Annexe III Contre Jules Janin
- Publication type: Book chapter
- Book: Correspondance générale. Tome VII
- Pages: 543 to 545
- Collection: Correspondence and Memoirs, n° 54
- Series: Le dix-neuvième siècle, n° 22
Annexe III
Contre Jules Janin
1.
M. Jules Janin m’a fait épeler en quelques mois force grimoires sur papier timbré ; le passe-temps était médiocrement récréatif ; mais je viens de lire son feuilleton sur Flaminio, et je demande en grâce qu’on me ramène aux assignations parlant et comme dessus.
Un chiffon rouge, placé sous les yeux d’un coq-d’Inde, a le pouvoir de le mettre subitement en fureur. Il faut que le génie ait des propriétés analogues, et que son éclat affecte bien douloureusement la rétine de certains faiseurs de feuilletons, pour que ceux-ci poursuivent de leurs clameurs le rayon splendide qui les aveugle et les fait tournoyer, éperdus dans leurs cavernes, comme des chats-huant surpris par le soleil.
Je comprends que devant certaines tentatives hardies ou étranges, qui font sortir le théâtre de ses évolutions séculaires, on discute, on nie l’efficacité des procédés nouveaux, ou la moralité de l’œuvre mais il y a, même dans l’extrême vivacité de la controverse, un ton à prendre et des convenances à respecter. Quand on n’est rien, c’est-à-dire quand on n’est qu’un feuilletoniste, et qu’on a devant soi un écrivain hors ligne, et que cet écrivain est une femme, on commence par se découvrir, on discute ensuite. On ne s’en vient pas batifoler avec une grande dame de la pensée, lui rire au nez malhonnêtement, prendre son style par la taille, comme pourrait se le permettre tout au plus un soldat ivre venant à rencontrer une coureuse. Pardon, Monsieur Janin, si votre critique n’est pas en état de se tenir sur ses jambes, qu’elle s’accote à la muraille et laisse passer Madame Sand. Prenez-vous sa muse pour un vaudeville ? Car il faut, en vérité, que votre petit jargon ait pris une pointe, ce jour là, pour que vous ayez osé dire d’un grand style : « Ainsi parle, en sa 544triste prose de déclamateur, maître Flaminio » et qualifié de sonate de Charenton la belle langue spiritualiste que vous n’entendez pas !
M. Janin a voulu se reconnaître dans un portrait de fantaisie ayant pour titre la critique faux-bonhomme, et dont voici un fragment : « Populaire avec tous les grimauds de lettres du dernier ordre, comme un arc trop violemment tendu, c’est en souffletant le génie qu’il se redresse et qu’il se venge de l’abaissement auquel le condamnent les besoins d’une vanité hystérique. Il n’est pas d’écrivain de valeur que, dans un badinage pervers et un accès d’étourderie froidement jouée, il n’ait bafoué pour le plaisir cruel de lui faire expier, par des pleurs de sang, un succès légitime et populaire. Il en est même que la mort n’a pu soustraire aux gamineries sacrilèges de sa plume1. »
Je ne sais si la ressemblance est frappante ; mais est-ce ma faute, si le feuilleton sur Flaminio et les attaques dirigées contre son auteur donnent si complètement raison, – je ne dirai pas au talent du peintre, – mais à la bonne foi de l’écrivain ?
B. Jouvin
Publication : Benoît Jouvin, « À travers la critique. Jules Janin », Figaro, année 1854, no 353, dimanche 12 novembre 1854.
2. Alexandre Dumas et M. Janin
L’article de M. Janin sur Flaminio vient d’inspirer à M. Alex Dumas quelques lignes vigoureuses, profondément indignées, que nous croyons devoir reproduire dans Figaro. – Décidément, la ballade allemande a raison Les morts vont vite2. La mort littéraire de M. Janin est proche.
Nous avons des indignations que nous ne pouvons contenir, et nous avons été indigné en lisant l’article de M. Janin sur Flaminio.
545– Vous lisez donc les articles de M. Janin ? allez-vous me dire.
Non, je ne lis pas les articles de M. Janin, Dieu m’en garde ! Moi aussi j’ai l’estomac mauvais, non pas à l’endroit des succès de mes confrères, mais de cette prose entortillée et malsaine ; mais parfois, il s’élève certaines rumeurs qui viennent jusqu’à moi, et qui me font, je ne dirai pas retourner, mais baisser la tête.
– Eh bien ! une de ces rumeurs est venue. Un homme du monde, le baron Courtier, qui ne connaît pas M. Janin, qui n’a aucune raison ni de l’aimer, ni de le haïr ; le baron Courtier3, artiste de cœur, est venu, il tenait le Journal des Débats, il me l’apportait. Je ne voulais pas le lire, il m’a dit : Lisez, car vous devez lire cela. Et je l’ai lu.
Voilà pourquoi je viens prendre M. Janin au collet, et lui dire :
– Vous dormirez quand vous serez à l’Académie, si jamais vous y êtes, M. Janin ; mais en attendant, ce que vous venez d’écrire contre un des grands talents de notre époque, à qui vous ne pouvez pas pardonner de vous avoir appelé gazetier ; ce que vous venez d’écrire contre l’auteur d’Indiana, de Valentine, d’André, de Mauprat, de Geneviève, de Jacques, de Consuelo, de François le Champi, de Claudie, du Pressoir, de Flaminio4 ; vous l’auteur de l’Âne mort, de Barnave et de la Religieuse de Toulouse, pauvres romans qu’on n’a pas lus ou que l’on a oubliés ! ce que vous avez écrit contre un génie que vous feriez bien mieux d’adorer que d’insulter, ne passera pas ainsi, sans bruit et sans résultat, comme vos attaques habituelles.
Voilà, chers lecteurs, les raisons de cette déclaration de guerre que je jette à M. Janin, épisode de notre guerre de trente ans ; ainsi, apprêtez-vous à voir passer sous vos yeux
L ’ Âne mort.
Barnave.
La Religieuse de Toulouse.
Et les Gaietés Champêtres5.
Il faut une hécatombe à Flaminio.
Que M. Janin en fasse autant de mes neuf cents volumes et de mes cinquante drames, et il aura de la besogne pour le reste de son existence hebdomadaire.
Alex. Dumas
L’extrait de Dumas reproduit par Figaro, est issu de « Causerie avec mes lecteurs », Mousquetaire, no 353, jeudi 9 novembre 1854, p. 1, col. 1-2.
1 Les Binettes contemporaines par Joseph Citrouillard. Revues par Commerson, pour faire concurrence à celles d ’ Eugène de Mirecourt, – Vosges, Paris, Gustave Havard, 1854, vol. 1, p. 56.
2 Titre emprunté au refrain de Lenore de Bürger sous lequel seront rassemblées les nécrologies rédigées par Dumas : celles de Chateaubriand, du duc et de la duchesse d’Orléans, de Hégésippe Moreau, deBéranger (vol. 1), d’Eugène Sue, d’Alfred de Musset, d’Achille Dévéria, de Lefèvre-Deumier, de Marie Dorval.
3 Antoine Joseph, baron Courtier.
4 Indiana, J.-P. Roret, 1832 ; Valentine, H. Dupuy, 1832 ; André, Félix Bonnaire et Victor Magen ; Mauprat, Félix Bonnaire, 1837 ; Jacques, H. Dupuy, 1833 ; Consuelo, L. de Potter ; François le Champi, A. Cadot, 1850 ; Claudie, drame en trois actes représenté pour la première fois au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 11 janvier 1851 ; LePressoir, drame en trois actes, représenté pour la première fois au Gymnase Dramatique, le 13 septembre 1853. – Confusion de Dumas : Geneviève est un roman de Lamartine, et non de George Sand.
5 L ’ Âne mort et la femme guillotinée, Baudoin, 1829 ; Barnave, Alexandre Mesnier et Levavasseur, 1831 ; La Religieuse de Toulouse, Michel Lévy frères, 1850-1851 ; Les Gaîtés champêtres, Michel Lévy frères, 1851.
- CLIL theme: 3639 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Art épistolaire, Correspondances, Discours
- ISBN: 978-2-406-14932-3
- EAN: 9782406149323
- ISSN: 2261-5881
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14932-3.p.0543
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-18-2023
- Language: French