Préambule déambulatoire
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Charles Fourier, émergence d’une théorie sociale
- Pages : 17 à 20
- Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 31
Préambule déambulatoire
L’émancipation n’a pas de pires ennemis que ceux-là, qui prétendent changer la société et ne cessent de dissimuler, en l’exorcisant, le vieux monde qu’ils portent en eux. Procureurs de la révolution, renifleurs de radicalité, épiciers du mérite et du démérite, voilà à quels adversaires cuirassés de névroses va se heurter, avec une violence insoupçonnées, tout ce qui commence à battre au rythme d’une vie sans contrainte.
Vaneigem, Le Livre des Plaisirs.
« Charles Fourier, émergence d’une théorie sociale », un tel intitulé mériterait sans nul doute une savante introduction relevant ses tenants et aboutissants sur l’histoire du développement économique et social de notre monde. Sans nul doute, une telle introduction aurait le mérite de s’adapter rigoureusement aux contraintes de son sujet, la théorie sociétaire, aux contraintes structurelles que la réalité matérielle impose aux productions de ce monde : la théorie sociétaire n’affirme-t-elle pas avant toute chose les liens qui se tissent inexorablement entre la réalité matérielle de la production et la réalisation du produit ?
« Charles Fourier, émergence d’une théorie sociale », un tel intitulé révèle bien le souci de la mise en évidence d’une telle correspondance. Mais il reste que l’introduction savante n’aura pas lieu, car s’il y a correspondance à mettre en évidence, c’est bien celle de ce travail avec la réalité des contraintes dans lesquelles il a été réalisé, et que peut-on dire des contraintes sociales ou sociétaires si ce n’est relever la contradiction majeure, pour qui se préoccupe de ce type de recherches, qui existe entre l’aspiration à changer le monde et le but assigné aux institutions 18discursives : perpétuer ce monde à partir des contingences structurelles d’une énonciation savante.
« Charles Fourier, émergence d’une théorie social », le travail qui va suivre relève de l’urgence qu’il y a à interroger le cadre de cette émergence dès lors que cette théorie s’assigne pour objectif, sur la base d’une raisonnement scientifique, celui de révolutionner le monde et de permettre à ce monde une socialisation harmonieuse. La théorie sociétaire de Charles Fourier est l’étincelle créatrice qui donnera naissance au socialisme : l’une comme l’autre parle des rêves et des aspirations des hommes pour permettre une harmonie dans un monde en crise, puisque la crise est le propre de ce monde à rebours. Il ne s’agit donc pas d’un sujet d’histoire mais bien d’une interrogation de notre temps.
Et maintenant, place au socialisme. L’expression est choisie, sinon heureuse, car en effet, la place du socialisme n’est peut-être pas là où on l’attend.
Un peu d’histoire s’impose.
Le socialisme en tant que tel apparaît dans l’Histoire conjointement avec la Révolution Française et, dans une large mesure, en réaction à cette révolution. Il est l’expression de la nécessité pour les hommes d’affirmer la possibilité de vivre dans un monde social harmonieux. Il n’est donc pas théorie révolutionnaire mais bien plutôt anti-révolutionnaire. À ce titre, son rôle historique est celui de régulateur social.
La place du socialisme n’est peut-être pas celle que lui ont attribué simultanément et Marx et la « bourgeoisie » : elle n’est pas de toute évidence réduite à l’expression des intérêts d’une classe sociale particulière, fut-ce ceux du prolétariat.
« Prolétaire de tous les pays, unissez-vous » n’est un mot d’ordre socialiste (et de plein droit) que parce que l’œuvre historique de Marx a été de réunir et de faire coïncider les analyses du socialisme et les intérêts du prolétariat en face des exigences réactionnaires d’un pouvoir aveugle à toutes choses qui ne soient pas du domaine des intérêts exclusifs d’une classe alors dominante (ou en cours de domination).
La révolution de 1848 marque dans notre histoire le point à partir duquel la bourgeoisie alors en place et Marx donneront au socialisme l’impulsion nécessaire à sa transformation en « doctrine révolutionnaire ».
C’est ce cheminement qui nous intéresse ici.
19Le socialisme emprunte mille détours pour exprimer la diversité de ses analyses. De la « Théorie des 4 mouvements » au « Manifeste du Parti Communiste » en passant par la « Conspiration pout l’égalité, dite de Babeuf » ou la « Réfutation de l’éclectisme », les chemins empruntés révèlent la richesse des espoirs ainsi affirmés.
Cinquante ans d’Histoire (de la Révolution Française au Coup d’État du 2 Décembre) montrent l’emprise du monde social généré par la révolution industrielle sur l’évolution d’un mouvement de pensée qui n’a d’autres buts que la critique des réalités sociales par l’analyse des contraintes et des vices inhérents au système productif en cours de réalisation.
La recherche entreprise ici vise à montrer comment, par ce marquage social historiquement déterminé, le socialisme perd peu à peu la richesse de ses espérances par ce qu’il gagne en efficacité opératoire. Cette double évolution – appauvrissement de la richesse imaginative de l’analyse sociale, enrichissement corrélatif du « pouvoir social » induit par celle-ci – marquera les étapes de l’emprise du processus civilisateur sur la « science » que la « civilisation » a fait naître en son sein pour tenter de maîtriser son évolution.
Civilisation est ici entendue au sens de Fourier : 5e période du cours du mouvement social.
Quant à la science, la définition retenue est la suivante : (du latin : scientia, de scire, savoir) connaissance exacte et raisonnée de certaines choses déterminées ; ensemble des connaissances relatives à un objet déterminé ; ensemble des connaissances humaines sur la nature, la société et la pensée, acquises par la découverte des lois objectives des phénomènes et leurs explications.
Quant au socialisme, deux points d’importance sont dès lors à soulever, pour son appréhension. Ils sont tous deux en rapport étroit avec ce qui fait la spécificité du socialisme en tant que domaine scientifique : l’objet de son étude.
En effet, le domaine que le socialisme se donne pour tâche d’analyser a ceci de particulier qu’il est instable, variable : l’étude des liens qui unissent la vie sociale et les réalités productives est à l’évidence fonction à la fois de la vie sociale, des réalités productive et de la nature même des liens qui se tissent et évoluent sans cesse entre ces deux termes.
20Il apparaît dès lors de toute première importance de se donner les moyens correspondant à l’instabilité, la variabilité inhérentes au sujet de notre travail : la nécessité absolue de restituer le socialisme en ce qu’il a de vivant en relation avec la vie de son temps ; la nécessité absolue de le saisir en mouvement dans les relations qu’il entretient avec le monde. Avec pour dernier corollaire l’évidence qui suit : le mouvement socialiste ne s’est pas arrêté avec la révolution de 1848. La double évolution de ce mouvement que nous avons tâcher de décrypter a poursuivit et poursuit largement encore son chemin. L’efficacité opératoire du socialisme a, comme on sait, fait ses preuves de l’U.R.S.S. à la Chine, en passant par Cuba. La richesse imaginative de ses analyses a, chemin faisant, montré ses limites.
En fin de compte, la formule « l’efficacité opératoire du socialisme est inversement proportionnelle à la richesse imaginative de ses analyses » – dans la mesure où dans le même temps il faut affirmer l’axiome correspondant « il n’y a pas d’efficacité opératoire en l’absence de richesse imaginative » – se révèle riche d’enseignement dans ses applications éventuelles.
Le socialisme ne résiderait-il pas, en fin de compte, dans la recherche permanente d’un point d’équilibre inaccessible et toute tentative de le figer à un moment quelconque de son évolution ne le dégraderait-elle pas en une scolastique sclérosante ?
Mais cela est une autre histoire.
- Thème CLIL : 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN : 978-2-406-08948-3
- EAN : 9782406089483
- ISSN : 2261-0979
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08948-3.p.0017
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/03/2020
- Langue : Français