![Dictionnaire littéraire de la scatologie. D’Aristophane à Pierre Michon - I](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/MafMS01b.png)
I
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Dictionnaire littéraire de la scatologie. D’Aristophane à Pierre Michon
- Pages : 219 à 220
- Collection : Dictionnaires et synthèses, n° 28
I
Incontinence
Ne pas pouvoir « se retenir » est le propre du jeune enfant*, du fou, du malade ou du vieillard incontinent « retombé en enfance ». Il manifeste l’absence de maîtrise de soi, l’animalité, ou est l’effet d’une violente émotion comme la peur* (voir l’épisode de Sancho Pança faisant sous lui de peur dans le Don Quichotte de Cervantès). « Se retenir » et « se contrôler » seront donc, à l’inverse, l’impératif absolu exigé par tous les manuels de savoir-vivre (notamment ceux qui sont destinés aux jeunes filles), et la « retenue » une valeur centrale de toute éducation. Les premières pages du roman Wonderfuck (2024) de l’écrivaine Katharina Volckmer évoquent la hantise, chez l’enfant de l’incontinence excrémentielle et de la souillure des sous-vêtements.
Souvent associée à la diarrhée*, l’incontinence, connotée négativement, fait système, dans le discours scatologique*, d’une part avec tout ce qui est, réellement ou métaphoriquement, « relâchement », « dés-organisation », « débâcle » – Zola* intitule La Débâcle son roman sur l’histoire d’une défaite militaire (1892) –, bref tout ce qui « foire », et d’autre part avec son contraire, la constipation*, qui est « mauvaise » retenue, fruit de la retenue « excessive » que les médecins déplorent tout particulièrement chez les « gens de lettres » trop absorbés dans leurs travaux intellectuels et sédentaires (voir Tissot, De la santé des gens de lettres, 1768).
L’acte de défécation* ou de miction* étant soumis à des normes (pudeur*, hygiène*, civilité) très strictes, qui peuvent varier dans le temps et l’espace, l’incontinence comme toute infraction (par défaut ou par excès) est rapidement repérée et sanctionnée. Saint-Simon dresse le portrait de la Princesse d’Harcourt qui se soulage en public :
Sale, malpropre […], c’était une furie blonde, et de plus une harpie ; […] elle en avait l’avarice et l’avidité ; elle en avait encore la gourmandise et la promptitude à s’en soulager, et mettait au désespoir ceux chez qui elle allait dîner, parce qu’elle ne se faisait faute de ses commodités au sortir de table, qu’assez souvent elle n’avait pas loisir de gagner, et salissait le chemin d’une effroyable traînée, qui l’ont mainte fois fait donner au diable par les gens de Mme du Maine et de M. le Grand. Elle ne s’en embarrassait pas le moins du monde, troussait ses jupes et allait son chemin, puis revenait en disant qu’elle s’était trouvée mal : on y était accoutumé (Mémoires, t. IV, chap. iii).
Dans son roman policier L’Affreuse embrouille de via Merulana (1947-1957), Carlo Emilio Gadda décrit longuement, avec des termes médicaux et dans une certaine tradition rabelaisienne, une vieille garde-barrière incontinente qui, apeurée par l’arrivée des gendarmes, ne peut retenir ses fuites : sont alors évoqués le « tourment de ses entrailles », les « bons offices du plexus hémorroïdaire moyen », « la striction délibérée des anneaux rectaux les plus cotés, bien
220qu’exténués par la vieillesse », les « valvules de Houston », les « semi lunaires de Morgagni », la « tentative désespérée de blocage de l’ampoule », les « rétentions ultimes », le « déblocage de quelques gouttes phobiques, plouf, sur le quai », enfin le dessous de « l’entrejambe de la vieillarde », dépourvu de « lingerie intime » (chap. ix).
Sur le concept du visage du fils de Dieu, spectacle conçu et mis en scène par Romeo Castellucciau Theater der Welt à Essen en 2010, représente une crise d’incontinence sénile d’un père sous les yeux de son fils. La représentation se veut hyperréaliste : les excréments* se répandent de plus en plus, au fil des trois crises. À chaque fois le fils du vieil homme nettoie les coulures sur le mobilier, puis les fesses* et le dos de son père, et lui met une couche. La scène est dominée, au loin, par une reproduction géante du tableau du Christ bénissant – Salvator Mundi – peint par Antonello di Messina (xve siècle). La pièce dure cinquante-neuf minutes et la première crise d’incontinence plus de quarante. Le metteur en scène a expliqué vouloir lier le trivial et le sacré en passant de la scatologie à l’eschatologie (comme le fit aussi Dali en son temps) : de même que le père, par son incontinence, perd sa substance, de même le Christ a abandonné sa divinité et, mourant sur la croix pour le salut du monde, s’est abaissé jusqu’à la misère humaine la plus triviale.
Dans Nausée de Céline (1980), le critique Jean-Pierre Richard consacre une annexe à la « puissante rêverie de l’incontinence » qu’il met au jour dans l’œuvre célinienne. Il montre comment la « tripe », parce qu’elle constitue pour l’écrivain le cœur de toute intimité mais qu’elle ne cesse de se répandre, fait le drame d’une perpétuelle incontinence et d’une permanente déperdition du moi. D’où une curieuse ressemblance établie entre langage et défécation, les deux issues possibles du contenu intestinal.
La publicité*, discours de l’éloge (des objets et services vendus), tient compte du nombre important, dans la population, de malades et de personnes âgées et aborde, avec précautions, l’incontinence. Les femmes, habituées des spots pour protections hygiéniques menstruelles et autre « protège-slips », sont beaucoup plus présentes dans les réclames que les hommes, même si l’on a vu apparaître sur les écrans, lors de la Coupe du monde de rugby de 2023, un sportif vêtu d’une culotte jetable. Le sujet reste délicat.
→ Médecine
Injure
→ Grossièreté ; Merde ; Pamphlet
- Thème CLIL : 3431 -- ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES -- Encyclopédies et dictionnaires thématiques
- ISBN : 978-2-406-16556-9
- EAN : 9782406165569
- ISSN : 2261-5938
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16556-9.p.0219
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/06/2024
- Langue : Français