Présentation du numéro
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2021 – 1, n° 9. varia - Auteurs : Jardat (Rémi), Méric (Jérôme)
- Pages : 19 à 21
- Revue : Entreprise & Société
PRéSENTATION DU NUMéRO
Jérôme Méric
CEREGE-IAE de Poitiers
Rémi Jardat
LITEM –
Université d’Évry-Paris-Saclay
Là où les philosophes socratiques voient dans le nombre l’outil ou l’idée, là où Cassirer voit dans le nombre le symbole seul apte à rendre intelligible le monde, l’opinion voit aujourd’hui le signe de la marchandisation de ce qui devrait être intangible. D’aucuns seraient tentés, mus par l’esprit de défense de ce qui a tant été endommagé – et l’est encore – par des modèles fondés sur l’hypothèse implicite d’une inépuisabilité des ressources et d’une dissolubilité totale des déchets, de rejeter en bloc tout ce qui cherche à « compter ». Ces mêmes porteraient au pinacle la volonté politique, la seule à pouvoir infléchir le cours des choses, comme si le nombre était le fardeau du technicien et la décision l’apanage du décideur. Or, à bien y réfléchir, celui qui œuvre, dans l’ombre peut-être, à rendre visible ce qui ne l’est pas à travers les outils les plus usuels, celui-là est probablement plus apte à accompagner une réforme profonde de la gouvernance des entreprises et des institutions financières que ne l’est un décret. Du moins constitue-t-il un complément essentiel à ce dernier. Le numéro 9 de la revue Entreprise & Société (ENSO) est justement consacré à la question de savoir comment peuvent s’opérer de telles réformes, les directions qu’elles prennent comme les chemins qu’elles peuvent emprunter.
Comment prendre en compte l’environnement et les hommes dans les rapports périodiques des entreprises ? C’est une question à laquelle 20Jacques Richard, depuis près de 50 ans, s’attache à fournir des éléments de réponse en mobilisant imagination, audace, et érudition. En prenant la direction opposée des modèles de reporting extra-financier, la méthode CARE repose sur le parti pris de considérer le capital dans ses trois composantes, la première financière – la dette à l’égard de l’investisseur – la deuxième sociale et la troisième environnementale. Ce schéma ne se résume pas à une présentation des choses. Il est normatif en cela qu’il invite l’entreprise à dire combien elle a dépensé pour restaurer les capitaux. Il est politique car il s’accompagne d’un dispositif de triple gouvernance, où le personnel, l’environnement et les investisseurs sont représentés paritairement au conseil d’administration. Le Grand Angle que la revue consacre à Jacques Richard retrace la genèse de cette proposition alternative, et permet d’en saisir la cohérence à travers les échanges que nous avons recueillis avec Roland Pérez et Alexandre Rambaud.
Le dossier « finance durable », sous l’égide de Roland Pérez, s’inscrit dans le projet de collectifs – en particulier PocFin (Post-Crisis Finance Network) – dont l’objet est de renouveler la théorie financière en débusquant les « hypothèses implicitement normatives » qui la sous-tendent. Une manière de remettre en cause la prétendue neutralité axiologique de tels corpus. Dans cet effort de réforme, Bernard Billaudot rejoint le projet knightien de réguler les relations financières qui s’opèrent désormais (ou depuis toujours ?) dans une incertitude radicale. Charles Daussy et Catherine Karyotis proposent d’emprunter la direction d’une institutionnalisation de la RSE. Dhafer Saïdane et Sana Ben Abdallah explorent la relation entre la stabilité financière et une gouvernance orientée RSE. Élodie Behnam porte quant à elle un regard critique sur la lisibilité de la lettre aux actionnaires. L’analyse bibliométrique de Caroline Granier et Sandra Rigot dégage les thèmes saillants de la finance durable. L’introduction de ce dossier est l’occasion pour Roland Pérez de nous appeler à réfléchir non plus au double-encastrement économie-société, mais d’y adjoindre dans une relation tripartite la biosphère. Un appel à « réencastrer » ces éléments dans le bon ordre.
Pour ce numéro, nous avons retenu en varia deux contributions propres à dialoguer avec les travaux de Jacques Richard et Alexandre Rambaud. Elles constituent un cahier « comptabilité-contrôle durable ». Renaud du Tertre développe un propos sur les moyens de rendre tangibles les objectifs de développement durable. L’adoption d’une démarche RSE 21doit selon lui s’accompagner d’une instrumentation de gestion appliqué aux ressources immatérielles. À l’instar de Jacques Richard, il lui semble inconcevable de penser un référentiel sans l’association de dimensions opérationnelles et institutionnelles. Là où la technique – le langage – devient inséparable du politique. Dans une perspective analogue, Clément Carn construit un synopsis sur la manière dont la comptabilité socio-environnementale rend compte, selon les méthodes adoptées, de visions du monde soit prométhéennes, soit orphiques. Une recherche qui montre comment, sous le même vocable de soutenabilité et de responsabilité, se constituent des conceptions sinon opposées, du moins très contrastées du rapport de l’Homme à l’environnement. Quand la comptabilité rend visible les « hypothèses implicitement normatives » auxquelles Roland Pérez fait allusion…
La rubrique « éclairage » de ce numéro apporte un complément au dossier et au cahier. La note de synthèse de David Bourghelle sur le symposium Lille 2019 de l’AFEP trace les tendances de la nouvelle théorie financière en voie de se faire.
Quatre recensions concluent ce numéro. La première est consacrée à « Tocqueville au pays du management. Crise dans la démocratie » de Romain Laufer. Les trois autres rendent compte de l’essai « Changeons de voie – les leçons du coronavirus » d’Edgar Morin, de la « Révolution comptable. Pour une entreprise écologique et sociale » de Jacques Richard, et de « La nouvelle religion du numérique – le numérique est-il écologique ? » de Florence Rhodain.
La revue Entreprise & Société (ENSO) a pour esprit de s’inspirer des grands auteurs comme des recherches les plus récentes pour penser l’actualité. Or lorsque cette dernière vient à interroger très directement ce que l’entreprise peut faire pour la société – ou pas – nous avons le devoir de nous emparer du sujet. La révocation du Président de Danone par le conseil d’administration du groupe fait partie de cette actualité. Il convient de comprendre comment le premier dirigeant à avoir fait adopter le statut d’« entreprise à mission » à une grande société cotée française a vu son mandat si rapidement remis en cause. Le rapport de cause à effet est aujourd’hui interrogé, et il revient à des chercheurs qui connaissent bien le groupe de donner leur point de vue sur cet événement, auquel le dossier thématique du numéro 11 sera consacré.
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN : 978-2-406-12203-6
- EAN : 9782406122036
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12203-6.p.0019
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/08/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français