Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Écrire un opéra au xxie siècle. La démarche sensitive de George Benjamin
- Pages : 15 à 16
- Collection : Musicologie, n° 18
PRÉFACE
C’est en 2016 qu’Armelle Babin m’a contacté pour la première fois au sujet de sa thèse de doctorat qu’elle préparait à l’Université d’Aix-en-Provence. Son choix de sujet avait apparemment été influencé par une représentation de mon opéra Written on Skin à laquelle elle avait assisté quelques années auparavant. J’ai été touché par sa proposition, et nous avons maintenu des contacts occasionnels au fil des années, au fur et à mesure que son travail s’est développé. Lorsque nous nous sommes parlé pour la première fois, je ne savais pas que cette entreprise deviendrait si ambitieuse et substantielle et qu’elle serait maintenant imprimée.
Armelle a fait des recherches approfondies pour nourrir la substance de cette publication, invoquant de nombreuses spéculations philosophiques et esthétiques au fur et à mesure que son argumentaire progressait. Elle porte un regard original et perspicace sur l’évolution du théâtre musical au cours des dernières décennies, et son approche du livret me semble particulièrement brillante.
Son écriture aborde également la nouvelle musique très différemment de la manière qui prévalait lorsque j’étais étudiant. À cette époque – dans la tradition du constructivisme et du positivisme qui ont marqué une grande partie de la pensée intellectuelle de l’après-guerre – l’analyse musicale était souvent de nature hermétique, valorisant la logique et les statistiques bien au-dessus de la perception. Bien qu’il soit impossible d’ignorer l’importance de cette approche rationnelle, elle peut, entre de mauvaises mains, favoriser un discours aride et aliénant sur la musique. De plus, pour certains experts, toute tentative d’enquêter sur l’affect, l’impact émotionnel et le pouvoir expressif de la musique en s’écartant de cette approche était marginalisée, voire considérée comme suspecte.
Dans une réaction puissante contre cette orthodoxie, le cœur des investigations d’Armelle est l’effet tangible de l’opéra sur les sentiments, sur les sens, sur l’esprit, beaucoup sur la mémoire – et même sur le corps humain. À l’occasion, cette approche admirablement holistique entre 16dans un territoire un peu étranger à ma propre pensée, même si chaque créateur doit accepter – voire se réjouir – qu’une fois la double barre franchie, l’interprétation d’une œuvre appartient à d’autres. Enfin et surtout, je suis immensément impressionné par l’intensité avec laquelle Armelle a forgé son texte, et infiniment reconnaissant de la générosité dont elle a fait preuve envers mon propre travail.
George Benjamin, mai 2022