Présentation L’innovation sociale : une innovation différente ?
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Entreprise & Société
2018 – 2, n° 4. varia - Auteur : Le Bas (Christian)
- Pages : 97 à 100
- Revue : Entreprise & Société
PrÉsentation
L’innovation sociale :
une innovation différente ?
Christian Le Bas
Professeur, ESDES-Business School of UCLy
La revue Entreprise et Société a considéré que le thème de l’innovation sociale était suffisamment important pour qu’il soit après un appel à papiers, abordé dans un dossier1.
Définissons d’abord. L’innovation sociale est souvent définie en des termes généraux de manière à signifier les développements de pratiques sociales et dans les organisations dont la principale motivation est l’amélioration du bien-être des individus (Smith, 2017 ; van der Have et Rubalcaba, 2016). Elle se différencie alors des « autres innovations » qui visent également les progrès humains mais qui se font via les décisions d’organisations motivées par la recherche de profits. Cette définition peut être considérée comme problématique en ce que en suivant les travaux de Porter on recommande aux entreprises d’essayer de répondre à des besoins sociaux pas (peu) solvables tout en dégageant une rentabilité. Une telle réponse passe souvent par des innovations qu’on pourrait à bon droit être considérées comme « sociales ».
98Sans vouloir régler au fond cette difficulté on doit ici relever que dans le concept d’innovation sociale les moyens comptent plus que le but. Comme le remarque (Smith, 2017, p. 2) :
The social innovation agenda aims to redirect innovation capacity towards goals of social development. Does this agenda make sense ? Historical experience suggests interventions for social development work best and endure longest when they build upon processes of citizen participation, open deliberation and sensitive community development.
Par ailleurs, cette notion est plus problématique encore en ce qu’il ne s’agit pas seulement de redéployer les capacités d’innovation des individus et des organisations vers les besoins sociaux. En effet, l’innovation sociale impose (ou implique) d’innover dans le processus d’innovation, de réinventer l’innovation elle-même, elle doit impliquer la participation consciente et inventive des individus et communautés. Une autogestion de l’innovation pour l’amélioration des besoins sociaux en quelque sorte. De ce fait on comprend que la question de l’innovation n’est pas uniquement un thème traité par les communautés académiques. Les partenaires sociaux s’en saisissent également. Un exemple, parmi beaucoup d’autres, La lettre de l’observatoire social international d’avril 2018 (no 26) présente les débats autour d’un Livre blanc Innover en libérant l’intelligence individuelle et collective. L’innovation technologique est conçue comme transformation, pas seulement technologique, mais aussi culturelle, managériale et sociale.
Les papiers présentés ici offrent des angles de vues différents. Christel Vivel montre que le concept a du sens dans la tradition autrichienne. Mobiliser ce cadre permet de souligner que l’innovation sociale (comme toute innovation d’ailleurs) est le produit d’un processus de sélection social, fruit des interactions des différentes parties prenantes. Comprendre l’innovation sociale passe par la reconnaissance du rôle de chacun de ses acteurs. Ce processus comprend deux dimensions : une phase de diffusion/persuasion portée par l’initiateur de l’innovation et une phase d’adoption/rejet par laquelle la société s’approprie l’innovation et transforme le mode de fonctionnement même de la société. Elle signale dans sa conclusion que la figure (éminemment schumpeterienne) de l’entrepreneur social est bien centrale à ce processus. Un thème qui pourrait être tout naturellement porté, mais dans la futur, par la revue. Un second papier de Leila Ben Hassine et Jouhaina Gherib vise à décrire 99l’observation du pilotage du processus d’innovation sociale d’une entreprise (pétrolière tunisienne). Les auteurs mettent en évidence une articulation entre les concepts d’engagement communautaire, de stratégie de légitimation et de légitimité organisationnelle. Enfin Marc Ingham dont les travaux sur l’innovation responsable sont reconnus propose dans le dernier papier de relier innovation sociale et innovation responsable dans une problématique somme toute proche du management stratégique. Sa thèse est que l’innovation sociale constitue le moyen privilégié de mettre en œuvre la responsabilité sociale de l’entreprise2. En quelque sorte on ne peut détacher la première de la seconde. Cette présentation peut faire débat car des innovations sociales sont réalisées en dehors de toute problématique RSE.
In fine, il nous semble que le dossier reste fidèle à son objet initial (celui contenu dans l’appel à papiers), à savoir mieux cerner les enjeux économiques, sociaux et managériaux de l’innovation sociale.
100BIBLIOGRAPHIE
Smith A. (2017), « Social Innovation, Democracy and Makerspaces », SPRU Working Paper Series, SWPS 2017-10, June.
van der Have R. P. et Rubalcaba L. (2016), « Social innovation research : An emerging area of innovation studies ? », Research Policy, vol. 45, no 9, p. 1923-1935.
1 Le thème de l’innovation sociale a fait récemment l’objet d’importants travaux sur les méthodes et les modèles permettant de mieux l’appréhender. Voir par exemple : van Wijk J., Zietsma C., Dorado S., de Bakker F. G. A. et Martí I. (en cours de publication), « Social innovation : Integrating micro, meso and macro level insights from institutional theory », Business & Society, doi : 10.1177/0007650318789104.
2 Objet d’un long et riche dossier du numéro 3 de la revue.
- Thème CLIL : 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN : 978-2-406-09248-3
- EAN : 9782406092483
- ISSN : 2554-9626
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09248-3.p.0097
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/07/2019
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français