Introduction des éditeurs
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Œuvres. Tome II. De la division du travail social
- Auteurs : Achimastos (Myron), Foufoulas (Dimitris)
- Pages : 7 à 45
- Collection : Bibliothèque des sciences sociales, n° 7
Chapitre d’ouvrage : 1/27 Suivant
Introduction des éditeurs
De la division du travail social
La formation d’une problématique sociologique
(1879-1892)
S’il est vrai que l’année 1893 couronne avec succès les efforts entamés de longue date par Durkheim pour démystifier le règne social, il n’est pas moins vrai que ce succès a exigé qu’il affronte des obstacles persistants. Faisant allusion aux conditions dans lesquelles il a lancé sa démarche, Durkheim note : « Quand, il y a environ dix ans, nous avons décidé de nous consacrer à l’étude des phénomènes sociaux, le nombre de ceux qui s’intéressaient à ces questions était si restreint en France que, malgré la grande bienveillance avec laquelle furent accueillies nos premières tentatives, nous n’avons trouvé nulle part les conseils et les aides dont nous avions besoin pour éviter de longs tâtonnements et pour rendre plus faciles nos recherches. Dans le milieu universitaire, en particulier, la sociologie était l’objet d’un véritable discrédit : non seulement le mot semblait barbare aux puristes, mais la chose elle-même inspirait une espèce d’inquiétude et de répulsion à un grand nombre de personnes1 ». Pour sa part, Marcel Mauss s’avère plus précis sur les questions essentielles que son mentor devait aborder afin de forger les outils méthodologiques et les catégories conceptuelles de l’étude qui allait marquer le fondement de la science des faits sociaux. Dans son introduction à l’édition du Socialisme, il note : « On sait de quels problèmes il est parti. C’est dès ses années d’École Normale, par vocation, et dans un milieu de vouloir politique et moral, 8d’accord avec Jaurès et avec son autre camarade Hommay (mort en 1886) qu’il se consacra à l’étude de la question sociale. Il la posait alors assez abstraitement et philosophiquement, sous le titre : Rapports de l’individualisme et du socialisme. En 1883, il avait précisé ; et c’étaient les rapports de l’individu et de la société qui devinrent son sujet. C’est alors qu’il parvint, par une analyse progressive de sa pensée et des faits, entre le premier plan de la Division du travail social (1884) et la première rédaction (1886), à s’apercevoir que la solution du problème appartenait à une science nouvelle : la sociologie2 ».
Dans cette première partie de notre introduction, les paroles de Mauss que nous venons de citer nous serviront de guide afin de suivre de près les « tâtonnements » successifs de Durkheim lors de la formation progressive de la problématique de sa thèse principale. Nous allons bâtir notre argumentation sur deux niveaux d’analyse différents mais qui pourtant s’imbriquent. Au niveau historiographique, l’état actuel des études durkheimiennes nous permettra de restituer la chronique des lectures faites en vue de la préparation de la Division du travail social. À cet égard, les requêtes d’emprunt de livres présentées par Durkheim aux bibliothèques de l’E.N.S. (1879-1882), du lycée de Sens (1883-1884) et de l’université de Bordeaux (1889-1893) constituent une source importante3. Au niveau théorique, un corpus considérable de textes de Durkheim va être mobilisé. Il est composé de ses cours professés au lycée de Sens (1883-1884) et à la Faculté des Lettres de Bordeaux (1887-1888, 1888-1889, 1891-1892), de ses études sur la vie intellectuelle en Allemagne (1887) et d’une série de comptes-rendus et d’analyses critiques publiés entre 1885 et 18924.
9En 1879, Durkheim a réussi à ses examens d’entrée à l’École Normale Supérieure. La première année d’études était consacrée à la préparation des examens de Licence tandis que les élèves étaient, pendant la deuxième année, plus libres de suivre les cours de leur choix avant de se lancer, lors de la troisième année d’études, dans la préparation des examens de l’agrégation.
Le corpus exigeant des textes classiques à expliquer pour la licence ès lettres dans la période 1877-1879 comprenait des auteurs grecs (Homère – L’Iliade, Eschyle – Prométhée enchaîné, Hérodote, Démosthène – Discours sur les affaires de Chersonèse, Platon – Protagoras), latins (Térence – Héautontimoroumenos, Cicéron – Brutus, Sénèque – Consolatio ad Marciam), et français (La Fontaine – Fables, Pascal – Pensées)5. En parcourant la liste des livres que Durkheim a empruntés à la bibliothèque de l’École, nous pouvons conclure que ses lectures de l’année étaient presque exclusivement 10orientées vers le programme d’examen6. Durant la deuxième année, il a emprunté à la bibliothèque de l’École des titres qui révèlent, pour ne citer que les auteurs les plus célèbres, son vif intérêt pour l’histoire (Guizot, Aug. Thierry, Thiers, Michelet), la critique et l’histoire littéraires (Sainte-Beuve), la religion (Renan) et surtout la philosophie (Leibniz, Spinoza, Hegel, Kant, Locke et J. S. Mill)7. Il faut pourtant attendre l’année suivante pour le voir lire, pour la première fois, les auteurs sur lesquels il allait bâtir sa problématique sur la division du travail social.
La troisième année d’études à l’École était pour Durkheim la plus exigeante puisqu’il devait se préparer pour le concours de l’agrégation. Dans la liste des textes à traduire ou à commenter figuraient, pour l’année 1882, le Timée de Platon, la Physique d’Aristote, le Traité du Destin d’Alexandre d’Aphrodisias, De la Nature des Dieux de Cicéron, les Lettres de Sénèque, la Critique de la philosophie de Descartes de Leibniz et la Morale de Malebranche. Les thématiques des thèses à développer étaient les suivantes : a) Philosophie de l’École d’Élée, b) les Sophistes, c) Théories de Platon, d’Aristote, de Leibnitz sur la définition, d) Philosophie de Spinoza et e) Morale de Kant et de Fichte8. Pour les besoins du concours, Durkheim s’est consacré à la lecture d’une série d’auteurs classiques et de manuels de philosophie9. Parallèlement, il a lu des œuvres qui allaient marquer son itinéraire intellectuel ultérieur. Ainsi le voit-on déjà se familiariser avec ceux qui allaient jouer dans sa thèse le rôle d’interlocuteurs privilégiés ; il a lu le Cours de philosophie positive d’Auguste Comte et s’est mesuré à la pensée évolutionniste de Spencer10. C’est aussi l’époque où il est venu, pour la première fois, au contact de la pensée de Ribot, de Wundt, de Renouvier et de Boutroux11. 11Enfin, il a lu Cournot et des études critiques sur Saint-Simon et Espinas12. Dans le tableau suivant (Tableau 1), nous avons inclus les œuvres empruntées à la bibliothèque de l’E.N.S. qui figurent ultérieurement dans De la division.
Auteur |
Œuvre |
Année d’emprunt |
Aristote |
Opera omnia – Politica |
1881 |
Cicéron |
Œuvres complètes – Des devoirs |
1881 |
Comte, Auguste |
Cours de philosophie positive |
1881 |
Von Hartmann, Edouard |
Philosophie de l’inconscient |
1882 |
Homère |
Iliade |
1879, 1880 |
Kant, Immanuel |
Metaphysik der Sitten |
1881 |
Kant, Immanuel |
Grundlegung zur Metaphysik der Sitten |
1882 |
Platon |
Euthyphron |
1879, 1880 |
Platon |
Protagoras |
1879, 1880 |
Platon |
République |
1879, 1880 |
Platon |
Alcibiade |
1879, 1880 |
Ribot, Théodule |
La Psychologie allemande contemporaine |
1881 |
Ribot, Théodule |
L’Hérédité psychologique |
1881, 1882 |
Say, Jean-Baptiste |
Traité d’économie politique |
1881 |
Spencer, Herbert |
Les Bases de la morale évolutionniste |
1882 |
Spencer, Herbert |
Essais de morale de science et d’esthétique |
1882 |
De Tocqueville, Alexis |
De la démocratie en Amérique |
1881 |
12
Ouvrages non directement référencés dans De la division |
||
Cicéron |
Œuvres complètes – De la république |
1881 |
Cicéron |
Œuvres complètes – Des lois |
1881 |
Cicéron |
Œuvres complètes – Discours sur la réponse des Aruspices |
1881 |
Cicéron |
Œuvres complètes – Philippiques XI |
1881 |
Cicéron |
Œuvres complètes – Plaidoyer pour Sextus Roscius d’Amérie |
1881 |
Cicéron |
Œuvres complètes – Tusculanes |
1881 |
Dion Cassius |
Histoire de Rome |
1879, 1880 |
Hérodote |
Histoire |
1879, 1880 |
Tableau 1 – École Normale Supérieure (1879-1882).
À la fin de septembre 1882, Durkheim a obtenu un poste provisoire de professeur de philosophie au lycée du Puy. Le mois suivant, il a accepté un autre poste au lycée de Sens. Pour le cours qu’il a professé à Sens, lors de l’année 1883-1884, il a probablement lu le manuel que Paul Janet avait publié en 1879 et réédité quatre ans plus tard13. Quant aux lectures qu’il a entreprises lors de la préparation du cours, la brièveté de la liste des emprunts effectués à la bibliothèque du lycée affiche son intention de construire sa problématique à l’aide d’arguments provenant d’horizons divers. C’est ainsi que sa passion pour l’histoire et la méthode de la philosophie (Gérard, Ritter, Zeller) a fusionné avec son intérêt pour les études de psychologie (Hartmann, Ribot), de pédagogie (Compayré), d’histoire (De Coulanges) de statistique (Tarde) et de sociologie (Espinas)14. Toutefois, ce qui a stimulé le plus l’avancement de sa réflexion a été son appropriation critique des idées évolutionnistes, ce qui n’est pas étonnant si l’on considère la place prépondérante que la pensée de Spencer occupait encore dans les milieux intellectuels de l’époque15. Dans le tableau suivant (Tableau 2), nous avons inclus les œuvres empruntées à la bibliothèque du lycée de Sens qui figurent ultérieurement dans De la division.
13
Auteur |
Œuvre |
Année d’emprunt |
Fustel de Coulanges, Numa Denis |
Histoire des institutions politiques de l’ancienne France |
1884 |
Von Hartmann, Edouard |
Philosophie de l’inconscient |
1883 |
Ribot, Théodule |
La Psychologie allemande contemporaine |
1883 |
Spencer, Herbert |
Introduction à la science sociale |
1883 |
Spencer, Herbert |
Les Premiers principes |
1883 |
Tableau 2 – Lycée de Sens (1883-1884).
Durkheim saisit l’occasion de son cours professé à Sens pour manifester son vif intérêt pour l’étude de la question sociale. Dans la 64e leçon, il soutient que la morale civique est susceptible de cimenter davantage les liens qui unissent les individus divers dans un corps social. S’interrogeant sur les conditions d’existence de ce corps, il reproche d’abord aux doctrines philosophiques d’un Hobbes, d’un Rousseau ou d’un Bossuet d’avoir été fondées sur la fausse conviction qui veut que l’homme soit, par nature, un être isolé qui ne s’assemble avec les autres que sous l’ascendant de telle ou telle autre force extérieure. Aux antipodes de cette conviction, son propre point de vue est que le corps social, loin de se composer artificiellement des liens tissés par des êtres exclusivement égoïstes, constitue une réalité naturelle qui reflète aussi les sentiments altruistes des individus ou, autrement, leur besoin de se trouver avec leurs semblables. Afin de mieux expliquer à ses élèves la spécificité du corps social, Durkheim leur signale les analogies de ce dernier avec les organismes biologiques. À cet égard, les individus ou bien encore les autres composants de la société pourraient être comparés aux divers organes du corps qui, dans le cadre d’une division biologique du travail, se chargent des fonctions particulières les liant harmonieusement les uns aux autres. Les paroles exactes de Durkheim portent déjà en germe sa problématique ultérieure sur la division du travail :
La société, conclut-il, est donc naturelle. Naturellement les hommes s’unissent parce qu’ils ne peuvent se suffire. Aucun homme seul ne pourrait remplir les fonctions nécessaires à la vie d’un Européen. À quel procédé a-t-on donc recours ? À la division du travail. Chaque individu, se chargeant d’une 14fonction spéciale, la remplit mieux et plus vite, et acquiert les produits nécessaires à sa vie en échangeant les produits de son travail. Par suite de cela, comme le fait observer Bastiat dans l’Harmonie économique, le bien-être de chacun se trouve augmenté au profit de tout le monde. Sans que personne soit lésé, chacun reçoit beaucoup plus qu’il ne pourrait avoir s’il était seul. Tel est l’avantage de la division du travail, et cette division est le fondement de la société16.
Une fois la division du travail considérée comme le fondement de la société, la question de l’organisation sociale se pose d’elle-même et fait l’objet d’une intense polémique entre deux camps aux théories opposées, à savoir les défenseurs du socialisme et les tenants de la doctrine libérale ou individualiste. Si les vues des uns et des autres s’excluent mutuellement, elles ne sont pas moins inappropriées quant à leur façon de représenter les rapports entre les individus, la communauté et l’État. D’une part, la théorie socialiste est marquée par la contradiction du fait qu’elle envisage l’abdication de l’individu comme nécessaire à la constitution d’une communauté qui, sous la garantie de l’autorité étatique, promet à chacun de ses membres un minimum de liberté individuelle. D’autre part, la théorie individualiste souffre de son penchant antisocial puisqu’elle surenchérit sur la liberté individuelle et considère que l’État doit intervenir seulement pour « obliger chaque individu à ne pas empiéter sur la liberté d’autrui17 ». Durkheim prend des distances égales à l’égard de ces deux théories. Ainsi, semble-t-il, sa propre démarche consiste à frayer une troisième voie entre le socialisme despotique et l’individualisme abstrait. En transposant leur confrontation idéologique dans le champ d’une étude sociologique, il examine les rapports entre l’individuel et le social sous le signe de la division du travail. Sa réponse – une sorte d’hypothèse de départ – à ceux qui ont tendance à affirmer les intérêts sociaux contre l’individualité ou, en revanche, à ceux qui, au nom de la liberté individuelle, se montrent prêts à nier tout intérêt social, prendra la forme de la question suivante : « Comment se 15fait-il que, tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société18 ? ».
Aux débuts de l’année 1884, Durkheim a sollicité une mutation qui lui permettrait d’être plus près de sa famille. Ses qualités d’enseignant et son sérieux ont pesé pour que sa requête soit satisfaite. Après quelques mois d’activité professorale au lycée de Saint-Quentin, les évaluations élogieuses de ses supérieurs lui ont permis de bénéficier d’un congé annuel en vue d’accéder aux ressources indispensables pour la préparation de ses thèses de doctorat19. Ainsi, durant le premier semestre de l’année scolaire 1885-1886, il est à Paris où il rédige une première ébauche de sa thèse principale. Malheureusement, la perte de ses manuscrits ne nous permet pas d’avoir une idée précise de son état d’avancement. Néanmoins, cette lacune dans nos connaissances peut être partiellement comblée grâce aux trois comptes-rendus qu’il a publiés dans la Revue Philosophique de la France et de l’étranger durant l’année 188520 : « Consacrés à des analyses des ouvrages de A. Schäffle, Bau und Leben des socialen Körpers, de A. Fouillée, La propriété sociale et la démocratie et de L. Gumplowicz, Grundriss des Sociologie, ils témoignent du fait qu’en 1884-1885 Durkheim est déjà en possession d’hypothèses qui seront centrales dans la conception de la science sociale et de l’objet qu’il élabore21 ».
Dans les années qui ont suivi sa parution, l’étude de Schäffle sur les corps sociaux avait éveillé l’intérêt de figures éminentes de la pensée sociale française. Si Espinas (Des Sociétés animales) et Fouillée (La Science sociale contemporaine) lui avaient pourtant réservé un accueil distant, Durkheim l’introduit devant le public français comme un travail hautement instructif qui a le mérite de « regarder en face l’infinie complexité 16des faits22 ». Il attire en outre l’attention de ses lecteurs sur certaines thèses de Schäffle qui lui paraissent propices tant à la constitution de la science sociale qu’à l’exploration des rapports qui lient l’individu à la société.
Tout d’abord, Durkheim partage avec Schäffle la même conception réaliste de la société ; cette dernière, loin d’être une simple agglomération d’individus, constitue « un être qui a précédé ceux dont il est aujourd’hui composé et qui leur survivra, qui agit sur eux plus qu’ils n’agissent sur lui, qui a sa vie, sa conscience, ses intérêts et sa destinée23 ». Évidemment, Durkheim avait forgé sa propre conception réaliste de la société bien avant sa familiarisation avec la pensée de Schäffle24. De ce point de vue, son choix d’y faire une allusion élogieuse trahit une double intention stratégique ; d’une part, affirmer, une fois encore, que la conception réaliste de la société est la première condition à toute étude objective du social ; d’autre part, tirer profit de l’écho international de la pensée schäffléenne afin de mettre en avant sa propre perspective des sciences sociales25.
Dans son Bau und Leben des socialen Körpers, Schäffle emprunte à la biologie une terminologie qui lui permet de rendre plus concrète sa 17propre vision de la structure et des fonctions de la société. Or, plutôt que de trahir un réductionnisme biologique du social, l’usage de ce vocabulaire, assez courant d’ailleurs à l’époque, ne saurait cacher le fait que le savant allemand appartient au mouvement d’indépendance des sciences sociales vis-à-vis de la biologie. La lecture de Durkheim vise quant à elle non seulement à reconnaître, contre Fouillée26, le rôle de Schäffle comme initiateur de l’essor autonome de la sociologie mais, plus encore, à mieux retracer les limites délicates qui doivent séparer cette dernière de la biologie. À cet égard, l’extrait suivant est susceptible d’écarter toute confusion possible que l’emprunt considérable des termes biologiques par Durkheim pourrait entraîner chez le lecteur des écrits de la période 1885-1893 :
Nous reconnaissons volontiers que la société est une sorte d’organisme ; […] Mais, si l’on va plus loin, si l’on ne voit dans la sociologie qu’une application nouvelle des principes biologiques, alors on impose à cette science des conditions qui ne pourront qu’en ralentir le progrès. Le grand service que Claude Bernard a rendu à la physiologie fut précisément de l’affranchir de toute espèce de joug, de la physique et de la chimie comme de la métaphysique, réservant pour un avenir éloigné l’heure des généralisations. Il convient de procéder avec la même prudence dans l’étude des sociétés. Avant de chercher à quoi ressemble et de quoi diffère cet objet nouveau de la spéculation, il faut savoir en quoi il consiste ; il faut l’observer en lui-même, pour lui-même et d’après une méthode appropriée. Voilà ce que Schäffle a voulu faire27.
Or, le réalisme social de Schäffle ou, encore, l’autonomie de sa pensée sociale ne sont pas les raisons principales pour lesquelles Durkheim prend 18la décision de lui consacrer une lecture critique. Avant tout, son but est de se mesurer à un penseur dont l’approche, de même que la sienne, constitue une tentative de combattre tant les « tendances dispersives qu’engendre la pratique de l’individualisme » que les effets chimériques du socialisme égalitariste ou despotique28.
D’après Durkheim, le mérite premier de l’approche de Schäffle est d’affirmer la prééminence de la conscience collective qui, sous les auspices d’une autorité, se veut capable de mettre en harmonie les mouvements discordants des unités sociales diverses29. L’inspiration anti-individualiste de Schäffle l’amène à interroger les différentes doctrines du socialisme afin d’en dégager les principes sur lesquels il peut fonder ce qu’il entend par le terme « autorités », à savoir les centres directeurs ou, autrement dit, « nerveux » de l’organisme social. Or, sur ce point encore, sa position reste, selon Durkheim, distante, voire critique. C’est ainsi que, pour des raisons différentes, il rejette l’égalitarisme de Marx ou le protectionnisme des socialistes de la chaire. Le premier se montre niveleur puisque, à défaut d’un sens développé de la complexité sociale, il nie le rôle que les « autorités » doivent assumer dans la société. Le second, d’autre part, surenchérit sur la nécessité de cimenter le mécanisme étatique ou les normes juridiques afin de mettre en place une « autorité » susceptible de réduire les individus à la passivité ; il se révèle donc despotique, voire tyrannique.
Après avoir mis le doigt sur les faiblesses de l’individualisme et du socialisme, Schäffle adopte à leur égard une stratégie réconciliatrice. Plus précisément, il tente de fondre l’aspiration de l’individualisme vers la liberté avec l’esprit associationiste du socialisme en une doctrine dont les débouchés pratiques peuvent servir à l’organisation d’un système social solidaire. Contre l’hostilité des économistes orthodoxes et la critique peu constructive des socialistes, cette démarche de Schäffle se veut ambitieuse au moins à deux niveaux. Au niveau spéculatif, il importe d’éveiller le sens de la solidarité sociale. Au niveau pratique, il s’agit de structurer des autorités capables de garantir perpétuellement la stabilité de cette solidarité. Relevant ce double défi, Schäffle juge qu’il 19est urgent de restaurer les corporations professionnelles30. Pris entre la Scylla de l’égoïsme exacerbé et la Charybde de la tyrannie étatique, ces dernières ont ceci de particulier qu’elles réchauffent chez les individus le sentiment inné d’appartenance à la communauté sans pour autant violer leur propre libre-arbitre. En d’autres termes, elles constituent les organes de la société qui, une fois adaptés aux besoins de la division du travail, savent, plus que les autres, favoriser en leur sein l’épanouissement de la solidarité.
S’il est vrai que Durkheim partage en partie l’optimisme de Schäffle sur la capacité des corporations de renforcer, contre l’égoïsme ou le despotisme, la solidarité sociale, il n’en est pas moins vrai qu’il exprime son désaccord avec la méthode que ce dernier adopte afin d’opérer la conciliation souhaitée entre l’individualisme et le socialisme. Plus précisément, Durkheim reproche à Schäffle d’avoir puisé son principe générateur de solidarité dans une logique éclectique qui glisse tantôt vers le volontarisme, tantôt vers le sentimentalisme. À cet égard, sa thèse est claire : pas plus que la plupart des intelligences, le cœur ne saurait pousser les membres de la société au-delà de l’horizon restreint de leur individualité. Autrement dit, ni la raison libre, ni les sentiments innés de sympathie ne sont suffisants pour l’établissement d’un lien social solide. Bien que justifiée, l’ambition de Schäffle tombe ainsi dans le vide. Les tendances dispersives de l’égoïsme ou les pratiques liberticides d’un État demeurent des obstacles à surmonter. Poursuivant sa recherche de remèdes efficaces, Durkheim va se mesurer ensuite à un autre théoricien renommé du social.
Fouillée tente de réconcilier l’individualisme et le socialisme en vue de contribuer aux progrès d’une science dont l’objet est l’étude et l’organisation du corps social31. Dans un premier temps, il partage avec Durkheim la critique véhémente de l’individualisme intransigeant32 et il se dresse contre le libre-échangisme des économistes orthodoxes. Dans la suite, il défend, contre l’excès d’une liberté qui lui semble abstraite ou, plutôt, métaphysique, le déterminisme de la structure sociale qu’il compare à un organisme dont les parties sont liées par des 20rapports étroits d’interdépendance. Selon Durkheim, cette vision du social laisse émerger le tropisme socialiste et démocratique de la théorie de Fouillée. Rien d’étonnant donc à cela que ce dernier envisage comme nécessaire une réforme de la rente qui permettrait la constitution d’un fonds d’assistance et d’assurance pour les travailleurs. Rien d’étonnant non plus à ce qu’il considère le suffrage universel comme la pratique politique la plus appropriée aux intérêts de la nation en revendiquant la formation de bons électeurs par l’instruction publique.
Aux yeux de Durkheim, les réformes sociales et politiques de Fouillée ont le mérite de vouloir préserver, contre le despotisme étatique, le caractère volontaire et conscient que doit avoir le social. Or, par une sorte d’ironie, ce mérite ne constitue pas moins leur vice. Et cela parce que Fouillée, tout en essayant de neutraliser les tendances autoritaires du socialisme, se tourne vers une conception de la société où la volonté individuelle joue, en fin de compte, le rôle prépondérant. Par les paroles critiques qui suivent, Durkheim lui reproche un glissement vers une logique atomiste qui mène à l’échec son projet de réconciliation de l’individualisme et du socialisme : « En définitive, note-t-il, la société parfaite serait, suivant lui [i. e. Fouillée], celle où chacun aurait juste assez de fortune pour se suffire en travaillant ; assez d’intelligence pour comprendre ses devoirs immédiats ; assez de cœur pour ne pas se désintéresser d’autrui. L’harmonie sociale y résulterait de l’accord spontané des volontés33 ».
Le troisième compte-rendu que Durkheim publie lors de l’année 1885 est consacré à L. Gumplowicz. Évidement, le Grundriss der Sociologie ne figure pas dans la bibliographie de De la division et ne joue vraiment qu’un rôle marginal dans la formation de la problématique durkheimienne. Néanmoins, il est important de rappeler que ce livre, au-delà de ses qualités ou de ses faiblesses, constitue pour Durkheim une autre preuve des avancements que la science sociale a réalisés en Allemagne34. Dans son commentaire introductif, il note : « Quoique nous n’acceptions 21ni ses principes, ni sa méthode, ni la plupart de ses conclusions, nous n’hésitons pas à reconnaître la valeur et l’intérêt de son livre. C’est une preuve de plus des efforts persévérants qui sont faits en Allemagne pour pousser dans tous les sens l’investigation sociologique. Combien il est regrettable que cet intéressant mouvement soit si peu connu et si peu suivi chez nous ! C’est ainsi que la sociologie, française d’origine, devint de plus en plus une science allemande35 ». Par ces paroles de regret, Durkheim exprime son estime pour la pensée sociale allemande et annonce un voyage outre-Rhin.
Au début de l’année 1886, Durkheim a interrompu son séjour de recherche à Paris et il a pris la décision de partir en Allemagne36. La fréquentation des institutions académiques d’outre-Rhin lui a permis de constater l’état d’avancement de la science sociale germanique et, ainsi, d’affiner ses propres instruments d’analyse37.
La première étape de ce voyage a été la ville de Leipzig. Durkheim y a visité le laboratoire du psychophysicien Wilhelm Wundt et il a assisté à certains travaux expérimentaux. Ses destinations suivantes ont été les institutions académiques de Berlin et de Marburg dont la vie dense et 22bouillonnante a fait l’objet d’une étude qu’il a publiée peu après sa rentrée en France38. Dans les bibliothèques qu’il a fréquentées, il a approfondi encore davantage l’œuvre de Schäffle et de Wundt. En même temps, il s’est familiarisé plus avant avec les théoriciens de la « psychologie des peuples » (Völkerpsychologie) et du « socialisme de la chaire » (Katheder Sozialismus).
L’évolution des idées de Durkheim durant cette période est, à plusieurs égards, sensible. Si ses textes publiés en 1885 affichent son intention de frayer une troisième voie entre des doctrines apparemment antinomiques telles que l’individualisme et le socialisme, ses textes publiés en 1886 et, surtout, ceux de 1887 montrent son vif intérêt pour la fonction sociale de la morale, c’est-à-dire pour sa qualité de faire naître, au sein d’une société plus volumineuse et moins homogène, des sentiments de solidarité entre deux ou plusieurs personnes. Aux conditions d’une société qui s’agrandit et devient de plus en plus menaçante pour ses membres, Durkheim juge que correspond une morale de solidarité. Ses paroles rappellent déjà le cadre général de son argumentation de De la division :
Si nous souffrons, dit-il, si nous nous sentons mal à l’aise, c’est qu’un souffle de désorganisation a passé à travers la société. Les vieux liens sociaux sont brisés et rien ne les remplace. Comme les individus sont ainsi détachés les uns des autres, chacun ne sent plus son voisin et tire de son côté. De là des heurts, des froissements, des discordances douloureuses. Pour qu’il y ait plus d’harmonie dans les mouvements, il faut que les hommes se rapprochent, afin que chacun sente bien qu’il n’est pas seul au monde. Qu’ils s’unissent au sein des familles fortes et fécondes39 !
Comprendre comment la question du rapport entre l’individu et la société se transforme progressivement en une question de morale permet de mieux saisir les liens qui rattachent Durkheim aux économistes, aux juristes et, surtout, aux psychologues allemands.
S’il y a une méthode traditionnelle pour penser les faits sociaux, les faits moraux y compris, elle est essentiellement déductive et largement marquée soit par le rationalisme soit par l’utilitarisme. Pour l’esprit qui en fait usage, la vie collective – qu’elle soit basée sur la raison pure ou sur l’utilité – n’est qu’« une mise en rapport des volontés indépendantes » 23qui vise au « perfectionnement de l’individu40 ». Selon Durkheim, les faiblesses méthodologiques et le simplisme apparent de cette méthode entravent la progression d’une science pour laquelle la complexité des faits est le premier défi à surmonter afin d’arriver à la découverte des règles qui régissent la vie sociale41. Se tournant vers les économistes allemands et plus particulièrement vers les socialistes de la chaire, Durkheim opte pour l’application d’une méthodologie vraiment inductive et compatible avec sa vision organique de la société42.
De même que Adolph Wagner et Gustav von Schmoller, Durkheim repousse la thèse des tenants de l’école de Manchester selon laquelle les liens sociaux résultent superficiellement d’une concordance plus ou moins calculée des intérêts individuels. En refusant de considérer l’individualisme utilitaire comme fondement de la vie collective, les socialistes de la chaire ouvrent, autant que Durkheim, sur une conception complexe, voire organique du social. Sur un ton approbateur, ce dernier prend soin de nous en instruire :
Pour eux [i. e. les socialistes de la chaire], au contraire, la société est un être véritable, qui sans doute n’est rien en dehors des individus qui le composent, mais qui n’en a pas moins sa nature propre et sa personnalité. Ces expressions de la langue courante, la conscience sociale, l’esprit collectif, le corps de la nation, n’ont pas une simple valeur verbale, mais expriment des faits éminemment concrets. Il est faux de dire qu’un tout soit égal à la somme de ses parties. Mais par cela seul que ces parties ont entre elles des rapports définis, sont assemblées d’une certaine manière, il résulte de cet assemblage quelque chose de nouveau, un être composé assurément, mais qui a des propriétés spéciales et qui peut même, sous certaines conditions, prendre conscience de soi43.
Cette définition de la société comme un être naturel et vivant n’est pas le seul apport des socialistes de la chaire. À eux revient aussi le mérite d’avoir pensé la morale comme le garant « des grands intérêts 24collectifs44 ». Plus précisément, le rôle de la morale est, à leurs yeux, de rendre possible la vie sociale d’où elle dérive spontanément après avoir subi une certaine cristallisation45. En partageant un tel point de vue, Durkheim esquisse déjà les termes d’une analyse qu’il va reprendre quelques années plus tard lorsque, dans la De la division, il va parler de la consolidation des règles juridiques ou morales46.
De ce que la morale est un fait social déterminant, il résulte qu’elle ne saurait être coupée d’un domaine de la vie collective aussi important que l’économie. Les socialistes de la chaire, s’opposant une fois encore aux adeptes de l’école de Manchester, affirment qu’il y a une régulation morale de l’économie en même temps qu’il y a des transformations de la morale dues à l’activité économique. Dans le premier comme dans le second cas, ce qui importe est l’apaisement des égoïsmes et le développement des sentiments « désintéressés » qui permettent aux hommes de « vivre ensemble sans trop de heurts et de conflits ». Pour quelqu’un comme Durkheim, dont l’intention est de faire porter son analyse sur les aspects moraux d’un phénomène également économique tel que la division du travail, cette mise en rapport est digne d’attention47.
Si la contribution des socialistes de la chaire aux progrès d’une science positive des faits moraux est importante, celle des juristes allemands ne saurait passer inaperçue. C’est pour cette raison que Durkheim salue dans la figure de Rudolf von Jhering un digne représentant de l’école historique de jurisprudence dont la préoccupation première est d’explorer les liens qui attachent le droit à la morale48. Par une méthode empirique qui surmonte les obstacles auxquels ont été conduits les métaphysiciens, Jhering arrive à la conclusion que les lois non moins que les mœurs incarnent les conditions de la vie sociale et que, ainsi, elles exercent sur les individus une force contraignante capable de les faire s’adapter à leur milieu49. De ce point de vue, l’État et l’opinion 25publique, au lieu de paraître comme les agents d’une autorité absolue, se présentent soit comme les garants des rapports sociaux concrets, soit comme les moteurs qui accélèrent le changement social. C’est peut-être cette dernière thèse de Jhering qui a stimulé l’intérêt de Durkheim dans une période où ce dernier cherche à creuser une troisième voie entre le libre-échangisme des économistes classiques et l’étatisme interventionniste des socialistes de la chaire. Cette troisième voie est celle d’une vie sociale spontanée où la morale exerce sa fonction en tant que force capable de réunir solidairement les hommes dans un corps organisé.
Les savants allemands que l’on vient d’évoquer ci-dessus pensent la morale à partir de leur propre point de vue scientifique. Wilhelm Wundt est le premier à employer la méthode empirique afin de synthétiser ces points de vue50. Durkheim, à ses propres dires, a lu son œuvre en 188751. Comme nous allons le montrer tout de suite, sa réflexion rejoint celle de Wundt au moins sur deux points.
Bien qu’il soit un représentant distingué de la science de la psyché, Wundt aborde les faits moraux comme des phénomènes sociaux dont l’explication déborde largement l’horizon de l’individu isolé. Comme il est attendu, Durkheim partage un tel point de vue dont la valeur pour la constitution de la science de la morale est, d’après lui, majeure :
De ce que les phénomènes collectifs n’existent pas en dehors des consciences individuelles, il ne s’ensuit pas qu’ils en viennent ; mais ils sont l’œuvre de la communauté. Ils ne partent pas des individus pour se répandre dans la société, mais ils émanent de la société et se diffusent ensuite chez les individus. Ceux-ci les reçoivent, plus qu’ils ne les font, quoique chacun d’eux y ait collaboré, mais dans une mesure infinitésimale. […]. Bien loin que les habitudes [individuelles] pussent se transformer en mœurs, on voit plutôt des mœurs qui, en se contractant, retombent à l’état d’habitudes individuelles. Les mœurs, fait collectif, doivent donc avoir pour cause un autre fait collectif52.
Durkheim reconnaît que le sentiment sympathique – l’attrait spontané du semblable pour son semblable – et religieux sont les 26sources des mœurs altruistes capables de contrebalancer les tendances dissolvantes de l’égoïsme. Sur ce point encore, Wundt lui prête un appui important dans la mesure où il lui permet de suivre dans le temps les transformations diverses que les corps sociaux ont subies et, ainsi, d’en dégager les formes historiques de l’altruisme. Dans les premiers stades de la vie sociale, la sympathie a trouvé dans la religion, source d’abnégation et de désintéressement, un puissant auxiliaire afin de réussir la neutralisation mécanique des égoïsmes53. Avec le temps, « ce penchant historique [i. e. la sympathie] s’est de plus en plus différencié à mesure que se différenciaient aussi les milieux sociaux au sein desquels il se manifestait54 ». Reprenant le fil de l’analyse de Wundt, Durkheim précise que les sociétés gagnent, de plus en plus, en volume et en concentration et, de ce fait, elles éveillent des sentiments collectifs et moraux qui se diversifient tout en devenant plus complexes et consistants. Ainsi, aux sociétés de type familial correspondent des inclinations domestiques alors que les sociétés divisées par castes ou par classes sont fondées sur des sentiments qui sont particuliers à chaque couche sociale.
Profondément convaincu que les mœurs restent plus ou moins dépendantes des conditions qui déterminent l’existence de la société, Durkheim adresse pourtant deux objections à Wundt : il présente de manière trop rapide l’évolution de la morale et il cherche en vain à dégager de cette présentation hâtive le contenu immuable des idées morales55. En fin de compte, sa tentative de fonder une science positive de la morale débouche, de même que celles des autres savants allemands, sur un demi-échec. Pour Durkheim, le défi est à relever.
À son retour d’Allemagne, Durkheim a repris son service dans l’enseignement secondaire. Cette fois, c’est au lycée de Troyes qu’on a lui offert un poste d’enseignant de philosophie. Dans ses cours tenus entre octobre 1886 et l’été 1887, il a traité des questions d’économie politique et de morale et il a exposé la doctrine de l’évolution56. Sa conduite exemplaire, son caractère dévoué et ses connaissances étendues 27lui laissaient espérer un avancement à l’université. Donnant une suite favorable à l’initiative de Louis Liard, Eugène Spuller, ministre de l’Instruction publique, a signé le 29 juillet 1887 un arrêté nommant Durkheim chargé de cours à l’université de Bordeaux. C’est ainsi que ce dernier s’est vu confier l’enseignement « de science sociale et de pédagogie ». Son poste, le premier de ce type en France, a été spécialement créé pour lui sous le prétexte d’introduire de nouvelles disciplines dans les universités françaises et, ainsi, de rompre avec la monopolisation des sciences sociales par les Allemands57.
Durkheim a pris la décision de séparer clairement les deux domaines de son poste et, ainsi, de donner un cours public en science sociale et une série de conférences sur la pédagogie. Son cours de science sociale, professé pendant l’année académique 1887-1888, a porté sur la « Solidarité sociale » et il a constitué l’acte de naissance de la sociologie académique. Ses paroles montrent qu’il a été conscient de l’enjeu historique qui en dérivait :
Sous l’influence de causes qu’il serait trop long d’analyser ici, l’esprit de collectivité s’est affaibli chez nous. Chacun de nous a de son moi un sentiment tellement exorbitant qu’il n’aperçoit plus les limites qui l’enserrent de toutes parts. Se faisant illusion de sa propre puissance, il aspire à se suffire à soi-même. C’est pourquoi nous mettons tout notre mérite à nous distinguer le plus possible les uns des autres, et à suivre chacun notre mouvement propre. Il faut réagir et de toutes nos forces contre cette tendance dispersive. Il faut que notre société reprenne conscience de son unité organique ; que l’individu sente cette masse sociale qui l’enveloppe et le pénètre, qu’il la sente toujours présente et agissante, et que ce sentiment règle toujours sa conduite ; car ce n’est pas assez qu’il ne s’en inspire que de temps en temps dans des circonstances particulièrement critiques. Eh bien ! Messieurs, je crois que la sociologie est, plus que toute autre science, en état de restaurer ces idées. C’est elle qui fera comprendre à l’individu ce que c’est la société, comme elle le complète et combien il est peu de chose réduit à ses seules forces. Elle lui apprendra qu’il n’est pas un empire au sein d’autre empire, mais l’organe d’un organisme, et lui montrera tout ce qu’il y a de beau à s’acquitter consciemment de son rôle d’organe. Elle lui fera sentir qu’il n’y a aucune diminution à être solidaire d’autrui et à en dépendre, à ne pas s’appartenir tout entier à soi-même. Sans doute ces idées ne deviendront vraiment efficaces que si elles se répandent dans les couches profondes de la population ; mais pour cela, il faut d’abord que nous les élaborions scientifiquement à l’Université. Contribuer à atteindre ce résultat dans la 28mesure de mes forces sera mon principal souci et je n’aurai pas de plus grand bonheur que si j’y puis réussir un peu58.
Que la sociologie soit la science qui étudie et transforme le lien social, telle a été la tâche scientifique et politique que Durkheim s’est assignée dans une époque de crise où la solidarité sociale était affaiblie, donnant ainsi libre cours aux égoïsmes destructeurs des individus, des classes et des nations. Dans les années suivantes, Durkheim a fait de son mieux pour achever sa thèse et se montrer ainsi un digne successeur de tous ceux qui avaient contribué aux progrès de l’esprit sociologique59. Son résumé du cours sur la « Solidarité sociale » nous avertit d’ailleurs du fait que dès l’année académique 1887-1888 il avait déjà forgé ses catégories fondamentales d’analyse. Il note :
Nous avons consacré toute l’année dernière au problème initial de la sociologie. Avant d’aller plus avant il était en effet nécessaire de savoir quels sont les liens qui unissent les hommes entre eux, c’est-à-dire ce qui détermine la formation d’agrégats sociaux. […] Il nous a été possible de constituer avec certitude deux grands types sociaux dont toutes les sociétés passées et présentes ne sont que des variétés. Nous avons distingué d’une part les sociétés inorganisées ou, comme nous avons dit, amorphes qui s’échelonnent de la horde de consanguins à la cité, et de l’autre, les États proprement dits, qui commencent à la cité pour finir aux grandes nations contemporaines. Puis l’analyse de ces deux types sociaux nous a fait découvrir deux formes très différentes de solidarité sociale, l’une qui est due à la similitude des consciences, l’autre qui est au contraire un produit de la différenciation des fonctions et de la division du travail. Sous l’effet de la première, les esprits s’unissent en se confondant, en se perdant pour ainsi dire les uns dans les autres, de manière à former une masse compacte qui n’est guère capable que de mouvements d’ensemble. Sous l’influence de la seconde, par suite de la mutuelle dépendance où se trouvent les fonctions spécialisées, chacun a sa sphère d’action propre, tout en étant inséparable des autres. […] Quoique à parler à la rigueur, il soit peut-être possible de dire que ces deux espèces de solidarité n’ont jamais existé l’une sans l’autre, cependant nous avons trouvé la solidarité mécanique à l’état de pureté presque absolue dans ces sociétés 29primitives où les consciences et même les organismes se ressemblent au point d’être indiscernables, où l’individu est tout entier absorbé par le groupe, où la tradition et la coutume règlent jusque dans le détail les moindres démarches individuelles. Au contraire, c’est dans les grandes sociétés modernes que nous avons pu le mieux observer cette solidarité supérieure, fille de la division du travail, qui laisse aux parties leur indépendance tout en renforçant l’unité du tout. Cette constatation nous a permis de déterminer les conditions en fonction desquelles varient l’une et l’autre de ces solidarités. Nous avons vu, en effet, que si là où les sociétés ont peu d’étendue, grâce au contact plus intime de leurs membres, à la communauté plus complète de la vie, à l’identité presque absolue des objets de la pensée, les ressemblances l’emportent sur les différences et par conséquent le tout sur les parties ; au contraire, à mesure que les éléments du groupe deviennent plus nombreux sans cesser d’être en relations suivies, sur le champ de bataille agrandi où l’intensité de la lutte croît avec le nombre des combattants, les individus ne peuvent se maintenir que s’ils se différencient, si chacun choisit une tâche et un genre de vie propre ; et la division du travail devient ainsi la condition primaire de l’équilibre social. L’accroissement simultané du volume et de la densité des sociétés, voilà en effet la grande nouveauté qui sépare les nations actuelles de celles d’autrefois ; voilà probablement un des principaux facteurs qui dominent toute l’histoire ; voilà, en tout cas, la cause qui explique les transformations par laquelle a passé la solidarité sociale60.
Il paraît ici évident que pendant la période 1887-1889 Durkheim a également déterminé le vocabulaire de sa thèse61. Sa lecture critique de Tönnies ne saurait que confirmer notre constat62.
Tout d’abord, Durkheim retient la classification tönniesienne des sociétés en deux catégories ou, pour mieux dire, en deux types différents. Les sociétés qui appartiennent au premier type (Gemeinschaft) se caractérisent par leur unité absolue établie sur la ressemblance de leurs parties. Ce sont des agrégats compacts (villages, petites cités, corporations politiques, économiques ou religieuses) où les pratiques 30domestiques prédominantes gardent les consciences « si fortement agglutinées qu’aucune ne peut se mouvoir indépendamment des autres63 ». Ce sont, autrement dit, des communautés dont la vie est dirigée par les usages, les coutumes et les traditions. Les biens, étant attachés au groupe familial, n’y circulent pas librement et ne laissent pas d’espace à la propriété privée et aux échanges contractuels entre individus. En bref, la sociabilité communautaire est le synonyme du « communisme porté à son plus haut point de perfection64 ».
En accord avec Tönnies sur le caractère de la communauté, Durkheim partage également avec ce dernier le même avis sur les facteurs qui déterminent l’évolution sociale. En effet, à mesure que les agrégats sociaux gagnent en volume ils pèsent moins lourdement sur l’individu et lui permettent de développer ses propres initiatives. Autrement dit, plus la société devient plus volumineuse plus elle laisse derrière elle l’ère du communisme pour passer à l’ère de l’individualisme, du commerce, du libre-échange, de la grande industrie, de la science et du cosmopolitisme65. En un mot, à la Gemeinschaft succède la Gesellschaft.
Selon Tönnies, ce second type de vie sociale est une société telle que l’a imaginée Bentham ; chacun y est pour soi et ne fait rien pour autrui à moins que ce ne soit en échange d’un service similaire ou d’une rétribution qu’il juge être l’équivalent de ce qu’il donne. Chaque partie de la Gesellschaft se place avant le tout ou, inversement, la totalité de la Gesellschaft n’est considérée que comme une simple juxtaposition des parties antagonistes. D’une manière ou d’une autre, la vie sociale semble fragile du fait que les individus ne partagent pas spontanément les forts liens organiques qui les unissaient autrefois. Contre ces tendances centrifuges de la Gesellschaft, l’installation artificielle d’un mécanisme étatique se veut susceptible de contenir les volontés diverses, d’assurer l’exécution constante des conventions particulières, bref, de garantir la constitution socialiste de la société. Tönnies conclut que si le communisme a été le régime de la Gemeinschaft, le socialisme doit être celui de la Gesellschaft. Or, pour lui, ce passage d’un régime à un autre ne constitue point un signe de progrès social. Se montrant pessimiste sur la capacité de 31l’État de garantir la cohérence des sociétés modernes, il considère le passage au socialisme comme le commencement d’une ère de déclin qui pourrait mener à la dissolution sociale66.
Si Durkheim partage avec son collègue allemand la même conception binaire du caractère des sociétés, si, encore, il s’accorde avec lui sur l’avènement inévitable de formes modernes d’organisation sociale, il prend enfin des distances lorsqu’il s’agit de décrire la structure et la dynamique des sociétés modernes. Ainsi, il remarque :
Mais le point où je me séparerai de lui, c’est sa théorie de la Gesellschaft. Si j’ai bien compris sa pensée, la Gesellschaft serait caractérisée par un développement progressif de l’individualisme, dont l’action de l’État ne pourrait prévenir que pour un temps et par des procédés artificiels les effets dispersifs. Elle serait essentiellement un agrégat mécanique ; tout ce qui y reste encore de vie vraiment collective résulterait non d’une spontanéité interne, mais de l’impulsion toute extérieure de l’État. […]. Or je crois que la vie des grandes agglomérations est tout aussi naturelle que celle des petits agrégats. Elle n’est ni moins organique, ni moins interne. En dehors des mouvements purement individuels, il y a dans nos sociétés contemporaines une activité proprement collective qui est tout aussi naturelle que celle des sociétés moins étendues d’autrefois. Elle est autre assurément ; elle constitue un type différent, mais entre ces deux espèces d’un même genre, si diverses qu’elles soient, il n’y a pas une différence de nature. Pour le prouver, il faudrait un livre67 […].
Après le compte-rendu consacré à Tönnies et jusqu’en 1892, Durkheim ne publie qu’un seul article68. On peut donc émettre l’hypothèse que pendant cette période il se consacre exclusivement à la préparation de ses cours et, surtout, à la rédaction de ses deux thèses de doctorat. La liste des livres qu’il emprunte à la bibliothèque universitaire de Bordeaux peut nous donner une idée de ses lectures69. En comparant les registres de cette liste avec notre liste bibliographique des ouvrages directement ou indirectement référencés dans De la division, on peut distinguer (voir Tableau 3) certaines sources qui y sont mobilisées avant les deux premières éditions ou avant la troisième.
32
Auteur |
Œuvre |
Année d’emprunt |
Aristote |
Morale à Nicomaque |
1890, 1891 |
Aristote |
Politique |
1890, |
Barth, Auguste |
« Religions de l’Inde » |
1890 |
Boissier, Gaston |
La religion romaine |
1901 |
Denys d’Halicarnasse |
Opera omnia graece et latine. Antiquitatum Romanarum |
1892 |
Diodore de Sicile |
Bibliothèque historique |
1891 |
Ellis, Alfred Burdon |
The Ewe-speaking Peoples of the Slave Coast of West Africa. |
1891 |
Espinas, Alfred |
Des Sociétés animales |
1891,1892 |
Fouillée, Alfred |
La Science sociale contemporaine |
1891 |
Fustel de Coulanges, Numa Denis |
Recherches sur quelques problèmes d’histoire |
1890 |
Fustel de Coulanges, Numa Denis |
La Cité antique |
1891 |
Fustel de Coulanges, Numa Denis |
Histoire des institutions politiques |
1892 |
Galton, Francis |
Natural Inheritance |
1890 |
Girod, Paul |
Les sociétés chez les animaux |
1891 |
Haeckel, Ernest |
Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles |
1890 |
Hanoteau, Adolphe – Letourneux, Aristide |
La Kabylie et les coutumes kabyles |
1891 |
De Hartmann, Édouard |
Philosophie de l’Inconscient |
1891 |
Homère |
Iliade |
1891 |
Kant, Immanuel |
Sämmtliche werke, t. 4, « Grundlegung der Metaphysik der Sitten » |
1890 |
Marion, Henri |
De la Solidarité morale |
1890 |
Marquardt, Joachim -Mommsen, Theodor |
Handbuch der römischen Alterthümer |
1891, 1892 |
Oettingen, Alexander von |
Moralstatistik in ihrer Bedeutung für eine Socialethik |
Demande d’acquisition déposée entre 1887-1889. |
Perrier, Edmond |
Les Colonies animales |
1890 |
Platon |
La République |
1890 |
Platon |
Euthyphron ou de la sainteté |
1890 |
33
Platon |
Alcibiade |
1892 |
Platon |
Protagoras |
1892 |
Réville, Albert |
Les religions des peuples non civilisés |
1891 |
Romanes, George John |
L’intelligence des animaux |
1890 |
Schömann, G. Fr. – Meier, M. H. Ed. |
Der attische Process |
1891, 1892 |
Spencer, Herbert |
Principes de sociologie |
1891 |
Weismann, August |
Essais sur l’hérédité et la sélection naturelle |
Demande d’acquisition déposée entre 1887 et 1889. |
Waitz, Georg |
Deutsche Verfassungsgeschichte |
1891 |
Ouvrages non directement référencés dans De la division |
||
Aristophane |
Œuvres complètes |
1892 |
César, Jules et alii |
Œuvres complètes |
1891 |
Démosthène |
Plaidoyers politiques |
1891 |
Pauthier, Georges (trad.) |
Les livres sacrés de l’Orient |
1891 |
Plaute |
Comediae, Rudens |
1892 |
Tite-Live |
Histoire romaine |
1892 |
Tableau 3 – Université de Bordeaux (1890-1893).
Son cours consacré à la famille (lors des années académiques 1890-1891 et 1891-1892) constitue pour lui une belle occasion d’appliquer sa méthode à l’étude de la vie domestique et, ainsi, d’intégrer cette dernière dans sa propre problématique sur la solidarité sociale.
La société domestique d’autrefois, fortement marquée par la prédominance du vieux communisme familial, formait un tout dont les membres vivaient en commun, possédaient en commun et n’avaient pas d’individualité distincte70. Or, pense Durkheim, plus le milieu social progresse et devient plus volumineux et dense, plus la famille se contracte pour revêtir, aux stades ultimes de l’évolution sociale, sa forme conjugale71. Deux sont les tendances historiques qui sont liées à l’émergence progressive de cette dernière : l’ébranlement continu du vieux communisme familial et l’intervention croissante de l’État dans 34sa vie intérieure. De l’ébranlement du communisme familial, il résulte le développement des divergences personnelles qui étaient autrefois contenues dans le cercle étendu de la famille patriarcale ou paternelle. Les membres de la famille conjugale, ayant leur propre physionomie et leur propre manière de sentir et de penser, s’attachent les uns aux autres par des rapports tout personnels. Sous la garantie de l’État, la solidarité domestique cesse de puiser sa vitalité dans des choses possédées par la famille et acquiert un caractère plus personnel ; « les choses possédées en commun cessent, ajoute Durkheim, d’être un facteur de la vie domestique » et « le droit successoral n’a plus de base ». En dernière analyse, l’ébranlement continu du communisme familial a pour conséquence la régression, et finalement, la disparition de la transmission héréditaire de la richesse72. Dans ce cadre, les paroles qui suivent rappellent sa prise de position en faveur de l’égalité des chances qu’il va exposer dans sa thèse :
Les conditions morales de notre vie sociale sont telles que les sociétés ne pourront se maintenir que si les inégalités extérieures dans lesquelles sont placés les individus vont de plus en plus en se nivelant. Il faut entendre par là, non que les hommes doivent devenir plus égaux entre eux, au contraire l’égalité intérieure va toujours s’accroissant, mais qu’il ne doit y avoir d’autres inégalités sociales que celles qui dérivent de la valeur personnelle de chacun, sans que celle-ci soit exagérée ou rabaissée par quelque cause extérieure. Or, la richesse héréditaire est une de ces causes. Elle donne à quelques-uns des avantages qui ne dérivent pas de leur mérite propre et qui pourtant leur confèrent cette supériorité sur les autres. Cette injustice qui nous paraît de plus en plus intolérable devient de plus en plus inconciliable avec les conditions d’existence de nos sociétés. Tout concourt donc à prouver que le droit successoral, même sous la forme testamentaire, est destiné à disparaître progressivement73.
La perspective de transmettre héréditairement le produit de notre travail nous pousse, par la force de l’habitude, à nous sentir fortement attachés à notre famille et à notre activité professionnelle. De ce point de vue, la suppression de la richesse héréditaire n’est pas un changement que la société pourrait subir sans difficulté. Non seulement elle pourrait menacer la cohésion familiale et la productivité du travail mais, plus encore, elle pourrait nuire à l’individu en l’obligeant à se suffire à lui-même et, par-là, à vivre dans une misère morale menant parfois 35au suicide74. À la recherche d’un remède, Durkheim remarque : « Il faut que nous soyons stimulés au travail par autre chose que l’intérêt personnel et que l’intérêt domestique. D’autre part, l’intérêt social est trop loin de nous, trop vaguement entrevu, trop impersonnel pour qu’il puisse être ce mobile efficace. Il faut donc qu’en dehors de la famille on soit solidaire de quelque autre groupe, plus restreint que la société politique, plus voisin de nous, qui nous touche de plus près, et qu’à ce groupe se transfèrent les droits mêmes que la famille n’est plus en état d’exercer75 ».
Le groupe auquel fait ici allusion Durkheim est le groupe professionnel. Dans un autre passage de son cours, il note : « On ne voit donc qu’un groupe qui soit assez rapproché de l’individu pour que celui-ci puisse y tenir étroitement, assez durable pour que celui-ci puisse espérer la perspective. C’est le groupe professionnel. Je ne vois que lui [i. e. le groupe professionnel] qui puisse succéder à la famille dans les fonctions économiques et morales que celle-ci devient de plus en plus incapable de remplir. Pour sortir de l’état de crise que nous traversons, il ne suffit pas de supprimer la règle de la transmission héréditaire ; il faudra peu à peu attacher les hommes à leur vie professionnelle, constituer fortement les groupes de ce genre. Il faudra que le devoir professionnel prenne dans les cœurs le même rôle qu’a joué jusqu’ici le devoir domestique76 ».
Ainsi, dans les pages précédentes, nous avons montré comment, de 1879 à 1892, Durkheim a progressivement forgé sa problématique sociologique sur la division du travail et la solidarité sociale qui en dérive. Dans la suite de cette introduction, nous allons diriger notre attention vers deux autres aspects historiques de De la division. Nous allons évoquer la soutenance qui a eu lieu à la Sorbonne et la postérité éditoriale de ce classique de la littérature sociologique.
36La soutenance de la thèse
et son destin éditorial
Le 3 mars 1893, Durkheim a soutenu ses deux thèses de doctorat à la Sorbonne77. Le titre de la thèse latine, consacrée à Montesquieu, était Quid Secundatus politicae scientiae instituendae78. La thèse principale, quant à elle, avait pour titre De la division du travail social. Durkheim cachait mal sa nervosité même s’il était depuis longtemps préparé à anticiper les objections que son travail aurait pu soulever. Le jury, présidé par le doyen Auguste Himly (1823-1906) était composé de Paul Janet (1823-1899), Charles Waddington (1819-1914), Henri Marion (1846-1896), Émile Boutroux (1845-1921), Victor Brochard (1848-1907) et Gabriel Séailles (1852-1922)79. Boutroux était le directeur de la thèse et Marion, qui en avait été le rapporteur, avait lu le manuscrit avant son impression.
37Durkheim a d’abord été interrogé sur sa thèse latine. Janet a observé qu’il était de mauvaise grâce de fonder la jeune sociologie sur le mépris des travaux antérieurs. Durkheim a aisément répondu à cette objection et il a insisté sur le caractère particulièrement méthodique que la sociologie avait pris à partir de Montesquieu80. La discussion a porté en général beaucoup moins sur son interprétation de la doctrine de Montesquieu que sur ses vues personnelles, ingénieuses et hardies, mais parfois contestables. Le candidat s’est défendu avec beaucoup de vigueur et le jury a été unanime à admirer la précision de ses idées, la sûreté de sa parole, la sincérité et l’ardeur de conviction dont il n’avait pas cessé un seul instant de faire preuve81.
H. Marion a invité ensuite Durkheim à donner une idée de sa thèse principale82. Ce dernier a alors déclaré : « Jamais, le moi social ne s’est posé avec plus d’énergie qu’aujourd’hui. Le dix-neuvième siècle a vu se développer et l’individu et le socialisme. Choisir entre ces deux tendances serait peu scientifique. Mais comment l’homme peut-il être le plus “personnel” et le plus “solidaire”83 ? ». Le débat était lancé. H. Marion a ingénieusement reproché à Durkheim de ne pas avoir laissé de côté la morale : « Votre thèse, a-t-il dit, n’est pas assez fine pour atteindre la morale. C’est une thèse de physique des mœurs84 ». Obligé de défendre son choix d’accorder de l’importance à la morale, Durkheim a critiqué les tentatives manquées des moralistes de forger par la déduction un code moral ainsi que leurs attaques injustifiées contre la sociologie85. Quant à P. Janet, il a repris, sous forme de questions, les objections de son collègue : « Pourquoi, M. Durkheim a-t-il donné son livre comme un livre 38de morale ? La division du travail peut-elle être ou non conçue comme un devoir ? Le déraillement de la morale tient-il ou non à la division du travail86 ? ». À cela, Durkheim a répondu que pour la conscience moderne la spécialisation des tâches est toujours un devoir. Et il a ajouté : « Être le plus homme, aujourd’hui, c’est consentir à être un organe87 ».
Revêtant d’une éloquence un peu amère sa critique adressée à Durkheim, Ch. Waddington a souligné : « Vous ne nous apportez rien de nouveau ; nous sommes dans les régions inférieures de la morale…Vous faites abstraction de la liberté, vous ne croyez pas au devoir en général88 ? ». Durkheim a répondu que Waddington posait des questions que sa thèse ne supposait pas89. Sur ce point, Boutroux a pris la parole. En abandonnant le point de vue moral, il a dit : « Votre point de départ et votre méthode même, qui est la méthode scientifique, vous condamnent à raisonner non sur les réalités même, mais sur des signes des réalités. […]. Dans ces conditions, quelle est la valeur de certitude de votre travail90 ? ». À cette critique méthodologique Boutroux en a ajouté une autre qui portait sur le noyau de la problématique de Durkheim ; il n’a pas été convaincu que la loi de la division du travail – la division du travail se fait en raison directe de la densité et du volume de la population – constituait la seule solution possible au problème posé. Durkheim a articulé sa réponse sur deux niveaux. Au niveau méthodologique, il a répondu qu’il ne voyait pas une si grande distance entre la réalité et les signes de la réalité. Sur sa propre thèse, il a expliqué qu’il considérait sa loi de la division du travail non comme la seule solution possible mais comme une solution nécessaire au problème posé91.
Malgré l’intervention d’É. Boutroux, la question de la morale a été loin d’être mise de côté. G. Séailles a fait allusion au problème de la morale intérieure et il a terminé ses remarques par un développement sur l’idéalisme latent de la raison. Pour sa part, Brochard a reproché à Durkheim de ne pas avoir insisté sur l’explication de la charité. Il a dit : « Vous expliquez la solidarité, non la charité92 ». Après avoir répondu en 39quelques mots à Séailles, Durkheim s’est adressé à Brochard : « Je ne vois pas la distinction, je définis la charité : l’attachement de l’homme pour autre chose que lui-même ; entre la solidarité et la charité, il y a le rapport des mouvements à la force. Je suis un savant : j’étudie les mouvements93 ».
Tout au long de sa soutenance, Durkheim n’a cessé de montrer une éloquence simple et sincère94. Dans son rapport, le doyen A. Himly lui a réservé des paroles élogieuses : « Il [i. e. Durkheim] a répondu avec une sûreté de pensée, une ampleur de savoir et une fermeté de parole dont le public a été aussi frappé que la faculté. Quelque chose de nouveau et de vibrant dans la voix mais qui n’a jamais rien ôté à la précision de la réplique et n’a jamais senti la déclamation a ajouté encore à la sincérité de l’accent et pour suite à l’autorité de la pensée. Nous avons été d’accord à considérer M. Durkheim comme un des meilleurs docteurs que nous ayons proclamés depuis longtemps95 ». Pour l’auteur de De la division du travail social, c’est le succès incontestable. Après des années de travail, la sociologie fait son « entrée triomphale » à la Sorbonne96.
En juillet 1893, le Comité des travaux historiques et scientifiques a approuvé la souscription sollicitée pour De la division du travail social. Donnant un avis favorable, le rapporteur Octave Gréard (1828-1904) a noté : « Cette très sérieuse étude n’est pas faite pour se vulgariser aisément d’elle-même. Elle mérite à ce titre d’être encouragée par une subvention qui la mette, dans les bibliothèques, à la portée des lecteurs auxquels elle s’adresse97 ». Et en effet, dans les années qui suivront, la thèse passera entre les mains de nombreux lecteurs. Il importe donc d’évoquer quelques aspects de son destin éditorial.
40L’étude intitulée De la division du travail social connaît quatre éditions du vivant de Durkheim, et, à chacune d’elles, la page de titre subit des modifications qui reflètent l’itinéraire académique de ce dernier.
La première édition du livre paraît en 1893. Il s’agit de la version imprimée de la thèse que Durkheim a présentée et soutenue à la Sorbonne. Sur la page de titre figurent : le titre de la thèse – De la division du travail social –, l’établissement de tutelle – Thèse présentée à la Faculté des Lettres de Paris –, le statut professionnel de l’auteur – Par Émile Durkheim, Ancien élève de l’École Normale Supérieure ; Chargé d’un cours de science sociale et de pédagogie à la Faculté des lettres de Bordeaux ; Agrégé de philosophie –, un exergue tiré de la Politique d’Aristote – nous l’avons conservé dans la présente édition puisqu’il figure dans les quatre éditions effectuées du vivant de Durkheim –, et, à la fin, le lieu et la maison d’édition – Paris, Ancienne Librairie Germer Baillère et Cie, Félix Alcan Éditeur, 108 Boulevard Saint-Germain.
Dans la même année 1893, le livre de Durkheim connaît une deuxième édition, officiellement la première98. La page de titre subit deux modifications : un sous-titre est ajouté – Étude sur l’organisation des sociétés supérieures99 ; des divers titres de l’auteur, il n’en reste qu’un seul, légèrement modifié – Chargé d’un cours de science sociale à la Faculté des Lettres de Bordeaux100.
Sur la page de titre de la deuxième édition du livre, datée de 1902 – elle est en fait publiée dès novembre 1901101 – on distingue encore 41deux modifications : le titre de l’auteur est une fois encore changé – Par Émile Durkheim, Professeur de Sociologie à l’Université de Bordeaux – ; le lecteur est averti du fait que l’édition est augmentée d’une Préface sur les Groupements Professionnels. Quant à l’économie du livre, on le sait, Durkheim la modifie sur deux points essentiels : il efface de son introduction la partie qu’il avait consacrée à la philosophie des moralistes et il ajoute une nouvelle préface où il expose sa problématique sur les groupements professionnels.
Durkheim justifie son choix de raccourcir son introduction en disant : « … nous ne recourrons pas à la méthode ordinaire des moralistes qui, quand ils veulent décider de la valeur morale d’un précepte, commencent par poser une formule générale de la moralité pour y confronter ensuite la maxime contestée. On sait aujourd’hui ce que valent ces généralisations sommaires ». Dans une note de bas de page, il ajoute : « Dans la première édition de ce livre, nous avons longuement développé les raisons qui prouvent, selon nous, la stérilité de cette méthode [i. e. la méthode ordinaire des moralistes]. Nous croyons aujourd’hui pouvoir être plus bref. Il y a des discussions qu’il ne faut pas prolonger indéfiniment102 ».
Quant à la préface de cette édition, on peut en compter au moins trois étapes de préparation103. La première, et la moins hésitante, date de l’année académique 1895-1896. Durkheim professe alors son cours sur l’histoire du socialisme. Aux conclusions critiques qui achèvent sa lecture de Saint-Simon, il explique que le tournant de ce dernier vers une religiosité cosmique n’est pas suffisant pour contenir les besoins et les désirs des classes sociales différentes dans un système industrialiste hiérarchisé. Comme solution alternative au néo-christianisme de 42Saint-Simon, il propose explicitement la restauration des groupements professionnels. Voilà comment se déroule son argument :
Cependant, note-t-il, on peut faire remarquer que, parmi les institutions de l’ancien régime, il en est une dont Saint-Simon ne parle pas et qui, pourtant, transformée, serait susceptible de s’accorder avec notre état actuel. Ce sont les groupements professionnels ou corporations. De tout temps, elles ont joué ce rôle modérateur et si, d’autre part, on tient compte de ce fait qu’elles ont été brusquement et violemment détruites, on est en droit de se demander si cette destruction radicale n’a pas été une des causes du mal. En tout cas, le groupement professionnel pourrait bien répondre à toutes les conditions que nous avons posées. D’une part, parce qu’il est industriel, il ne fera pas peser sur l’industrie un joug trop pesant ; il est assez près des intérêts qu’il aura à régler pour ne pas les comprimer lourdement. De plus, comme tout groupement formé d’individus unis entre eux par des liens d’intérêts, d’idées et de sentiments, il est susceptible d’être pour les membres qui le composent une force morale104.
Peu de temps après son cours sur le Socialisme, Durkheim va revenir sur le sujet des corporations. Cette fois, c’est à l’occasion de la parution du Suicide qu’il décide de consacrer son analyse à leur rôle comme institutions sociales qui sont susceptibles de contribuer, plus que l’État, l’Église et la famille, au renforcement de la solidarité sociale et, par-là, à la baisse des taux de suicide105. La dernière étape de mûrissement de cette problématique date de l’année académique 1899-1900. C’est alors dans le cadre de son cours sur la « Physique générale des mœurs et du droit » que Durkheim consacre quelques séances à l’étude de la Morale professionnelle. Comme nous le savons, lors de ces séances, son intérêt porte sur l’histoire des groupements professionnels et sur leur rôle au sein des sociétés organiques106.
La troisième édition du De la division du travail social date de 1911. La page de titre subit deux modifications : Durkheim est entre-temps devenu Professeur à la Sorbonne ; la maison d’édition a changé sa raison sociale en : Librairie Félix Alcan, Maison Félix Alcan et Guillaumin réunis.
On doit remarquer que dans les éditions de 1893 figure la dédicace suivante : « À mon cher maître M. Émile Boutroux, hommage 43respectueux et reconnaissant ». Dans les deux éditions suivantes cette dédicace disparaît. Quant à la pagination des éditions, elle demeure identique aux deux premières – ix-471 pages – alors qu’elle change dans la suite – xliv-416 pages –. Cela pris en compte, la collation du texte de notre édition a été faite avec le souci de signaler surtout les modifications entre les éditions de 1893 et celles qui les ont suivies.
Après la mort de Durkheim et jusqu’à la fin de la période de l’entre-deux guerres, De la division du travail social fait l’objet de trois nouvelles éditions (1922, 1926, 1932). C’est la période où la position de l’ouvrage par rapport aux autres livres de Durkheim est la meilleure107. En revanche, « les années 40 et 50 sont des années noires pour les livres de Durkheim sauf pour les Règles, seul parmi les quatre ouvrages publiés de son vivant dont l’exploitation commerciale se poursuit. […]. Au terme des années de reconstruction de l’après-guerre marquées par une rupture avec le durkheimisme, le début des années 60 voit le retour de l’intérêt pour les classiques, y compris pour Durkheim108 ». Avec encore une édition, pendant les années 60, De la division du travail social est relégué à la troisième place des livres de Durkheim publiés de son vivant. Il y restera dans les années 1970 avec deux rééditions. Dans les années 1980, les Presses Universitaires de France ont lancé leur série Quadrige. Le premier livre de Durkheim n’y est inclus qu’en 1986109.
La présente édition critique (2018)
Nous avons établi cette édition critique en nous appuyant sur les quatre éditions effectuées du vivant de Durkheim. Parmi celles-ci, la troisième nous a servi de base. Les règles générales que nous avons respectées sont les suivantes :
44Les numéros des pages mis entre crochets correspondent à la pagination de l’édition de 1911110, alors que la pagination signalée par les chevrons se réfère à la partie de l’introduction supprimée dans la deuxième (1902) et la troisième édition (1911). En ce que concerne les modifications dans la ponctuation des quatre éditions retenues nous avons décidé de ne signaler que celles qui pourraient avoir un certain effet sur l’économie du paragraphe et, éventuellement, sur l’argumentation. En ce sens, nous avons jugé nécessaire d’indiquer seulement les cas où les points d’interrogation, les deux points et les points-virgules deviennent des points et vice-versa. Quant aux autres modifications de la ponctuation, comme elles n’ajoutent ni à la compréhension ni à la force démonstrative du raisonnement durkheimien, nous avons choisi de ne pas les indiquer.
Sans avoir l’intention d’intervenir sur les arguments de l’auteur, nous avons vérifié ses citations. Nous avons aussi modernisé et complété ses références en signalant et en corrigeant les erreurs. En ce qui concerne les erreurs typographiques commises dans les quatre éditions effectuées du vivant de l’auteur, nous avons procédé à leur correction et nous les avons signalées dans nos notes d’édition. En bref, notre souci était de rétablir le texte tout en gardant l’équilibre entre sa structure et son esthétique.
Nous nous sommes référés tant aux éditions qu’aux traductions françaises des sources grecques et latines mobilisées, directement ou indirectement, par Durkheim, mais nous avons inclus dans la bibliographie uniquement des éditions pour lesquelles nous avons eu des indices que Durkheim les a lui-même utilisées. Pour les sources allemandes mobilisées, nous avons procédé nous-mêmes à leur traduction.
Nous avons choisi la numérotation romaine et l’alphabet romain pour indiquer, dans le premier cas, les variantes du texte qui existent dans les quatre éditions et, dans le second cas, nos notes d’édition ; les variantes sont situées à la fin du texte alors que les notes d’éditeur clôturent chaque chapitre.
Pour procéder aux modifications précédentes, il n’était pas toujours suffisant de consulter les travaux dans lesquels Durkheim avait puisé 45des arguments théoriques ou des données empiriques. De plus, il fallait aussi rechercher, autant que faire se peut, leur source première. C’est pourquoi nous avons divisé la bibliographie en deux parties. Les notices biographiques des auteurs et des personnes auxquels se réfère Durkheim et de ceux que nous avons nous-mêmes cru bon d’ajouter figurent dans l’index des noms en fin de volume. Cette édition est complétée par un index consacré aux concepts dont Durkheim se sert dans De la division du travail social.
Myron Achimastos –
Dimitris Foufoulas
Réthymnon, juillet 2016
Les amis et collègues Georges Boliérakis, Angelos Drakogiorgos et Georges Faraklas ont contribué avec désintéressement à cette édition critique. Qu’ils soient ici remerciés de leur soutien.
1 É. Durkheim, « Lo stato attuale degli studi sociologici in Francia », La riforma sociale, vol. III, no 2, 1895, p. 607-622, 691-707. Version française de l’article : « L’état actuel des études sociologiques en France », in É. Durkheim, Textes, vol. I : Éléments d’une théorie sociale, présentation de Victor Karady, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p. 73.
2 É. Durkheim, Le socialisme ; Sa définition, ses débuts, la doctrine saint-simonienne, introduction de Marcel Mauss, Paris, F. Alcan, 1928, p. v.
3 G. Paoletti, Durkheim et la philosophie ; Représentation, réalité et lien social, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 401-429 ; N. Sembel, « La liste des emprunts de Durkheim à la bibliothèque universitaire de Bordeaux : une “imagination méthodologique” en acte », Durkheimian Studies, vol. XIX, 2013, p. 5-48 ; N. Sembel, M. Béra, « Emprunts de Durkheim à la bibliothèque universitaire de Bordeaux : 1889-1902 », Durkheimian Studies, vol. XIX, 2013, p. 49-71 ; M. Béra, « Demandes d’acquisition de Durkheim : 1887-1901 », Durkheimian Studies, vol. XIX, 2013, p. 72-74 ; M. Béra, Durkheim à Bordeaux, 1887-1902, Bordeaux, Confluences, 2014.
4 Le texte du cours professé au lycée de Sens est accessible sur la page électronique Les Classiques des sciences sociales / Les auteurs classiques de l’université du Québec à Chicoutimi [http://classiques.uqac.ca]. Pour les leçons données à Bordeaux, voir « Cours de science sociale. Leçon d’ouverture », Revue internationale de l’enseignement, vol. XV, janvier-juin 1888, p. 23-48, repr. dans É. Durkheim, La science sociale et l’action, introduction et présentation de Jean-Claude Filloux, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 77-110 ; « Introduction à la sociologie de la famille », Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, no 3-4, 1888, p. 257-281, repr. dans É. Durkheim, Textes, vol. III : Fonctions sociales et institutions, présentation de Victor Karady, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p. 9-34 ; « La famille conjugale – Conclusion du cours sur la famille », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XCI, janvier-juin 1921, p. 1-14, repr. dans Textes, vol. III, op. cit., p. 35-49. Pour les essais de Durkheim sur la vie intellectuelle en Allemagne, nous nous référons à : « La philosophie dans les universités allemandes », Revue internationale de l’enseignement, vol. XIII, janvier-juin 1887, p. 313-338, 423-440, repr. dans Textes, vol. III, op. cit., p. 437-486 ; « La science positive de la morale en Allemagne », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXIV, juillet-décembre 1887, p. 33-58, 113-142, 275-284, repr. dans Textes, vol. I, op. cit., p. 267-343. Les références bibliographiques des comptes-rendus sont les suivantes : « C. r. d’A. Schäffle, Bau und Leben des socialen Körpers, Erster Band », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XIX, janvier-juin 1885, p. 84-101, repr. dans Textes, vol. I, op. cit., p. 355-377 ; « C. r. d’A. Fouillée, La propriété sociale et la démocratie », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XIX, janvier-juin 1885, p. 446-453, repr. dans La science sociale et l’action, op. cit., p. 171-183 ; « C. r. de L. Gumplowicz, Grundriss der Sociologie », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XX, juillet-décembre 1885, p. 627-634, repr. dans Textes, vol. I, op. cit., p. 344-354 ; « Les études de science sociale », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXII, juillet-décembre 1886, p. 61-80, repr. dans La science sociale et l’action, op. cit., p. 184-214 ; « C. r. de G. DeGreef, Introduction à la sociologie », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXII, juillet-décembre 1886, p. 658-663, repr. dans Textes, vol. I, op. cit., p. 37-43 ; « Le programme économique de M. Schäffle », Revue d’économie politique, vol. II, 1888, p. 3-8, repr. dans Textes, vol. I, op. cit., p. 377-383 ; « C. r. de F. Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft. Abhandlung des Communismus und des Socialismus als empirischer Culturformen », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXVII, janvier-juin 1889, p. 416-422, repr. dans Textes, vol. I, op. cit., p. 383-390 ; « Les principes de 1789 et la sociologie », Revue internationale de l’enseignement, vol. XIX, janvier-juin 1890, p. 450-456, repr. dans La science sociale et l’action, op. cit., p. 215-225.
5 Bulletin administratif du Ministère de l’Instruction Publique, 27 décembre 1876, cité dans G. Paoletti, Durkheim et la philosophie, op. cit., p. 402.
6 Ibid., p. 403-405.
7 Ibid., p. 405-413.
8 Bulletin administratif du Ministère de l’Instruction Publique, 31 octobre 1881, cité ibid., p. 415.
9 Outre Aristote, Platon, Cicéron, Sénèque, Descartes, Leibnitz, Condillac, Kant, Fichte, Malebranche, Tocqueville, Durkheim a lu des auteurs qui avaient publié des manuels analytiques et historiques de philosophie. À titre d’exemple, nous nous contentons ici de citer les noms de Cousin, Fischer, Fouillée, Liard, Peipers, Ravaisson, Ritter, Tiberghien, Thurot et Zeller. Pour les titres des œuvres de ces écrivains, voir ibid., p. 415-421.
10 Comte, et surtout Spencer, sont les auteurs les plus cités par Durkheim dans De la division (M. Borlandi, « Durkheim lecteur de Spencer », in Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt (éd.), Division du travail et lien social ; Durkheim un siècle après, Paris, Presses Universitaires de France 1993, p. 70, Tableau 1).
11 Durkheim a lu La Psychologie anglaise contemporaine, La Psychologie allemande contemporaine et les deux thèses de Th. Ribot. Il a aussi lu un article de Wundt publié dans la Revue philosophique dont le titre est : « Mission de la philosophie dans le temps présent ». Dans la liste des emprunts qu’il a sollicités à la bibliothèque de l’E.N.S. on trouve les deux thèses de Boutroux ainsi que les notes manuscrites de son cours professé en 1878-1879 sur La théorie de la connaissance de la philosophie grecque. De plus, parmi les études empruntées pendant cette troisième année d’études à l’École, on compte plusieurs numéros de La Critique philosophique éditée par Renouvier ainsi qu’un articlé signé par A. Beurier sur « M. Renouvier et le criticisme en France ». Enfin, il est important de signaler l’intérêt qu’a éveillé chez Durkheim l’étude de Hartmann sur la Philosophie de l’inconscient. G. Paoletti, Durkheim et la philosophie, op. cit., p. 415, 416, 417, 418, 420, 421.
12 Selon toute probabilité, Durkheim a lu l’article de P. Janet intitulé « Le fondateur du socialisme français – Saint-Simon ». Il a aussi lu une analyse critique que Th. Ribot avait consacrée aux Sociétés Animales d’A. Espinas. Quant à Cournot, Durkheim a emprunté à la bibliothèque de l’E.N.S. le premier tome du Traité sur l’enchaînement des idées. G. Paoletti, Durkheim et la philosophie, op. cit., p. 415, 416, 420.
13 Paul Janet, Traité élémentaire de philosophie à l’usage des classes, Paris, Ch. Delagrave, 1879.
14 G. Paoletti, Durkheim et la philosophie, op. cit., p. 424-425.
15 L’Introduction à la Science sociale, Les Premiers principes et De l’Éducation intellectuelle, morale et physique sont les trois œuvres de Spencer que Durkheim emprunte (ibid.). Pour l’itinéraire de Spencer et l’influence que son évolutionnisme a exercé sur les milieux académiques de la seconde moitié du xixe siècle, voir D. Becquemont, L. Mucchielli, Le cas Spencer : religion, science et politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 320.
16 É. Durkheim, Cours de philosophie fait au lycée de Sens (1883-1884), édition numérique de R. Alun Jones accessible sur le site électronique : http://classiques.uqac.ca, section D, leçon lxiv : Morale civique, p. 114. (Pour l’édition du Cours en anglais voir N. Gross, R. Alun Jones (ed.), Durkheim’s philosophy lectures ; Notes from the Lycée de Sens Course, 1883-1884, Cambridge, Cambridge University Press, 2004).
17 Ibid., p. 115.
18 É. Durkheim, De la division du travail social, éd. des M. Achimastos-D. Foufoulas, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 92.
19 Dans un article publié peu avant l’impression de ce livre, M. Béra a présenté des tableaux où figurent les emprunts de Durkheim pendant ce séjour des recherches parisien. Voir « La représentation disciplinaire du “social” dans les références et les lectures du jeune Durkheim (1879-1894) », L’Année sociologique, vol. 67, no 2, p. 509-510.
20 Instruit par É. Boutroux des projets de Durkheim, Th. Ribot propose à ce dernier une collaboration avec la partie analytique de la Revue philosophique. Comme le remarque M. Fournier, « la majorité des collaborateurs sont, entre 1885 et 1895, des professeurs (24 sur 33) qui y publient souvent plus d’un texte » (ibid., p. 74). Il est aussi important d’ajouter que les « publications » de Durkheim dans cette revue très influente ont marqué toute la période qui précède la préparation de ses thèses. En fait, les 2/3 de ses 18 textes (les deux thèses ne sont pas comprises) de la période 1885-1893 y sont publiés.
21 J.-Cl. Filloux, Durkheim et le socialisme, Genève, Droz, 1977, p. 22.
22 É. Durkheim, « C. r. d’A. Schäffle, Bau und Leben des socialen Körpers, Erster Band », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XIX, janvier-juin 1885, p. 97.
23 Ibid., p. 84.
24 En 1907, Durkheim clarifie les origines de sa conception réaliste du social (« Deuxième lettre de M. Durkheim ; Paris le 8 novembre 1907 », Revue Néo-Scolastique, vol. XIV, 1907, p. 612). Six ans plus tard, alors qu’il relance son attaque contre Deploige, il revient sur ce même sujet (É. Durkheim, « C. r. de S. Deploige, Le conflit de la morale et de la sociologie », L’Année Sociologique, vol. XII, 1909-1912, p. 326).
25 S’il est vrai que la conception réaliste de la société ouvre la voie qui mène à la constitution de la sociologie durkheimienne, il n’en est pas moins vrai que cette dernière s’affirme clairement comme une science d’origine française seulement après la période qui succède à la préparation et à la publication de De la division. De ce point de vue, la prééminence des références allemandes dans les écrits de la période 1885-1893 n’est pas étrangère au fait que, devant le recul d’influence de la critique comtiste de l’économie politique, Durkheim y puisse des arguments qui lui conviennent afin de bâtir sa sociologie aux antipodes de l’hégémonie intellectuelle des économistes libéraux (Ph. Steiner, « Durkheim, les économistes et la critique de l’économie politique », Économies et Sociétés, vol. 28, no 4, 1994, p. 142-144). Dans ce même sens, la disparition ultérieure de ces références allemandes au profit des références puisées dans la pensée sociale française (Rousseau, Montesquieu, Saint-Simon, Comte, Cournot, Espinas, Fouillée) ne fait pas moins partie de cette stratégie durkheimienne de légitimation d’une science sociale qui, après son institutionnalisation, se sent assez sûre d’elle-même pour revendiquer explicitement son propre héritage.
26 Dans son article intitulé « Les études récentes sur la propriété », Alfred Fouillée remarque : « Avec M. de Lilienfeld et M. Spencer, M. Schäffle est un des philosophes qui ont contribué à établir que la société est un “organisme vivant” soumis aux lois de la biologie » (A. Fouillée, « Les études récentes sur la propriété », Revue des deux mondes, vol. 63, livraison du 15 juin 1884, p. 760 n. 1). La réponse de Durkheim est claire ; non seulement la pensée de Schäffle ne souffre pas d’un réductionnisme biologique du social mais, plus encore, elle se déclare indépendante de la pensée de Spencer (É. Durkheim, « C. r. d’A. Schäffle, Bau und Leben des socialen Körpers, Erster Band », op. cit., p. 85).
27 Ibid., p. 98. Cependant, il faut rappeler ici que Durkheim a lui-même pris soin de nuancer le ton élogieux de son commentaire sur la contribution de Schäffle à l’indépendance de la science sociale vis-à-vis de la biologie. Ainsi, il note : « Si même il est permis de faire un reproche à Schäffle, c’est de n’avoir pas assez fermement maintenu la position indépendante qu’il avait si excellemment choisie. […] Ainsi il répète à chaque instant qu’il n’admet pas la doctrine des biologistes : et pourtant il y fait d’importants emprunts. Cette extrême mobilité jette quelque indécision sur le plan de l’ouvrage » (Ibid.).
28 Pour cette double orientation de la démarche de Schäffle, voir É. Durkheim, « Le programme économique de M. Schäffle », Revue d’économie politique, vol. II, 1888, p. 3-5.
29 É. Durkheim, « C. r. d’A. Schäffle, Bau und Leben des socialen Körpers, Erster Band », op. cit., p. 92-93.
30 Ibid., p. 96 et « Le programme économique de Schäffle », op. cit., p. 6.
31 É. Durkheim, « C. r. d’A. Fouillée, La propriété sociale et la démocratie », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XIX, janvier-juin 1885, p. 446.
32 Ibid., p. 446-447.
33 Ibid., p. 453.
34 Marqué par un sens fort du réalisme social, le Grundriss der Sociologie a, d’après Durkheim, le mérite d’avoir repoussé tout modèle explicatif qui se fonde sur l’identification entre le social et l’individuel ou entre le social et le biologique. Cette qualité n’est pas pourtant suffisante pour en cacher les faiblesses. C’est ainsi que Durkheim adresse à Gumplowicz deux reproches principaux ; qu’il glisse vers une conception métaphysique et anhistorique des totalités sociales ; qu’il se trompe sur le processus qui détermine l’évolution sociale (É. Durkheim, « C. r. de L. Gumplowicz, Grundriss der Sociologie », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XX, juillet-décembre 1885, p. 632).
35 Ibid., p. 627.
36 M. Fournier, Émile Durkheim, op. cit., p. 89-102 ; S. Lukes, Émile Durkheim, his life and Work : a historical and critical study, London, Allen Lane, 1973, p. 86-95.
37 Bien que peu déterminées et hésitantes, les lignes principales de la problématique durkheimienne étaient déjà esquissées bien avant le voyage en Allemagne. S. Lukes nous explique : « he [i. e. Durkheim] was clear about the independent reality of social phenomena, but not entirely sure of the relation between the whole and the parts and the extent to which sociological explanation was independent of reference to individual ; he was inclined to see the “conscience collective” as a mere reflection and was not yet prepared to grant it any autonomy ; he was clear that societies were held together by rules, custom, habit, prejudices and sympathy as opposed to reason and interest, but he was unclear about the extent to which these socially-cohesive forces must remain irrational ; he was clear that morality, law and religion had the function of ensuring social equilibrium and that morality was a form of discipline and not a means to individual happiness or perfection, but had not yet explored this hypotheses in any detail ; he was clear that the organic analogy had some value, but was not sure quite what – whether, in fact, it “makes reality” or provided a mass of fertile hypotheses. Some of these matters were clearer to him after his return in 1886. He had a further grasp of observable and comparable elements of social life – customs, moral and legal codes, religious beliefs and practices ; he had become more keenly aware of the independence of economic and moral phenomena ; he was clearer about the importance of looking for unintended consequences and at causes of which men are unconscious ; he was even more firmly convinced of the usefulness of the organic analogy. More generally, he was convinced of the basic importance of the scientific study of morality (by which at this time chiefly meant obligatory social rules) » (S. Lukes, Émile Durkheim, op. cit., p. 93-94).
38 É. Durkheim, « La philosophie dans les universités allemandes », Revue internationale de l’enseignement, vol. XIII, janvier-juin 1887, p. 313-338, 423-440.
39 É. Durkheim, « Les études de science sociale », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXII, juillet-décembre 1886, p. 73-74.
40 Nous mettons ici entre parenthèses des termes empruntés à É. Durkheim, « La philosophie dans les universités allemandes », op. cit., p. 337.
41 Dans l’introduction de la première édition de De la division, Durkheim reprend sa critique de 1886 contre le rationalisme et l’utilitarisme (É. Durkheim, « La science positive de la morale en Allemagne », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXIV, juillet-décembre 1887, p. 42). Son but est de montrer à quel point ces deux écoles constituent des obstacles qui nous empêchent de saisir l’aspect moral du processus social qui divise le travail des individus (É. Durkheim, De la division du travail social, op. cit., 2018, p. 555).
42 É. Durkheim, « La science positive de la morale en Allemagne », op. cit., p. 42, 49.
43 Ibid., p. 37-38.
44 Ibid., p. 38.
45 Ibid., p. 40.
46 Dans De la division, le terme « consolidation », se substituant au terme « cristallisation », évoque le processus qui permet aux règles morales et juridiques de jouer leur rôle intégrateur ou réglementaire et, ainsi, de déterminer les conditions dans lesquelles se déroule la conduite humaine. É. Durkheim, De la division du travail social, op. cit., 2018 p. 122-123, 487, 489.
47 Ibid., p. 113-114, 118.
48 É. Durkheim, « La science positive de la morale en Allemagne », op. cit., p. 51.
49 Ibid., p. 56-57.
50 É. Durkheim, « La science positive de la morale en Allemagne », op. cit., p. 113-115.
51 « Deuxième lettre de M. Durkheim ; Paris le 8 novembre 1907 », Revue Néo-Scolastique, vol. XIV, 1907, p. 613.
52 É. Durkheim, « La science positive de la morale en Allemagne », op. cit., p. 118-119.
53 Ibid., 122.
54 Ibid.
55 É. Durkheim, De la division du travail social, 2018, op. cit., p. 115-117.
56 M. Fournier, Émile Durkheim (1858-1917), Paris, Fayard, 2007, p. 102. Pour les emprunts de Durkheim à la Bibliothèque municipale de Troyes, voir M. Béra, « La représentation disciplinaire du “social” dans les références et les lectures du jeune Durkheim (1879-1894) », op. cit., p. 511.
57 R. Lacroze, « Séance du 8 novembre 1960 ; Émile Durkheim à Bordeaux », Actes de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts, 4e série, t. XVII, 1960-1961, p. 61.
58 É. Durkheim, « Cours de science sociale. Leçon d’ouverture », Revue internationale de l’enseignement, vol. XV, janvier-juin 1888, p. 48.
59 C’est ainsi que Durkheim résume son tableau rétrospectif des progrès de l’esprit sociologique : « Voilà, Messieurs, dit-il, ce que la sociologie est devenue de nos jours, et telles sont les principales étapes de son développement. Vous l’avez vue naître avec les économistes, se constituer avec Comte, se consolider avec Spencer, se déterminer avec Schäffle, se spécialiser avec les juristes et les économistes allemands » (Ibid., p. 41).
60 Ce résumé ouvre le cours de science sociale que Durkheim a professé lors de l’année académique 1888-1889, intitulé « Les origines et les types spéciaux de la famille » (É. Durkheim, « Introduction à la sociologie de la famille », Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, no 3-4, 1888, p. 257-259).
61 Pour Durkheim, c’est une période de travail intense pendant laquelle il mobilise un nombre considérable de lectures. N. Sembel, « La liste des emprunts de Durkheim à la bibliothèque universitaire de Bordeaux : une “imagination méthodologique” en acte », op. cit., p. 17.
62 É. Durkheim, « C. r. de F. Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft. Abhandlung des Communismus und de Socialismus als empirischer Culturformen », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XXVII, janvier-juin 1889, p. 416-422.
63 Ibid., p. 417.
64 Ibid.
65 Ibid., p. 419-420.
66 Ibid., p. 420-421.
67 Ibid., p. 421.
68 É. Durkheim, « Les principes de 1789 et la sociologie », Revue internationale de l’enseignement, vol. XIX, janvier-juin 1890, p. 450-456.
69 N. Sembel, M. Béra, « Emprunts de Durkheim à la bibliothèque universitaire de Bordeaux : 1889-1902 », op. cit., p. 49-71.
70 É. Durkheim, « La famille conjugale – Conclusion du cours sur la famille », Revue Philosophique de la France et de l’étranger, vol. XCI, janvier-juin 1921, p. 3, 7.
71 Ibid., p. 6, 7.
72 Ibid., p. 9.
73 Ibid., p. 10-11.
74 Ibid., p. 11.
75 Ibid.
76 Ibid., p. 13. Durkheim enrichit ici sa problématique sur les corporations, qu’il avait inaugurée à l’occasion de sa lecture critique de Schäffle (voir Supra p. 9-10).
77 Plus d’un an avant la soutenance, Durkheim remet à la Sorbonne – cachet du 24 mars 1892 – le manuscrit de sa thèse principale. Le manuscrit de sa thèse latine est remis huit mois plus tard – le 22 novembre 1892. M. Borlandi, « Les deux éditions de 1893 et la véritable date d’achèvement de La Division du travail social », Durkheimian Studies, no 6, 1994, p. 3.
78 C’est en 1892 que la thèse latine de Durkheim prend à Bordeaux la voie de la publication (Quid secundatus politicae scientiae institutandae contulerit, Bordeaux, Gounouilhou, 1892). Quarante-cinq ans après sa première édition, l’ouvrage est traduit en français par F. Alengry (É. Durkheim, « Montesquieu : sa part dans la fondation des sciences politiques et de la science des sociétés », in Revue d’histoire politique et constitutionnelle, vol. I, 1937, traduction de Quid secundatus politicae scientiae institutandae contulerit, par F. Alengry, p. 405-463). En 1953, Armand Cuvillier en présente une seconde traduction française (É. Durkheim, Montesquieu et Rousseau, précurseurs de la sociologie, Introduction par G. Davy, postface et traduction de Quid secundatus politicae scientiae institutandae contulerit, par Armand Cuvillier, Paris, M. Rivière). La première traduction anglaise paraît en 1960. Il s’agit d’une traduction par R. Manheim du texte de Cuvillier (É. Durkheim, Montesquieu and Rousseau : Forerunners of sociology, translation of Montesquieu et Rousseau, précurseurs de la sociologie, by R. Manheim with foreword by H. Peyre, Ann Arbor, Michigan, University of Michigan Press). En 1997, W. Watts Miller et E. Griffiths ont présenté une nouvelle traduction anglaise de l’ouvrage (É. Durkheim, Quid secundatus politicae scientiae institutandae contulerit, ed. with commentary, W. Watts Miller, translated by W. Watts Miller and Emma Griffiths, Oxford, Durkheim Press).
79 « Tous enseignent à la faculté des lettres de Paris : à cette date Boutroux et Janet sont professeurs d’histoire de la philosophie, Waddington est professeur d’histoire de la philosophie ancienne sur le point de prendre sa retraite (et fort peu considéré), Séailles est maître de conférences de philosophie, Brochard chargé de cours d’histoire de la philosophie ancienne, Marion professeur de science de l’éducation » (Ph. Besnard, M. Borland, P. Vogt (éd.), Division du travail et lien social, op. cit., p. 1 n. 2).
80 Soutenance des thèses de doctorat d’É. Durkheim à la Sorbonne – Résumé des débats par L. Muhlfeld, in Revue Universitaire, 2e année, t. 1, 1893, p. 440.
81 Faculté des Lettres de Paris – Rapport du Doyen, rédigé le 8 Mars 1893, in Dossier Durkheim, Archives Nationales, F17 25768.
82 Quant aux impressions générales que cette thèse avait laissées à Marion, l’extrait suivant en est révélateur : « Pour le choix de son sujet, remarque Marion, l’auteur s’est placé pour ainsi dire au cœur des questions sociologiques, et non seulement il a apporté une contribution précieuse à cette science nouvelle, dont il est chez nous peut-être le représentant le plus autorisé ; mais il pourrait bien en avoir posé une pierre angulaire sous le nom de division du travail social ». À ce commentaire élogieux succède un résumé non moins admirateur de la démarche méthodologique et conceptuelle de Durkheim (Ibid.).
83 Soutenance des thèses de doctorat d’É. Durkheim à la Sorbonne – Résumé des débats par L. Muhlfeld, op. cit., p. 441.
84 Ibid.
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Ibid., p. 442.
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Ibid., p. 442-443.
92 Ibid., p. 443.
93 Ibid.
94 Ibid.
95 Faculté des Lettres de Paris – Rapport du Doyen, rédigé le 8 Mars 1893, op. cit.
96 « Cette année 1893 est une date importante dans l’institutionnalisation de la sociologie en France. Elle voit en effet se produire d’autres événements marquants que la soutenance de thèse de Durkheim : fondation par René Worms de la Revue internationale de sociologie et de l’Institut international de sociologie, création d’un cours libre de sociologie à la faculté des lettres de Lyon, création à la Sorbonne d’un cours d’histoire d’économie sociale » (Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt (éd.), Division du travail et lien social, op. cit., p. 2).
97 Voir les rapports de la commission d’examen des livres et du Comité des travaux historiques et scientifiques (ordre alphabétique des auteurs), Archives Nationales, F17 13424.
98 M. Borlandi, « Les deux éditions de 1893 et la véritable date d’achèvement de la Division du travail social », op. cit., p. 2. On ignore le tirage de cette édition. Il se situe probablement entre 1000 et 1500 exemplaires. Ph. Besnard, « La diffusion de l’édition française » in Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt (éd.), Division du travail et lien social, op. cit., p. 252.
99 Notons que le sous-titre va disparaître de toutes les éditions suivantes du livre.
100 Cette première édition reste identique à la thèse même dans les Errata. Les changements sont négligeables et se limitent à quelques points-virgules modifiés en deux points et vice-versa.
101 Le contrat de cette édition, signé le 24 décembre 1900, prévoit un tirage de 1000 exemplaires auxquels s’ajoutent 100 exemplaires « de passe » (Ph. Besnard, « La diffusion de l’édition française » in Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt, (éd.), Division du travail et lien social, op. cit., p. 252). En mars 1901, Durkheim a sollicité l’aide de son neveu afin de mettre au point le texte de cette édition. Il n’y pas d’indication que Mauss ait assumé une telle tâche. Pourtant, de toute évidence, Durkheim a envoyé le matériel à publier à son éditeur au mois de mai (É. Durkheim, Lettres à Marcel Mauss, présentées par Philippe Besnard et Marcel Fournier, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 279, 283, 286). Sur la véritable date d’édition, voir la lettre de Durkheim à Simiand du 29 novembre 1901, in É. Durkheim, Textes, vol. II : Religion, morale, anomie, présentation de Victor Karady, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p. 440 et sa lettre à Hubert du 14 novembre 1901, in « Lettres d’Émile Durkheim à Henri Hubert », présentées par Ph. Besnard, Revue française de sociologie, 28 (3), 1987, p. 520. Dans cette édition les Errata des deux éditions de 1893 sont pris en compte.
102 É. Durkheim, De la division du travail social, op. cit., 2018, p. 100 n. 10. Pour les raisons qui ont poussé Durkheim à raccourcir son introduction, voir F.-A. Isambert, « La naissance de l’individu », in Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt, (éd.), Division du travail et lien social, op. cit., p. 126-127.
103 Dans les pages précédentes, nous avons montré que l’intérêt de Durkheim pour les groupements professionnels puise dans la problématique de Schäffle, pour se renouveler ultérieurement à l’occasion du cours sur la famille conjugale (voir supra p. 19, 35).
104 É. Durkheim, Le socialisme, op. cit., p. 296.
105 É. Durkheim, Le Suicide, étude de sociologie, Paris, F. Alcan, 1897, p. 413-451.
106 É. Durkheim, Leçons de Sociologie : physique des mœurs et du droit, introduction de G. Davy, Paris, Presses universitaires de France, 1950, p. 5-51.
107 Ph. Besnard, « La diffusion de l’édition française », in Ph. Besnard, M. Borlandi, P. Vogt (éd.), Division du travail et lien social, op. cit., p. 252.
108 Ibid., p. 253.
109 Ibid., p. 254. Il importe ici de signaler que chaque édition du De la division réalisée après la mort de Durkheim a ajouté de nouvelles fautes à celles qui existaient déjà dans les éditions réalisées de son vivant.
110 Par ailleurs, c’est à cette édition que Durkheim se réfère en 1912 dans les Formes. É. Durkheim, Œuvres, Tome 1 ; Les Formes élémentaires de la vie religieuse, éd. critique par M. Achimastos, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 152, 302, 322, 381, 549.
- Thème CLIL : 3081 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Sociologie, sciences sociales
- ISBN : 978-2-406-06578-4
- EAN : 9782406065784
- ISSN : 2261-1002
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06578-4.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/10/2018
- Langue : Français