuelle de ces tiers), elle substitue un bien commun moral au bien commun politique. De fait, elle propose une éthique de la pratique des affaires extensible à une société qui, par chemin inverse, se réduirait au schéma minimaliste du réseau.
Yvon Pesqueux inscrit la RSE dans une histoire dont le pivot serait l’Accord de Paris de 2015 et la crise Covid (2020). L’avant serait le temps du business and society, celui de l’existence parallèle du monde des affaires et de la société, où le premier ferait au second don d’une partie de son profit résiduel. L’après serait celui de l’inclusion, du business in society, dont Yvon Pesqueux étudie les modalités possibles, en discutant les propositions d’Elinor Ostrom, Benjamin Coriat, et Ricardo Petrella. Cette analyse se fait dans l’oubli – très volontaire ? – que l’inclusion est le fruit de la théorie des parties prenantes, et qu’elle répond à des visées utilitaristes. Ce qu’Yvon Pesqueux décrit à ce stade relèverait probablement plus d’un business for society (Gangi et al. 2019), où le fait de faire des affaires relève d’un acte de construction sociale, qu’il s’agisse de la gouvernance distribuée d’Elinor Ostrom, ou de la gouvernance universelle de Ricardo Petrella. Demeure une analyse très éclairante par le fait qu’elle relie les représentations systémiques (portées par l’inclusiveness en amont et la responsiveness en aval) et le devenir de l’éthique des affaires.
Quatrième salle : organisations, modèles et représentations
Envisageant le modèle de l’organisation comme la traduction fédérative (elle fait communauté) d’une conception et le signal de la représentation qu’il porte, Yvon Pesqueux déroule une taxonomie et une généalogie 278de modèles d’organisations. Le modèle ingénierique mute de la division des tâches vers la répartition des activités. Le modèle managérial repose sur une coordination par la répartition des responsabilités financières. L’entreprise multiculturelle procède paradoxalement des deux visions précédentes, en cela qu’elle dissout les identités culturelles dans l’impératif d’efficience. Le constat d’échec de l’organisation en réseau comme go-between entre hiérarchie, coopération et marché est implacable. Il laisse cependant peu de place à l’organisation en réseau comme forme émergente d’agencement démocratique en période de crise comme il a pu en apparaître pendant le Covid.
Cinquième salle : épistémologie des sciences de gestion
Affirmer que les sciences de gestion sont dotées d’une épistémologie est un acte fondateur. Elles constituent sans nul doute un champ de connaissance, mais la question demeure si celui-ci est disciplinaire. Yvon Pesqueux et Alain-Charles Martinet voient dans l’organizing – la mise en œuvre de dispositifs visant la réalisation de choix d’acteurs – la porte d’entrée de cette discipline, qui n’en demeure pas moins ambiguë sur la définition de son objet (conceptions fonctionnalistes ou substantialistes de l’organisation) et de ses positionnements par rapport aux sciences humaines et à la technique. L’organizing nécessiterait donc une épistémologie normative, mais celle-ci est seulement esquissée. Pour libérer les acteurs et les chercheurs des injonctions paradoxales que suscite l’impératif praxéologique dicté aux sciences de gestion, l’usage des métaphores est peut-être une manière d’aborder ces questions « sans avoir l’air d’y toucher ».
Sixième salle : le contrat psychologique
Deux Rousseau : Jean-Jacques et Denise. Le premier forme un projet politique par la transition de la précarité l’état de nature à la préservation de la liberté dans la société. La seconde invite les dirigeants et les cadres à se rappeler que leurs collaborateurs attendent d’eux qu’ils tiennent des promesses qu’ils n’ont pas faites (du moins explicitement)…Cette conception transactionnelle mais fondamentalement asymétrique de l’engagement au travail laisse donc en suspens la question du libre arbitre, une question qu’Yvon Pesqueux, surprenamment, n’aborde pas.
279Septième salle : organisation e
t gouvernance du développement durable
Comme une extension de la marchandisation du risque eschatologique, le durable vend le vice pour une vertu. Yvon Pesqueux intente ainsi un réjouissant procès au bio. Et l’auteur d’exclure d’un revers de main radical toute forme de métrologie appliquée à la catastrophe imminente, comme s’il n’existait aucune différence entre la triple bottom line et les modèles comme CARE (Richard et Rambaud, 2022).
Huitième salle : les sciences de gestion
à l ’ épreuve de ce qui se passe en Afrique Subsaharienne
Pour ne pas être la plus grande des salles, celle-ci contient ce qui touche le plus au cœur Yvon Pesqueux. Sidéré par « tant de pauvreté », il s’insurge d’abord contre le placage d’un capitalisme consumériste à des personnes dans l’incapacité d’en bénéficier si ce n’est au prix de renoncements à ce qui est vital. Cela se mesure à l’aune des cours enseignés mais aussi à travers la structuration des sciences de gestion, qui importent sans conscience les référentiels hypothético-déductifs d’un autre monde, la « survente » du développement par l’entrepreneuriat local, et la prégnance d’un objet sous-étudié : l’économie informelle.
Neuvième salle : de l ’ importance majeure
des théories des organisations
Yvon Pesqueux propose ici un « anti-manuel » (qui n’en demeure pas moins un), où les mondes (sans organisation, intra-organisationnels et aux frontières de l’organisation) permettent de revenir sur les catégories dont l’objet des théories des organisation est l’institutionnalisation. Nécessité d’enseigner ces théories, mais en excluant l’approche par les « grands » auteurs qui ne sont grands que parce que leur usage s’est institutionnalisé. Cette salle pose une question fondamentale en sciences de l’éducation : peut-on enseigner l’histoire sans repère chronologique ? Peut-on enseigner la philosophie sans dire à un moment qui a dit quoi ?
280Promenade conclusive :
plaidoyer pour une démarche de réflexion
Yvon Pesqueux nous invite à considérer la philosophie du care, car réfléchir est tout autant « porter attention à » (take care), un processus (le caring), et une conduite prudente (to be careful).
L’histoire de l’art a longtemps boudé le courant éclectique, qui a reconstitué notamment des objets architecturaux par des petits bouts disparates de styles anciens (un éléphant néo-babylonien surmonte une corniche dorique). Mais peut-on pour autant nier à l’Opéra de Paris ou à la Gare d’Orsay une geste ambitieuse qui a marqué définitivement le visage urbain de Paris, et ne pas leur reconnaître qu’ils relèvent d’un acte de création original ? La production d’Yvon Pesqueux peut donner cette impression, à moins que l’organisation ne constitue un objet syncrétique et que chaque salle ne donne à voir l’impossibilité de dire si cet objet est en phase ou non avec une théorie et si l’on peut in fine le définir. La question reste ouverte et nous laisserons aux lecteurs le soin d’y apporter leur propre réponse.
On regrettera que le catalogue de l’exposition (la bibliographie) ne soit pas plus soigné et exhaustif au regard des références apparaissant dans le texte.
Chaque chapitre ou presque se clôt par le constat d’une faible diffusion des idées face au puissant courant de pensée dominante jusque dans les années 2010. La rétrospective serait donc celle d’un artiste maudit ? Le mot baroque vient d’un terme portugais désignant une perle bizarrement formée. Nous voilà donc dans le bizarre, car le travail d’éclaireur, pour ne pas dire de lanceur d’alerte conceptuel d’Yvon Pesqueux laisse bien des traces dans la communauté académique, qu’il a fortement contribué à former à HEC, à Dauphine et au CNAM, et dans les esprits qu’il a éduqués à une démarche d’analyse critique des concepts et des pratiques, une manière de réfléchir qui lui est propre.
BIOGRAPHIE
Gangi F., Méric J., Jardat R., Daniele L.M. (2020), Business for Society, Routledge.
Richard J. et Rambaud A. (2022), Capital in the History of Accounting and Economic Thought Capitalism, Ecology and Democracy. Routledge.
1 Gomez P-Y. (2018), La gouvernance d’entreprise, Paris, Humanis (collection Que-sais-je ?)
2 Cf la liste des ouvrages publiés par cet auteur, en annexe du « Grand Angle » qui lui est consacré dans ce même numéro d’ENSO. Cette revue a déjà procédé à une recension d’un de ses précédents essais : Intelligence du travail, Paris, Desclée de Bouwer, 2016 ; recension par H. Zimnovitch – Entreprise & Société no 2, 2017.
3 Vérin H. (1884-2011), Entrepreneurs, entreprise, Histoire d’une idée, Paris, Classiques Garnier.
4 Ainsi, celle de B. Amable sur « les cinq Capitalisme », Seuil, 2005)
5 Boltanski L., Chiapello E. (1999à, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN : 978-2-406-15048-0
- EAN : 9782406150480
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15048-0.p.0271
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 14/06/2023
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français