Introduction
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Censure et Tabou
- Auteur : Faugère (Clémence)
- Pages : 69 à 71
- Collection : Littérature et censure, n° 9
Introduction
Le terme tabou a connu au siècle dernier une évolution sémantique. Si, originellement, il renvoie à un système d’interdictions relatives au sacré ainsi qu’à l’impur dans une dimension métaphysique, son sens évolue à partir du début du xxe siècle pour désigner aussi ce « sur quoi on fait silence, par crainte et par pudeur1 ». Apparaissent ainsi, à travers cette définition renouvelée et plus extensive, deux traits saillants de la notion de tabou. Tout d’abord, par la référence à la pudeur, l’on comprend que le concept est fortement lié à la sexualité : honte ou gêne, l’évocation d’un tel sujet est évitée. Par le renvoi à la crainte, l’on saisit également que le tabou donne naissance à un mécanisme d’autocensure encouragé soit par la peur d’une sanction surnaturelle, soit par la peur d’une sanction institutionnelle ou étatisée. Malgré ces angoisses, il est des créateurs, qu’ils soient peintres ou écrivains, qui osent aborder de tels sujets au sein de leurs œuvres et qui brisent le secret. Selon Michel Foucault dans la Volonté de savoir (1976), contrairement aux idées reçues, le discours sur le sexe n’a d’ailleurs jamais disparu. Il a seulement été renouvelé à travers deux grandes procédures qui ont pour vocation de créer une vérité du sexe : l’ars erotica puis la scientia sexualis2. Les différents cas abordés au sein de ce chapitre prennent place durant cette seconde période et plus précisément au cours du xixe siècle. La sexualité y est alors envisagée selon la procédure ancienne de l’aveu et complétée par une discursivité scientifique3. L’on peut alors se 70demander quel sort est réservé au traitement de la sexualité lorsque celle-ci est envisagée de façon plurielle, transgressant les normes et les conventions sociales du temps.
La première contribution du présent chapitre aborde la question de l’homosexualité à travers La sarbacane de Paul Lacroix. À travers ce récit, Stéphane Fossard s’intéresse à la vie intime du roi Henri III aux côtés de ses mignons. L’homosexualité étant réprimée au xixe siècle, Paul Lacroix utilise des subterfuges dans l’écriture visant à pouvoir transcrire, sans crainte, des tableaux immoraux selon les canons de l’époque : dimension historique du récit, condamnation morale des comportements « déviants ».
Quant à la seconde contribution, elle ne met pas en lumière les moyens stylistiques afin d’éviter le châtiment, mais les stratégies de défense mises en œuvre par des auteurs déjà inquiétés par la justice en raison de leurs écrits qui outragent la morale et les bonnes mœurs. En l’espèce, Gustave Flaubert et Guy de Maupassant, à travers le roman Madame Bovary et le poème Une fille ou Au bord de l’eau, abordent la délicate question de la sexualité et du désir féminin. Ils s’attirent en conséquence l’ire du pouvoir judiciaire en charge de distinguer l’usage licite de la liberté d’expression du délit.
Isabelle Malmon revient géographiquement aux origines du tabou en s’intéressant à l’étude du tableau Manao tupapau peint par Paul Gauguin à Tahiti en 1892. Cette toile et les commentaires du peintre à son sujet, donnent un relief particulier aux liens qui peuvent exister dans les croyances et traditions polynésiennes entre sexualité et mort. Une jeune femme représentée nue et étendue sur le ventre est observée par un fantôme à capuche. Cette entité sombre n’évoque-t-elle pas les débats actuels autour du peintre qui trouve dans les îles du Pacifique un paradis sexuel auprès de jeunes filles soumises aux fantasmes ainsi qu’à la violence des colonisateurs ? Le tupapau ne constituerait-il pas en ce sens un aveu de Gauguin, conscient de ses mœurs sexuelles condamnables ?
Enfin, dans une ultime contribution, Florence Pellegry aborde à nouveau la question de la sexualité féminine. Cette dernière n’est alors plus choisie, voulue, mais subie. Le tabou ne s’illustre plus à travers une tentative de censure d’écrits relatant une émancipation féminine non-désirée au sein d’une société patriarcale, mais dans le 71refus d’entendre la souffrance de celles qui subissent des violences sexuelles à travers des témoignages écrits à la fin de l’ère victorienne au Royaume-Uni.
Clémence Faugère
CNRS/CESSP, IRM,
Université de Bordeaux, EA 7434
1 Valérie Munier, « Quelques réflexions autour du tabou et du suicide », Cahiers de psychologie clinique, vol. 22, no 1, 2004, p. 171-184.
2 Michel Foucault, Histoire de la sexualité I : la volonté de savoir, Paris, Gallimard, 2017, p. 76.
3 Ibid., p. 89. « L’aveu » regroupe selon Michel Foucault tous les dispositifs créés par la morale chrétienne pour mettre en scène les failles du sujet, dans ce qu’il a de plus intime, et notamment dans sa dimension érotique. Le discours des Lumières puis la psychiatrie et la psychanalyse reprennent en charge cet impératif de l’aveu (confession, récit de soi) dans une perspective scientifique, médicale.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15012-1
- EAN : 9782406150121
- ISSN : 2492-301X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15012-1.p.0069
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/10/2023
- Langue : Français