Préface Un « tournant renaissant » ? Les enjeux de la légitimité politique
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Construire la légitimité politique de l’Antiquité à nos jours
- Authors: Gerbier (Laurent), Mellet (Paul-Alexis)
- Pages: 7 to 9
- Collection: Works from the Centre for Further Study of the Renaissance, n° 6
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Préface
Un « tournant renaissant » ?
Les enjeux de la légitimité politique
Cet ouvrage ne relève pas de la science politique ou de l’histoire du droit. Il s’agit plutôt de la mise en perspective historique d’une dimension centrale du pouvoir politique : sa légitimation. À quelles conditions le pouvoir d’un prince ou d’un roi peut-il se prétendre légitime ? La légitimité est-elle de même nature du point de vue du pouvoir lui-même et du point de ceux sur lesquels il s’exerce ? Doit-elle faire l’objet d’une attention particulière en cas de conquête, de succession discutée, de changement dynastique ou d’élection ? Toutes les questions reçoivent évidemment des réponses différentes selon les périodes, les pays et les circonstances. C’est en ce sens qu’une étude globale, de l’Antiquité à nos jours, permet de conduire une réflexion qui, finalement, porte sur le pouvoir lui-même. Il s’agit donc moins de dresser la liste des différences selon les contextes que de s’interroger sur ce que la légitimité est au pouvoir, voire sur ce que la légitimité fait au pouvoir ou fait du pouvoir.
La légitimité se trouve ainsi conçue non pas seulement comme une qualité du pouvoir, mais comme un processus qui l’affecte et par lequel il entreprend sans cesse de se transformer. Pour saisir cet enjeu, les concepteurs de cet ouvrage ont fait le choix du décloisonnement disciplinaire, indispensable pour éviter de prédéterminer le sens de la notion centrale en l’abordant depuis l’horizon d’une unique approche savante. Les études suivantes, conduites principalement par de jeunes chercheurs, portent donc sur des cas particuliers qui composent une cartographie collective des époques et des savoirs de la légitimité, contribuant ainsi à construire une analyse d’ensemble du pouvoir politique du point de vue de ce qui, en lui, s’efforce constamment d’exhiber ce qui le distingue d’une pure et simple domination.
8La collection « Travaux du CESR » est heureuse de pouvoir accueillir en son sein ce volume et de contribuer ainsi à mettre en valeur des recherches en cours. On pourrait s’étonner de ce choix, dans la mesure où, d’une part, toutes les contributions ne portent pas sur la Renaissance et où, d’autre part, tous les participants ne sont pas membres du CESR. On pourrait répondre que le CESR a été associé dès l’origine à cette entreprise et que certains de ses membres y ont directement contribué, mais là n’est pas l’essentiel qui tient à un enjeu historique et conceptuel. Il s’agit en effet ici, en parcourant la question de la légimité de la Grèce antique à la France contemporaine, de mettre en évidence ce qu’on pourrait appeler le « moment renaissant » de l’histoire du problème de la légitimité du pouvoir. Ce moment ne peut aujourd’hui plus se comprendre, d’une manière brutalement téléologique, comme le simple avènement de « l’État moderne » : c’est au contraire un âge de la dissension politique et de la conflictualité des formes théoriques et des institutions, qui remet profondément en cause les manières habituelles de fonder la légitimité. Les effets de pure et simple continuité que mobilisaient des généalogies plus ou moins fondées, des règles de dévolution anciennes ou des traditions séculaires sont désormais insuffisants : de Machiavel à Jean Bodin, en l’espace de soixante ans à peine, les conceptions de la légitimité basculent. Un triple système conceptuel conditionne désormais la pensée de la légitimité : il repose sur une théorie de la souveraineté, sur la définition de la raison d’État et sur la centralité du problème du consentement. Chacun de ces pivots théoriques entraîne avec lui un ensemble de questions problématiques : la souveraineté, qui semble conceptuellement impliquer l’indivisibilité d’un pouvoir sans supérieur aucun, pose précisément la question des limites du pouvoir et des modalités de son partage ; la raison d’État, qui semble enfermer dans le coffre-fort des « arcana imperii » les motifs des actions du pouvoir, ouvre pourtant la voie à la demande d’un fondement rationnel de sa légitimité ; l’indispensable production du consentement, emportant avec elle une interrogation sur les outils qui la conditionnent, place au centre de la pensée politique moderne le problème de la participation des individus.
À elles trois, ces questions déplacent les enjeux de la légitimité, façonnent d’autres formes de légitimation et produisent de nouvelles contestations. Le moment renaissant est ainsi rendu déterminant en ceci qu’il redistribue les cartes pratiques et théoriques de la légitimité du 9pouvoir : c’est précisément pour cette raison que notre collection nous a semblé devoir accueillir ce volume qui, d’une certaine manière, montre à la fois la Renaissance au travail et les conséquences de ce travail.
Laurent Gerbier
Université de Tours
Paul-Alexis Mellet
Université de Genève
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-10425-4
- EAN: 9782406104254
- ISSN: 2496-1140
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10425-4.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-25-2021
- Language: French