Avant-propos
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Valery Larbaud
2015, n° 51. Valery Larbaud et le paysage - Author: Lioure (Françoise)
- Pages: 9 to 11
- Journal: Valery Larbaud Studies
Avant-propos
L’édition de Paul Devaux, l’imagier aux mille facettes (Société d’histoire et d’archéologie de Vichy, 2013) par Fabienne Pouradier-Duteil et Martine Chosson, toutes deux responsables du Fonds Larbaud de la Médiathèque, invitait à envisager la place et le rôle du paysage dans l’œuvre de Larbaud. En effet, pour préfacer ce très beau livre qui évoque et illustre le travail du graveur bourbonnais, elles ont très opportunément reproduit le texte que Larbaud avait écrit en 1928 pour présenter les Paysages bourbonnais de son compatriote « tailleur d’images ». Larbaud affirmait alors que dans tout paysage une « force cachée » faite « d’un ensemble de rapports secrets » sollicite l’attention du spectateur, attend de lui une réponse. Mais seul le peintre, affirmait Larbaud, a le pouvoir de « répondre » convenablement à cette attente et de rendre compte de la vérité du paysage, ceux qui ne possèdent pas l’art de reproduire le monde en images restent, écrit-il, « indécis », « absorbés comme en face d’un problème que (leur) curiosité voudrait et ne peut résoudre ». La déclaration de Larbaud est circonstancielle – il est légitime qu’il honore celui qu’il présente – et il n’est pas sûr qu’il considère tout autre artiste qu’un peintre ou un graveur comme incapable de restituer la vérité d’un paysage. La présence abondante de décors naturels, et d’« images » de villes dans son œuvre et dans son journal permet de voir comment Larbaud répond à « l’attente » des paysages et approche leurs secrets, comment le paysage s’intègre à la vie de ses personnages imaginaires, quel rôle peut jouer le paysage dans son processus créateur.
Premiers paysages dans la vie de Larbaud, ceux du Bourbonnais, les paysages de la province natale. Yvon Houssais dans « La jungle et le Bourbonnais » étudie leur présence et leur fonction dans Enfantines, œuvre dans laquelle le paysage bourbonnais est indissociable de l’enfance. Les jeunes enfants cherchent dans son spectacle apaisé compensation à la clôture et aux contraintes imposées par les adultes. Et les domaines de
l’évasion dans l’imaginaire et le rêve compensatoire qui caractérise ces récits d’enfance sont constitués des lieux familiers transfigurés.
Autour du centre de la France, Amélie Auzoux réunit le Limousin Giraudoux et le Bourbonnais Larbaud dans « Jean Giraudoux et Valery Larbaud, deux “fils” du centre de la France ». L’un et l’autre d’ailleurs ont souvent affirmé leur attachement à leurs racines provinciales en opposition à leur réputation de voyageurs cosmopolites. Chacune des œuvres des deux écrivains évoque en majesté la borne de Bruère – Allichamps, point central de la France et voisine de leurs provinces natales, soulignant son importance géographique, l’intégrant dans une histoire recomposée. Calme, harmonie, douceur sont les caractères par lesquels l’un et l’autre célèbrent les paysages de leur pays et ils ne manquent pas d’exalter « la république des arbres », la forêt de Tronçais, le fleuron de ce Centre auquel ils restent fidèles l’un et l’autre.
C’est le Larbaud voyageur, découvreur d’un pays nouveau, que Delphine Viellard choisit d’évoquer dans « Paysages albanais et vues citadines » à partir de « La nostra settimana albanese » du Journal de Larbaud. L’écrivain est fortement impresssionné par le paysage naturel de l’Albanie qu’il ne peut comparer à rien de ce qu’il connaît. Il semble bien que l’évocation de la chaîne alpine dominée par le Tomor que Larbaud consigne dans son journal au retour de son excursion à l’intérieur de l’Albanie réponde, par la justesse des termes, à « l’attente » de ce paysage extraordinaire. En revanche, Larbaud raisonne en sociologue et urbaniste quand il déplore, dans les villes, le mauvais état des chaussées, l’état d’abandon de certains bâtiments et qu’il cède à son envie, souvent exprimée, de réhabiliter ce qui est menacé par la décrépitude.
Deux interventions sont consacrées à la place et la fonction du paysage dans les Poésies de Barnabooth.
Frédéric Roussille dans « Image et accès au monde dans les Poésies d’A. O. Barnabooth de Valery Larbaud » part de cette constatation : la réalité du monde n’est pas transcrite directement dans ces poèmes, mais apparaît à travers un écran matériel, vitre ou hublot, ou reconstituée par l’imagination ou le souvenir. Il s’ensuit une mise à distance, voire une déréalisation du monde dans ces poèmes. Mais loin d’y voir comme conséquence un enfermement dans des impressions purement subjectives, l’auteur constate que le poète, par le rythme et l’image, par le jeu sonore des noms propres, évocateurs de lointains, parvient à saisir
et reproduire la pulsation du monde, bien plus profondément que ne le ferait une évocation directe de la vision du paysage.
Sous le titre « Fulgurantes évanescences – le paysage dans Les Poésies de A. O. Barnabooth », Christine Kossaifi tend à déchiffrer les raisons du sentiment de plaisir esthétique et de malaise mêlés que peut ressentir le lecteur de ces poésies. Couleurs jaillissant par éclats, sensations fragmentées, confusion des repères affirment le refus de la description. Ces paysages évoqués par touches impressionnistes sont reflets d’états d’âme et nourris de réminiscences littéraires. Christine Kossaifi évoque à ce propos des rapprochements avec la bucolique grecque, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Enfin, ce paysage, presque toujours en mouvement apparaît comme le reflet du cours de la vie et de son irréductible évanescence et l’écran de la vitre ou du hublot, thème récurrent dans ces poèmes, réintègre le poète dans une transcendance perdue. Ce qui permet de voir dans ces paysages une dimension spirituelle que l’auteur de l’article rapproche des mystiques orientale et musulmane.
Gil Charbonnier dans « Paysage intérieur et créativité lyrique chez Valery Larbaud », envisageant l’ensemble de l’œuvre de Larbaud, se propose de montrer la place du paysage dans le monde intérieur de l’écrivain et son rôle dans le processus de création. Plusieurs aveux de l’écrivain, consignés dans son journal ou d’autres textes, manifestent que pour lui, le paysage – naturel ou urbain – participe à la genèse de l’œuvre. Mais, refusant l’étiquette d’écrivain « cosmopolite » – que l’ivresse du voyage et les images multiples du monde évoquées dans ses poèmes justifieraient – Larbaud revendique un nouveau lyrisme né d’une dialectique entre le repli sur soi et le monde extérieur : les paysages peuvent ainsi s’incorporer à la durée du souvenir. La genèse de « Deux artistes lyriques », exposée par Larbaud dans Notes pour servir à ma biographie, illustre cette démarche et approfondit la notion de paysage qui devient un décor intériorisé surgi hors du temps. Cette nouvelle notion du paysage impose une nouvelle écriture : soit la saisie de l’essence d’un paysage (« Douze villes ou paysages »), soit son évocation par le discours intérieur d’un personnage, monologue intérieur ou méditation.
Françoise Lioure
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-8124-4834-8
- EAN: 9782812448348
- ISSN: 2429-3237
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4834-8.p.0009
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-25-2015
- Periodicity: Annual
- Language: French