Biographie de Jean Hyppolite
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Charles Péguy. Quatre conférences
- Pages : 109 à 125
- Collection : Philosophies contemporaines, n° 29
Biographie de Jean Hyppolite
Dans la conclusion de sa thèse de philosophie, Georges Canguilhem (1904-1995) opposait, à l’« échelle macroscopique » usuellement adoptée en histoire des sciences, une « échelle microscopique1 » : seule la seconde aurait permis d’apprécier l’importance de la pensée de Thomas Willis, pourtant supérieure à celle de Descartes, s’agissant d’apprécier la transformation de la physiologie neuromusculaire. On pourrait utiliser la même image pour décrire le rôle joué par Jean Hyppolite dans la philosophie académique française du deuxième après-guerre. Il ne fut certes pas l’auteur d’une « œuvre », comme ce fut le cas de son camarade Jean-Paul Sartre (1905-1980). Il n’a jamais appartenu à cette catégorie d’auteurs-philosophes – « tout-puissants étrangers, inévitables astres », pour le dire avec le Valéry de la Jeune Parque – dont les écrits sont célébrés comme s’ils étaient la trace d’une supposée génialité. Il incarne bien plutôt le modèle universitaire2 de l’historien de la philosophie – modèle qui trouve son origine, en France, pendant le xixe siècle, au moment de l’émergence et de l’autonomisation du champ philosophique3. Hyppolite fut, pour emprunter une expression utilisée par son élève Gilles Deleuze (1925-1995) au sujet de François Châtelet (1925-1985), une « étoile de groupe4 ». Point apparemment moins lumineux d’une constellation intellectuelle5, il rendit pourtant possible son existence. Traducteur et commentateur de Hegel, Hyppolite fut un véritable passeur de textes et de concepts ; historien de la philosophie contemporaine, il fut capable 110de faire dialoguer des textes et des auteurs très éloignés les uns des autres ; professeur, directeur de travaux universitaires et organisateur de la recherche, il fut – comme Alain Badiou (1937-) le souligna – un véritable « protecteur de la nouveauté6 ».
Qu’Hyppolite ait occupé une telle position, centrale au sein d’une constellation intellectuelle, en témoigne notamment sa correspondance – qui inclut des échanges avec des institutions, des collègues et des élèves – conservée dans le Fonds Jean Hyppolite, déposé à la bibliothèque de l’École normale par sa fille, Mme Chippaux-Hyppolite. On ne peut évaluer l’importance qu’a eu Hyppolite comme « étoile de groupe », sans le réinscrire dans la constellation que forment les relations qu’il a entretenues avec ses contemporains, les institutions dans lesquelles il a inscrit sa trajectoire, l’espace-temps singulier qu’il a, à la fois, occupé et contribué à rendre possible.
Jean Gaston Hyppolite nait en 1907 dans le village de Jonzac en Charente-Maritime, d’une famille d’officiers de marine. Comme plusieurs de ses camarades, il découvre la philosophie en lisant Henri Bergson (1859-1941)7, d’abord au lycée de Rochefort-sur-Mer où il est l’élève de Camille Planet8 (1892-1963), puis à Poitiers où il est l’élève du philosophe alinien Georges Bénézé (1888-1978)9. En 1925, il entre à l’École normale où il rencontre Jean Cavaillès (1903-1944), qui était à l’époque répétiteur, Vladimir Jankélévitch (1903-1985), Georges Friedmann (1902-1977), Jean-Paul-Sartre, Paul Nizan (1905-1940), Raymond Aron (1905-1983), Georges Canguilhem, Maurice de Gandillac (1906-2006), son compagnon de promotion, et Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), avec qui il conservera une amitié pendant toute sa vie. En 1928, il écrit son mémoire pour le diplôme d’études supérieures10 : Mathématique et méthode chez Descartes 111des « Regulae » au « Discours ». De celui-ci, il tirera son premier article qui sera publié trois ans plus tard11 dans une éphémère revue animée par des professeurs de lycée réunis autour de Bénézé, Méthode. Revue de l’enseignement philosophique12. Les contributeurs de cette publication proposaient de rénover l’enseignement de la philosophie dans le secondaire, en mettant la discipline à l’épreuve des « problèmes contemporains13 », à savoir, à l’épreuve du « concret », l’un des termes à la mode au cours de l’entre-deux-guerres14. Hyppolite, comme son ami Canguilhem, gardera constamment en vue l’idéal alinien de la classe de philosophie comme d’un espace ouvert à tous, où l’on peut « donner à tous le sens de la liberté et de l’égalité de la pensée dans son rapport au monde15 ».
En 1929, Hyppolite passe l’agrégation et est classé troisième après Sartre et Simone de Beauvoir (1908-1986). Comme Georges Politzer (1903-1942) et Paul Nizan, et comme presque tous ses camarades, nés entre 1900 et 1910, il se montre insatisfait, sans pourtant être hostile, par les deux courants qui dominent le champ philosophique pendant les années dix et vingt : la philosophie de la durée et de l’intuition de Henri Bergson d’une part, le rationalisme d’inspiration kantienne de Léon Brunschvicg (1869-1944) de l’autre. Pourtant, il ne cessera jamais de respecter tant Bergson – sur l’œuvre duquel il reviendra à partir de la fin des années quarante – que Brunschvicg 112– qu’il continuera à considérer comme le « maître dont nous n’aurions pas voulu manquer le cours16 ». C’est sous l’influence d’Alain17 dont il suit « clandestinement » les cours au lycée Henri IV18 lorsqu’il est à l’École normale, ainsi que sous l’impulsion de Jean Cavaillès19 et de son directeur de thèse, Émile Bréhier (1876-1952)20, qu’Hyppolite décide de s’intéresser à Hegel21. Méprisé par Brunschvicg22, mais placé par les surréalistes au panthéon des auteurs les plus importants pour la nouvelle génération intellectuelle23, Hegel avait fait l’objet d’une tentative de réintroduction en France24 : par Jean Wahl (1888-1974) qui avait publié, en 1929, Le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel25, et, peu après, par Henri Lefebvre (1901-1981) et le groupe de jeunes philosophes marxistes réunis dans la Revue marxiste et dans Avant-Poste. En 1932, dans le premier numéro de la revue Méthode où Hyppolite publie son premier article, paraît un 113court article de Raymond Aron, écrit en réponse à l’enquête sur les études hégéliennes que Lefebvre avait lui-même lancée dans la revue Université syndicaliste afin de réagir au « Rapport sur l’état des études hégéliennes en France » qu’Alexandre Koyré (1892-1964)26 avait rédigé en 1930. Tout en reprochant au questionnaire de Lefebvre un « style communiste militaire » et une « allure doctrinale », Raymond Aron27 y avance que la disparition « proprement scandaleuse » de Hegel en France est due, principalement, au fait que l’enseignement supérieur est, en ce pays, « fondé sur le principe absurde de la préparation aux examens et concours », à savoir l’agrégation, et, partant, sur le « repli » de l’université sur elle-même28 ». C’est cette lacune que Jean Hyppolite, initié à Hegel par Alain, Bréhier et Cavaillès, et animé par un double désir de rénovation des institutions et de rigueur philosophique et historique, décide de combler.
Contrairement à son ami Merleau-Ponty et à tant d’autres de ses contemporains, Hyppolite ne fréquente pas le séminaire d’Alexandre Kojève (1902-1968) à l’École Pratique des Hautes Études dont il ignore l’existence à l’époque29. En revanche, il lit30 avec intérêt les premiers écrits sur Hegel que Koyré publie peu après son rapport31. Pendant les années trente, enseignant dans quelques « obscurs lycées de la province française32 » (Limoges, Tulle, Bourges, Lens et Nancy), il consacre son temps à rédiger ses premiers essais, et à traduire, en germaniste autodidacte, La phénoménologie de l’Esprit33. Ce travail sera publié pour la première fois en français, en deux tomes, en 1939 et en 1941, dans la 114collection « Philosophie de l’esprit » dirigée par Louis Lavelle (1883-1951) et René Le Senne (1882-1954)34.
Entre 1939 et 1941, Hyppolite enseigne dans les hypokhâgnes des lycées Lakanal et Louis Le Grand et, entre 1941 et 1945, dans celle du lycée Henri IV, où il a comme élèves, entre autres, Jean D’Ormesson (1925-2017), Gilles Deleuze et Michel Foucault (1926-1984). Tous garderont de lui un souvenir très vif : Hyppolite avait « un visage puissant, aux traits incomplets, et scandait de son poing les triades hégéliennes, en accrochant les mots35 », « arrondi derrière son pupitre, la parole riante, encombrée, rêveuse et timide, allongeant ses fins de phrases de pathétiques aspirations, éclatant d’éloquence à force de la refuser, il […] expliquait Hegel à travers La jeune Parque et Un coup de dés jamais n’abolira le hasard36 », sa voix « ne cessait de se reprendre comme si elle méditait à l’intérieur de son propre mouvement », dans sa voix on entendait « quelque choses de la voix de Hegel, et peut-être encore la voix de la philosophie elle-même37 ».
Pendant l’Occupation, et immédiatement après la Libération, Hyppolite participe aussi, avec régularité, aux salons littéraires promus par trois intellectuels chrétiens, autrefois proches des cercles personnalistes : les médiévistes Maurice de Gandillac et Marie-Madelaine Davy (1903-1998), ainsi que Marcel Moré (1887-1969), un mécène travaillant à la Bourse de Paris. Ces rencontres se déroulent dans l’appartement de Moré ou dans le château de la Fortrelle, près de Rosay-en-Brie. Gandillac tente de récréer, en ce château qui appartenait à Davy, l’atmosphère des décades de Pontigy. Il y réunit une partie des auditeurs des cours de Kojève, mais encore des personnages aussi différents que Sartre, Georges Bataille (1897-1962), Maurice Blanchot (1907-2003), Simone de Beauvoir, Albert Camus (1913-1960), Jean Daniélou (1905-1974), Dominique Dubarle (1907-1987), Pierre Klossovski (1905-2001), 115Jacques Madeule (1898-1993), Jean Prévost (1901-1944), Jacques Lacan (1901-1981), et des jeunes étudiants comme Gilles Deleuze, Michel Butor (1926-2016) ou Michel Tournier (1924-2016)38. Entre 1945 et 1948, Jean Hyppolite contribue, par quelques comptes-rendus et un court article, à la revue qui émane de ce même groupe : Dieu vivant. Perspectives religieuses et philosophiques39. L’un des problèmes centraux traités par ces intellectuels, celui de l’eschatologie en tant que trait distinctif du message chrétien, rejoint le problème qui préoccupe Hyppolite40 : le refus de toute possible trace de téléologie chez Hegel, et même chez Marx et les marxistes.
En 1945, après le départ de Martial Gueroult (1891-1976), nommé à la Sorbonne sur la chaire de Léon Brunschvicg, Hyppolite devient maître de conférence à l’Université de Strasbourg. Il y retrouve Canguilhem qui enseigne sur le poste qui lui a laissé Jean Cavaillès en 1940. Après avoir soutenu sa thèse, consistant dans la traduction de la Phénoménologie de l’Esprit et dans un fidèle commentaire du texte41, Genèse et structure de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel42, Hyppolite devient, en 1948, 116professeur à la Sorbonne ; il occupera ce poste jusqu’à la moitié des années cinquante.
La période qui suit la Libération est marquée, d’une part par le succès de l’existentialisme dans ses variantes athée et catholique et sa confrontation avec le marxisme et le personnalisme catholique, de l’autre par l’affrontement entre Truman et Jdanov. Hyppolite s’intéresse au rapport qu’entretiennent avec l’hégélianisme, les philosophies de l’existence, comme Sartre, Heidegger, Kierkegaard, Jaspers, d’une part, et la pensée de Marx43 de l’autre. En s’appuyant sur des analyses textuelles précises, Hyppolite s’oppose à toute rupture nette entre la pensée du jeune Marx et sa pensée mature, et entre l’idéalisme allemand et le marxisme. Niant l’originalité absolue de la pensée de l’auteur du Capital, Hyppolite, qui est sympathisant socialiste, s’attire l’hostilité des philosophes et intellectuels communistes : au premier chef, celle du jeune Louis Althusser (1918-1990). En 1950, tandis qu’il est secrétaire du département de philosophie de l’École normale et rédige une thèse sous la direction d’Hyppolite, Althusser 117publie sous un pseudonyme dans la Nouvelle Critique : « Le retour à Hegel, dernier mot du révisionnisme universitaire44 ». Hyppolite y est accusé d’être un mystificateur qui tente d’amoindrir la portée révolutionnaire de cette conception scientifique de l’histoire qu’est le matérialisme dialectique, en falsifiant « la véritable signification historique de Hegel ». Ainsi, comme son ami Canguilhem le soulignera45, l’interprétation hyppolitienne de Hegel se démarque-t-elle de l’interprétation marxiste d’Henri Lefebvre, de celle athée de Kojève et, enfin, de celle théologique du père Gaston Fessard (1897-1978)46 ou d’Henri Niel (1910-1967)47.
Pendant ses années à la Sorbonne, la réflexion d’Hyppolite prend une nouvelle ampleur. À l’occasion de l’agrégation de 1948 et de 1949, il relit et réévalue l’œuvre de Bergson ; il lui consacre des essais, des cours et des conférences, et devient un membre actif de l’Association des amis de Bergson48. Il publie des essais sur Valéry, sur Alain et sur Gaston Bachelard (1884-1962). Il participe enfin, avec Raymond Aron, aux débats autour du statut du temps historique, qui sont organisés par le Centre Catholique des Intellectuels Français, dont son ami, l’historien Henri-Irénée Marrou (1904-1977), auteur d’une thèse sur La connaissance historique49, est l’un des principaux animateurs.
118C’est à ce moment même que la lecture de la « deuxième » philosophie de Martin Heidegger, à laquelle il consacre quelques essais, bouleverse les cadres de sa réflexion sur l’action, l’histoire et la dialectique, autant que son interprétation de Hegel50 restée jusqu’alors compatible avec le paradigme existentialiste51. Sa deuxième monographie sur le philosophe allemand, Logique et existence, publiée 1952, se termine sur une aporie : celle du rapport entre Logique et Phénoménologie, entre temps logique et temps humain. Cette aporie qui appelle une nouvelle conception de la différence, capable de rendre compte d’un temps historique ouvert52, autant qu’une lecture antihumaniste de Hegel tournée vers l’auto-développement de l’Être en tant que Logos, influencera la plupart des élèves d’Hyppolite : Althusser, Deleuze, Michel Foucault (1926-1984) et Jacques Derrida (1930-2004). Canguilhem déclarera que c’est sous l’influence d’Hyppolite « que la philosophie française […][avait] commencé à perdre conscience de ce qu’était pour elle, auparavant, la Conscience53 », et Foucault que ce livre avait posé « tous les problèmes54 » que les élèves d’Hyppolite étaient désormais tenus de résoudre.
Durant ses années d’enseignement à la Sorbonne, Hyppolite – qui, face au succès de l’existentialisme et aux nouvelles figures du travail intellectuel, était resté fidèle au modèle du philosophe universitaire55 – commence à tenir un rôle important comme directeur de travaux d’élèves. Ayant déjà eu la charge de diriger plusieurs mémoires de diplôme d’études supérieures56, il sera, pendant les années cinquante et soixante, 119le directeur de dizaines de thèses. Il suivra notamment Foucault57, Deleuze58, Althusser59, Derrida60, François Châtelet61, Michel Henry (1922-2002)62, Gilbert Simondon (1924-1989)63, Dominique Janicaud (1937-2002)64, René Scherer (1922-2023)65, Pierre Trotignon (1932-)66, Miche Serres (1930-2019)67, Jean-Claude Pariente (1930-2022), Gérard Granel (1930-2000)68, Henri Birault (1907-1982), Jacques d’Hondt (1920-2012)69, Bernard Bourgeois (1929-), Dominique Julia70 et Georges Lantéri-Laura (1930-2004)71. Une bonne partie de ces thèses sera publiée dans la collection « Épiméthée ». Inaugurée en 1952, cette collection qu’Hyppolite dirigera jusqu’à sa mort devient vite une référence pour le monde universitaire72.
Le pouvoir d’influence qu’a Hyppolite sur les nouvelles générations se trouve amplifié par la position institutionnelle qu’il occupe 120à partir de 195473. À la mort de Fernand Chapouthier (1899-1953)74, il devient le quatrième directeur philosophe de l’École normale, après Francisque Bouillier (1867-1871), Ernest Bersot (1871-1880) et Célestin Bouglé (1935-1940). Détaché de la Sorbonne pendant neuf ans, Hyppolite apprend « ce que signifient la patience et le travail du négatif », en faisant « vivre des laboratoires scientifiques » et en assistant à l’ouverture de nouveaux « domaines de recherche75 ». Entre 1954 et 1963, installé dans le grand appartement directorial de la rue d’Ulm, il devient le « régent76 » de l’École normale. Son travail s’articule sur deux plans. En ce qui concerne l’organisation générale de l’institution, il réalise, ou propose77, des réformes qui marqueront le destin de l’École normale78. Il renforce ses liens avec les institutions internationales et avec un public extérieur à l’École normale ; il essaye d’affranchir la recherche de la contrainte que constitue la préparation de l’agrégation avec le décret du 3 octobre 1962 qui stipule que la vocation de l’École normale est celle « de la recherche et de l’enseignement » ; il favorise les échanges entre les différentes disciplines et crée une section de « Sciences humaines », auparavant absente. En ce qui concerne le département de philosophie, il installe un dispositif original. Élaboré en étroite collaboration avec Roger Martin, philosophe et logicien, directeur de la bibliothèque et responsable d’un séminaire de philosophie des mathématiques et de logique, et surtout avec Louis Althusser, secrétaire et caïman du 121département de philosophie, ce dispositif est tripartite. Il comprend son cours magistral hebdomadaire (qui se déroule dans la salle des Actes devant un auditoire hétérogène, composé d’élèves et d’auditeurs libres), les séminaires d’Althusser, et une série de conférences données par des professeurs invités. Au cours des années cinquante : André Ombredane (1895-1958) sur la psychologie, Jean Beaufret (1907-1982) et Henri Birault (1918-1990) sur Heidegger et Nietzsche, Jules Vuillemin (1920-2001), Martial Gueroult et Michel Serres sur la philosophie moderne, Victor Goldschmidt (1914-1981) sur la philosophie antique79. En même temps, il encourage les étudiants à suivre les cours qui se déroulent à la Sorbonne, comme ceux de ses amis Paul Ricœur (1913-2005), Georges Canguilhem et Raymond Aron. Enfin, en 1957, Hyppolite est l’un des promoteurs de la création d’un centre pour les archives d’Edmund Husserl, dont Merleau-Ponty sera le premier directeur, avant Ricœuret Birault. Alain Badiou, élève à l’École entre 1957 et 1960 et bon ami du directeur, dira plus tard que la philosophie française des années soixante n’aurait jamais pu devenir ce qu’elle a été sans ce dispositif, sans Georges Canguilhem et Jean Hyppolite, ces véritables « protecteurs de la nouveauté80 ».
Cette vocation pour la pédagogie et l’organisation de l’enseignement et la recherche, Hyppolite la concrétise encore peu de temps après, en collaborant à la série d’émissions télévisées, « Le temps des philosophes81 », qui est conçue par son amie Dina Dreyfus, inspectrice de l’enseignement de l’Académie de Paris. Pendant les années cinquante, la population des universités et des lycées avait connu une augmentation exponentielle, et ce phénomène avait conduit à de nombreuses réformes, comme celle, de 1966, promue par ministre de l’Éducation Christian Fouchet (1911-1974). Dans un moment où on proposait la diminution de l’importance de la philosophie au profit des sciences sociales et humaines – psychologie, sociologie et linguistique notamment – Hyppolite n’avait cependant pas cessé de défendre l’institution de la classe de philosophie, en participant à des colloques et rencontres sur ce thème.
122Durant cette même période, Hyppolite multiplie les liens avec diverses institutions étrangères ; il participe à des colloques internationaux en Suède, en Angleterre, en Argentine, en Italie, en Belgique, en Autriche, au Mexique, aux États-Unis, et intensifie sa présence à la Société française de philosophie. Il s’intéresse à de nouveaux auteurs et de nouveaux objets. Il se confronte à la psychanalyse, notamment à travers Jacques Lacan, toujours intéressé à Hegel, dont il suit les séminaires à Sainte-Anne, il étudie Husserl et Fichte82 – qu’il rapproche l’un de l’autre pour leur tentative commune de décrire les conditions de possibilité d’une expérience ouverte sur la nouveauté –, à la naissante de la linguistique structurale, à la théorie de l’information, aux développements de la génétique – dans un dialogue avec son ami Canguilhem83 et avec l’embryologue Étienne Wolff84 (1904-1996), son collègue au Collège de France, au nouveau roman et au roman policier, ou encore, à la musique de Pierre Boulez (1925-2016). Il est actif politiquement, quoique discret : il critique les conséquences désastreuses de la guerre en Algérie, tente d’organiser un forum de discussion à ce sujet à l’École normale, et participe en 1958, avec Merleau-Ponty, à la création de l’Union des Forces Démocratiques (UFD).
En 1963, au moment du départ de Martial Gueroult de la chaire d’« Histoire et technologie des systèmes philosophiques », Hyppolite quitte l’École normale pour enseigner au Collège de France sur une chaire qu’il baptise : « Histoire de la pensée philosophique ». Dans son discours inaugural85, il exprime le vœu de tenir ensemble « l’existence et la vérité86 », c’est-à-dire de concilier la rigueur de l’enquête sur les formes et les systèmes de rationalité, qui est propre à Gueroult et au structuralisme, avec l’exploration de l’expérience vécue, préréflexive, 123qui est poursuivie, après Bergson, par son ami Merleau-Ponty. D’une certaine manière, il s’agit pour Hyppolite qui tente de réparer la fracture naissante entre Claude Lévi-Strauss (1908-2009) et Sartre, entre le structuralisme87 et la phénoménologie, de tenir ensemble –selon la distinction que Michel Foucault rendra célèbre quelques années plus tard88 – « concept »et« intuition ». Dans les cours qu’il donne au Collège de France, Hyppolite ne cesse de poursuivre un double objectif : d’une part commenter Hegel, de l’autre, remettre en scène ses auteurs préférés, à savoir Husserl, Heidegger, Bergson, Bachelard ou encore Fichte, afin d’approfondir l’aporie qui l’occupe depuis Logique et existence : l’aporie du rapport entre forme et devenir, sens et temps, structure et expérience, qu’il avait esquissée en sa leçon inaugurale. Canguilhem écrira à ce sujet : « à l’exemple de ce que [fit] Hegel, Hyppolite [a] traité dans ces cours de technologie et d’économie, de biologie, d’informatique, de linguistique, de poésie. Il [a] pris son bien chez Mallarmé et Claudel comme chez Freud et Marx, chez Saussure comme chez Watson et Crick. Et pourtant ses cours [n’ont] […] jamais été que des cours de philosophie89 ».
Au cours de son séminaire sur Hegel, Hyppolite invitera certains de ces anciens étudiants comme Badiou, Janicaud, Derrida, Althusser, ou d’Hondt90, mettant encore une fois en pratique sa conception collaborative de la recherche91, et Hegel à l’épreuve de la réflexion de disciples ouvertement opposés à la dialectique92. De cette hyperactivité, 124résulte un certain épuisement intellectuel. Dans une conférence faite à Montpellier en 1968, Hyppolite se dit « épouvanté » par le nombre de livres qu’il reçoit93, par « toutes les thèses » qu’il doit lire, par « tout ce que l’humanité a acquis et qu’il faut que les générations nouvelles » parviennent à rendre « vivant », tout en portant sur elles « le poids des bibliothèques94 ».
Hyppolite, qui, durant mai 1968, s’était montré attentif aux revendications des étudiants et favorable à la réouverture de la Sorbonne95, n’aura le temps ni de donner ses premiers cours de l’année académique 1968-1969, ni de suivre l’organisation du colloque Hegel, qui devait se dérouler au Collège de France au printemps 196996. Emporté par une crise cardiaque le 27 octobre 1968, il est enterré à Bellechaume. Le 19 février 1969, Althusser, Canguilhem, d’Hondt et Foucault organiseront à l’École normale une journée en honneur d’Hyppolite, afin d’évoquer « ce visage inconnu parce que trop connu97 » . Deux initiatives éditoriales seront organisées peu de temps après : le volume Hommage à Jean Hyppolite, rassemblant les textes disparates de certains de ses élèves et amis, et les deux tomes du recueil Figures de la pensée philosophique.
Pendant les années soixante, Hyppolite avait annoncé vouloir travailler à un livre, Existence et structure, dont ses cours au Collège de France devaient constituer le chantier98. Il avait déclaré à Alain Badiou vouloir aborder ce livre « par des tas de chemins » et que « l’itinéraire ou le labyrinthe ne […][permettrait pas] de donner un livre entier99 ». Peut-être Hyppolite, qui se faisait historien du présent, souhaitait-il lui-même conserver une position discrète au sein de cette constellation d’astres 125lumineux. Commentateur et historien de la penséephilosophique, il avait décidé d’effacer sa subjectivité d’auteur. Sans doute considérait-il que sa voix philosophique propre ne pourrait se faire entendre qu’une fois devenue – comme le disent les vers de « La Pythie » de Paul Valéry qu’il aimait citer – « la voix de personne100 ».
1 G. Canguilhem, La formation duconcept de réflexeaux xviie et xviiie siècles, Paris, Vrin, 1955, p. 174.
2 Cf. G. Canguilhem, « Témoignage », Bulletin de la société des amis de l’École normale supérieure, t. 72, n. 186, décembre 1991, p. 20-23, p. 21.
3 Cf. à ce sujet J.L. Fabiani, Les philosophes de la République, Paris, Minuit, 1988.
4 G. Deleuze, « Il était une étoile de groupe » (1985), Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, Paris, Minuit, 2003, p. 247-250.
5 Cf. M. Mulsow et M. Stamm (éd.), Konstellationsforschung, Francfort, Suhrkamp, 2005 ; ainsi que M. Muslow : « Qu’est-ce qu’une constellation philosophique ? Propositions pour une analyse des réseaux intellectuels », Annales HSS, janvier-février 2009, n. 1, p. 81-109.
6 Entretien entre Alain Badiou et Frédéric Taddéï, au cours de l’émission Le tête-à-tête transmise sur France Culturele 11 décembre 2011.
7 G. Canguilhem, « Hommage à Jean Hyppolite (1907-1968) », Revue internationale de philosophie, 1969, t. 90, n. 4, p. 548-550, 548.
8 Planet deviendra plus tard un des meilleurs amis de Georges Canguilhem, et, en 1939, il rédigera avec lui un manuel, Traité de logique et morale (cf. G. Canguilhem, Écrits philosophiques et politiques 1926-1939, Paris, Vrin, 2012, p. 630-974)
9 Sur Hyppolite à Poitiers, cf. J. D’Hondt, « Jean Hyppolite. Un homme de parole », inL’Actualité Poitou-Charentes, n. 62, oct.-nov. 2003, p. 22-23. Cf. aussi J. D’Hondt, « Jean Hyppolite, in memoriam », Les études philosophiques, 1969, t. 30,n. 1, p. 87-92 et l’entrée « Jean Hyppolite », in D. Huisman (éd.), Dictionnaire des Philosophes, t. 1, Paris, PUF, 1984.
10 Cf. J. Hyppolite « Du sens de la géométrie de Descartes dans son œuvre » (1957), inFigures de la pensée philosophique, Paris, PUF, 1972, t. I, p. 7.
11 J. Hyppolite, « L’originalité de la géométrie cartésienne », Méthode. Revue de l’enseignement philosophique, n. 1, mai 1932, p. 11-16. Maintenant in G. Bianco (éd.), Jean Hyppolite entre structure et existence, Paris, Éditions de la rue d’Ulm, 2013, p. 173-178.
12 Fondée en 1932, la revue existe entre 1932 et 1934 et publie six numéros. Essentiellement rédigée par Bénézé, elle avait également hébergé les premiers articles de Georges Canguilhem, de Raymond Aron et d’Albert Lautmann, tous proches de la galaxie alinienne.
13 Cf. J. Hyppolite, « Classe de philosophie et problèmes actuels », Méthode. Revue de l’enseignement philosophique, n. 5, février 1933, p. 1-4, maintenant in G. Bianco, Jean Hyppolite entre structure et existence, op. cit., p. 167-172.
14 Pour l’importance de ce terme, cf. G. Bianco, « Introduction. Histoire et destinée d’un transfert culturel », in J. Hyppolite, Génèse et structure de la généalogie de l’Esprit de Hegel, Paris, Garnier, 2021, p. 7-60 et G. Bianco, « Concrete/abstract in Modern French Philosophy », in M. Sinclair et D. Whistler (éds.), The Oxford Handbook of Modern French Philosophy, Oxford, Oxford University Press, à paraître.
15 Les positions formulées par Hyppolite dans l’un de ses premiers essais, « Classe de philosophie et problèmes actuels » (1932), cit. ne sont pas très différentes de celles exprimées vingt ans plus tard, au cours d’un entretien avec Alain Badiou, « Philosophie et histoire de la philosophie » (1965). Maintenant in G. Bianco (éd.), Jean Hyppolite entre structure et existence, op. cit., p. 173-178 et 259-270.
16 Cf. l’intervention du 2 juin 1962 à l’occasion de la « Commémoration du cinquantenaire de la publication des Étapes de la philosophie mathématique de Léon Brunschvicg » (Bulletin de la société française de philosophie, t. 57, n. 1, 1963), et aussi la « Préface » à M. Deschoux, La philosophie de Léon Brunschvicg, Paris, PUF, 1949.
17 Cf. J. Hyppolite, « Témoignage de Jean Hyppolite », Bulletin de l’Association des Amis d’Alain, n. 27, décembre 1968, p. 57. Hyppolite a écrit deux essais sur Alain et, d’après Claude Chippaux-Hyppolite, il est resté « très proche » d’Alain jusqu’à sa mort (entretien du 23 juillet 2012).
18 Pour le Hegel d’Alain, cf. B. Bourgeois « Alain, lecteur de Hegel », Revue de métaphysique et de morale, t. 92, 1987, p. 238-256.
19 P. M. Schuhl, « À la mémoire de Jean Hyppolite (1907-1969) », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. 158, n. 2, 1968, p. 425-426 : « Je me rappelle Cavaillès, alors caïman, me disant : “Je lance Hyppolite sur Hegel”, mais Hyppolite m’a dit que de son côté il s’y était déjà attaché ».
20 Cf. G. Canguilhem, « Hommage à Jean Hyppolite (1907-1968) », cit., p. 550. Bréhier avait écrit, outre son essai sur Schelling (Paris, Alcan, 1912), une Histoire de la philosophie allemande (Paris, Payot, 1921, 1955).
21 Pour le rapport entre Hyppolite et Hegel, outre les premiers trois essais de ce volume, on peut se référer à l’essai de B. Bourgeois, « Jean Hyppolite et Hegel » (d’abord publié dans le Bulletin de la société des amis de l’École normale supérieure, t. 71, n. 186, 1991 et ensuite dans Les études philosophiques, n. 2, 1993, p. 145-159) ainsi qu’à celui de Jean Lacroix, « Hyppolite et Hegel », Le Monde, 21-22 mai 1972.
22 Cf., par exemple, L. Brunschvicg, Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale (1927), Paris, PUF, 1953.
23 Cf. le témoignage de R. Queneau dans « Premières confrontations avec Hegel », Critique, t. 19, n. 195-196, 1963, p. 694-700.
24 Pour ces aspects, cf. G. Bianco, « Introduction. Histoire et destinée d’un transfert culturel », cit.
25 J. Wahl, Le malheur de la conscience dans la philosophie de Hegel, Paris, Alcan 1929.
26 A. Koyré, « Rapport sur l’état des études hégéliennes en France », inid., Études d’histoire de la pensée philosophique (1961, 2e éd. 1971).
27 R. Aron, « À propos d’une enquête », Méthode. Revue de l’enseignement philosophique, n. 1, mai 1932, p. 28-30.
28 Ibid., p. 29.
29 Cf. J. Hyppolite, « La Phénoménologie de Hegel et la pensée contemporaine » inFigures, op. cit., t. 1, p. 236.
30 Cf. J. Hyppolite, « Discours d’introduction » [1964], in H.-G. Gadamer (éd.), Hegel-Tage Royaumont 1964 : Beitrage zur Deutung der Phänomenologie des Geistes, Bonn, Bouvier, 1966, p. 11.
31 A. Koyré, « Hegel à Iéna » [1935], inid., Études d’histoire de la pensée philosophique, 2e éd.,Paris, Gallimard, 1971, p. 160-175.
32 Ibid.
33 Cf. le compte-rendu de F. Alquié, « La Phénoménologie de l’esprit de G. W. F. Hegel, Jean Hyppolite », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. 134, n. 1/3, 1944, p. 65-70.
34 Ce n’est pas un hasard si cette traduction a été publiée dans une collection présentée par les deux directeurs dans la revue Méthode (L. Lavelle, R. Le Senne, « Une nouvelle collection d’ouvrages Philosophiques », Méthode, t. 2, n. 1-2, octobre-décembre 1933, p. 19-21). Professeur de khâgnes aux lycées Louis Le Grand et Henri IV, Le Senne occupait une place importante dans l’enseignement de la philosophie en France.
35 G. Deleuze, C. Parnet, Conversations, Paris, Flammarion, 1977, p. 21.
36 J. d’Ormesson, Au revoir et merci, Paris, Gallimard, 1976, p. 71.
37 M. Foucault, « Jean Hyppolite (1907-1968) » (1969), in id., Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, p. 779-785, 781.
38 Pour ce cercle, cf. G. Bianco, « Jeunes sartriens désespérés. Le groupe de la revue Espace », Philosophie, t. 158, n. 3, 2023, p. 25-39 et « The Antihumanism of the Young Deleuze », Journal for the History of Ideas, à paraitre en 2024.
39 Cf. à ce propos E. Fouilloux, « Une vision eschatologique du christianisme : Dieu vivant (1945-1955) », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 57, n. 158, 1971, p. 47-72. La bibliothèque d’Hyppolite conserve tous les numéros de Dieu vivant. Hyppolite donna aussi un article (« Note sur Paul Valéry et la crise de la conscience reproduit ici) à La vie intellectuelle, une revue catholique créée en 1928 par le père dominicain Marie-Vincent Bernadot, à la demande du pape Pie XI et avec l’appui de Jacques Maritain et dont parution cessera en 1956. Pour cette revue, cf. J.-C. Delbreil, La vie Intellectuelle, Paris, Cerf, 2008.
40 Cf. le volume Introductionà la philosophie de l’histoire deHegel, Paris, Marcel Rivière, 1948, et le compte rendu d’Alphonse de Waelhens, (Revue Philosophique de Louvain, t. 47, n. 13, 1949, p. 147-150).
41 Lors de la soutenance, Hyppolite répondra à une question de Jean Wahl – qui soulignait la relation entre la pensée du jeune Hegel, la phénoménologie et l’existentialisme – en disant que son œuvre était essentiellement celle d’un commentateur. Cf. le compte-rendu anonyme, « Soutenance de thèses (18 janvier 1947) », Revue de métaphysique et de morale, t. 52, n. 2, avril 1947, p. 188-189, p. 189. Cf. aussi M. Dufrenne, « À propos de la thèse de Jean Hyppolite », Fontaine, n. 61, 1947, p. 461-470.
42 Ce titre, Genèse et structure, aura une fortune considérable pendant les années cinquante et au début des années soixante, pour ce qu’il résume le problème du rapport entre les vérités (ou idéalités) et leur caractère historique, qui occupe les philosophes et historiens de la philosophie. Il sera repris en 1959, lors du célèbre colloque de Cerisy : Genèse et structure, sous la direction de Maurice de Gandillac, Lucien Goldmann et Jean Piaget, Paris Hermann, 2011) ; mais encore dans plusieurs titres de thèses et livres (entre autres : Genèse et structure de l’anthropologiede Kant, thèse secondaire de Michel Foucault, Genèse et structure du champ littéraire de Pierre Bourdieu, etc.). Vraisemblablement le titre de la thèse d’Hyppolite avait une double inspiration. D’une part, pendant les années trente, une série de discussions parmi des historiens de la philosophie visait à sauver des approches historienne et sociologique, la philosophie entendue comme un système ou une structure composée de vérités ou d’idéalités. Ces débats avaient comme protagonistes : Lévy-Bruhl, Gilson, Gouhier et Bréhier. Dans un livre de 1940, La philosophie et son passé (PUF), Émile Bréhier, directeur de la thèse d’Hyppolite, avait parlé, probablement en pensant aux catégories mobilisées par Lucien Lévy-Bruhl dans Les fonctionsmentalesdans les sociétés inférieures, de la philosophie comme d’une « certaine structure mentale qui appartient par accident au passé » (p. 41). D’autre part, et au même moment, Albert Lautman, camarade d’Hyppolite à l’École normale, bon ami de Jean Cavaillès, avait publié une thèse d’épistémologie des mathématiques (Essai sur les notions de structure et d’existence en mathématique, Paris, Hermann, 1937) dans laquelle il utilisait les deux notions de « schémas de structure » et « schémas de genèse ». Hyppolite, ami de Cavaillès, était présent lors de la discussion qui eut lieu, autour des thèses de ce dernier et de Lautman, à la Société française de philosophie le 4 février 1939 (« La pensée mathématique », Bulletin de la société française de philosophie, t. 40, n. 1, 1945). Pour ces aspects, cf. G. Bianco, « Introduction. Histoire et destinée d’un transfert culturel », cit.
43 Cf. les essais recueillis dans le volume Études sur Marx et Hegel (Paris, Rivière, 1955) et les comptes-rendus du livre, de J.-Y. Calvez (« Marxisme, idéologie et philosophie », inCritique, t. 10, n. 111-112, 1956, p. 777-796) et L. Millet (« Études sur Marx et Hegel », Les études philosophiques, t. 11, n. 1, 1956, p. 119-120).
44 L. Althusser, « Le retour à Hegel, dernier mot du révisionnisme universitaire », Écrits philosophiques et politiques, t. I, Paris, Stock/IMEC, 1997, p. 258-268.
45 G. Canguilhem, « Hegel en France », Revue d’histoire et de philosophie religieuses t. 28-29, 1948-1949, p. 282-297. À ce propos, cf. aussi les réactions de Maurice de Gandillac (« Ambiguïté hégélienne », Dieu vivant 1948, n. 11, p. 125-144), Ferdinand Alquié (« Études hégéliennes. Jean Hyppolite – Genèse et structure de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel », Revue philosophique de la France et de l’étranger, t. 140, n. 1, 1950, p. 191-195), Roger Callois (« Genèse et structure de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel par Jean Hyppolite », Temps modernes, t. 4, n. 31, 1948, p. 1898-1904), Mikel Dufrenne, (« Actualité deHegel », Esprit, n. 16, 1948, p. 396-408, maintenant inJalons, Le Haye, 1966, p. 70-83), Henri Féraud (« Un commentaire de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel », La revue internationale, n. 17, 1947), Gaston Fessard (« Deux interprètes de la phénoménologie de Hegel : Jean Hyppolite et Alexandre Kojève », Études, t. 255, 1947, p. 368-373) et Claude Marcoux (« Genèse et structure de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel par Jean Hyppolite », Les études philosophiques, t. 3, n. 1, 1948, p. 49-62).
46 Cf. par exemple, G. Fessard, Hegel, le christianisme et l’histoire, textes et documents inédits présentés par Michel Sales, Paris, PUF, 1990.
47 H. Niel, De la médiation dans la philosophie de Hegel, Paris, Aubier, 1945.
48 Cf. la section « Henri Bergson » dans Figures, op. cit.
49 H.-I. Marrou, La connaissance historique, Paris, Seuil, 1954.
50 Son élève, Michel Déguy, parle dans un entretien avec Dominique Janicaud, d’une véritable « foudre heideggérienne ». Cf. D. Janicaud, Heidegger en France, Paris, Albin Michel, 2001, t. 2, p. 68.
51 Cf., à ce sujet, J. Hyppolite, « Une chronologie de l’existentialisme français », in G. Bianco, Jean Hyppolite entre structure et existence, op. cit., p. 195-198.
52 Pour ces pistes, cf. le compte-rendu que Gilles Deleuze publie dans la Revue philosophique de la France et de l’étranger en 1954 (« Jean Hyppolite, Logique et existence », maintenant in G. Deleuze, L’île déserteet autres textes. Textes et entretiens 1953-1974, Paris, Minuit, 2002, p. 18-23). Cf. aussi J. Wahl, « Sur Logique et existence », Critique, n. 79, 1953, p. 1050-1071, et A. Ouy, « Connaissance de Hegel », Mercure de France, n. 1078, 1953, p. 365-368.
53 G. Canguilhem, « Jean Hyppolite (1907-1968) », Revue de métaphysique et de morale, t. 74, n. 2, avril-juin 1969, p. 129-130, p. 130.
54 M. Foucault, « Jean Hyppolite (1907-1968) », cit., p. 785.
55 Cf. G. Canguilhem, « Témoignage », p. 21.
56 Parmi lesquels ceux de Michel Henry, de Jacques Martin, de Michel Foucault et de Gilles Deleuze.
57 Hyppolite, qui, dans un premier temps, aurait dû diriger Folie et déraison, deviendra le directeur de la thèse secondaire de Foucault, qui était une traduction, précédée par une introduction, de L’anthropologie pragmatique de Kant. Cf. I. Kant / M. Foucault, Anthropologie du point de vue pragmatique. Introduction à l’Anthropologie, Paris, Vrin, 2008.
58 La thèse principale de Deleuze, Différence et répétition (Paris, PUF, 1968), dirigée par Maurice de Gandillac, était initialement dirigée par Hyppolite et portait sur L’idée de problème.
59 Althusser ne terminera jamais cette thèse, enregistrée sous le titre de Politique et philosophie au xviiie siècle. Une partie de ses réflexions seront publiées dans le livre Montesquieu : la politique et l’histoire (Paris, PUF, 1959).
60 La thèse de Derrida, enregistrée en 1957 et jamais terminée, portait sur L’idéalité de l’objet littéraire (cf. Jacques Derrida, « Ponctuations : le temps d’une thèse », inLe droit à la philosophie, Paris, Galilée, 1990).
61 F. Châtelet, La naissance de l’histoire, Paris, Minuit, 1961.
62 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps. Essai sur l’ontologie biranienne, Paris, PUF, 1965.
63 G. Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Paris, Jérôme Millon, 2005.
64 D. Janicaud, Une généalogie du spiritualisme français. Aux sources du bergsonisme : Ravaisson et la métaphysique, La Haye, Nijhof, 1969.
65 R. Schérer, La phénoménologie des recherches logiques de Husserl, Paris, PUF, 1967.
66 P. Trotignon, Réflexion et immédiat. Introduction à une théorie générale de la subjectivité, Paris, Université de Paris, 1969.
67 M. Serres, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Paris, PUF, 1969.
68 G. Granel, Le sens du temps et de la perception chez Edmund Husserl, Paris, Gallimard, 1968.
69 J. D’Hondt, Hegel philosophe de l’histoire vivante, Paris, PUF, 1968.
70 D. Julia, La question de l’homme et le fondement de la philosophie, Paris, Aubier, 1965.
71 G. Lanteri-Laura, Phénoménologie de la subjectivité, Paris, PUF, 1974.
72 À ce propos, cf. les considérations de Jean-Luc Marion, directeur de la collection à partir de 1972, dans l’article « Hyppolite et Epiméthée », Bulletin de la société d’amis de l’École normale supérieure, t. 72, n. 186, 1991, p. 24-28.
73 Hyppolite fut, en outre, à plusieurs reprises, membre du jury de l’agrégation, du Comité consultatif des Universités de France, du Conseil supérieur de la recherche scientifique, et de la Commission de philosophie du Centre national de la recherche scientifique.
74 Cf. Anonyme, « Le discours du président », Bulletin de la société des amis de l’École normale supérieure, t. 35, n. 70, juillet 1954, p. 8-15.
75 J. Hyppolite, « Leçon inaugurale au Collège de France », inFigures, op. cit., t. II, p. 1004.
76 Cf. A. Badiou, entretien avec Peter Hallward du 6 mai 2007, « D’une Théorie de la structure à une théorie du sujet », http://cahiers.kingston.ac.uk/interviews/badiou.html.
77 Parmi lesquelles, la tentative, qui échouera, d’unir l’École normale supérieure de la rue d’Ulm et l’École normale de Sèvres. Althusser rappelle, dans L’avenir dure longtemps (Paris, Stock, 1992, p. 330), qu’Hyppolite lui avait dit avoir voulu exercer plus d’influence intellectuelle sur l’École normale, mais avoir eu l’impression de n’être considéré que comme « le directeur qui avait institué le système des tickets » au restaurant de l’établissement.
78 Sur ce point, cf. J. Hyppolite, « Introduction », in P. Jeannin, École normale supérieure, livre d’or, Paris, Office français de diffusion artistique et littéraire, 1963, p. 15-20 et J. Hyppolite, « La nouvelle École », communication à l’Académie de sciences morales et politiques du 22 avril 1963, Bulletin de la société des amis de l’École normale, t. 44, n. 97, 1963, p. 12-20 et discussion, p. 20-28.
79 Hyppolite avait tenté de réconcilier Sartre et Merleau-Ponty, en invitant expressément le deuxième à la conférence que le premier donna à l’École normale, en 1960, sous invitation d’Alain Badiou, Emmanuel Terray et Pierre Verstraeten.
80 Entretien entre A. Badiou et F. Taddéï, cit.
81 Ces entretiens ont été transcrits et publiés dans un numéro spécial des Cahiers philosophiques (n. 55, juin 1993).
82 Hyppolite consacre tout un séminaire à Fichte pendant les années 1950. Cf. J. Hyppolite, Sur le concept de la « Doctrine de la Science » en général et la philosophie de Fichte, 71 pages dactylographiés par des étudiants de École normale supérieure de Saint-Cloud, bibliothèque Diderot de l’École normale de Lyon. POLY 1 HYP (2).
83 Cf., à ce propos, F. Dagognet, « Vie et théorie de la vie selon J. Hyppolite », in AA.VV., Hommage à Jean Hyppolite, Paris, PUF, 1971, p. 181-194.
84 Étienne Wolff est l’auteur de la notice nécrologique consacrée à Hyppolite dans l’Annuaire du Collège de France. É. Wolff, « Jean Hyppolite (8 janvier 1907-27 octobre 1968) », Annuaire du Collège de France, t. 69, 1969.
85 J. Hyppolite, « Leçon inaugurale au Collège de France », p. 1008.
86 Cf. aussi le compte-rendu de la leçon fait par A.-A. Devaux, « Existence et Vérité. À propos de la leçon inaugurale de M. Jean Hyppolite au Collège de France (16 décembre 1963) », cf.Revue philosophique de Louvain, t. 62, n. 73, 1964, p. 152-155.
87 En 1966, à Baltimore, à l’Université de John Hopkins, Hyppolite participe au fameux cycle de conférences et de rencontres sur le structuralisme, auquel sont aussi invités, entre autres : Derrida, Girard, Vernant, Goldmann, Poulet, Barthes, Lacan (R. Macksey et E. Donato, éd., The Structuralist Controversy : the languages of Criticism and the Sciences of Man, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1972, 2007). Jean Hyppolite y présente un essai sur « La structure du langage philosophique selon la Préface à la Phénoménologie del’Esprit de Hegel » (inFigures, op. cit., t. 1).Selon François Cusset, l’histoire de la French Theory commence à ce moment. Cf. F. Cusset, French Theory, Paris, La Découverte, 2007.
88 Cf. l’écrit que Michel Foucault a consacré à Canguilhem, « La vie : l’expérience et la science » (1985), in id., Dits et Écrits, t. IV, Paris, Gallimard, 1985, p. 763-777.
89 G. Canguilhem, « Hommage à Jean Hyppolite (1907-1968) », cit., p. 550.
90 La plupart des interventions sont publiées dans le volume Hegel et la pensée moderne (Paris, PUF, 1971).
91 Dans l’annuaire du Collège de France de 1967-1968, il dira d’avoir « dirigé un groupe de chercheurs ».
92 En 1966, lors du colloque à l’Université de John Hopkins, Hyppolite ouvra sa communication en se demandant explicitement s’il n’était pas trop tard pour parler d’Hegel.
93 Une partie de la bibliothèque personnelle de Jean Hyppolite a été donnée à l’École normale.
94 J. Hyppolite, « La première philosophie de l’Esprit de Hegel », inFigures, op. cit., t. I, p. 328.
95 Un dossier de presse concernant mai 1968, conservé parmi ses papiers, atteste de son intérêt pour la question étudiante.
96 Cf., à ce propos, W. R. Beyer, « Hommage à J. Hyppolite et introduction au VIIe Congrès international Hegel », Hegel-Jahrbuch, 1968-1969, p. 1-7.
97 Cf. Anonyme, « Hommage à Jean Hyppolite », Bulletin de la société des amis de l’École normale, t. 50, n. 114, 1969, p. 25-27, p. 27.
98 Il est fait mention de ce livre dans une lettre envoyée à Alain Badiou le 12 mai 1963. Fonds Jean Hyppolite, archives de la bibliothèque de l’École normale supérieure, Paris, HYP V/2/56-66.
99 J. Hyppolite, lettre du 25 mai 1963, Fonds Jean Hyppolite, archives de la bibliothèque de l’École normale supérieure, Paris. HYP V/2/56-66.
100 « Honneur des hommes, Saint LANGAGE, / Discours prophétique et paré, / Belles chaînes en qui s’engage / Le dieu dans la chair égaré, / Illumination, largesse ! / Voici parler une Sagesse / Et sonner cette auguste Voix / Qui se connaît quand elle sonne / N’être plus la voix de personne / Tant que des ondes et des bois ! ». P. Valéry, « La Pythie », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1957, t. 1, p. 136. Hyppolite cite ce poème en exergue du deuxième chapitre de Logique et existence, op. cit. (p. 27).
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-16056-4
- EAN : 9782406160564
- ISSN : 2427-8092
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16056-4.p.0109
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/01/2024
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